Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20200420


Dossier : A-141-18

Référence : 2020 CAF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

THE CLOROX COMPANY OF CANADA, LTD.

appelante

et

CHLORETEC s.e.c.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 janvier 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 avril 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20200420


Dossier : A-141-18

Référence : 2020 CAF 76

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

THE CLOROX COMPANY OF CANADA, LTD.

appelante

et

CHLORETEC s.e.c.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  Il s’agit d’un appel d’une décision du juge Grammond de la Cour fédérale (Clorox Company of Canada Ltd. c. Chloretec s.e.c., 2018 CF 408 (motifs)), dans laquelle il a confirmé la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (2016 COMC 30) rejetant l’opposition de Clorox aux demandes d’enregistrement de deux marques de commerce présentées par l’intimée, Chloretec s.e.c. (Chloretec).

[2]  L’appelante, The Clorox Company of Canada, Ltd. (Clorox), demande que le jugement soit annulé et que la Cour rende une ordonnance enjoignant au registraire des marques de commerce de rejeter les demandes d’enregistrement des marques de commerce de l’intimée Chloretec.

[3]  L’appel devrait être rejeté pour les motifs qui suivent.

I.  Faits et historique de la procédure

[4]  Le 26 janvier 2012, Chloretec a déposé les demandes d’enregistrement de marques de commerce nos 1 561 391 et 1 561 417 pour enregistrer respectivement les marques de commerce JAVELO et JAVELO DESSIN reproduites ci-après (les demandes JAVELO ou les marques JAVELO) :

[5]  Ces demandes ont été déposées sur le fondement d’un emploi projeté en association avec de l’« eau de Javel », qui a ensuite été modifié le 17 novembre 2015 pour les produits suivants :

eau de javel [sic], nommément des quantités en vrac de plusieurs concentrations et quantités différentes fabriquées exclusivement sur commande de la clientèle industrielle en fonction de leurs besoins spécifiques et excluant la vente aux détaillants et la vente au détail des produits pour consommateurs (le Produit).

[6]  Le 18 mars 2013, Clorox a déposé des déclarations d’opposition aux demandes JAVELO au motif que les demandes étaient contraires à l’article 2, aux alinéas 12(1)d), 16(3)a) et b), au paragraphe 30b) et à l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi).

[7]  Chloretec a déposé des contre-déclarations le 6 juin 2013. Clorox a ensuite déposé des déclarations modifiées le 29 septembre 2014, auxquelles Chloretec a répondu par des contre-déclarations modifiées le 18 novembre 2014.

[8]  Dans la procédure d’opposition devant la Commission, Clorox a présenté, le 2 octobre 2013, des éléments de preuve de l’enregistrement de ses marques de commerce en association avec diverses formes d’eau de Javel et de détergents à lessive. Ces marques de commerce (les marques JAVEX) sont reproduites ci-dessous :

Marque de commerce

Zone de Texte: Marque de commerce

No d’enregistrement

Zone de Texte: No d’enregistrement

[9]  Le 31 janvier 2014, Chloretec a également présenté des éléments de preuve des personnes suivantes : 1) Sylvain Demers, vice-président, Finances et administration de la société mère de Chloretec; 2) Denis Manias, vice-président d’UBA Inc, une société mère de Chloretec; et 3) Sandro Romeo, un analyste-recherchiste en marques de commerce. Ils ont tous été contre-interrogés à propos de leur affidavit respectif, et des copies des transcriptions des contre-interrogatoires ont été déposées auprès de la Commission.

[10]  Le 22 février 2016, la Commission a rejeté l’opposition de Clorox aux demandes d’enregistrement de la marque de commerce JAVELO pour tous les motifs allégués. Elle a conclu que l’emploi de la marque de commerce JAVELO n’enfreignait pas la Loi et n’entraînait pas de risque de confusion avec les marques JAVEX.

[11]  Conformément au paragraphe 56(1) de la Loi, Clorox a fait appel de la décision du registraire devant la Cour fédérale au motif que le registraire avait commis une erreur en concluant, notamment, ce qui suit : a) les marques JAVELO ne portaient pas à confusion avec les marques JAVEX enregistrées et employées par Clorox et n’étaient donc pas contraires aux alinéas 12(1)d) et 16(3)a) de la Loi; b) les marques JAVELO étaient distinctives de Chloretec et n’étaient pas contraires à l’article 2 de la Loi; et 3) les marques JAVELO n’ont pas été employées avant la date de dépôt des demandes, et leur emploi n’était pas contraire au paragraphe 30b) de la Loi.

[12]  Le 16 avril 2018, la Cour fédérale a donné tort à Clorox et a rejeté son appel.

II.  La décision contestée

[13]  Comme elle en a le droit, Clorox a présenté de nouveaux éléments de preuve en appel devant la Cour fédérale par l’intermédiaire d’un affidavit établi sous serment par la vice-présidente et secrétaire de Clorox, Angela C. Hilt, le 28 novembre 2016. Mme Hilt n’a pas été contre-interrogée à propos de son affidavit, et Chloretec n’a pas présenté d’éléments de preuve supplémentaires.

