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Date : 20201001


Dossier : A-267-19

Référence : 2020 CAF 151

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

 

NEPTUNE WELLNESS SOLUTIONS

 

appelante

 

et

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

intimé

 

Audience par vidéoconférence organisée par le greffe, le 8 septembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20201001


Dossier : A-267-19

Référence : 2020 CAF 151

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

 

NEPTUNE WELLNESS SOLUTIONS

 

appelante

 

et

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté par Neptune Wellness Solutions (Neptune), aux termes du paragraphe 68(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), concernant une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) (appel no AP-2018-028). Dans sa décision, le Tribunal a rejeté l’appel interjeté par Neptune à l’égard de la révision par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) du classement tarifaire des marchandises importées par Neptune.

[2] Les marchandises en cause consistent en des blocs congelés de krill de l’Antarctique. Le krill est un petit crustacé apprécié pour son huile, qui a une teneur élevée en gras oméga-3. Toutefois, le krill importé a un goût désagréable, et sa carapace contient un taux suffisamment élevé de fluorure pour représenter un risque pour la sécurité s’il devait être consommé dans la condition où il se trouve au moment de son importation. Pour en extraire l’huile, il faut moudre le krill et le mélanger à de l’acétone. L’acétone permet de séparer l’huile contenue dans le krill des parties solides du krill, comme la carapace. Un procédé de filtration permet ensuite de séparer l’acétone et le mélange d’huile des parties solides du krill. L’acétone est ensuite évaporée, pour ne laisser qu’une huile d’un rouge vif, laquelle est mise en capsule sous forme de gélule avant d’être vendue comme complément alimentaire destiné à l’alimentation humaine.

[3] La question en litige soumise au TCCE consistait à déterminer si l’intimé avait eu raison de classer le krill sous le numéro tarifaire 0306.19.00 du Chapitre 3 de l’annexe du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36 :

Chapitre 3

Chapter 3

Poissons et crustacés, mollusques et autres invertébrés aquatiques

Fish and Crustaceans, Molluscs and Other Aquatic Invertebrates

03.06 Crustacés, même décortiqués, vivants, frais, réfrigérés, congelés, séchés, salés ou en saumure; crustacés, même décortiqués, fumés, même cuits avant ou pendant le fumage; crustacés non décortiqués, cuits à l'eau ou à la vapeur, même réfrigérés, congelés, séchés, salés ou en saumure; farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de crustacés, propres à l'alimentation humaine. …

03.06 Crustaceans, whether in shell or not, live, fresh, chilled, frozen, dried, salted or in brine; smoked crustaceans, whether in shell or not, whether or not cooked before or during the smoking process; crustaceans, in shell, cooked by steaming or by boiling in water, whether or not chilled, frozen, dried, salted or in brine; flours, meals and pellets of crustaceans, fit for human consumption. …

- Congelés :

- Frozen:

[…]

[…]

0306.19.00 - Autres, y compris les farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de crustacés, propres à l'alimentation humaine

0306.19.00 - Other, including flours, meals and pellets of crustaceans, fit for human consumption

[4] Neptune affirmait que le krill aurait dû être classé sous le numéro tarifaire 0511.91.00 du Chapitre 5 :

05.11 Produits d'origine animale, non dénommés ni compris ailleurs; animaux morts des Chapitres 1 ou 3, impropres à l'alimentation humaine.

05.11 Animal products not elsewhere specified or included; dead animals of Chapter 1 or 3, unfit for human consumption.

[…]

[…]

- Autres :

- Other:

0511.91.00 - -Produits de poissons ou de crustacés, mollusques ou autres invertébrés aquatiques; animaux morts du Chapitre 3 – Autres

0511.91.00 - - Products of fish or crustaceans, molluscs or other aquatic invertebrates; dead animals of Chapter 3

[5] La question que devait trancher le TCCE se résumait à la question de savoir si le krill, en raison de sa condition au moment de son importation et avant sa transformation, était exclu du Chapitre 3 et devait par conséquent être classé sous le Chapitre 5.

