Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20191205


Dossier : A-346-18

Référence : 2019 CAF 302

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

ROSEMARY ANNE HOOD

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS,

AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA et

EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA – MAIN‑D’ŒUVRE

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN


Date : 20191205


Dossier : A-346-18

Référence : 2019 CAF 302

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

ROSEMARY ANNE HOOD

Appelante

Et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS,

AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA et

EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA – MAIN‑D’ŒUVRE

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1]  La docteure Rosemary Ann Hood est vétérinaire; elle a travaillé à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Après son congédiement, la Dre Hood a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, dans laquelle elle affirmait avoir été victime de pratiques discriminatoires dans le cadre de son ancien emploi en raison de son sexe et de sa déficience perçue. Elle a de plus affirmé que son employeur n’avait pas pris des mesures d’adaptation appropriées à son égard pour son syndrome du canal carpien.

[2]  La Commission canadienne des droits de la personne a choisi de ne pas donner suite à la plainte de la Dre Hood parce qu’elle n’avait pas été déposée en temps opportun et qu’elle était de nature vexatoire. La Commission a également conclu que certaines des allégations de la Dre Hood avaient déjà été traitées dans le cadre d’autres processus et qu’elle aurait dû exercer les autres recours qui lui étaient offerts en ce qui concerne les autres allégations.

[3]  La demande de contrôle judiciaire de cette décision présentée par la Dre Hood a été rejetée par la Cour fédérale dans une décision publiée sous la référence 2018 CF 958. Bien que la Dre Hood soutienne que la décision de la Cour fédérale devrait être annulée, la majorité de ses observations portaient sur la conduite de son ancien employeur, le traitement de ses plaintes et griefs par l’Agence canadienne d’inspection des aliments au cours des années précédant son congédiement et le bien-fondé de sa plainte initiale de discrimination. Peu d’observations concernaient des erreurs révisables qui auraient pu avoir été commises par la Commission canadienne des droits de la personne ou la Cour fédérale en l’espèce.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur dans la détermination des normes de contrôle à appliquer à la décision de la Commission de rejeter la plainte en matière de droits de la personne de la Dre Hood. Je ne suis pas non plus convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur dans la façon dont elle a appliqué ces normes en l’espèce. Par conséquent, je rejetterais l’appel de la Dre Hood.

I.  Les faits

[5]  La Dre Hood a commencé à travailler pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) en 2001. Elle est restée à l’emploi de l’ACIA jusqu’à son congédiement pour incapacité, le 16 septembre 2010.

[6]  La Dre Hood affirme qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination et a été confrontée à un milieu de travail hostile dans le cadre de son emploi à l’ACIA. Ces circonstances l’ont amenée, en mars 2008, à déposer une plainte pour harcèlement contre son superviseur aux termes de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail de l’ACIA. À la suite d’une enquête menée par un enquêteur externe, l’ACIA a rendu une décision finale concernant la plainte de la Dre Hood, confirmant une seule de ses nombreuses allégations de harcèlement.

[7]  Entre-temps, le 21 août 2008, la Dre Hood a communiqué avec la Commission canadienne des droits de la personne dans l’intention de déposer une plainte en matière de droits de la personne contre l’ACIA. Toutefois, la Commission l’a informée qu’il lui fallait utiliser le système de règlement des griefs de l’employeur avant de demander un redressement par le biais du processus de la Commission. Cet avis a par la suite été confirmé par lettre, et la Dre Hood a également été informée que, si elle voulait toujours déposer une plainte en matière de droits de la personne après avoir épuisé la procédure de règlement des griefs, elle devrait communiquer avec la Commission dans les 30 jours suivant l’avis d’une décision définitive concernant ses griefs.

[8]  Entre 2008 et 2010, le comportement de la Dre Hood en milieu de travail, ainsi que le ton et le contenu de ses courriels, ont soulevé des préoccupations chez ses superviseurs quant à sa santé et sa sécurité. Le 8 janvier 2010, l’ACIA a mis la Dre Hood en congé payé jusqu’à ce qu’elle se soumette à une évaluation de son aptitude au travail (EAT). Trois mois plus tard, l’ACIA a mis la Dre Hood en congé sans solde parce qu’elle refusait de se soumettre à une EAT. L’ACIA a par la suite mis fin à l’emploi de la Dre Hood, à compter du 16 septembre 2010, en raison de son refus continu de se soumettre à une EAT.

[9]  La Dre Hood a déposé un grief à l’encontre des décisions de la mettre en congé avec solde, puis sans solde. Elle a également déposé un grief à l’encontre de la décision de mettre fin à son emploi. Les deux premiers griefs ont été renvoyés à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), en application de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2. Ce mécanisme permettait aux employés de renvoyer des griefs à l’arbitrage lorsqu’ils avaient trait à des mesures disciplinaires prises à leur encontre et ayant entraîné une suspension, un licenciement ou une sanction pécuniaire. Pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires, le grief de la Dre Hood concernant son congédiement n’a pas fait l’objet d’une audience devant la CRTFP, et la Commission a jugé qu’il avait été abandonné.

[10]  Devant la CRTFP, la Dre Hood a allégué que les deux suspensions lui avaient été imposées de mauvaise foi et sans motifs raisonnables, et qu’elles constituaient une « une mesure disciplinaire déguisée ».

[11]  Dans une décision datée du 6 mai 2013 (publiée sous le numéro de dossier 2013 CRTFP 49), la CRTFP a rejeté les deux griefs de la Dre Hood concernant les congés. Après un examen détaillé de la preuve présentée par les parties concernant ces questions, la Commission a conclu que les mesures prises par l’ACIA relativement à la suspension de la Dre Hood (d’abord avec solde, puis sans solde) n’étaient pas de nature disciplinaire. Elles étaient plutôt le résultat de préoccupations légitimes de la part de l’ACIA concernant la santé mentale de la Dre Hood.

