Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20200903


Dossier : A-47-20

Référence : 2020 CAF 136

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM : LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

ENTRE :

NARINDER KAUR ET GURJANT KHAIRA

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2020.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20200903


Dossier : A-47-20

Référence : 2020 CAF 136

CORAM : LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

ENTRE :

NARINDER KAUR ET GURJANT KHAIRA

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEBLANC

[1] En application de l’alinéa 52a) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, l’intimé sollicite une ordonnance annulant l’appel interjeté par les appelants à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale datée du 9 janvier 2020 (ordonnance de la Cour fédérale), pour le motif que notre Cour n’a pas compétence pour instruire l’appel, puisque la juge de la Cour fédérale, en rendant sa décision, n’a pas certifié que l’affaire soulevait une question grave de portée générale. L’intimé allègue également que l’appel des appelants est théorique puisqu’il n’existe plus de différend concret et tangible entre les parties.

[2] Le différend judiciaire qui oppose les parties découle de la décision d’un agent d’immigration de refuser d’accorder un visa de résidence temporaire à un membre de la famille des appelants. Alléguant que la décision de l’agent viole leur droit d’être réunis ici au Canada avec ce membre de leur famille, et qu’elle contrevient ainsi à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), les appelants ont déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision auprès de la Cour fédérale.

[3] Cet acte de procédure a fait l’objet d’une requête en radiation, au motif que les appelants n’ont pas qualité pour le présenter et qu’il a été introduit en violation de l’obligation prévue au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de déposer une demande d’autorisation auprès de la Cour fédérale.

[4] Le 9 janvier 2020, la juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en radiation de l’intimé [TRADUCTION] « aux conditions énoncées ». La juge n’a adjugé aucuns dépens. Les appelants ont déposé leur avis d’appel le 7 février 2020. Ils allèguent que l’ordonnance de la Cour fédérale est inintelligible et qu’elle jette le discrédit sur l’administration de la justice. Ils allèguent en outre qu’ils ont qualité pour contester la décision de l’agent, car [TRADUCTION] « les représentants de l’intimé ont participé à un complot visant à contrevenir au droit que leur garantit l’alinéa 2d) de la Charte ». À ce titre, ils font valoir que leur contestation de la décision de l’agent est fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte, et non sur la Loi, et donc que l’exigence prévue au paragraphe 72(1) de la Loi, selon laquelle la contestation de la décision de l’agent est subordonnée au dépôt d’une demande d’autorisation, ne s’applique pas.

[5] Sous réserve de l’article 87.01 de la Loi, qui ne s’applique pas en l’espèce, un appel ne peut être interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale portant sur une demande de contrôle judiciaire présentée en application de la Loi que si, conformément à l’alinéa 74d) de la Loi, le juge de la Cour fédérale, en rendant son jugement, « certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ».

[6] Or, aucune question grave de portée générale n’a été certifiée en l’espèce et, selon la documentation qui été présentée à notre Cour pour appuyer la requête, aucune demande de certification d’une telle question n’a été présentée à la juge de la Cour fédérale.

[7] Comme il est bien établi, aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi, les appels interjetés devant notre Cour au titre de la Loi tombent sous le coup de l’irrecevabilité prévue par la loi; cette disposition touche à la compétence de notre Cour d’entendre ces appels (arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, [2018] A.C.F. no 707, au paragraphe 14 (arrêt Tennant) et la jurisprudence qui y est citée). Comme le fait valoir l’intimé, la Cour a établi des exceptions à l’irrecevabilité prévue dans des circonstances « bien définies » et « très limitées », « lesquelles mettent en cause la primauté du droit » (ibid., au paragraphe 11; voir aussi l’arrêt Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 28). Ces exceptions s’appliquent lorsqu’un juge refuse d’exercer son pouvoir de statuer sur une affaire lorsqu’il est tenu de le faire, ou en l’absence de compétence attribuable à un vice de fond dans l’instance influant directement sur sa capacité à trancher le litige, comme dans le cas d’une crainte raisonnable de partialité ou lorsqu’il est manifeste, au vu du jugement, que le juge a outrepassé les limites de sa compétence (ibid., aux paragraphes 14 et 17). Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[8] Il convient d’ajouter qu’une présumée erreur de droit au motif que « l’appel serait certainement accueilli s’il était jugé », ne constitue pas une exception à l’irrecevabilité prévue par l’alinéa 74d) de la Loi (ibid., au paragraphe 15, citant l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 294, 426 N.R. 49, au paragraphe 12).