[6] Le TCCE a commencé son analyse du Chapitre 3 en faisant référence à des définitions du dictionnaire des termes anglais unfit et unsuitable (en français, « impropre »), soulignant que les définitions des termes fit ou suitable font état d’un usage à une fin précise. Les définitions du terme anglais unfit comprennent les suivantes : « not fit, proper or suitable for some purpose or end » ou [TRADUCTION] « impropre, inadéquat ou qui ne convient pas à un but ou à une fin » et « not adapted to a purpose: unsuitable » ou [TRADUCTION] « non adapté à un but, qui ne convient pas ». Les définitions du terme anglais unsuitable comprennent notamment « not fitting or right for a use or purpose: not suitable » ou [TRADUCTION] « qui ne répond pas ou n’est pas approprié à un usage ou à un but : qui ne convient pas » (Oxford English Dictionary, édition en ligne (Oxford: Oxford University Press, 2020), sous les entrées unfit et unsuitable; Merriam-Webster Dictionary, édition en ligne (USA: Merriam-Webster, Incorporated, 2020), sous les entrées unfit et unsuitable).

[7] Le TCCE a reconnu que, même si le krill est importé avec l’intention d’être destiné à l’alimentation humaine, il n’est pas propre à l’alimentation au moment de son importation. Toutefois, le Tribunal a retenu l’argument de l’intimé, selon lequel le krill, parce qu’il est « propre à l’alimentation humaine » après sa transformation, est nécessairement « propre à l’alimentation humaine » au moment de son importation. Le but ou l’usage final des marchandises ne change pas, peu importe que le krill change de forme pour être transformé en huile de krill.

[8] Pour appuyer sa conclusion selon laquelle l’expression « propres à l’alimentation humaine » inclut les crustacés qui ne sont pas immédiatement prêts à être consommés, le TCCE s’en est remis aux Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises de l’Organisation mondiale des douanes, 6e éd., Bruxelles, 2017 (notes explicatives), pour le Chapitre 3. Les notes explicatives indiquent que les marchandises « propres à l’alimentation humaine » peuvent être livrées pour être consommées immédiatement (c’est-à-dire directement) ou pour une consommation ultérieure (c’est-à-dire réservées à l’industrie, aux conserveries, etc.).

[9] Le TCCE a rejeté l’argument de Neptune selon lequel l’expression « réservés à l’industrie » des notes explicatives devait se limiter aux procédés permettant de conserver les crustacés, comme l’indiquent les termes « conserveries, etc. ». Plus précisément, le TCCE a conclu que l’inclusion de « etc. » indiquait que d’autres procédés industriels étaient possibles, y compris la transformation du krill en huile. Le Tribunal a souligné qu’en pratique, tous les crustacés qui relèvent du Chapitre 3 nécessitent une certaine forme de transformation ou de préparation avant de pouvoir être consommés, comme la cuisson, l’étuvage ou la fumaison.

[10] Le TCCE a conclu que l’expression « propres à l’alimentation humaine » doit être suffisamment large pour comprendre les crustacés importés pour subir une variété de procédés, y compris l’extraction de l’huile, avant d’être consommés. Par conséquent, la marchandise en cause a été correctement classée sous la position no 03.06, à titre de crustacés congelés propres à l’alimentation humaine, et le numéro tarifaire approprié était le no 0306.10.00, « Congelés - Autres, y compris les farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de crustacés, propres à l’alimentation humaine ».

[11] Neptune interjette maintenant appel devant notre Cour. L’essentiel de son argument est que le TCCE a commis une erreur en classant les marchandises en fonction de leur utilisation finale, et non en fonction de leur condition au moment de leur importation : « animaux morts des Chapitres 1 ou 3, impropres à l’alimentation humaine ». Autrement dit, le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’expression « propres à l’alimentation humaine ». Lors de ses plaidoiries orales devant notre Cour, Neptune a abandonné son argument subsidiaire selon lequel le TCCE avait commis une erreur en ne limitant pas la portée des procédés industriels à la conserverie.

[12] Pour les motifs suivants, je rejetterais l’appel.