[14]  L’affidavit de Mme Hilt contenait des éléments de preuve concernant l’utilisation des marques JAVEX de Clorox au Canada, ainsi que les conclusions d’études au sujet de la notoriété de ces marques sur le marché canadien. La Cour fédérale a estimé que ces nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence sur la conclusion de la Commission selon laquelle il n’y avait pas de preuve d’usage, mais elle a néanmoins considéré qu’ils étaient trop superficiels pour permettre de mesurer la portée de cet emploi ou du caractère distinctif que les marques en question ont pu avoir acquis. La Cour fédérale a également refusé d’examiner les conclusions d’études au motif qu’il était impossible d’en apprécier la fiabilité et la pertinence quant aux questions qui font l’objet du présent dossier.

[15]  Enfin, la Cour fédérale a examiné les conclusions de la Commission selon lesquelles les marques JAVELO n’ont pas été employées de manière inappropriée avant leur enregistrement et n’ont pas perdu leur caractère distinctif en raison de leur emploi par des tiers, et elle les a jugées toutes deux raisonnables.

[16]  Quant à la question de la confusion, la Cour fédérale a établi le droit applicable et a examiné les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. À l’issue de cet examen, elle a conclu qu’il n’y avait pas de confusion entre les marques des parties. Plus précisément, elle a convenu avec le registraire que le degré de ressemblance entre les deux marques était faible. Quant au caractère distinctif (inhérent ou acquis) des marques, la Cour fédérale a évalué les nouveaux éléments de preuve et a conclu que les marques des deux parties possédaient un caractère distinctif inhérent limité. Par ailleurs, elle a convenu avec le registraire que les marques JAVELO avaient acquis un caractère distinctif, alors qu’il est possible que le caractère distinctif acquis par les marques JAVEX soit en déclin. La période d’emploi n’a pas été un facteur crucial étant donné que les nouveaux éléments de preuve n’ont pas permis d’établir l’intensité de l’emploi par Clorox de ses marques JAVEX. Enfin, le fait que les produits visés par les deux marques soient les mêmes n’était pas suffisant, pour la Cour fédérale, pour faire contrepoids au faible degré de ressemblance.

III.  Questions en litige

[17]  Les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle appropriée, tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale?

  2. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son approche des nouveaux éléments de preuve présentés par Clorox?

  3. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait en appliquant le mauvais critère juridique en matière de confusion ou en n’examinant pas correctement les éléments de preuve?

  4. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en rejetant les autres motifs d’opposition de l’appelante?

IV.  Discussion

A.  Quelle est la norme de contrôle appropriée, tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale?

[18]  Avant que la Cour suprême rende son jugement dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1 [arrêt Vavilov], la norme de contrôle applicable dans le cas d’appels de décisions rendues aux termes du paragraphe 56(1) de la Loi a été bien établie. Dans un jugement qui a été largement suivi par la suite (et approuvé par la Cour suprême dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, aux paragraphes 35 à 39 [arrêt Mattel]), les principes ont été résumés de la manière suivante :

Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, 2000 CanLII 17105, au paragraphe 51 (C.A.F.) [arrêt Molson].

[19]  Étant donné qu’un appel devant la Cour fédérale a été traité comme une demande de contrôle judiciaire, l’approche établie dans les arrêts Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (aux paragraphes 45 à 47) et Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, 386 N.R. 212 (au paragraphe 18), relativement à un appel d’une décision concernant une demande de contrôle judiciaire, a été suivie par la Cour. En conséquence, nous avons tranché la question de savoir si la Cour fédérale a correctement déterminé la norme de contrôle applicable aux questions en litige, puis nous avons examiné si elle a correctement appliqué cette norme. Lorsque de nouveaux éléments de preuve ont été présentés à la Cour fédérale, le rôle de notre Cour a été d’évaluer la conclusion de la Cour fédérale sur la question de savoir si ces éléments de preuve auraient influencé sensiblement la décision de la Commission sur la norme de contrôle en matière d’appel. Ce processus a été bien résumé au paragraphe 4 de l’arrêt Monster Cable Products, Inc. c. Monster Daddy, LLC, 2013 CAF 137, 445 N.R. 379 :

Lors d’un appel interjeté à l’égard d’une décision rendue en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, notre Cour doit déterminer si le juge a correctement énoncé et appliqué la norme de contrôle. Nul ne conteste que le juge a correctement indiqué que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Il a aussi rappelé à juste titre qu’il ne pouvait examiner une question de novo que si la nouvelle preuve produite par Master Cable aurait influé de façon significative sur les conclusions tirées par le registraire à cet égard. Notre Cour a déjà déterminé que la question de la pertinence de la nouvelle preuve est une question mixte de fait et de droit et que les conclusions du juge seront maintenues à moins qu’il n’ait commis une erreur manifeste et dominante ou une erreur de droit isolable. [Renvois omis]

Voir aussi l’arrêt suivant : Saint Honore Cake Shop Limited c. Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, au paragraphe 20, 132 C.P.R. (4th) 258.

