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Date : 20210330


Dossiers : A‑338‑18 (dossier principal), A‑326‑16, A‑328‑16, A‑329‑18

Référence : 2020 CAF 30

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

 

 

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO. LTD., CELLTRION, INC. et PFIZER CANADA INC.

 

 

appelantes

 

 

et

 

 

THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC., CILAG GmbH INTERNATIONAL et CILAG AG

 

 

intimées

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 octobre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20210330


Dossiers : A-338-18 (dossier principal), A‑326‑16, A‑328‑16, A‑329‑18

Référence : 2020 CAF 30

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

 

 

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO. LTD., CELLTRION, INC. et PFIZER CANADA INC.

 

 

appelantes

 

 

et

 

 

THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC., CILAG GmbH INTERNATIONAL et CILAG AG

 

 

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

LE JUGE LOCKE

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur quatre appels de décisions rendues par le juge Michael L. Phelan de la Cour fédérale (le juge) lors d'une action où la Corporation de soins de la santé Hospira (Hospira) tentait de faire invalider le brevet canadien no 2 261 630 (le brevet 630) et d'une demande reconventionnelle en contrefaçon de ce brevet. Les demanderesses initiales dans la demande reconventionnelle étaient la titulaire du brevet, The Kennedy Trust for Rheumatology Research, et les présumées titulaires de licence Janssen Biotech, Inc., Janssen Inc. et Cilag GmbH International. Les défenderesses initiales dans la demande reconventionnelle étaient Hospira, ainsi que les fournisseurs Celltrion Healthcare Co. Ltd. et Celltrion, Inc. (Celltrion).

[2] La principale décision visée par l'appel (2018 CF 259, le 7 mars 2018) portait sur le bien‑fondé de l'action et de la demande reconventionnelle, et elle concluait que le brevet 630 était valide et avait été contrefait. Une autre décision visée par l'appel (2018 FC 960, le 28 septembre 2018) avait accueilli la requête présentée après le procès par les demanderesses reconventionnelles visant à ajouter une nouvelle demanderesse reconventionnelle (une autre présumée titulaire de licence, soit Cilag AG) et une nouvelle défenderesse reconventionnelle (Pfizer Canada Inc., qui importe et distribue le produit prétendument contrefait au Canada). Les deux dernières décisions visées par l'appel, toutes deux du 8 septembre 2016, rejetaient les requêtes présentées avant le procès par Hospira :

1) pour une commission rogatoire et une lettre de demande à la Haute Cour de justice du Royaume‑Uni afin d'obliger le Dr Ravinder Maini (l'un des inventeurs nommés dans le brevet 630) à témoigner au préalable;

2) pour ajourner le procès (ou une partie de celui‑ci) afin de permettre la poursuite de l'interrogatoire préalable du Dr Marc Feldmann (l'autre inventeur nommé dans le brevet 630).

[3] Pour les quatre appels, les défenderesses dans la demande reconventionnelle sont les appelantes.

[4] Pour les motifs énoncés ci‑dessous, j'accueillerais l'appel sur le fond, et je renverrais l'affaire à la Cour fédérale afin qu'elle examine de nouveau certaines questions. Je rejetterais les autres appels.

[5] J'examine à tour de rôle chacun des quatre appels dans les sections suivantes, après un bref examen du brevet 630 et du contexte factuel.

II. Le brevet 630 et son contexte

[6] Comme le juge l'a indiqué, le brevet 630 pour l'essentiel décrit en détail l'utilisation complémentaire du méthotrexate (MTX) et de l'anticorps anti‑facteur de nécrose tumorale‑α (anti-TNF‑α) dénommé « infliximab » pour traiter l'arthrite rhumatoïde (AR) et d'autres maladies auto‑immunes. Le juge a ajouté ce qui suit :

L'arthrite rhumatoïde est un trouble auto‑immune, parfois mortel, qui cause généralement des douleurs et des malformations articulaires.

Le MTX est un médicament qui ralentit la croissance de certaines cellules.

L'infliximab est un anticorps chimérique monoclonal biologique qui empêche le TNF-α de se lier aux récepteurs transmembranaires du TNF‑α. Le TNF‑α est une cytokine (transmetteur chimique) qui joue un rôle important dans la réaction auto‑immunitaire.

[7] La demande pour le brevet 630 a été déposée le 1er août 1997. Elle indiquait que le Dr Feldmann et le Dr Maini étaient les inventeurs et elle revendiquait comme date de priorité la date d'une demande déposée aux États‑Unis (no 08/690 775) le 1er août 1996. Le brevet 630 a été publié le 12 février 1998, a été délivré le 4 décembre 2012, et a expiré le 1er août 2017.

[8] Avant le brevet 630, le MTX était bien connu comme traitement pour les cas graves d'arthrite rhumatoïde. Même s'il n'était pas considéré comme un médicament immunosuppresseur traditionnel et que son mécanisme d'action n'était pas bien compris, on croyait qu'il avait un effet immunosuppresseur. Le MTX est un exemple d'un médicament antirhumatismal modificateur de la maladie (ARMM). Le traitement de l'arthrite rhumatoïde avec des médicaments autres que des ARMM était également connu à cette époque. Ces derniers incluaient des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et des stéroïdes.

[9] Malheureusement, de nombreux patients atteints d'arthrite rhumatoïde ne répondent pas complètement au traitement par le MTX. Ces patients sont décrits comme ayant « répondu partiellement » au MTX, ou comme étant des répondeurs partiels (RP) au MTX. Pendant bon nombre d'années avant le brevet 630, aucun progrès important n'avait été réalisé pour aider ces patients, malgré le besoin urgent de trouver un traitement nouveau et amélioré. Les inventeurs ont formulé l'hypothèse selon laquelle un anticorps anti‑TNF‑α comme l'infliximab pourrait être utile dans le traitement de l'arthrite rhumatoïde. À cette époque, aucun médicament biologique n'avait encore été approuvé. Les résultats des essais cliniques initiaux étaient prometteurs, mais les patients avaient toujours des rechutes, probablement parce que les systèmes immunitaires des patients répondaient au traitement par des anticorps humains antichimériques (AHAC). Les inventeurs ont ensuite tenté de combiner l'infliximab et le MTX. Les résultats favorables de ces efforts ont constitué le fondement du brevet 630.

[10] Le brevet 630 comprend 42 revendications, dont 23 sont en cause. Les revendications 1, 2, 17, 18, 39, 40, 41 et 42 sont indépendantes. Les autres revendications dépendent de l'une de ces revendications indépendantes. La revendication 1 est la suivante :

[TRADUCTION]

Utilisation d'un anticorps monoclonal anti‑facteur de nécrose tumorale‑α (anti‑TNF‑α) humain ou d'un fragment Fab se liant au facteur de nécrose tumorale‑α humain en vue de la fabrication d'un médicament permettant d'administrer un traitement complémentaire avec un médicament comprenant du méthotrexate à une personne souffrant d'arthrite rhumatoïde dont la maladie active n'est pas complètement contrôlée malgré le fait qu'elle reçoive déjà du méthotrexate, pour réduire ou éliminer les symptômes et signes associés à l'arthrite rhumatoïde, dans lequel l'anticorps monoclonal anti‑facteur de nécrose tumorale‑α humain (ou le fragment Fab se liant au facteur de nécrose tumorale‑α humain) a) se lie à un épitope sur le facteur de nécrose tumorale‑α humain et b) inhibe la liaison du facteur de nécrose tumorale‑α humain aux récepteurs de la membrane cellulaire du facteur de nécrose tumorale‑α humain.

[11] Sauf pour ce qui suit, les parties ne contestent pas la liste des éléments essentiels indiqués et adoptés par le juge à l'annexe B de ses motifs sur le fond. Les éléments essentiels de la première revendication sont les suivants :

a) l'utilisation d'un anticorps monoclonal anti‑TNF‑α (ou d'un fragment Fab) pour la fabrication d'un médicament;

b) pour administrer un traitement complémentaire au MTX;

c) à un patient souffrant d'AR active et partiellement contrôlée malgré que le patient reçoive déjà du MTX;

d) pour la réduction ou l'élimination des symptômes et signes de l'AR;

e) dans lequel un anticorps monoclonal inhibiteur du TNF‑α (ou le fragment Fab) a) se lie à un épitope sur le TNF‑α humain et b) inhibe la liaison du TNF‑α humain aux récepteurs de la membrane cellulaire du TNF‑α humain.

III. L'appel sur le fond (A-338-18)

[12] Les appelantes ont soulevé de nombreuses questions au procès, y compris plusieurs sous‑questions pour chaque question. Dans presque tous les cas, elles n'ont pas eu gain de cause. La plupart des questions que les appelantes ont soulevées devant le juge ont été soulevées de nouveau devant notre Cour.

[13] Les questions soumises à notre Cour sont les suivantes :

1) Questions relatives à l'interprétation des revendications :

i. Le juge a‑t‑il commis une erreur en n'interprétant pas les revendications en cause comme étant des revendications d'usage?

ii. Le juge a‑t‑il commis une erreur en interprétant le passage [TRADUCTION] « dont la maladie active n'est pas complètement contrôlée malgré le fait qu'elle reçoive déjà du méthotrexate » comme visant les personnes qui reçoivent du MTX et d'autres ARMM?