Appels visant des questions de droit

[13] Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (arrêt Vavilov), a modifié de façon fondamentale la manière avec laquelle notre Cour doit entendre les appels intentés aux termes d’un droit d’appel conféré par la loi. La Cour suprême a redonné au terme appel son sens ordinaire, et la norme de contrôle applicable lors d’un contrôle judiciaire ainsi que les principes connexes n’ont plus à être appliqués aux appels prévus par la loi (aux paragraphes 36 à 38). Les normes applicables en appel s’appliquent (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S 235), et la norme de contrôle applicable lorsque l’appel vise des questions de droit est donc la norme de la décision correcte (arrêt Vavilov, au paragraphe 37). La jurisprudence antérieure, pour laquelle les critères du contrôle judiciaire ont été appliqués, devra être soigneusement examinée afin de déterminer si elle s’applique toujours, et dans quelle mesure.

[14] Le paragraphe 68(1) de la Loi sur les douanes accorde un droit, prévu par la loi, d’interjeter appel des décisions du TCCE devant la Cour d’appel fédérale, uniquement sur des questions de droit. Il est question ici d’un droit d’appel circonscrit. En outre, le paragraphe 67(3) indique que les appels visant une nouvelle détermination de la classification des tarifs du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 68. Une question de droit doit être soulevée pour déclencher la compétence d’appel de la Cour.

[15] Néanmoins, les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit, desquelles on ne peut isoler une question de droit, peuvent néanmoins être contrôlées, au titre de principes généraux et de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CAF 41, notre Cour a conclu que la présence d’une clause privative semblable au paragraphe 67(3) de la Loi sur les douanes n’interdisait pas le contrôle de décisions rendues par les commissions fédérales des relations de travail concernant des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Le fait que de telles questions puissent quand même faire l’objet d’un contrôle judiciaire compte tenu d’un droit d’appel limité a été souligné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 52, où la Cour a affirmé ce qui suit :

[…] nous soulignons que les droits d’appel conférés par la loi sont souvent circonscrits : leur portée peut être restreinte en fonction des types de questions sur lesquelles une partie peut interjeter appel (par exemple, lorsque le droit d’appel ne vise que des questions de droit), ou en fonction du type de décision susceptible d’être portée en appel (lorsque, par exemple, certaines décisions d’un décideur administratif sont sans appel devant une cour de justice), ou bien en fonction de la partie ou des parties qui peuvent porter la cause en appel. La présence d’un droit d’appel circonscrit dans le cadre d’un régime législatif ne fait pas obstacle en soi aux demandes de contrôle judiciaire visant des décisions ou des questions qui ne sont pas visées par le mécanisme d’appel, ni aux recours intentés par des personnes qui n’ont aucun droit d’appel. Dans de tels cas, ce contrôle judiciaire diffère toutefois d’un appel, et la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable lors du contrôle judiciaire ne sera pas réfutée en invoquant le mécanisme d’appel autrement prévu par la loi.

[Non souligné dans l’original.]

[16] La Cour se doit d’examiner les motifs précis d’appel, afin de s’assurer qu’ils soulèvent bien une question de droit, et non des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit déguisées en questions de droit. Le défi repose dans ces affaires où il existe une question de droit isolable intégrée à une question mixte de droit et de fait. La décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, aux paragraphes 24 à 28, [2018] 2 R.C.F. 573, où la Cour a donné des exemples de ce qui constitue une question de droit isolable intégrée à une question mixte de droit et de fait, nous éclaire quant à la façon de distinguer les questions de droit des questions mixtes de droit et de fait :

26 […] Les questions de droit ou normes juridiques qui sont isolables doivent être considérées comme des questions de droit du type de celles que le législateur voulait voir contrôlées par notre Cour aux termes du paragraphe 41(1). À plusieurs occasions, notre Cour a statué sur des appels qui soulevaient des questions de droit ou normes juridiques isolables (en plus d’autres questions de droit ou de compétence) :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Office des transports du Canada, 2010 CAF 65, [2011] 3 R.C.F. 264 (l’arrêt CN 2010) et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports du Canada), 2008 CAF 363, 383 N.R. 349 (l’arrêt CN 2008). Quels sont les éléments qui relèvent de certains mots définis par la Loi et doivent donc entrer dans le calcul du plafond de revenu prévu par la Loi? La question de droit isolable était le sens des mots figurant dans la Loi.