[20]  Dans quelle mesure l’arrêt Vavilov a-t-il modifié cette approche? Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le récent jugement de la Cour suprême n’a aucune incidence sur la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer lorsqu’elle examine la conclusion de la Cour fédérale quant à la pertinence des nouveaux éléments de preuve. Lorsqu’elle rend une telle décision, la Cour fédérale n’agit pas en tant que cour de révision, mais en tant que cour de première instance. En conséquence, sa décision doit être évaluée selon une norme de contrôle en matière d’appel et, puisqu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait, elle sera confirmée ou infirmée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[21]  Lorsque les nouveaux éléments de preuve sont jugés pertinents – ce qui a été interprété comme signifiant « suffisamment important[s] » (Vivat Holdings Ltd. c. Levi Strauss & Co., 2005 CF 707, au paragraphe 27, 276 F.T.R. 40) et de « valeur probante » (Tradition Fine Foods Ltd. c. Groupe Tradition’L Inc., 2006 CF 858, au paragraphe 58, 51 C.P.R. (4th) 342) – le paragraphe 56(5) de la Loi dispose que la Cour fédérale « peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi ». Il s’agit d’un appel de novo et cela impose l’application de la norme de la décision correcte. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a clairement indiqué que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative. Une telle présomption sera toutefois réfutée lorsque le législateur aura clairement signalé qu’une norme différente devrait s’appliquer. C’est précisément ce qu’indique le paragraphe 56(5), et je ne vois aucun motif de ne pas mettre en application cette intention du législateur.

[22]  Que se passe-t-il alors si aucun nouvel élément de preuve n’est présenté à la Cour fédérale ou si les éléments de preuve supplémentaires ne sont pas, à juste titre, jugés pertinents ou « suffisamment important[s] »? À mon avis, ce sont dans ces circonstances que l’arrêt Vavilov impose un nouveau départ. Comme cela a été mentionné précédemment, la Cour suprême dans l’arrêt Mattel (à la suite de l’arrêt Molson et d’autres jugements rendus par la Cour) a appliqué la norme de la décision raisonnable lors du contrôle d’une décision de la Commission. Malgré l’octroi d’un droit d’appel absolu, la Cour a estimé qu’il s’agissait de la norme de contrôle applicable compte tenu de l’expertise de la Commission et du rôle d’« appréciation » que lui impose l’article 6 de la Loi relativement à la confusion (arrêt Mattel, au paragraphe 40). Après l’arrêt Vavilov et l’invitation de la Cour suprême à respecter les choix d’organisation institutionnelle du législateur, cette jurisprudence n’est plus contraignante. La Cour suprême a été très explicite :

[...] Lorsqu’il accorde aux parties la possibilité de porter en appel, de plein droit ou sur autorisation, une décision administrative devant une cour de justice, le législateur assujettit le régime administratif à une compétence d’appel et indique qu’il s’attend à ce que la cour vérifie attentivement cette décision lors d’un processus d’appel. Cette volonté expresse réfute forcément la présomption générale d’application de la norme de la décision raisonnable fondée sur l’intention de respecter le choix du législateur de renvoyer certaines questions à un organisme autre qu’une cour de justice. Il y a lieu de donner effet à cette volonté. Comme le fait observer l’intervenante la procureure générale du Québec dans son mémoire, « l’obligation de déférence ne doit pas stériliser un tel mécanisme d’appel, jusqu’à dénaturer le processus décisionnel que le législateur voulait mettre en place ».

Arrêt Vavilov, au paragraphe 36.

[23]  En conséquence, il s’agit désormais de la jurisprudence de la Cour suprême sur les normes de contrôle en appel (et, plus précisément, l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [arrêt Housen]) que la Cour fédérale et notre Cour doivent appliquer lorsqu’elles traitent un appel aux termes du paragraphe 56(1) de la Loi. Je note qu’il s’agit effectivement la norme que la Cour fédérale a appliquée dans ce qui semble être le seul jugement publié jusqu’à présent concernant un appel sous le régime de la Loi : voir la décision Pentastar Transport Ltd. c. FCA US LLC, 2020 CF 367, aux paragraphes 42 à 45. Pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit (à l’exception des questions de droit isolables), la norme applicable est donc celle de « l’erreur manifeste et dominante ». Dans le cas des questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte.

B.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son approche des nouveaux éléments de preuve présentés par Clorox?

[24]  Clorox a fait valoir que la Cour fédérale avait commis une erreur en révisant la décision du registraire selon la norme de la décision raisonnable, mis à part la question de l’emploi par Clorox des marques JAVEX, même si elle a estimé que l’affidavit de Mme Hilt avait apporté une preuve nouvelle significative.

[25]  Clorox s’oppose également à l’exclusion par la Cour fédérale de ses études ainsi qu’à sa décision de considérer ces éléments de preuve comme inadmissibles ou non fiables, dans le but d’établir la portée de l’emploi et la portée du caractère distinctif que les marques JAVEX ont pu avoir acquis au Canada. Enfin, Clorox affirme également qu’il n’y a aucun motif de mettre en doute la connaissance personnelle des déclarations de Mme Hilt, une dirigeante de la société appelante, concernant les ventes, la promotion et le marketing des marchandises portant les marques JAVEX, en particulier lorsque le déposant n’a pas été contre-interrogé.