2) Questions relatives à la contrefaçon de brevet

i. Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant qu'on traitait les RP au MTX?

ii. Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant à la présence de certains éléments de certaines revendications dépendantes du brevet 630?

iii. Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que les activités de Celltrion à l'extérieur du Canada pouvaient contrefaire le brevet 630?

iv. Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant à l'incitation à la contrefaçon?

Les revendications 37 et 38

Les appelantes affirment que les intimées n'ont pas traité des revendications 37 et 38 à l'audience. Les intimées ne le contestent pas. En raison des déclarations explicites au paragraphe 268 et à l'annexe B des motifs de la Cour fédérale, qui font la liste des revendications en litige, et puisque les revendication 37 et 38 n'y apparaissent pas, je conclus que la Cour fédérale s'est trompée lorsqu'elle a jugé qu'il y avait contrefaçon de ces revendications.

3) Questions relatives à la validité du brevet :

i. Le juge a‑t‑il commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 630 était invalide parce qu'il revendiquait une méthode de traitement médical?

ii. Le juge a‑t‑il commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 630 était invalide pour cause d'antériorité (absence de nouveauté)?

iii. Le juge a‑t‑il commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 630 était invalide pour cause d'évidence (absence d'invention)?

iv. Le juge a‑t‑il commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 630 était invalide pour cause de double brevet?

v. Le juge a‑t‑il commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 630 était invalide pour cause de divulgation insuffisante?

[14] Les principes applicables à la norme de contrôle en l'espèce ne sont pas en litige. Tel que le mentionne l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, la norme de la décision correcte s'applique aux questions de droit (voir le paragraphe 8), mais les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit ne sont susceptibles de révision que lorsque le tribunal de première instance a commis une erreur manifeste et dominante (voir les paragraphes 10 et 36).

[15] En raison du nombre de sous-questions soulevées par les appelantes, il ne serait pas réaliste d'examiner chacune d'entre elles de façon détaillée. Le lecteur doit comprendre que j'ai examiné tous les arguments des appelantes, même si je ne les commente pas tous. Je suis d'avis que les arguments que je ne mentionnerai pas ne sont pas fondés.

A. Les questions relatives à l'interprétation des revendications

1) L'interprétation des revendications en cause comme revendications relatives à l'usage

[16] Les appelantes affirment que le juge a commis une erreur en se limitant au libellé clair des revendications, qui sont des revendications de type « suisse », c'est‑à‑dire des revendications relatives à l'utilisation du composé X pour la préparation d'un médicament devant être utilisé pour Y. Les appelantes affirment que les revendications du brevet devraient recevoir une interprétation téléologique, et elles renvoient à la jurisprudence dans laquelle des revendications de type « suisse » ont été interprétées téléologiquement comme des revendications relatives à l'usage.

[17] Bien que j'accepte que les revendications du brevet doivent recevoir une interprétation téléologique, je note que les parties ne sont pas en désaccord sur ce point, et que le juge était manifestement guidé par ce principe (voir le paragraphe 118 des motifs). Par conséquent, il semble que les parties ne sont pas en désaccord au sujet de la règle de droit applicable, mais plutôt sur la façon dont cette règle a été appliquée aux faits en l'espèce. À ce titre, notre Cour ne devrait pas intervenir en l'absence d'une erreur manifeste et dominante.

[18] Je ne constate pas d'erreur de ce type dans la décision du juge d'interpréter le libellé des revendications selon leur sens ordinaire (voir le paragraphe 153 des motifs) : Lundbeck Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2009 CF 1102, au paragraphe 41; Zero Spill Systems (Int'l) Inc. c. Heide, 2015 CAF 115, [2015] 4 R.C.F. F‑2, aux paragraphes 74 à 78.

2) L'interprétation des revendications de façon à viser les personnes qui reçoivent du MTX et d'autres ARMM

[19] Les appelantes soutiennent que le passage [TRADUCTION] « dont la maladie active n'est pas complètement contrôlée malgré le fait qu'elle reçoive déjà du méthotrexate » vise uniquement les patients qui reçoivent seulement du MTX, et qu'interpréter le passage de façon à viser les patients qui reçoivent du MTX et d'autres ARMM l'élargit de façon inadmissible au‑delà de ce qu'aurait compris une personne versée dans l'art au moment pertinent.

[20] Le juge a souligné que rien dans le brevet 630 n'indique qu'il vise uniquement le traitement des patients qui ne reçoivent que le MTX. Il a également mentionné le passage suivant du brevet 630 pour indiquer le contraire :

[TRADUCTION]

D'autres traitements et agents thérapeutiques peuvent être utilisés en association avec la co‑administration thérapeutique d'antagonistes du TNF et de méthotrexate ou d'autres médicaments immunosuppressifs.

[21] Les appelantes affirment que le juge n'aurait pas dû renvoyer à ce passage du brevet 630 pour interpréter un terme d'une revendication en l'absence d'ambiguïté quant au sens de ce terme. Pour étayer cet argument, les appelantes invoquent la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2016 CAF 119, [2017] 2 R.C.F. 280 (Mylan), au paragraphe 39, qui a adopté l'énoncé suivant :

[...] Lors de l'interprétation des revendications, [...] le recours au reste du mémoire descriptif : 1) est permis pour éclairer le sens des termes employés dans les revendications; 2) n'est pas nécessaire lorsque le libellé est clair et sans ambiguïté; 3) est abusif si l'on cherche par ce moyen à modifier la portée ou l'étendue des revendications.

[22] Toutefois, l'argument des appelantes selon lequel il n'y a pas d'ambiguïté dans le sens du passage en cause est considérablement affaibli par le fait que les revendications ne disent pas expressément si les RP au MTX se limitent à ceux qui prennent uniquement du MTX. Les parties sont certainement en désaccord. À mon avis, le juge était entièrement libre, au moment d'interpréter ce passage, d'avoir recours au passage précité de la divulgation du brevet 630.

[23] Les appelantes soulignent également les éléments de preuve selon lesquels on savait que les combinaisons d'ARMM étaient risquées et incertaines. Malgré ces éléments de preuve, qui ont été contestés, le juge était libre de se laisser convaincre par d'autres éléments de preuve de l'utilisation d'une polythérapie avec d'autres médicaments pour le traitement de patients atteints de l'arthrite rhumatoïde, et par l'absence de toute indication, dans le brevet lui‑même, qu'un RP traité au MTX ne pouvait pas recevoir un autre ARMM en combinaison avec le MTX.

[24] Je ne vois pas que le juge a commis une erreur à cet égard.

B. Les questions relatives à la contrefaçon de brevet

1) A‑t‑on traité les RP au MTX?

[25] On ne conteste pas que le traitement d'un RP au MTX est un élément essentiel de toutes les revendications en litige. Cela signifie qu'administrer le traitement complémentaire visé par le brevet à une personne autre qu'à un RP au MTX ne constituerait pas une contrefaçon des revendications en litige. Ainsi, afin d'établir la contrefaçon, il doit y avoir des éléments de preuve selon lesquels le traitement se rapporte à l'administration à un RP au MTX.

[26] Cela étant dit, il convient de mentionner que l'action en contrefaçon qui a donné lieu aux présents appels a été scindée, de sorte que les questions de la responsabilité (p. ex. la question de savoir si le brevet 630 était valide et a été contrefait) ont été traitées durant la première étape, et que les questions relatives au montant des dommages‑intérêts ou des bénéfices seront traitées durant la seconde étape. Par conséquent, il ne revenait pas au juge, dans ses motifs, d'examiner l'étendue de la contrefaçon commise. Il suffisait qu'il fût convaincu qu'il y avait eu contrefaçon.

[27] Les appelantes affirment que leur produit qui serait une contrefaçon, appelé Inflectra, a sept indications, dont une seulement est pour l'arthrite rhumatoïde, et que, bien que sa monographie de produit envisage l'utilisation en combinaison avec le MTX, elle ne précise pas que le produit vise les RP au MTX. Les appelantes allèguent également que le juge a examiné à tort les éléments de preuve d'IMS selon lesquels l'Inflectra est utilisé en combinaison avec le MTX dans les cas de RP au MTX. Les appelantes affirment que ces éléments de preuve auraient dû être exclus en tant que ouï‑dire.

[28] Même sans les éléments de preuve d'IMS en litige, la conclusion du juge selon laquelle l'Inflectra était utilisé dans les cas de RP au MTX était amplement étayée. Premièrement, il semblerait justifié de présumer qu'un traitement avancé pour l'arthrite rhumatoïde, comme l'infliximab en combinaison avec le MTX, serait utilisé principalement chez les patients qui n'ont pas répondu complètement aux traitements classiques, comme le MTX. Cette hypothèse est étayée par les motifs, où le juge a noté que : i) l'essai clinique qui a servi de fondement afin d'obtenir l'approbation réglementaire pour l'Inflectra comprenait des RP au MTX; ii) seuls les RP au MTX reçoivent un remboursement pour le traitement à l'Inflectra. Cette hypothèse cadre également avec l'argument des appelantes sur la question relative à l'évidence selon lequel les antériorités suggéraient que les patients recevant l'infliximab dans des études cliniques devraient être des RP au MTX, et devraient continuer de recevoir du MTX pendant de telles études.

[29] Je ne constate aucune erreur dans la conclusion du juge selon laquelle l'Inflectra est utilisé pour le traitement des RP au MTX.