[9] Il en va de même des affaires où l’erreur alléguée concerne une présumée violation des droits garantis par la Charte. Dans l’arrêt Mahabir c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 133, [1991] A.C.F. no 1044 (QL) (arrêt Mahabir), la Cour, dans le contexte de l’ancienne loi – la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (Loi sur l’immigration) – a conclu que, même lorsque la question en litige est d’ordre constitutionnel, on ne peut se soustraire à l’exigence relative au dépôt d’une demande d’autorisation si le recours demandé est prévu par cette loi. Plus précisément, la Cour a conclu que, en choisissant de demander une réparation fondée sur la Charte au moyen d’une instance permise par la Loi sur l’immigration, le demandeur dans cette affaire était tenu de satisfaire à la condition préalable d’obtenir l’autorisation de procéder ainsi (arrêt Mahabir, au paragraphe 5). L’arrêt Mahabir a été rendu à une époque où notre Cour avait la compétence exclusive du contrôle judiciaire des décisions prises en application de la Loi sur l’immigration. Toutefois, en principe, rien ne justifie de ne pas appliquer les enseignements de cet arrêt à l’irrecevabilité prévue par l’alinéa 74d) de la Loi.

[10] Bien que les appelants puissent alléguer une violation de leurs droits garantis par la Charte, leur demande résulte initialement des mesures prises par l’agent d’immigration aux termes des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi. Par conséquent, rien en l’espèce ne justifie que l’on déroge à l’exigence de la loi selon laquelle l’affaire doit soulever une question grave de portée générale certifiée par un juge de la Cour fédérale pour que notre Cour puisse entendre l’appel. En l’absence d’une telle question, notre Cour n’a pas compétence pour entendre le présent appel.

[11] Les appelants s’appuient largement sur les arrêts Mills c. La Reine, [1986] 1 RCS 863, 29 DLR (4th) 161 (arrêt Mills) et Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, 433 DLR (4th) 381 (arrêt Chhina) pour étayer leur thèse selon laquelle notre Cour a compétence pour instruire leur appel malgré l’absence de question certifiée. Cependant, ces arrêts ne leur sont d’aucun secours. Dans l’arrêt Mills, une affaire de droit criminel, la Cour définit un cadre pour décider ce qui constitue un « tribunal compétent », au sens de l’article 24 de la Charte. Comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Mahabir, l’article 24 de la Charte, en soi, n’accorde pas compétence à un tribunal, mais prévoit plutôt un recours lors du règlement d’une affaire dont le tribunal compétent a été dûment saisi (arrêt Mahabir, au paragraphe 5). En l’espèce, en l’absence d’une question certifiée de portée générale, on ne peut conclure que notre Cour a été dûment saisie de la question soulevée par les appelants.

[12] L’arrêt Chhina porte sur la possibilité de recourir à l’habeas corpus dans les affaires de détention aux fins de l’immigration. Dans cet arrêt, les juges majoritaires ont conclu que la Loi n’offrait pas un recours aussi large et avantageux que la demande d’habeas corpus pour répondre à la remise en cause du demandeur quant à la légalité de la durée de sa détention ou de son caractère incertain. Ils ont donc conclu que le processus de contrôle de la détention prescrit par la Loi ne satisfait pas aux exceptions restreintes qui empêchent d’avoir recours à l’habeas corpus. Là encore, cette affaire ne saurait être utile aux appelants, car elle s’inscrit dans un contexte totalement différent du présent contexte où l’agent d’immigration a refusé de délivrer un visa de résidence temporaire.

[13] Pour ces motifs, j’accueillerais la requête de l’intimé et j’annulerais l’appel des appelants pour défaut de compétence. Je n’adjugerais aucuns dépens.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-47-20

 

INTITULÉ :

NARINDER KAUR ET GURJANT KHAIRA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 septembre 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Narinder Kaur

Gurjant Khaira

 

POUR LES APPELANTS

(Pour leur propre compte)

 

Ian Hicks

 

Pour l’intimé

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimé

 

 

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