[26]  Après avoir examiné attentivement l’affidavit de Mme Hilt et les motifs énoncés par la Cour fédérale, je ne suis pas en mesure de trouver une erreur manifeste et dominante dans son évaluation des nouveaux éléments de preuve. En ce qui concerne la preuve par sondage d’opinion, l’arrêt Mattel enseigne qu’elle est admissible si elle est « présentée par un expert compétent, dans la mesure où ses conclusions sont pertinentes quant aux questions en litige et où le sondage a été bien conçu et effectué avec impartialité » (au paragraphe 43). En l’espèce, le premier sondage auquel Mme Hilt renvoie est une analyse du comportement et des préférences des consommateurs. Le rapport du sondage n’est pas fourni, pour des raisons de droits d’auteur. Mme Hilt relate donc certaines de ses conclusions, notamment le chiffre des ventes de l’eau de Javel JAVEX en 2006-2007. Le deuxième sondage, réalisé à partir de 2013, porte sur la notoriété de JAVEX sur le marché.

[27]  Aucun de ces sondages n’a été présenté à la Cour par un expert compétent, et rien ne prouve qu’ils aient été correctement créés et effectués. De plus, le premier sondage n’est que résumé par Mme Hilt, et sa déclaration à cet égard ne constitue donc que du ouï-dire; en outre, ce sondage ne correspond à aucune des dates pertinentes aux fins de l’espèce. Quant au deuxième sondage, Mme Hilt a choisi de n’en joindre que des extraits dans son affidavit. Par conséquent, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant à l’impossibilité d’en apprécier la fiabilité et la pertinence quant aux questions en litige, et en les excluant (motifs, au paragraphe 19). Clorox a en outre tenté de présenter les sondages comme des pièces commerciales admissibles, mais la connaissance de la société de Mme Hilt par rapport à l’existence et au contenu d’un sondage n’atténue pas les préoccupations relatives à la pertinence et à la méthodologie des sondages.

[28]  Le reste de l’affidavit de Mme Hilt est également « sommaire », pour reprendre les termes employés par la Cour fédérale, à bien des égards. Par exemple, elle atteste au paragraphe 1 que [traduction] « [m]a société et ses prédécesseurs ont commercialisé, annoncé et employé les marques au Canada en association avec de l’eau de Javel et des produits connexes tant sur les marchés de gros et de détail que sur les marchés professionnels depuis au moins 1970 et ce, sans interruption jusqu’à ce jour ». Pourtant, cette déclaration est plutôt vague, ne précise pas quelles marques ont été employées et n’est étayée par aucun chiffre.

[29]  Au paragraphe 4, elle renvoie à un tableau de la pièce « A » qui détaille apparemment les ventes d’eau de Javel de la marque JAVEX au Canada. Ce tableau n’est pas très utile, puisque le chiffre des ventes annuel, entre 2007 et 2016, est le même, l’explication étant que [traduction] « les chiffres des ventes réels sont bien supérieurs aux chiffres indiqués aux fins de confidentialité ». En outre, aucune ventilation par marque de ces chiffres n’est fournie.

[30]  Il est également allégué que la marque de commerce JAVEX est devenue moins visible sur les produits de détail au début de 2013, mais qu’elle a néanmoins continué à figurer sur les produits JAVEX de Clorox en association avec des produits commerciaux ou professionnels. Cependant, les images représentatives de cette déclaration qui figurent dans les pièces sont loin d’être suffisantes pour étayer cette allégation. Dans un grand nombre de cas, la marque de commerce JAVEX figure au dos des bouteilles et en petits caractères. Il est au mieux douteux qu’un tel usage soit suffisant pour constituer l’emploi d’une marque dans la pratique normale du commerce. La jurisprudence indique clairement que, pour établir l’emploi d’une marque de commerce relativement à des marchandises, la marque doit être utilisée aux fins de distinction des marchandises. En d’autres termes, elle doit être liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est donné et le transfert de la propriété doit avoir lieu dans la pratique normale du commerce : voir la décision White Consolidated Industries Inc. c. Beam of Canada Inc., [1991] A.C.F. no 1076 (QL), (1991) 39 C.P.R. (3d) 94, aux pages 108 et 109, 47 F.T.R. 172 (C.F.); la décision Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store, 1998 CanLII 7773, au paragraphe 45, (1998) 81 C.P.R. (3d) 203; la décision Geox S.P.A. c. De Luca, 2018 CF 855, au paragraphe 35. En outre, comme l’a fait remarquer l’intimée, on se serait attendu à plus de la part d’une dirigeante de la société démontrant l’emploi réel des marques JAVEX, par exemple des rapports de vente détaillés, des factures d’annonces publicitaires, des états financiers.

[31]  Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en qualifiant l’affidavit de Mme Hilt de « sommaire » et en concluant qu’« elle ne permet pas de mesurer la portée de [l’emploi des marques] ni d’évaluer la portée du caractère distinctif que les marques en question ont pu avoir acquis » : motifs, au paragraphe 15.

C.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait en appliquant le mauvais critère juridique en matière de confusion ou en n’examinant pas correctement les éléments de preuve?