2) Les éléments des revendications dépendantes

[30] Les appelantes affirment qu'il n'y avait aucun élément de preuve quant à la présence des éléments essentiels suivants des revendications 12, 15, 28 et 31, et que le juge n'a formulé aucune conclusion à leur égard. Par conséquent, ces revendications auraient dû être jugées non contrefaites :

1) le médicament inhibiteur du TNF‑α est formulé pour administration par infusion aux semaines 0, 2, 6, 10 et 14;

2) le médicament contenant du MTX contient 7,5 mg (ou 10 mg) de MTX.

[31] Les parties n'ont dévoué que peu de temps à cette question. Cela est peut‑être lié au fait que la question pourrait avoir une certaine importance uniquement s'il était conclu que ces revendications étaient valides et que les revendications desquelles elles dépendent étaient jugées non valides.

[32] Les intimées n'ont pas contesté l'absence d'éléments de preuve venant appuyer la contrefaçon des revendications 12, 15, 28 et 31, et on n'a renvoyé la Cour à aucune preuve de la présence des éléments essentiels indiqués au paragraphe 30 qui précède. Il semble effectivement qu'il n'existe aucun élément de preuve de la sorte. Par conséquent, je conclus que le juge a commis une erreur en concluant à la contrefaçon de ces revendications.

3) Les activités de Celltrion

[33] Les appelantes affirment que le juge n'avait pas conclu que Celltrion avait des activités au Canada, et que, par conséquent, il a commis une erreur en concluant que Celltrion avait contrefait le brevet. Les intimées reconnaissent qu'il n'y avait pas de preuve directe concernant l'endroit où Celltrion avait des activités, mais elles soutiennent que le juge n'a pas commis d'erreur lorsqu'il s'est concentré sur la question de savoir si ces activités privaient la titulaire du brevet de la pleine jouissance de l'invention définie dans le brevet 630, au lieu de se concentrer sur l'endroit où ces activités avaient lieu.

[34] La règle Saccharin, qui tire son nom d'une décision de la Cour de la Chancellerie de la Haute Cour de justice du Royaume‑Uni, Saccharin Corporation, Ltd. v. Anglo‑Continental Chemical Works, [1901] 1 Ch. 414, est importante à l'égard de cette question. Cette décision portait sur un brevet du Royaume‑Uni à l'égard d'un procédé pour la fabrication de la saccharine, et la question était de savoir si l'importation au Royaume-Uni de la saccharine fabriquée à l'étranger en ayant recours au procédé breveté constituait une contrefaçon de ce brevet. Un passage clé de la décision se trouve aux pages 416 et 417 : [TRADUCTION] « En vendant la saccharine produite au moyen du procédé breveté, on prive le titulaire du brevet d'une partie des profits et des avantages de l'invention, et l'importateur exploite indirectement l'invention. » La règle Saccharin est reconnue au Canada depuis de nombreuses années : voir Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 44; Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2010 CAF 240, [2010] A.C.F. no 1199 (QL), aux paragraphes 17 à 20.

[35] À cet égard, les appelantes ne contestent pas si l'importation ou la vente au Canada d'Inflectra constitue une contrefaçon du brevet 630, mais plutôt si les activités de Celltrion exercées entièrement à l'extérieur du Canada peuvent contrefaire le brevet canadien. Un suivi de la décision Saccharin susmentionnée est utile à ce sujet. Seulement deux mois plus tard, la Cour de la Chancellerie de la Haute Cour de justice du Royaume-Uni a rendu une autre décision concernant la même demanderesse, mais une défenderesse différente : Saccharin Corporation, Ltd. v. Reitmeyer & Co., [1900] 2 Ch. 659. Dans ce cas, la défenderesse avait utilisé le procédé breveté à l'extérieur du Royaume‑Uni et avait vendu le produit résultant aux fins d'importation au Royaume‑Uni, mais elle n'avait rien fait au Royaume‑Uni. Aux pages 663 et 664 de cette décision, la Cour a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les gestes posés par la défenderesse sur le continent étaient légaux à cet endroit, et, puisqu'ils ont été posés sur le continent, ils n'étaient pas illégaux ici. Les demanderesses ont tenté d'étendre le principe exposé dans Elmslie v. Boursier (L.R. 9 Eq. 217) et Von Heyden v. Neustadt (14 Ch. D. 230), selon lequel l'importation et la vente en Angleterre d'un article fabriqué à l'étranger selon un procédé protégé par un brevet anglais constitue une contrefaçon du brevet anglais, à une affaire où la défenderesse n'a ni importé ni vendu le produit en Angleterre. [...] Je ne suis pas disposé à être le premier à étendre ainsi les droits du titulaire du brevet.

[36] Par conséquent, la conclusion de contrefaçon selon la règle Saccharin ne s'appliquait qu'à ceux qui exercent des activités dans le ressort du brevet, comme l'importation, la vente ou l'utilisation du produit en cause. Les cours canadiennes ont reconnu cette limite à la règle Saccharin : Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991, [2009] A.C.F. no 1229 (QL), aux paragraphes 283 et 284, conf. par 2010 CAF 240, [2010] A.C.F. no 1199 (QL). Cette limite respecte également le principe général voulant que les brevets soient territoriaux et qu'on ne peut contrefaire un brevet canadien à l'extérieur du Canada : Beloit Canada Ltée c. Valmet‑Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497, à la page 520 (C.A.F.); Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2013 CF 750, aux paragraphes 265 et 266; Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada c. BNSF Railway Company, 2018 CF 614, au paragraphe 46.

[37] Si on accepte qu'il n'y a effectivement aucune preuve que Celltrion avait des activités au Canada, il semble qu'on ne puisse établir de distinction entre les faits de l'espèce et la seconde décision Saccharin. Je conclus qu'il n'y a aucun élément de preuve étayant la conclusion selon laquelle Celltrion a contrefait le brevet 630 et que le juge a commis une erreur en incluant Celltrion parmi les sociétés qui l'ont contrefait.

4) Incitation à la contrefaçon

[38] Les parties ne contestent pas le critère juridique à trois volets concernant l'incitation à la contrefaçon établi dans Corlac Inc. c. Weatherford Canada Ltd., 2011 CAF 228, au paragraphe 162, et adopté par le juge :

[...] Premièrement, l'acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct. Deuxièmement, l'exécution de l'acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n'aurait pas eu lieu. Troisièmement, l'influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l'exécution de l'acte de contrefaçon [...].

[39] Le juge a conclu que tous les éléments de ce critère étaient réunis. Les appelantes contestent les trois volets.

[40] Les appelantes critiquent le recours du juge au passage suivant de la décision AB Hassle c. Genpharm Inc., 2003 CF 1443, au paragraphe 127, conf. par 2004 CAF 413, [2004] A.C.F. no 2079 (QL) (AB Hassle) : « La contrefaçon d'un brevet d'utilisation [...] n'est pas le seul fait du fabricant de génériques; elle vise aussi la contrefaçon par les patients. » Les appelantes affirment que le juge a conclu que ce passage permet une conclusion d'incitation à la contrefaçon même en l'absence d'incitation par l'incitateur allégué. À mon avis, les appelantes ont mal interprété à la fois le passage et l'utilisation que le juge en a faite. Selon mon interprétation, la Cour, dans AB Hassle, constatait simplement qu'un patient pouvait contrefaire directement un brevet d'utilisation. Il s'ensuit que l'utilisation par un patient pourrait satisfaire au premier volet du critère d'incitation à la contrefaçon. Il ressort clairement de la lecture des motifs que le juge comprenait qu'il fallait que l'incitateur allégué incite pour tirer une conclusion d'incitation à la contrefaçon.

[41] Le juge s'est penché sur l'exigence que le contrefacteur direct ait contrefait lors de son analyse de la contrefaçon directe, et j'ai examiné cette exigence ci‑dessus lors de l'examen des autres questions de la contrefaçon. Le juge n'a commis aucune erreur en concluant que ce volet du critère était respecté.

[42] L'argument des appelantes au sujet du deuxième volet du critère (l'incitation de l'incitateur allégué) est semblable à celui mentionné précédemment lors de l'examen de la première question sur la contrefaçon du brevet (à partir du paragraphe 25 qui précède). Elles affirment que le juge aurait dû conclure que la monographie de produit pour l'Inflectra ne mentionne pas les RP au MTX, même si elle indique l'utilisation de ce médicament en combinaison avec le MTX. À mon avis, et comme on l'a vu plus haut, il n'est pas difficile de conclure que les patients qui n'ont pas complètement répondu au traitement au MTX suivront les instructions d'utiliser l'Inflectra en combinaison avec le MTX. Cette distinction tente de couper les cheveux en quatre.

[43] J'ai conclu que les appelantes ont dit aux patients, y compris aux RP au MTX, d'utiliser l'Inflectra d'une façon qui constitue de la contrefaçon et que les patients, y compris les RP au MTX, ont suivi ces instructions. Je conclus donc que le juge n'a commis aucune erreur en concluant que les appelantes avaient incité la contrefaçon directe, de sorte que le second volet du critère de l'incitation à la contrefaçon est satisfait.

[44] Le troisième volet du critère (l'influence était exercée sciemment) ne présente pas de difficulté en l'espèce. Étant donné que la source de l'incitation, la monographie de produit, a été créée et distribuée par les appelantes elles‑mêmes, elles savaient que cette incitation avait lieu.