Dreyfus, précité, au paragraphe 18. Deux questions soulevées constituaient des questions de droit isolables, à savoir des questions d’interprétation des lois. L’« approche d’évaluation », méthode adoptée par l’Office pour trancher les questions relevant des articles 113 à 116, repose-t-elle sur une interprétation erronée de ces dispositions? L’Office a-t-il omis d’examiner des questions que la Loi l’obligeait à examiner?

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Richardson International Limited, 2015 CAF 180, 476 N.R. 83. Ressort-il des faits une « ligne de chemin de fer » et d’un « raccordement » qui fait jouer les obligations d’interconnexion du transporteur? La question de droit isolable concernait le sens de ces mots.

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Viterra Inc., 2017 CAF 6. Au vu des faits, les obligations du transporteur prévues par l’article 113 jouaient-elles? La méthode de rationnement du transporteur constituait-elle un contrat confidentiel visé par le paragraphe 113(4) de la Loi?

[17] Plus récemment, dans l’arrêt Bell Canada v. British Columbia Broadband Association, 2020 FCA 140, aux paragraphes 49 à 51, la Cour a précisé qu’une question de droit peut être tributaire des faits, comme dans le cas de l’équité procédurale. En tout temps, c’est le sens réel de la question en litige qui prévaut, et non la forme sous laquelle elle est exprimée. Un examen de l’avis d’appel et du mémoire des faits et du droit peut nous aider à déterminer l’essence de la question.

[18] Si l’on applique les directives fournies dans ces décisions, les questions en litige font intervenir des questions de droit isolables. Ces questions concernent l’interprétation de la position 03.06 de l’annexe du Tarif des douanes et, plus précisément, la portée de l’expression « propres à l’alimentation humaine ». Puisqu’il s’agit de questions de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

Le TCCE a-t-il commis une erreur dans sa définition de l’expression « propres à l’alimentation humaine »?

[19] L’essentiel de l’argument de l’appelante est que les marchandises ne doivent pas être classées en fonction de leur utilisation finale ou de ce qu’elles deviendront (J. Cheese Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, AP-2015-011, au paragraphe 55 (décision J. Cheese Inc.); CE Franklin Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, AP-2010-066, au paragraphe 34). À ce titre, l’appelante affirme que le TCCE a commis une erreur de droit en tirant la conclusion que, puisque les marchandises sont « propres à l’alimentation humaine » après leur transformation, elles sont nécessairement « propres à l’alimentation humaine » avant leur transformation. De l’avis de l’appelante, la transformation nécessaire pour convertir le krill en huile de krill ne modifie pas uniquement l’« aspect de la marchandise », comme l’a conclu le TCCE; elle modifie la marchandise elle-même. Selon Neptune, seule l’huile de krill, une marchandise complètement distincte, est « propre à l’alimentation humaine ». Par conséquent, la marchandise visée, soit le krill, n’est à aucun moment « propre à l’alimentation humaine ».

[20] Même si l’appelante invoque ces décisions pour appuyer sa thèse selon laquelle les marchandises doivent être classées en fonction de leur état au moment de leur importation, et non en fonction de ce qu’elles deviendront, elles ne sont pas pertinentes.

[21] Dans les décisions qu’invoque l’appelante, la question en litige consistait à déterminer s’il fallait classer des marchandises non finies sous un numéro tarifaire correspondant à leur état au moment de leur importation, ou s’il fallait plutôt les classer selon ce qu’elles deviendraient peu de temps après leur importation. Le TCCE devait se demander si les marchandises non finies étaient reconnaissables ou identifiables en tant que produit fini, ou non (décision J. Cheese Inc., au paragraphe 55). Dans le cas qui nous occupe, l’analogie appropriée serait de se demander si le krill est identifiable en tant qu’huile de krill, auquel cas il faudrait l’importer sous un numéro tarifaire approprié pour l’huile de krill. Toutefois, ce n’est pas là le choix qu’ont présenté les parties en l’espèce.

[22] L’argument de l’appelante pose un autre problème. Il ne peut être retenu compte tenu des principes et de la méthode d’interprétation énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, aux paragraphes 4 à 7, [2016] 2 R.C.S. 80 (arrêt Igloo Vikski).