[32]  Il n’existe aucun litige entre les parties en ce qui concerne le critère qu’il convient d’appliquer en matière de confusion. Ce critère a été énoncé par la Cour suprême au paragraphe 20 de l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée., 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824 :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

[33]  La Cour fédérale était parfaitement au courant de ce critère et a d’ailleurs cité ce même extrait. Il est également bien établi qu’au moment d’appliquer le critère de confusion, le juge des faits doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment les critères énumérés expressément au paragraphe 6(5) de la Loi. Encore une fois, c’est précisément ce que la Cour fédérale a fait en l’espèce, en soulignant, comme l’a fait le juge Rothstein dans l’arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387 (au paragraphe 49) [arrêt Masterpiece], que le critère le plus important est celui de la ressemblance entre les marques.

[34]  Clorox a toutefois soutenu que la Cour fédérale avait commis une erreur en déclarant par écrit qu’un consommateur « n’est pas toujours pressé au même degré » lorsqu’il s’agit de biens de grande valeur ou qui relèvent d’un marché spécialisé.

[35]  Je ne relève aucune erreur dans cette déclaration. Bien au contraire, elle est conforme à la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Mattel, selon laquelle les consommateurs seront plus prudents et prendront plus de temps dans certaines circonstances :

De toute évidence, le consommateur ne prend pas chacune de ses décisions d’achat avec la même attention, ou absence d’attention. Il prend naturellement plus de précautions s’il achète une voiture ou un réfrigérateur, que s’il achète une poupée ou un repas à prix moyen [...].

Arrêt Mattel, au paragraphe 58, citant l’arrêt General Motors Corp. v. Bellows, [1949] R.C.S. 678.

[36]  Contrairement à l’argument de Clorox, le degré d’attention du consommateur concerné peut varier selon les circonstances, et il faut également tenir compte des voies de commercialisation normales pour une marchandise en particulier. Cela est nécessairement le cas de l’eau de Javel JAVELO dont la livraison se fait sur commande par camion-citerne. La Cour fédérale a donc pu tenir compte de ce critère pour évaluer le risque de confusion et, ce faisant, elle n’a commis aucune erreur de droit.

[37]  Comme l’a mentionné la Commission (au paragraphe 14 de ses motifs), il incombe à l’intimée de démontrer, en s’appuyant sur l’ensemble des éléments de preuve dont elle dispose, que sa demande d’enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi. Cela dit, l’opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en prouvant les faits sur lesquels elle fonde ses allégations; si les éléments de preuve sont insuffisants pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués pour appuyer le motif d’opposition, celui-ci, comme la Commission et la Cour fédérale l’ont conclu, doit être rejeté : décision John Labatt Ltd c. Molson Company Ltd, dossier T-458-85, 19 juin 1990, (1990), 30 C.P.R. (3d) 293, 36 F.T.R. 70 (C.F.); décision Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior SA, 2002 CAF 29, au paragraphe 15, [2002] 3 C.F. 405; décision Wrangler Apparel Corporation. c. Timberland Company, 2005 CF 722, au paragraphe 29, 41 C.P.R. (4th) 223.

[38]  L’appelante demande à présent à notre Cour de réévaluer la preuve et de parvenir à une conclusion différente de celle à laquelle la Commission et la Cour fédérale sont parvenues. Il s’agit d’une tâche difficile, car, en ce qui a trait aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et dominante. En d’autres termes, l’appelante doit convaincre notre Cour que la Cour fédérale a commis une erreur évidente qui touche directement à l’issue de l’affaire : Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 46, 431 N.R. 286. Il s’agit d’une norme de contrôle appelant un degré plus élevé de retenue que la norme de la décision raisonnable appliquée par la Cour fédérale.

[39]  En commençant par le degré de ressemblance, qui est le facteur le plus déterminant, la Cour fédérale a convenu avec la Commission que les marques respectives de l’appelante et de l’intimée ont un faible degré de ressemblance sur le plan de l’écriture, du son, de l’apparence graphique et des idées suggérées. Clorox affirme que la Cour fédérale a commis une erreur dans sa décision, car a) elle n’a tenu compte que de la façon de voir les choses en langue française et s’est concentrée sur l’expression « eau de Javel », b) elle n’a pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve de Clorox sur le caractère distinctif des marques et c) elle a adopté une approche incorrecte pour aborder les similitudes des marques, sur le plan de l’apparence et du son.

[40]  Je n’ai pas été convaincu que la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante dans son évaluation du degré de ressemblance (le facteur le plus important) entre les marques. En l’absence de nouveaux éléments de preuve sur cette question, les conclusions de la Commission doivent donc faire l’objet d’un degré élevé de retenue. Contrairement à ce que fait valoir l’appelante, la Cour fédérale ne s’est pas appuyée uniquement sur le fait que le préfixe « Jav- » ou « Jave- » renvoie au nom commun « eau de Javel » en français; en effet, la Cour fédérale a abordé cet aspect dans son examen du « caractère distinctif inhérent ». C’est en s’appuyant sur sa comparaison des marques des deux parties, sur le plan de l’écriture, du son, de l’apparence graphique et des idées suggérées, que la Commission a conclu à un faible degré de ressemblance, et c’est cette conclusion générale que la Cour fédérale a approuvée.