[45] Le juge a facilement conclu que ce volet était satisfait. Je ne constate aucune erreur dans cette conclusion, mais j'en profite néanmoins pour préciser un point qui n'est pas clair dans ses motifs : la connaissance en question dans le troisième volet du critère est la connaissance de l'incitation plutôt que la connaissance que l'activité en découlant constituera une contrefaçon. Il est vrai que la jurisprudence compte plusieurs décisions où on a tenu compte de la connaissance du brevet en cause par l'incitateur allégué, ou du manque de connaissance, pour déterminer la question de l'incitation. Toutefois, ces décisions n'ont pas examiné en profondeur la question de la connaissance. La juge Johanne Gauthier (de la Cour fédérale à l'époque) a examiné cette question en profondeur dans Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2010 CF 361, [2010] 2 R.C.F. F‑7, aux paragraphes 193 à 203, conf. par 2011 CAF 83. La juge Gauthier a signalé que la connaissance qu'une activité donnée constitue une contrefaçon n'est pas un élément de contrefaçon directe et que, puisque l'incitation à la contrefaçon ne constitue pas un délit distinct de la contrefaçon directe, cette connaissance ne devrait pas non plus être un élément d'incitation à la contrefaçon. Je suis d'accord.

[46] En résumé, le juge n'a pas commis d'erreur en concluant que les trois volets du critère de l'incitation à la contrefaçon étaient réunis, et en concluant que les appelantes avaient incité à la contrefaçon.

C. Les questions relatives à la validité du brevet

1) Une méthode de traitement médical

[47] Je commence la présente section en précisant que les arguments des appelantes au sujet des méthodes de traitement médical sont fondés en grande partie sur leur argument selon lequel les revendications de type « suisse » en l'espèce auraient dû être interprétées comme des revendications d'usage. Cet argument a été rejeté dans la section III.A(1) qui précède; je ne l'examinerai pas de nouveau.

[48] Je commence la section par un résumé historique qui pourrait être utile. La règle selon laquelle une méthode de traitement médical ne peut pas faire l'objet d'un brevet au Canada est fondée sur la décision de la Cour suprême du Canada Tennessee Eastman Co. et al. c. Commissaire des Brevets, [1974] R.C.S. 111 (Tennessee Eastman), qui portait sur une demande de brevet fondée sur la découverte qu'une substance adhésive connue pouvait être adaptée à un usage chirurgical. L'article 41 de la Loi sur les brevets à l'époque restreignait le champ des brevets visant des substances destinées à l'alimentation ou à la médication; les revendications devaient se limiter aux substances préparées ou produites par un procédé chimique donné. Dans Tennessee Eastman, les revendications portaient essentiellement sur une nouvelle méthode chirurgicale pour réunir des tissus au moyen d'une substance connue. En raison de l'article 41 de la Loi sur les brevets, la Cour a conclu que ni une méthode chirurgicale ni une méthode de traitement médical ne relevait de la définition du terme « invention » à cet article. La Cour a conclu que de telles méthodes ne sont donc pas brevetables.

[49] Même si la Cour suprême dans Tennessee Eastman n'a pas explicitement fondé sa décision sur le fait que l'invention en cause était essentiellement non économique et ne se rattachait pas aux affaires, au commerce et à l'industrie (question que la Cour de l'Échiquier et l'examinateur de brevets avaient examinée antérieurement), les décisions subséquentes de la Cour suprême ont accepté cette thèse : Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536, à la page 554; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 49 (AZT).

[50] La Cour a également noté, dans l'arrêt AZT, que l'article 41 de la Loi sur les brevets (lequel était le fondement principal de la décision Tennessee Eastman) avait depuis été abrogé. Par conséquent, le raisonnement exposé dans AZT semblerait s'appliquer en dépit de cette abrogation.

[51] Bien que la question d'une méthode de traitement médical se soit présentée dans quelques affaires à la Cour fédérale depuis AZT, la Cour d'appel fédérale n'a jamais examiné cette question en détail. La jurisprudence de la Cour fédérale a mené au principe selon lequel une revendication pour un produit vendable, notamment une substance conçue pour le traitement d'un trouble médical, peut faire l'objet d'une revendication d'un brevet, mais non si la revendication comprend l'exercice de la compétence d'un professionnel de la santé, par exemple une gamme de posologies plutôt qu'une posologie fixe (ou sans doute aussi une gamme de fréquences d'administration plutôt qu'une fréquence fixe) : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 755, au paragraphe 137; Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2006 CF 527, [2006] 4 R.C.F. F‑27, au paragraphe 51; Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510, au paragraphe 114; Janssen Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2010 CF 1123, [2011] 1 R.C.F. F‑1, au paragraphe 26; Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985 (Novartis), aux paragraphes 91 et 92, conf. par 2014 CAF 17.

[52] Cet état de la jurisprudence présente une simplicité attirante. Toutefois, il ne me paraît pas évident que les décisions de la Cour suprême du Canada qui constituent le fondement du principe voulant que les méthodes de traitement médical ne soient pas brevetables justifient de faire une distinction entre une posologie (ou une fréquence) fixe et une gamme de posologies (ou de fréquences). Il semblerait qu'un professionnel de la santé serait limité dans l'exercice de sa compétence dans l'un ou l'autre des cas. Aussi, on pourrait soutenir qu'un médicament n'est pas moins vendable simplement parce que sa posologie ou sa fréquence d'administration n'est pas fixe.

[53] Au paragraphe 145 de ses motifs, le juge a mentionné une suggestion formulée par notre Cour, et soutenue par le professeur Norman Siebrasse, voulant que notre Cour ou la Cour suprême examine la question des méthodes de traitement médical en détail dans une affaire où la question est directement soulevée par les faits : voir Cobalt Pharmaceuticals Company c. Bayer Inc., 2015 CAF 116, au paragraphe 101. J'admets que cette question mérite une analyse en profondeur. Malheureusement, il semble que le présent appel ne présente pas l'occasion de faire une telle analyse. La plupart des revendications en cause visent des posologies et des fréquences d'administration fixes ou ne précisent pas de posologie ou de fréquence d'administration précise. Je suis d'accord avec le juge sur le fait que les revendications portent sur un produit vendable et qu'elles ne sont pas nulles en tant que méthode de traitement médical.

[54] On pourrait dire d'une des revendications en cause qu'elle porte sur une gamme de posologies : la revendication 33 porte sur [TRADUCTION] « une posologie d'environ 0,1 milligramme à environ 500 milligrammes d'infliximab ». On pourrait aussi dire que d'autres revendications portent sur un intervalle de fréquences d'administration, soit les revendications 9, 10, 25 et 26, qui portent sur un [TRADUCTION] « intervalle compté en semaines ». Cependant, les arguments des parties ne se concentrent pas sur ces revendications.

[55] De même, les motifs ne traitent pas de la gamme de posologie de la revendication 33 ni des fréquences d'administration des revendications 9, 10, 25 et 26. Il se peut que ni le juge ni les parties n'aient vu le besoin de se concentrer sur ces revendications, car elles dépendent d'autres revendications qui ne portent pas sur une gamme de posologies ou de fréquences d'administration. Les parties peuvent avoir estimé qu'une conclusion d'invalidité de ces revendications aurait peu d'effet utile.

[56] Ayant examiné les éléments de preuve et les observations limitées à cet égard, je ne suis pas prêt à conclure que le juge a commis une erreur en concluant qu'aucune des revendications en cause n'était invalide au motif qu'elle est une méthode de traitement. À mon avis, le dossier est insuffisant pour démontrer que le juge a commis une erreur de droit ou qu'il a fait une erreur manifeste et dominante de fait ou de fait et de droit à cet égard.

2) Antériorité (absence de nouveauté)

[57] Deux aspects des observations des appelantes sur l'antériorité méritent un examen. Le premier est que le juge a commis une erreur en reconnaissant la date de priorité du brevet 630 et ainsi en excluant certaines antériorités au motif qu'on ne pouvait les invoquer. Le second aspect des observations des appelantes sur l'antériorité porte sur la conclusion du juge selon laquelle deux autres divulgations antérieures ne sont pas des antériorités, car elles ne décrivent pas « l'avantage particulier » du brevet 630. Je vais examiner ces aspects tour à tour.

a) La date de priorité du brevet 630

[58] Conformément à l'alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, l'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas avoir fait l'objet d'une communication avant la date de la revendication de la part d'une personne autre que le demandeur du brevet (ou d'une personne qui a obtenu l'information du demandeur) de sorte qu'elle soit devenue accessible au public. La « date de la revendication », qui est en fait la date des dernières antériorités qu'on peut invoquer, est, selon l'article 28.1, la première de la date du dépôt au Canada et de la date de dépôt d'une demande antérieurement déposée de façon régulière et pour laquelle on a établi une date de priorité. La demande antérieure sur laquelle est fondée la date de priorité doit avoir été déposée au plus douze mois avant le dépôt au Canada. De plus, le paragraphe 28.4(4) dispose que, dans le cas où plusieurs demandes de brevet pourraient donner droit à une date de priorité, la période de douze mois est comptée à partir de la date de la première demande.

[59] Comme je l'indique au paragraphe 7 qui précède, la demande du brevet 630 a été déposée le 1er août 1997 et elle revendiquait comme date de priorité la date du dépôt de la demande de brevet américain no 08/690 775, soit le 1er août 1996.