[23] Le Tarif des douanes doit être interprété selon une méthode et une hiérarchie établies. Aux termes du paragraphe 10(1) du Tarif des douanes, le classement des marchandises importées doit se faire en conformité avec les Règles générales et les Règles canadiennes. La Règle 1 des Règles générales prescrit que le classement des marchandises devrait initialement être déterminé en fonction des positions d’un chapitre, y compris ses termes, et de toute note de position ou de chapitre applicable, ainsi que de toute note explicative pertinente. Selon la Règle, les marchandises doivent entrer dans une position avant que l’on puisse passer à une sous-position.

[24] Cependant, si aucune position ne s’applique, en utilisant la Règle 1, le TCCE peut alors appliquer les Règles 2 à 5, dans cet ordre. La Règle 2 prescrit que les marchandises présentées sous une forme incomplète peuvent être importées selon la position et le classement tarifaire de leur forme complète. Par conséquent, si une marchandise ne peut être classée dans un numéro tarifaire [traduction] « comme elle se présente », le TCCE peut utiliser le numéro tarifaire de sa forme finale et la classer sous ce numéro tarifaire (arrêt Igloo Vikski, aux paragraphes 4 à 7, 20 et 23 à 27).

[25] Même si elles ne sont pas impératives, les notes explicatives doivent à tout le moins être prises en considération, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire (arrêt Igloo Vikski, au paragraphe 8; Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131, au paragraphe 13). En l’espèce, le TCCE a appliqué la Règle 1. Il a interprété les termes de la position et s’en est remis aux notes explicatives pour confirmer sa conclusion. Il n’y a aucune erreur dans cette approche adoptée par le Tribunal.

[26] Le sens ordinaire de l’expression « propres à l’alimentation humaine » et du terme « impropres » fait état d’une utilisation finale. Les termes employés demandent que l’on tienne compte de ce que les marchandises pourraient devenir. Ils font référence aux procédés permettant de rendre les marchandises propres à la consommation. Leur sens ordinaire est confirmé par les définitions des dictionnaires.

[27] Cette interprétation est renforcée par les notes explicatives, qui indiquent que les marchandises « propres à l’alimentation humaine » comprennent les crustacés « morts, qu’ils soient destinés à être livrés directement à l’alimentation ou réservés à l’industrie (conserveries, etc.), au repeuplement, aux aquariums, etc. ». Ce libellé indique clairement que le TCCE doit tenir compte du but des marchandises et de leur utilisation finale pour sélectionner le bon classement. C’est précisément ce qu’a fait le TCCE. Le Tribunal a conclu que le krill faisait l’objet d’un procédé industriel pour en extraire l’huile, et que cette huile était ensuite consommée. À ce titre, le krill était « propre à l’alimentation humaine ».

[28] L’appelante voudrait essentiellement qu’au moment de son importation, l’on se demande si le krill est prêt à être consommé, plutôt que d’utiliser le critère prescrit, à savoir si le krill est « propre » à l’alimentation, peu importe sous quel aspect il se présente. Cette interprétation exclurait pratiquement tous les crustacés, très peu d’entre eux étant prêts à être consommés au moment de leur importation. Ce résultat serait contraire à l’objectif global de la classification rédigée en termes généraux, qui vise à inclure la plupart des crustacés et la plupart des modes de préparation destinés à l’alimentation humaine.

[29] Si je lis le libellé de la position comme un tout, comme je me dois de le faire, l’expression « propres à l’alimentation humaine » englobe manifestement toutes les formes de crustacés et tous les modes de préparation. La cuisson, la fumaison, la cuisson à la vapeur ou à l’eau bouillante, la mise en saumure et la salaison font toutes référence à des procédés qui permettent aux crustacés d’être propres à l’alimentation. La disposition est rédigée en termes généraux; elle couvre les crustacés « même décortiqués », « même cuits », et « même réfrigérés ». Le critère voulant qu’ils soient propres à l’alimentation s’applique à chaque produit, peu importe de quelle manière ils sont préparés pour être propres à l’alimentation. Chacun des produits est toutefois séparé par un point-virgule. La présence de ces points-virgules constitue le fondement du second argument de l’appelante, que j’aborderai maintenant.