[41]  Tant devant la Commission que devant la Cour fédérale, l’appelante a axé son argumentation sur l’apparence et le son et a fait valoir que la marque de l’intimée est [traduction] « très semblable » à ses marques JAVEX, y compris les déclinaisons de la marque Javex, car elles partagent toutes deux le même préfixe « jave ». L’appelante a également affirmé que la marque de l’intimée est très semblable à sa marque JAVALIN, car la première partie de chacune de ces marques est identique et elles contiennent toutes deux un « L » au milieu. La Commission a rejeté cet argument et a estimé que, bien qu’il y ait un certain degré de ressemblance entre les mots, ils n’étaient pas « très semblable[s] ». Elle a également conclu qu’il y avait un faible degré de ressemblance sur le plan du son entre les marques, et que l’élément graphique du dessin-marque JAVELO accentuait les différences entre les marques.

[42]  Ce n’est qu’au moment d’examiner les idées suggérées par les marques des parties que la Commission a tenu compte de l’aspect linguistique. C’est en réponse à l’argument de l’appelante, selon lequel sa marque JAVEX est formée à partir d’un mot inventé unique, que la Commission a fait observer son association avec les produits destinés aux consommateurs francophones ou bilingues. Bien que la marque JAVEX et la marque JAVELO, lorsqu’elles sont employées en association avec le produit, évoquent toutes deux la notion d’eau de Javel pour un consommateur francophone ou bilingue, la Commission a néanmoins constaté qu’il existe des différences entre les idées suggérées par les deux marques (JAVELO, et surtout le dessin de la marque JAVELO, qui suggère aussi l’idée d’un javelot pour un consommateur francophone ou bilingue).

[43]  Je n’ai pas été convaincu que la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante en acceptant la conclusion de la Commission à cet égard et en rejetant la thèse de l’appelante voulant qu’un consommateur pressé ait été capable de discerner des similitudes entre les deux marques de commerce. Comme la Commission et la Cour fédérale l’ont toutes deux fait observer, il s’agit du facteur le plus important dans la discussion concernant la confusion : voir l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 49.

[44]  En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent et acquis de la marque, la Cour fédérale a estimé, à juste titre, que l’appelante n’avait présenté de nouveaux éléments de preuve que sur le caractère acquis. Notre tâche consiste donc à déterminer si la Cour fédérale a commis une erreur dans son évaluation des motifs de la Commission sur le caractère distinctif inhérent de la marque, et dans sa propre appréciation du caractère distinctif que la marque a acquis.

[45]  L’avocat de l’appelante soutient que ses marques possèdent un caractère distinctif inhérent de niveau élevé en tant que mots inventés, et il conteste la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les marques de commerce des deux parties possèdent un caractère distinctif inhérent limité parce qu’elles sont toutes deux dérivées de l’expression française « eau de Javel ». L’avocat souligne que, non seulement le dossier ne contient aucune preuve permettant d’établir que le mot « Javel » est communément compris par le consommateur moyen au Canada ou que celui-ci associerait, à première vue, les marques JAVEX et JAVELO à ce produit, mais il a également commis une erreur en limitant son évaluation du caractère distinctif inhérent à la langue française, et il n’a pas tenu compte du caractère distinctif inhérent pour le consommateur anglophone unilingue.

[46]  Je suis d’avis que cet argument est sans fondement. En l’absence de nouveaux éléments de preuve, la décision de la Commission a dû faire l’objet d’un degré élevé de retenue. Il est bien établi que les marques de commerce qui sont évocatrices du produit vendu ont un caractère distinctif inhérent limité et donc une protection limitée. Par conséquent, même une petite différence avec ces marques suffira à réduire le risque de confusion : voir la décision Société Chimique Laurentide Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), (C.F. 1re inst.) A.C.F. no 614 (QL) (1985), (C.F.); l’arrêt Kellogg Salada Canada Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1992] 3 C.F. 442, à la page 456, 43 C.P.R. (3d) 349 (C.A.F.); la décision Man and His Home Ltd. c. Mansoor Electronics Ltd., 1999 CanLII 7603, au paragraphe 14, 87 C.P.R. (3d) 218 (C.F.).

[47]  Je suis d’accord avec l’avocat de Clorox pour dire que l’évaluation du caractère distinctif inhérent ne peut se limiter à l’une des deux langues officielles du Canada. La Loi s’applique dans tout le pays, et le français et l’anglais doivent être traités sur un pied d’égalité. Le fait qu’un consommateur unilingue francophone ou bilingue ne puisse pas être confus par les marques ne peut pas annuler un risque de confusion pour le consommateur anglophone unilingue. Comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt SmithKline Beecham Corporation c. Pierre Fabre Médicament, 2001 CAF 13, 271 N.R. 72, le consommateur moyen n’est pas le consommateur bilingue moyen, à l’exclusion du consommateur anglophone ou francophone moyen. Il s’agit plutôt de n’importe lequel des trois. Pour conclure autrement, comme l’a souligné le juge LeBlanc dans le jugement Assurant, Inc. c. Assurancia, Inc., 2018 CF 121, cela aurait pour effet de permettre de monopoliser des mots de la langue française et d’interdire la création de nouvelles marques en se fondant sur de tels mots.