[60] Les appelantes affirment que le juge n'aurait pas dû accepter cette date de priorité, car la demande déposée en 1996 revendiquait elle‑même comme date de priorité la date de dépôt de la demande américaine no 07/958 248, qui avait été déposée le 8 octobre 1992. Les appelantes soutiennent que les inventeurs désignés avaient eux‑mêmes réussi à faire valoir au bureau des brevets des États‑Unis que la demande de 1992 étayait la date de priorité de la demande de 1996. Si les appelantes ont raison, alors la date de priorité revendiquée pour le brevet 630 ne serait pas valide car la demande aurait été déposée plus de douze mois après la demande de 1992. L'invalidité de la date de priorité du brevet 630 pousserait la date de la revendication du brevet 630 du 1er août 1996 au 1er août 1997, ce qui ferait que d'autres antériorités seraient pertinentes.

[61] Les appelantes ont également affirmé que le juge avait établi que 1992 était la première date de priorité pour l'objet des revendications en cause du brevet 630 (plus précisément l'utilisation complémentaire d'un anticorps anti‑TNF‑α et de MTX). Ce n'est pas le cas. Les paragraphes des motifs mentionnés par les appelantes résument les observations des appelantes à cet égard, mais ne les adoptent pas. En fait, il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve au dossier pour déterminer si l'objet des revendications en cause était décrit dans la demande de 1992, de sorte que 1992 soit la première date de priorité, comme le font valoir les appelantes.

[62] Les appelantes soutiennent que les intimées avaient le fardeau d'établir la date de priorité pour le brevet 630, et qu'elles ne s'étaient pas acquittées de ce fardeau en déposant en preuve la demande de 1996. Quant à elles, les intimées affirment que le fardeau de la preuve reposait plutôt sur les appelantes, car le brevet 630 bénéficie de la présomption de validité prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets.

[63] Aucun de ces arguments n'est fondé. En ce qui concerne l'argument des appelantes, même si les intimées avaient déposé la demande de 1996 en preuve, le juge n'aurait pas été en mesure de déterminer ce que divulgue la demande de 1992. Par conséquent, il n'y a pas de raison de tirer une conclusion défavorable du défaut des intimées de déposer la demande de 1996. En ce qui concerne la présomption de la validité du brevet 630, il est à noter que la date de priorité n'a pas d'effet direct sur la validité du brevet 630. Elle touche plutôt les antériorités qu'on pourrait invoquer pour contester sa validité. Les intimées ne renvoient à aucune jurisprudence selon laquelle la présomption de la validité du brevet vaut aussi pour la demande de priorité.

[64] À mon avis, le choix des appelantes d'invoquer la demande de 1992 pour la date de priorité est assez éloigné de la question de la date de priorité du brevet 630 que les appelantes avaient le fardeau de prouver le contenu de la demande de 1992, même si la demande de priorité ne bénéficiait pas d'une présomption de validité. Arriver à une autre conclusion compliquerait inutilement l'établissement de la date de priorité, car un titulaire de brevet serait obligé de tenter de prévoir les demandes antérieures qui, selon un adversaire, pourraient divulguer l'objet du brevet en litige.

[65] Puisqu'on ne conteste pas le fait que la demande de 1996 appuie l'objet des revendications en cause du brevet 630, et en l'absence de preuve du contenu de la demande de 1992, je ne constate aucune erreur lorsque le juge a accepté la date de priorité du 1er août 1996 pour le brevet 630.

b) Les renvois aux antériorités qui ne décrivent pas « l'avantage particulier » du brevet 630

[66] Avant d'entrer dans les détails de cette question, il est utile de mentionner que deux critères doivent être remplis pour établir qu'une divulgation antérieure est une antériorité :

1) l'antériorité doit divulguer l'invention revendiquée de sorte que, une fois réalisée, elle contreferait nécessairement le brevet;

2) l'antériorité doit être suffisamment détaillée pour qu'une personne versée dans l'art puisse réaliser l'invention revendiquée sans faire preuve d'inventivité et sans expériences excessives.

(Voir Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Sanofi))

[67] Les deux antériorités pertinentes à cette question sont les suivantes :

1. le rapport scientifique du Mathilda and Terence Kennedy Institute of Rheumatology de 1994 (le rapport scientifique);

2. l'article de G. Higgins intitulé « Cytokine antagonism: still a main attraction in rheumatology R&D », InPharma, 8 juillet 1995, page 10 (l'article de M. Higgins).

[68] Le juge a noté que le rapport scientifique divulguait l'utilisation complémentaire de faibles doses stables de MTX et d'infusions mensuelles d'infliximab, mais qu'aucun résultat n'était encore disponible; par conséquent, l'avantage particulier d'un tel traitement complémentaire n'avait pas été divulgué. Le juge a décrit cet avantage donné, soit la réduction de la réaction des anticorps humains antichimériques et l'amélioration des résultats pharmacocinétiques pour permettre un traitement à long terme à l'infliximab avec une bonne efficacité et qui est bien toléré. Le rapport scientifique énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]

L'objectif est d'examiner de plus près la tolérance et l'efficacité de l'utilisation répétée d'[infliximab] d'une façon randomisée, à l'insu, à la fois en comparaison avec le traitement habituel [MTX] et en combinaison avec ce médicament. Les résultats devraient être disponibles d'ici l'automne 1995 et ils devraient fournir une indication de l'utilité probable d'[infliximab] comme agent suppresseur de la maladie à long terme en pratique clinique.

[69] Le juge a également noté que l'article de M. Higgins divulgue la possibilité d'utiliser un anticorps anti‑TNF‑α et le MTX. Le juge a souligné que l'anticorps anti‑TNF‑α mentionné n'était pas l'infliximab. Il a également noté que l'article de M. Higgins ne divulgue aucun avantage particulier de l'utilisation complémentaire, ni les posologies ou les fréquences d'administration de l'un ou l'autre des médicaments.

[70] Le juge a conclu que le rapport scientifique et l'article de M. Higgins n'étaient pas des antériorités pour les revendications en cause, car ils étaient hypothétiques. En ce qui concerne le rapport scientifique, le juge a précisé qu'il était trop hypothétique de prévoir les avantages de l'utilisation complémentaire d'infliximab et de MTX en tenant uniquement compte de l'efficacité de l'un ou l'autre des médicaments séparément.

[71] À mon avis, l'analyse du juge à cet égard était erronée. Pour que les résultats précis de l'utilisation complémentaire revendiquée soient un fondement pour établir une distinction avec les antériorités, il faudrait conclure que ces résultats constituaient un élément essentiel de la revendication en question. Il faudrait examiner chaque revendication séparément. De même, pour établir une distinction par rapport au fait que l'article de M. Higgins divulgue un anticorps anti‑TNF‑α autre que l'infliximab pour utilisation complémentaire avec le MTX, il faudrait conclure que l'infliximab (et non n'importe quel anticorps anti‑TNF‑α) était un élément essentiel. Par ailleurs, afin d'établir une distinction par rapport au fait que l'article de M. Higgins ne divulgue pas de posologie ou de fréquence d'administration pour l'un ou l'autre médicament, il faudrait que ces éléments soient essentiels.

[72] Tel qu'il est indiqué au paragraphe 11 qui précède, les parties ne contestent pas la majeure partie de la liste des éléments essentiels des revendications en cause qui apparaissent à l'annexe B des motifs. Selon l'annexe B, toutes les revendications en cause visent le traitement complémentaire des RP au MTX pour réduire ou éliminer les symptômes et signes de l'arthrite rhumatoïde. Cela peut ou non laisser entendre une quelconque amélioration par rapport aux résultats du MTX utilisé seul, mais aucun résultat précis n'est exigé, pas plus que les résultats décrits par le juge comme étant l'avantage particulier. En outre, le paragraphe du rapport scientifique précité au paragraphe 68 semble diriger le lecteur vers le type d'améliorations précises qui découleraient du traitement complémentaire revendiqué : une suppression améliorée de la maladie à long terme. En ce qui concerne l'infliximab en tant qu'élément essentiel (plutôt qu'un autre anticorps anti‑TNF‑α), ce n'est le cas que pour les revendications 5, 15, 21, 31 et 33, selon l'annexe B des motifs. Le libellé des revendications 12 et 28 semble également inclure l'infliximab comme élément. Cependant, pour une raison quelconque, l'annexe B ne précise pas l'infliximab en tant qu'élément essentiel de ces revendications. Les autres revendications en cause n'indiquent pas l'infliximab comme élément essentiel. Enfin, les doses et les fréquences d'administration qui n'apparaissaient pas dans l'article de M. Higgins selon le juge sont des éléments essentiels d'un sous‑ensemble seulement des revendications en cause.

[73] Bien que le juge ait reconnu que le critère de l'antériorité comprend deux exigences distinctes, soit la divulgation et la description habilitante, comme l'indique le paragraphe 66 qui précède, son analyse du rapport scientifique et de l'article de M. Higgins ne traite pas ces exigences de façon distincte. Le juge semble avoir rejeté les arguments des appelantes relatifs à l'antériorité pour ce qui est de ces deux renvois en supposant qu'ils ne respectent pas l'exigence de la divulgation, car ils ne divulguent pas les résultats des expériences proposées. Cette approche semble confondre la divulgation et la description habilitante. L'exigence de la divulgation est respectée si la réalisation de ce qui est décrit dans l'antériorité entraînait nécessairement une contrefaçon. À la lecture des motifs, il est difficile de comprendre pourquoi cette exigence n'est pas respectée, du moins en ce qui concerne le rapport scientifique. Même pour l'article de M. Higgins, il est difficile de concevoir comment cette exigence n'est pas respectée pour les revendications qui n'incluent pas l'infliximab, la dose ou la fréquence d'administration comme élément essentiel.