Erreur dans l’interprétation de la position – le point-virgule

[30] L’appelante affirme que le TCCE a commis une erreur en droit en ne tenant pas compte des points-virgules dans le libellé de la position 03.06. Elle soutient que la présence des points-virgules dans le libellé de la position sépare l’élément « Congelés : -- Autres, y compris les farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de crustacés, propres à l’alimentation humaine » des éléments précédents de la liste. Selon ce que je comprends de son argument, les points-virgules isolent la nécessité d’être propres à l’alimentation humaine de la partie précédente du texte. Seuls les produits « Congelés : -- Autres, y compris les farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de crustacés » doivent être propres à l’alimentation humaine.

[31] L’appelante a raison de dire que le TCCE n’a pas tenu compte du point-virgule, mais elle ne peut expliquer pourquoi cela est important. L’argument n’aide en rien l’appelante.

[32] Comme le souligne la professeure Sullivan, à bien des égards, il n’y a pas de différence entre lire une loi et lire tout autre texte. Le lecteur s’appuie sur [traduction] « le même lexique, les mêmes règles de grammaire et de ponctuation et le même bagage de valeurs culturelles et d’hypothèses ». Il faut interpréter les termes d’une loi selon leur sens ordinaire et appliquer les règles de grammaire et de ponctuation (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., (Toronto: LexisNexis, 2014), au paragraphe 8.1). En ce qui concerne l’usage du point-virgule, le Fowler’s Dictionary of Modern English Usage, 4e éd. (Oxford: Oxford University Press, 2015), sous l’entrée « semicolon ») indique ce qui suit :

[traduction]

Le point-virgule est le signe de ponctuation qui est utilisé avec le moins d’assurance dans les textes généraux, et le signe le moins en évidence pour quiconque feuillette les pages d’un roman moderne. Mais il est extrêmement utile, lorsqu’il est utilisé avec modération. Son principal rôle est d’indiquer une séparation grammaticale plus forte que la virgule, mais moins forte que le point. Normalement, les deux parties d’une phrase séparées par un point-virgule s’équilibrent ou se complètent, plutôt que de mener de l’une à l’autre, auquel cas les deux-points conviennent habituellement mieux.

[33] Rien dans les règles régissant le bon usage du point-virgule ne peut venir en aide à l’appelante.

[34] Quoi qu’il en soit, en pratique, le krill ne se présente pas sous la forme de « farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de crustacés » au moment de son importation. Le krill est congelé et est donc visé par les termes du premier élément de la liste à la position 03.06 : « Crustacés, même décortiqués, vivants, frais, réfrigérés, congelés, séchés, salés ou en saumure ». Il est également visé par les termes du numéro tarifaire résiduel « Congelés : -- Autres, y compris les farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de crustacés, propres à l’alimentation humaine ». Peu importe les points-virgules, le krill entre dans la classification de la position 03.06.

[35] De plus, interpréter la présence des points-virgules comme signifiant que seules les marchandises qui suivent le point-virgule final doivent être propres à l’alimentation humaine rendrait l’ensemble de la disposition vide de sens. Pourquoi les crustacés seraient-ils cuits, cuits à la vapeur, réfrigérés, fumés, mis en saumure ou salés si ce n’était afin de les rendre propres à l’alimentation humaine?

[36] En somme, la conclusion selon laquelle le krill, au moment de son importation, est propre à l’alimentation humaine est fondée sur une interprétation des termes inclus dans la position, le numéro tarifaire et ses notes applicables, conformément à la méthode énoncée dans l’arrêt Igloo Vikski. Il s’agit là d’une interprétation juste des éléments du Tarif des douanes en question.

[37] Je rejetterais l’appel avec dépens, lesquels, avec l’accord des parties, s’élèvent à 1 500 $.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-267-19

 

INTITULÉ :

NEPTUNE WELLNESS SOLUTIONS c. LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 septembre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 1er octobre 2020

COMPARUTIONS :

Michael Kaylor

Pour l’appelante

Luc Vaillancourt

David Di Sante

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

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