[48]  En l’espèce, toutefois, il a été prouvé que l’expression « Javel water » est connue en anglais et un extrait du site Web Dictionary.com définissant cette expression a été joint en annexe à l’affidavit de M. Manias (dossier d’appel, vol. 1, p. 295 et 536). C’est pourquoi la Commission a pu conclure que le caractère distinctif inhérent de la marque JAVEX est atténué par le fait qu’elle évoque le mot « Javel ». Cette conclusion a justifié un degré élevé de retenue de la part de la Cour fédérale.

[49]  Quant au caractère distinctif acquis des marques, la Cour fédérale a accepté la conclusion de la Commission, selon laquelle l’intimée avait « continuellement fait la promotion du Produit associé à la Marque depuis le 29 septembre 2011 » et que la marque JAVELO avait donc acquis un caractère distinctif au Canada. Elle a ensuite reconnu que Clorox avait déposé de nouveaux éléments de preuve pour aborder la lacune relevée par la Commission en ce qui concerne l’emploi des marques JAVEX et le degré de leur notoriété acquise. Elle a déduit de ces éléments de preuve que les marques JAVEX avaient acquis un caractère distinctif puisqu’elles sont employées au Canada depuis plus de dix ans. En revanche, elle n’a pas pu évaluer la portée de ce caractère distinctif ni le comparer à celui de la marque JAVELO. La Cour fédérale a également conclu que la marque « Clorox » est principalement employée sur des bouteilles d’eau de Javel depuis 2013, et qu’« il est [...] possible » que le caractère distinctif acquis par la marque « JAVEX » « soit en déclin ».

[50]  Je ne suis pas en mesure de trouver une erreur manifeste et dominante dans l’évaluation de novo effectuée par la Cour fédérale relativement au caractère distinctif acquis des marques de l’appelante. Comme cela a été mentionné précédemment, les conclusions de fait et les conclusions tirées à partir de faits sont du ressort du juge de première instance, et un tribunal d’appel n’interviendra pas à la légère à l’égard de ces conclusions. La Cour fédérale a soigneusement examiné la nouvelle preuve, en tenant compte de son importance, de sa valeur probante et de sa fiabilité, et elle est parvenue à la conclusion qu’elle n’aurait pas influé de façon significative sur la décision de la Commission. Une simple différence d’opinion sur le poids à accorder aux éléments de preuve ne constitue pas un motif d’intervenir dans la conclusion de la Cour fédérale : arrêt Housen, au paragraphe 23; arrêt Toneguzzo-Norvell (Tutrice à l’instance de) c. Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114, aux pages 121 et 122, 110 D.L.R. (4th) 289.

[51]  En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques ont été en usage (alinéa 6(5)b) de la Loi), la Commission avait constaté que les marques de Clorox sont enregistrées depuis 1937 (pour « JAVALIN ») et 1945 (pour « JAVEX »), mais elle n’a pas pu évaluer leur emploi continu en raison de l’absence de preuve. En s’appuyant sur l’affidavit de Mme Hilt, la Cour fédérale a admis que Clorox a employé ses marques durant une plus longue période que Chloretec (qui n’est utilisée que depuis 2012), mais elle a néanmoins conclu que l’affidavit ne suffisait pas pour mesurer l’intensité de cet emploi.

[52]  Encore une fois, l’appelante conteste l’évaluation par la Cour fédérale des nouveaux éléments de preuve et soutient que ce facteur milite de toute évidence en faveur de la conclusion d’un risque de confusion. À mon avis, cela ne suffit pas pour que notre Cour intervienne. La Cour fédérale a examiné les nouveaux éléments de preuve et a déterminé que, même si les éléments de preuve de JAVEX démontraient un emploi de ces marques depuis plus de dix ans, les éléments de preuve antérieurs à 2007 étaient peu nombreux, car ils reposaient sur une seule déclaration selon laquelle ces marques sont employées depuis les années 1970. Les éléments de preuve ne fournissaient aucun détail sur la région dans laquelle les marques étaient employées, sur l’intensité ou la portée de cet emploi pendant cette période. Par conséquent, ils n’ont pas ajouté grand-chose à l’élément de preuve existant qui est la date d’enregistrement de la marque de commerce, ce qui, en soi, est également insuffisant pour établir l’emploi continu de la marque au Canada.

[53]  Enfin, l’appelante conteste le poids accordé tant par la Commission que par la Cour fédérale au genre de produits, de services ou d’entreprises (alinéa 6(5)c) de la Loi) et à la nature du commerce (alinéa 6(5)d) de la Loi). La Commission a conclu que le genre des produits associés aux marques respectives des parties était le même et que ces produits étaient destinés aux mêmes marchés, avec la possibilité d’un chevauchement dans le canal de distribution des parties. La Cour fédérale a conclu que ces conclusions étaient raisonnables et compatibles avec la jurisprudence, et elle a donné raison à l’appelante. La Cour fédérale a néanmoins conclu que ces facteurs étaient insuffisants pour faire contrepoids au faible degré de ressemblance. En l’absence d’erreur manifeste et dominante, cette appréciation des éléments de preuve relève entièrement de la compétence d’un juge de première instance.