[74] Le juge ne semble pas avoir examiné la description habilitante relativement à ces deux antériorités. Il convient de mentionner deux points :

1) ce qui doit être habilité est les éléments essentiels de l'invention revendiquée en cause, et non les expériences précises divulguées dans le brevet 630;

2) en examinant la question de savoir si la personne versée dans l'art aurait les compétences nécessaires pour réaliser l'invention revendiquée au moyen des antériorités alléguées, il faut prendre soin d'éviter toute incompatibilité avec l'évaluation de la question de savoir si l'information dans le mémoire descriptif du brevet 630 suffit pour que la personne versée dans l'art puisse réaliser l'invention (voir la question du caractère suffisant de la divulgation que j'examine ci‑dessous) : la personne versée dans l'art a les mêmes compétences pour la question de la réalisation qu'elle a pour la question du caractère suffisant.

[75] À mon avis, la meilleure solution aux erreurs que le juge semble avoir commises et que je viens d'examiner serait de demander à la Cour fédérale d'examiner à nouveau le rapport scientifique et l'article de M. Higgins en tant qu'antériorités alléguées.

3) Évidence (absence d'invention)

[76] Je suis d'accord avec le juge lorsqu'il renvoie à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets comme le fondement légal de l'exigence qu'il y ait une invention. D'ailleurs, les parties ne le contestent pas. Je suis également d'accord avec le critère en quatre volets pour l'évidence établi dans Sanofi, au paragraphe 67 :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l'art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l'idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d'interprétation;

(3) Recenser les différences, s'il en est, entre ce qui ferait partie de « l'état de la technique » et l'idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

4) Abstraction faite de toute connaissance de l'invention revendiquée, ces (différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l'art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

a) La personne versée dans l'art

[77] Je ne constate aucune erreur susceptible de révision dans l'analyse par le juge de la « personne versée dans l'art » hypothétique : voir les motifs aux paragraphes 58 à 80. Bien que les appelantes contestent plusieurs aspects de l'analyse du juge à cet égard, je ne vois rien qui serait une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou de droit et de fait.

[78] Cependant, j'ai une observation concernant l'affirmation faite par le juge selon laquelle la personne versée dans l'art « n'est ni la première ni la dernière de sa classe, mais quelque part dans le milieu » : voir les motifs aux paragraphes 69 et 74, qui renvoient à Merck‑Frosst‑Schering Pharma GP c. Ministre de la Santé, 2010 CF 933, au paragraphe 69, et Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CF 1261, au paragraphe 45, conf. pour d'autres motifs, 2016 CAF 196.

[79] Je suis d'accord avec le renvoi du juge à l'énoncé bien connu de notre Cour dans la décision Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1986] A.C.F. no 87 (QL) (C.A.F.), selon lequel le critère pour l'évidence de l'invention est fondé sur le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit.

[80] L'énoncé selon lequel la personne versée dans l'art n'est ni la première ni la dernière de sa classe est raisonnable pour indiquer que cette personne possède certaines qualités d'un technicien compétent (déduction et dextérité), mais qu'il lui manque d'autres qualités (esprit inventif et imagination). Toutefois, l'énoncé est problématique s'il veut dire que les premiers de classe ont un esprit inventif tandis que les derniers de classe en sont dépourvus. En fait, l'inventivité n'est pas liée au rang en classe. Elle concerne plutôt la capacité d'examiner un problème d'une façon qui ne serait pas évidente pour d'autres personnes du domaine. Une personne ayant un esprit inventif peut être dernière de classe, et une personne qui est la première de sa classe peut ne pas avoir un esprit inventif. On peut dire la même chose des experts. Des praticiens hautement spécialisés peuvent être des sommités dans leur domaine, sans pour autant être inventifs. Inversement, l'inventivité peut se manifester chez des personnes ayant une expérience limitée.

b) Les différences entre l'état de la technique et l'idée originale

[81] Un aspect important de la thèse des appelantes sur cette question concerne l'exclusion par le juge d'antériorités de « l'état de la technique » pour l'analyse de l'évidence au motif que la personne versée dans l'art réalisant une recherche raisonnablement diligente ne les aurait pas trouvées. Plus précisément, il a exclu les antériorités suivantes pour ce motif :

1) l'article de M. Higgins;

2) le compte‑rendu du colloque du 27 mars 1996 sur l'arthrite rhumatoïde de la Food and Drug Administration tenu à Washington (le colloque de la FDA).

[82] Le juge a exclu l'article de M. Higgins au motif qu'il avait été rédigé pour des spécialistes du secteur pharmaceutique et que la personne versée dans l'art, un rhumatologue, ne l'aurait pas consulté. Il a exclu le colloque de la FDA car « une poignée des meilleurs rhumatologues du monde, auxquels n'appartiendrait absolument pas le travailleur qualifié ordinaire », y avait participé.

[83] Pour étayer la règle voulant que l'état de la technique se limite aux antériorités que la personne versée dans l'art aurait découvertes lors d'une recherche raisonnablement diligente, le juge a renvoyé à la décision de notre Cour dans E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163 (Supertek), aux paragraphes 20 à 22. Cependant, à mon avis, Supertek n'appuie pas le principe selon lequel les antériorités accessibles au public à la date pertinente ne devraient pas être prises en compte lors d'une analyse de l'évidence si la personne versée dans l'art ne les aurait pas trouvées en réalisant une recherche raisonnablement diligente.

[84] Premièrement, les faits dans Supertek se distinguent des faits en l'espèce : dans cette décision, le juge de première instance avait inclus les antériorités en cause, et les appelantes voulaient qu'on les exclue au motif qu'on ne les aurait pas trouvées lors d'une recherche. Notre Cour n'a pas conclu qu'il y avait erreur. En outre, même si Supertek, au paragraphe 20, renvoyait à une décision antérieure de la Cour fédérale (Apotex Inc. c. Sanofi‑Aventis, 2011 CF 1486, [2011] A.C.F. no 1813 (QL), inf. par 2013 CAF 186, [2015] 2 R.C.F. 644), selon laquelle les antériorités se limitaient à ce qu'une recherche raisonnablement diligente aurait révélé, l'analyse de cette question dans cette décision antérieure de la Cour fédérale ne portait pas sur l'état de la technique en général, mais plutôt sur les connaissances générales courantes. Les connaissances générales courantes ne sont qu'un sous-ensemble de l'état de la technique.

[85] Certaines décisions de la Cour fédérale étayent la position du juge sur cette question, p. ex. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2015 CF 770, au paragraphe 53; Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113, [2012] A.C.F. no 107 (QL), au paragraphe 80; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, [2007] A.C.F. no 1271 (QL), au paragraphe 108; Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie Ltée, 2002 CFPI 829, [2003] 3 C.F. F‑11, au paragraphe 100. L'analyse de l'évidence dans chacune de ces décisions a été confirmée par notre Cour; sans commentaire toutefois sur la question de l'exclusion des antériorités que n'aurait pas révélées une recherche raisonnablement diligente. En fait, certaines décisions de notre Cour font penser que les antériorités pertinentes ont une portée plus large : Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c. SNF Inc., 2017 CAF 225, [2018] 3 R.C.F. F‑1, aux paragraphes 50 et 60; Mylan, au paragraphe 23. Par ailleurs, la doctrine d'auteurs bien connus dans le domaine du droit des brevets a exprimé des doutes quant à la question de savoir s'il y a lieu de restreindre la portée des antériorités pertinentes aux résultats d'une recherche diligente étant donné que le libellé de l'article 28.3 de la Loi sur les brevets n'est pas si limitatif : voir D.H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e édition (Toronto, Carswell, 2013), au paragraphe 4:11(i); R.H. Barrigar, Canadian Patent Act Annotated, 2e édition (Toronto, Thomson Reuters, 1994), au paragraphe 28.3:640. L'article 28.3 porte sur « toute communication [...] de manière telle qu'elle est devenue accessible au public ». Dans Supertek, notre Cour a conclu qu'il n'était pas nécessaire d'examiner cette question.

[86] À la lumière de l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, ainsi que la jurisprudence et la doctrine pertinentes, je conclus qu'il est erroné de ne pas tenir compte des antériorités qui étaient accessibles au public à la date pertinente simplement parce qu'une recherche raisonnablement diligente ne les aurait pas révélées. La probabilité que la personne versée dans l'art n'aurait pas trouvé une antériorité peut avoir une pertinence pour l'examen de l'étape 4 de l'analyse de l'évidence (la question de savoir si les différences entre l'état de la technique et l'idée originale sont des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l'art), en ce que la personne versée dans l'art, mais sans inventivité, pourrait ne pas avoir pensé à combiner cette antériorité avec les autres antériorités pour faire l'invention revendiquée. Cependant, exclure l'antériorité simplement parce qu'elle est difficile à trouver pose problème, car cela entraînerait la possibilité d'un brevet valide pour une invention qui, sauf pour certaines modifications non inventives, avait déjà été communiquée au public. À mon avis, ce n'est pas ce que le régime canadien des brevets vise à permettre.

[87] Ni l'article de M. Higgins ni le colloque de la FDA n'auraient dû être exclus à l'étape 3 de l'analyse de l'évidence pour le motif qu'une recherche raisonnablement diligente ne les aurait pas révélés. L'omission de tenir compte du colloque de la FDA à titre d'antériorité pose particulièrement problème, puisque le juge a reconnu que des rhumatologues assistaient à cet événement. Les rhumatologues, même les meilleurs rhumatologues, comprendraient la personne versée dans l'art. Même si le juge n'a pas discuté du contenu du colloque de la FDA, les appelantes font valoir que le colloque avait divulgué ce qui suit : 1) le MTX est largement utilisé pour le traitement de l'arthrite rhumatoïde; 2) tout nouveau médicament biologique serait pris avec du MTX; 3) l'évaluation d'un nouveau médicament biologique devrait être faite auprès des RP au MTX, car il serait contraire à la déontologie de cesser de donner le MTX aux patients; 4) des anticorps thérapeutiques devraient être mis à l'essai avec le MTX à cause de la capacité du MTX à réduire la réponse immunogène aux anticorps, c.‑à‑d. les AHAC. Même s'il est plus approprié que le juge examine les questions d'évidence, cette information, si elle est vraie, semble être assez importante pour justifier une attention particulière.

c) L'essai allant de soi

[88] La Cour suprême du Canada a fait observer dans Sanofi, au paragraphe 68, que « [d]ans les domaines d'activité où les progrès sont souvent le fruit de l'expérimentation, le recours à la notion d'« essai allant de soi » pourrait être indiqué ». Également dans Sanofi, au paragraphe 66, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

Pour conclure qu'une invention résulte d'un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu'il allait plus ou moins de soi de tenter d'arriver à l'invention. La seule possibilité d'obtenir quelque chose ne suffit pas.

[89] La Cour suprême a également fourni les directives suivantes :

[69] Lorsque l'application du critère de l'« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l'examen de l'évidence. Tout comme ceux pertinents pour l'antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s'appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1. Est‑il plus ou moins évident que l'essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l'art?

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l'invention? Les essais sont‑ils courants ou l'expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L'art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[70] Les mesures concrètes ayant mené à l'invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l'évidence tient en grande partie à la manière dont l'homme de métier aurait agi à la lumière de l'art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l'historique de l'invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l'origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l'art.

[90] Il convient de mentionner que, tandis qu'aller « plus ou moins de soi de tenter d'arriver à l'invention » (voir Sanofi, au paragraphe 66) est une exigence pour l'essai allant de soi, être « plus ou moins évident que l'essai sera fructueux » (voir Sanofi, au paragraphe 69) n'est pas une exigence, mais simplement un facteur à prendre en considération.

[91] Le juge a examiné le critère de l'essai allant de soi en l'espèce, et les intimées ne contestent pas que cela était approprié en l'espèce.

[92] Le fondement de la conclusion du juge selon laquelle l'invention revendiquée ne constituait pas un essai allant de soi se trouve au paragraphe 226 des motifs :

Bien que la [personne versée dans l'art] ait pu avoir de « bonnes raisons » de tenter l'agencement d'anti‑TNF‑α et de MTX, il n'allait pas de soi que cet agencement allait résoudre le problème identifié dans l'art antérieur (c.‑à‑d. une durée de réponse plus courte).

[93] Il s'agit d'une application claire du premier facteur indiqué dans Sanofi au paragraphe 69. Mais ce facteur n'est pas déterminant. Il fallait également examiner les autres facteurs. À mon avis, l'analyse par le juge du second facteur (soit les efforts — leur nature et leur ampleur — requis pour réaliser l'invention) était inadéquate.

[94] Au paragraphe 227 des motifs, le juge mentionne que la personne versée dans l'art n'avait pas les compétences nécessaires pour concevoir et mener les essais décrits aux exemples 1 à 3 du brevet 630. Il y a deux problèmes avec cet énoncé en tant que fondement pour rejeter l'essai allant de soi. D'abord, cela suppose que les résultats fournis par ces essais faisaient partie de l'invention revendiquée. Comme il a été indiqué précédemment, l'invention revendiquée, pour n'importe quelle revendication en cause, est définie par ses éléments essentiels, qui ne prévoient pas d'expériences ou de résultats donnés. Le deuxième problème est qu'obtenir l'invention revendiquée n'exige pas que la personne versée dans l'art soit capable de concevoir ou de mener les essais précis décrits au brevet 630. Il suffit que la personne versée dans l'art administre conjointement un anticorps anti‑TNF‑α et du MTX tel qu'il est revendiqué et qu'elle observe les résultats. Il ne serait pas nécessaire qu'une expérience de cette nature soit jugée valable auprès des organismes de réglementation.

[95] Le critère déterminant à cet égard est celui de savoir s'il allait plus ou moins de soi de tenter d'arriver à l'invention, y compris l'administration conjointe d'un anticorps anti‑TNF‑α et du MTX pour traiter l'arthrite rhumatoïde chez les RP au MTX. Compte tenu des antériorités qui semblent indiquer exactement cela, il ne m'apparaît pas évident à la lecture des motifs que le juge ait correctement examiné cette question.

4) Le double brevet

[96] Les tribunaux du Canada ont établi un principe selon lequel un brevet est invalide pour cause de double brevet si l'inventeur a reçu un brevet antérieur soit pour la même invention (un double brevet relatif à la même invention), soit pour une invention qui ne comporte pas d'élément brevetable distinct par rapport au second (un double brevet relatif à une évidence). Dans les deux cas, l'objectif est d'empêcher le titulaire de brevet de prolonger la vie d'un brevet antérieur.

[97] Les appelantes affirment que le juge a commis une erreur en concluant que le brevet 630 n'était pas invalide pour cause de double brevet compte tenu du brevet canadien no 2 146 647 (le brevet 647). Elles se concentrent sur la revendication no 4 du brevet 647, qui revendique l'utilisation de l'anticorps anti‑CD4 et de l'anticorps anti‑TNF‑α en combinaison avec un médicament anti‑inflammatoire pour traiter les maladies auto‑immunes ou inflammatoires. Les appelantes font valoir que le juge a eu tort de se concentrer sur la divulgation du brevet 647 plutôt que sur ses revendications. Les appelantes affirment également que le juge n'a pas respecté l'analyse de l'interprétation des revendications qu'il avait réalisée pour évaluer la contrefaçon et les autres motifs d'invalidité.

[98] Pour ce qui est de l'interprétation des revendications, les appelantes notent que le juge a conclu que le brevet 630 vise les patients qui recevaient des médicaments autres que le MTX avant de commencer le traitement complémentaire (voir la section III.A.(2) qui commence au paragraphe 19 qui précède). Par conséquent, les revendications du brevet 630 visent les patients qui reçoivent un anticorps anti‑CD4, comme l'indique le brevet 647. Les appelantes notent aussi que le MTX est un médicament anti‑inflammatoire, ce qui est par conséquent une autre ressemblance entre les revendications des deux brevets.

[99] Je n'accepte pas l'argument des appelantes sur cette question. La question n'est pas de savoir si les portées des revendications des deux brevets se chevauchent de sorte qu'elles visent les mêmes réalisations. La question est plutôt de savoir s'il y a une différence brevetable entre les deux brevets, de sorte que les revendications du brevet 630 ne sont pas évidentes au regard des revendications du brevet 647. Il y a plusieurs différences entre les revendications de ces deux brevets permettant d'affirmer que le brevet 630 n'est pas invalide pour cause de double brevet. Par exemple, les revendications du brevet 630 sont propres à l'arthrite rhumatoïde, tandis que la revendication 4 du brevet 647 vise les maladies auto‑immunes ou inflammatoires de façon plus générale. De plus, les revendications du brevet 630 visent le MTX en particulier, et non seulement les médicaments anti‑inflammatoires. Enfin, les revendications du brevet 630 ne précisent pas ce qui semble être l'élément le plus important des revendications du brevet 647 : l'anticorps anti-CD4. En résumé, le brevet 630 vise une invention différente de celle revendiquée dans le brevet 647.

[100] En ce qui concerne l'argument selon lequel le juge a eu tort de se concentrer sur la divulgation du brevet 647 plutôt que sur ses revendications, je reconnais que les motifs mentionnent en effet la divulgation comme élément de comparaison à au moins deux reprises, aux paragraphes 231 et 236. Bien que la divulgation ne soit effectivement pas le bon élément de comparaison, je conclus que le juge a correctement comparé les revendications des deux brevets. À mon avis, le juge n'a commis aucune erreur susceptible de révision à cet égard.

5) Le caractère suffisant de la divulgation

[101] Le juge a souligné à juste titre que pour qu'un brevet soit valide, la description qu'il comprend doit « permettre à une personne versée dans l'art ou le domaine de l'invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation » (voir Pioneer Hi‑Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, à la page 1638).

[102] Les appelantes affirment que le juge a commis une erreur manifeste et dominante à l'égard de cette question en déclarant au paragraphe 245 des motifs qu'il « n'y avait rien d'unique ou d'inventif puisque l'infliximab et le MTX ont toujours été disponibles sur le marché ». Les appelantes mentionnent que l'infliximab n'était pas approuvé pour utilisation (et par conséquent n'était pas offert sur le marché) avant la publication du brevet 630. Elles affirment que, lors de la publication du brevet 630, la personne versée dans l'art n'aurait pas été capable de construire l'invention, car elle n'aurait pas eu accès à l'infliximab.