D.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en rejetant les autres motifs d’opposition de l’appelante?

[54]  Étant donné que la Cour fédérale a conclu que les marques ne portaient pas à confusion, le rejet du motif d’opposition de l’appelante fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi était entièrement justifié, car il est déterminé au regard de l’appréciation de la confusion au titre du paragraphe 6(5). Il en va de même pour la plupart des autres motifs d’opposition invoqués par l’appelante, car ils reposent sur une conclusion selon laquelle il y a confusion qui, comme nous l’avons vu, n’a pas été remise en cause par les nouveaux éléments de preuve.

[55]  Les seuls autres motifs qu’il convient d’aborder brièvement sont ceux fondés sur l’article 50 (absence de caractère distinctif en raison de l’usage par des tiers) et le paragraphe 30b) (emploi avant la demande d’enregistrement) de la Loi.

[56]  En ce qui concerne l’usage des marques de l’appelante par des tiers, le paragraphe 50(1) de la Loi dispose que le propriétaire d’une marque de commerce contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services pour que l’emploi de la marque par un licencié soit réputé un emploi par le propriétaire. Il est bien établi qu’une relation d’affaires ne suffit pas à elle seule à établir l’existence d’un accord de licence approprié; il doit être prouvé que le propriétaire de la marque de commerce contrôle effectivement l’emploi des marques de commerce par les entités affiliées et prend des mesures pour garantir les caractéristiques et la qualité des produits fournis : décision MCI Communications Corp. v. MCI Multinet Communications Inc., (1995), 61 C.P.R. (3d) 245 (C.O.M.C.); décision Dynatech Automation Systems Inc. v. Dynatech Corp., (1995), 64 C.P.R. (3d) 101 (C.O.M.C.).

[57]  En l’espèce, l’appelante soutient que les marques « JAVELO » ont perdu leur caractère distinctif parce qu’elles ont été employées par des tiers non-détenteurs de licence, notamment UBA Inc, Somavrac Group Inc. et Servitank Transport Inc. La Commission a rejeté cette allégation, au motif que ces tiers sont en réalité des sociétés apparentées à Chloretec. En outre, le premier agit comme distributeur et utilise la marque sous licence, tandis que le troisième offre des services de transport, et la preuve de l’emploi de la marque dans l’exercice de ces fonctions est la preuve de l’emploi de la marque de commerce au Canada par son propriétaire : décision Manhattan Industries Inc. v. Princeton Manufacturing Ltd, (1971), 4 C.P.R. (2d) 6, aux pages 16 et 17, 1971 CarswellNat 513 (C.F.); décision Philip Morris Inc. v. Imperial Tobacco Ltd., (1985), 7 C.P.R. (3d) 254, à la page 275, 35 A.C.W.S. (2d) 258 (C.F.). Quant à Somavrac Group Inc., il s’agit d’une société de portefeuille, et la Commission a conclu qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle a employé la marque au Canada en liaison avec les marchandises. En l’absence de nouveaux éléments de preuve à cet égard, la Cour fédérale a conclu que cette décision était raisonnable.

[58]  Devant notre Cour, l’appelante a répété les mêmes arguments que ceux invoqués devant la Commission et la Cour fédérale, sans pouvoir mettre en évidence une quelconque erreur manifeste et dominante dans ces conclusions. À mon avis, elles ne devraient pas être modifiées.

[59]  Enfin, l’appelante a affirmé que Chloretec a employé ses marques JAVELO avant la date de dépôt de la demande. Aux termes du paragraphe 30b) de la Loi, une marque pour laquelle une demande d’enregistrement, fondée sur l’emploi proposé au Canada, a été déposée ne peut être enregistrée si elle a déjà été employée au Canada avant la date de dépôt. Devant la Commission, l’appelante s’est appuyée sur l’affidavit déposé par M. Manias, au nom de l’intimée, pour alléguer que tant UBA Inc. que Somavrac Group Inc. avaient utilisé les marques JAVELO avant le 26 janvier 2012, date de dépôt de la demande.

[60]  La Commission a examiné attentivement cette observation et l’a rejetée en se fondant sur des motifs détaillés et irréfutables. L’appelante n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve à cet égard, et la Cour fédérale a conclu que la décision de la Commission était raisonnable. Devant notre Cour, l’appelante s’est une nouvelle fois limitée à répéter son allégation précédente figurant dans un paragraphe de son mémoire, sans même tenter de démontrer une erreur manifeste et dominante dans les décisions des instances inférieures. Cela est manifestement insuffisant pour obtenir gain de cause pour ce motif d’appel.

V.  Conclusion

[61]  Pour tous les motifs susmentionnés, je suis d’avis que cet appel devrait être rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

  M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

  J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-141-18

 

 

INTITULÉ :

THE CLOROX COMPANY OF CANADA, LTD. c. CHLORETEC S.E.C.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 janvier 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay

Nathan Fan

 

POUR L’APPELANTE

 

Stéphanie Thurber

Éric Lalanne

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marks & Clerk Law LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

 

De Grandpré Chait S.E.N.C.R.L./LLP

Montréal (Québec)

Pour l’intimée

 

 

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