[103] Je rejette cet argument. D'abord, je note que le libellé du paragraphe 245 des motifs précité est étrange et qu'il semble y avoir une erreur typographique. L'énoncé selon lequel « il n'y avait rien d'unique ou d'inventif » ne semble pas aller avec l'observation quant au moment où un produit était offert sur le marché. Il semble possible que le juge voulait que l'affirmation à propos du caractère unique et inventif s'applique à l'infliximab, et que l'observation à propos de la disponibilité sur le marché devait s'appliquer seulement au MTX. Dans ce cas, il n'y aurait pas d'erreur.

[104] Quoi qu'il en soit, le moment où l'infliximab a été offert sur le marché n'est pas déterminant en l'espèce. Même si le caractère suffisant du brevet 630 dépend du fait que la personne versée dans l'art puisse obtenir de l'infliximab, et même si cette personne n'avait pas les compétences nécessaires pour produire de l'infliximab, il n'est pas contesté que l'infliximab était connu, et rien ne laisse penser que la personne versée dans l'art ne pourrait pas en obtenir de façon non commerciale. À mon avis, ceci est suffisant pour étayer la divulgation.

IV. L'appel sur l'ajout de nouvelles parties (A-329-18)

[105] Tel qu'il est indiqué au paragraphe 2 qui précède, le juge a accueilli la requête présentée après le procès par les intimées afin d'ajouter Cilag AG à titre de nouvelle demanderesse reconventionnelle, et Pfizer Canada Inc. à titre de nouvelle défenderesse reconventionnelle. Les appelantes ne se sont pas opposées à l'ajout de Pfizer Canada Inc., mais elles contestent l'ajout de Cilag AG.

[106] Les appelantes prétendent que le juge a commis plusieurs erreurs en accueillant la requête des intimées. Ces erreurs alléguées comprennent les suivantes :

1) il n'a pas constaté la contradiction entre la preuve des appelantes lors de la requête et ses conclusions au procès concernant Cilag AG à titre de titulaire de licence;

2) il a commis une erreur en concluant que Cilag AG, à titre de titulaire de licence ayant une cause d'action, était une personne se réclamant du breveté au sens du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets;

3) il n'a pas tenu compte du retard des appelantes dans leur tentative d'ajouter Cilag AG à titre de partie en tenant compte des renseignements dont elles disposaient avant le procès;

4) il a commis une erreur en concluant que l'ajout de Cilag AG ne créait pas une nouvelle action;

5) il n'a pas constaté le préjudice qu'a causé aux appelantes la perte du droit à l'interrogatoire préalable qu'elles auraient eu si Cilag AG avait été ajoutée à titre de partie avant le procès.

[107] Je conclus qu'aucun de ces arguments n'est fondé.

[108] Je ne suis pas convaincu que la preuve contienne des contradictions qui auraient eu une incidence sur l'issue de la requête des appelantes. Au paragraphe 11 de ses motifs quant à la requête, le juge a invoqué de la jurisprudence sur l'exigence qu'une personne se réclame du breveté, notamment Signalisation de Montréal Inc. c. Services de Béton Universels Ltée, [1993] 1 C.F. 341 (C.A.F.), à la page 356, au paragraphe 24, qui indiquait qu'« une personne “se réclamant” du breveté est une personne qui tire du breveté son droit d'utilisation de l'invention brevetée, à quelque degré que ce soit », et qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit un titulaire de licence ou un cessionnaire. Par conséquent, les arguments des appelantes selon lesquels Cilag AG n'était pas titulaire de licence sont insuffisants. Selon la preuve, Cilag AG faisait partie de la chaîne d'approvisionnement des intimées et tirait donc son rôle du breveté. Par conséquent, Cilag AG était une personne se réclamant du breveté.

[109] Je ne suis pas d'accord que le juge n'a pas tenu compte du retard des appelantes à tenter d'ajouter Cilag AG à titre de partie. Ce point a été traité adéquatement aux paragraphes 14 à 17 des motifs du juge au sujet de la requête.

[110] Les appelantes n'expliquent pas leur thèse selon laquelle le juge a commis une erreur en concluant que l'ajout de Cilag AG n'a pas créé une nouvelle action. Je ne constate aucune erreur en l'espèce.

[111] Enfin, je ne constate pas que l'absence d'interrogatoire préalable a causé un préjudice aux appelantes. L'ajout de Cilag AG à titre de personne se réclamant du breveté peut avoir une incidence sur l'établissement des dommages-intérêts ou des bénéfices lors de la prochaine étape de l'action en contrefaçon. Toutefois, les appelantes pourront effectuer l'interrogatoire préalable de Cilag AG lors de cette étape. Cela semblerait supprimer le préjudice allégué.

V. L'appel concernant la commission rogatoire pour l'interrogatoire préalable du Dr Maini (A-326-16)

[112] La décision visée dans la présente section a rejeté la requête présentée par Hospira en vue d'obtenir une commission rogatoire et une lettre de demande à la Haute Cour de justice du Royaume‑Uni afin d'obliger l'un des inventeurs du brevet 630, soit le Dr Maini, à témoigner au préalable. Le juge a conclu que la requête n'était pas présentée de bonne foi et qu'on ne rend pas habituellement des commissions rogatoires en vue d'obtenir une preuve au préalable. Les appelantes contestent ces deux conclusions, mais je ne constate aucune erreur. Les appelantes ne m'ont pas convaincu qu'il était erroné de conclure que la requête n'était pas présentée de bonne foi. De même, je ne suis pas convaincu que le juge ait commis une erreur en se fondant sur la règle générale selon laquelle la Cour ne rend pas de commission rogatoire pour obtenir une preuve au préalable.

VI. L'appel concernant l'ajournement du procès (A-328-16)

[113] La décision visée dans la présente section a rejeté la requête présentée par Hospira en vue d'ajourner le procès (ou une partie de celui-ci) afin de permettre la poursuite de l'interrogatoire préalable de l'autre inventeur du brevet 630, le Dr Feldmann. Le juge a noté que Hospira avait décliné d'effectuer des interrogatoires conformément à l'ordonnance du protonotaire en attendant l'appel de cette ordonnance sur la question de la durée de l'interrogatoire, même s'il n'y avait pas de sursis pendant l'appel. Le juge a conclu que Hospira avait accepté les risques découlant de son choix.

[114] Les arguments des appelantes à cet égard portent sur le présumé défaut du juge de tenir compte convenablement de l'intérêt de la justice. Je ne suis pas convaincu que le juge ait commis une erreur. L'une des principales affirmations des appelantes portait sur les honneurs accordés aux inventeurs, leur importance quant à la validité du brevet 630 et l'incapacité des appelantes à interroger les inventeurs à propos de ceux‑ci lors de l'interrogatoire préalable. À mon avis, cela n'est pas déterminant, car le juge a accordé peu d'importance aux honneurs décernés aux inventeurs et il ne les a pas liés directement à la validité du brevet 630.

VII. Conclusion

[115] J'accueillerais l'appel sur le fond avec dépens.

[116] À mon avis, l'erreur du juge lors de son examen du rapport scientifique du Kennedy Institute of Rheumatology et de l'article de M. Higgins en analysant la question de l'antériorité justifie un nouvel examen de cette question. De même, l'erreur du juge en excluant l'article de M. Higgins et le colloque de la FDA de l'examen de la question de l'évidence, et le manque de clarté dans l'examen par le juge de la question de l'essai allant de soi, justifient un nouvel examen de la question de l'évidence. Je renverrais l'affaire à la Cour fédérale pour nouvel examen des questions de l'antériorité et de l'évidence à la lumière des présents motifs.

[117] Compte tenu de ma conclusion qu'aucun élément de preuve n'étaye la conclusion de contrefaçon des revendications 12, 15, 28 et 31 du brevet 630, et puisque les revendications 37 et 38 n'étaient pas en litige, advenant que ces revendications soient jugées valides lors du nouvel examen, je modifierais les paragraphes 5, 6(a) et 6(b) du jugement sur le fond afin de supprimer ces revendications de la liste des revendications jugées contrefaites.

[118] Compte tenu de ma conclusion voulant qu'aucun élément de preuve n'indique que Celltrion Healthcare Co. Ltd. ou Celltrion, Inc. avait des activités au Canada, advenant que ces revendications soient jugées valides lors du nouvel examen, je modifierais le paragraphe 5 du jugement sur le fond afin de supprimer le renvoi à ces sociétés.

[119] Je rejetterais les autres appels avec dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A‑338‑18 (dossier principal), A‑326‑16, A‑328‑16, A‑329‑18

APPEL DU JUGEMENT DU JUGE PHELAN DE LA COUR FÉDÉRALE DU 28 SEPTEMBRE 2018, DOSSIER NO T‑396‑13

INTITULÉ :

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO. LTD., CELLTRION, INC. et PFIZER CANADA INC. c. THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC., CILAG GmbH INTERNATIONAL et CILAG AG

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 28 octobre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2020

Motifs modifiés prononcés le 30 mars 2021

COMPARUTIONS :

Warren Sprigings

Mary McMillan

Pour les appelantes

 

Andrew Skodyn

Melanie K. Baird

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SPRIGINGS INTELLECTUAL PROPERTY LAW

Toronto (Ontario)

Pour les appelantes

 

BLAKE CASSELS & GRAYDON S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les intimées

 

 

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