[12]  Compte tenu de sa conclusion que les actions donnant lieu aux griefs de la Dre Hood n’étaient pas de nature disciplinaire, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour les traiter et les deux griefs ont donc été rejetés. À l’audience de son appel, la Dre Hood a expliqué qu’elle n’avait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission puisqu’elle avait plutôt décidé de déposer une plainte en matière de droits de la personne. Bien que cela soit probablement le cas, le fait que la Dre Hood n’ait pas demandé un contrôle judiciaire de la décision de la CRTFP fait en sorte que cette décision est maintenant définitive.

[13]  Le 5 juin 2013, la Dre Hood a transmis par télécopieur à la Commission un formulaire de plainte rempli. Le 27 juin 2013, la Commission a informé la Dre Hood que sa plainte n’avait pas été présentée sous une forme acceptable. Entre juin 2013 et mars 2014, la Commission a communiqué avec la Dre Hood à plusieurs reprises pour lui expliquer comment procéder pour présenter sa plainte sous une forme acceptable. Le 10 mars 2014, la Commission a finalement reçu la plainte de la Dre Hood sous une forme acceptable.

[14]  La Commission a ensuite nommé un enquêteur pour examiner la plainte de la Dre Hood. Après avoir reçu l’information des parties, y compris plus de 300 pages de documents fournis par la Dre Hood, l’enquêteur de la Commission a publié un [TRADUCTION] « rapport aux termes des articles 40 et 41 ». Ce rapport recommandait à la Commission de ne pas traiter la plainte de la Dre Hood en se fondant sur les alinéas 41(1)a), d) et e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP).

[15]  Ces dispositions (dont le texte intégral est joint en annexe aux présents motifs) permettent à la Commission de refuser de traiter les plaintes relatives aux droits de la personne dans diverses situations. Cela comprend, entre autres, les cas où la Commission estime que la victime de l’acte discriminatoire allégué devrait d’abord épuiser les recours qui lui sont normalement ouverts. La Commission peut également refuser de traiter une plainte s’il semble que celle-ci est vexatoire ou qu’elle est fondée sur des actes ou des omissions dont le dernier s’est produit plus d’un an avant le dépôt de la plainte.

[16]  Dans cette affaire, l’enquêteur a conclu que la Dre Hood n’avait pas fait preuve de diligence dans le dépôt de sa plainte et que celle-ci était vexatoire, compte tenu des recours qu’elle exerçait déjà dans son milieu de travail. En outre, l’enquêteur était convaincu que toutes les allégations de la Dre Hood qui n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision auraient pu être traitées par d’autres mécanismes de recours qui lui étaient normalement ouverts. La Commission a accepté la recommandation de l’enquêteur et a conclu qu’elle ne donnerait pas suite à la plainte de la Dre Hood.

II.  La décision de la Cour fédérale

[17]  Tout en notant que les motifs de la Dre Hood pour demander un contrôle judiciaire étaient « vastes et complexes », la Cour fédérale a fait remarquer que la majorité de ses observations ne portaient pas sur la façon dont sa plainte avait été traitée par la Commission, mais plutôt sur le traitement de ses plaintes et griefs par l’ACIA.

[18]  La Cour a noté que le mandat de la Commission l’obligeait à traiter les plaignants de façon équitable et raisonnable, mais qu’elle n’était pas tenue de mener le genre d’enquête de grande envergure sur les activités de l’ACIA que demandait la Dre Hood. La Cour fédérale a également noté que son propre rôle se limitait à déterminer si la Commission avait traité la plainte de la Dre Hood de manière équitable et raisonnable.

[19]  Tout en notant que la Dre Hood n’avait pas fait d’allégations précises d’iniquité procédurale de la part de la Commission, la Cour fédérale a néanmoins examiné le processus qu’elle avait suivi pour traiter sa plainte. La Cour a conclu que la Commission avait traité la Dre Hood de façon équitable, puisqu’elle avait eu l’occasion de présenter des observations à l’enquêteur et à la Commission. La Cour a également conclu que le rapport de l’enquêteur était rigoureux et qu’il comprenait une évaluation équitable de la preuve et du contexte de la plainte de la Dre Hood.

[20]  La Cour fédérale était également convaincue que la décision de la Commission était raisonnable. Elle a fait remarquer que la décision de ne pas donner suite à la plainte de la Dre Hood reposait sur trois fondements législatifs distincts, chacun étant appuyé par des éléments de preuve détaillés présentés dans le rapport de l’enquêteur et adoptés par la Commission. La Cour a également fait remarquer que, pour obtenir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, la Dre Hood devait démontrer que les trois motifs invoqués par la Commission étaient incompréhensibles, injustifiés ou indéfendables, mais qu’elle n’en avait contesté aucun directement.

[21]  Tel que la Cour fédérale a compris les arguments de la Dre Hood, elle contestait la décision de la Commission au motif qu’elle excluait le type de vaste examen qu’elle demandait relativement à la façon dont ses plaintes et griefs avaient été traités par l’ACIA. La Cour a toutefois souligné que la seule responsabilité de la Commission était d’examiner la plainte que la Dre Hood avait déposée en 2014 et de prendre une décision raisonnable quant à son traitement. La Cour a conclu que c’est ce que la Commission avait fait et que sa décision était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la Dre Hood a été rejetée.

III.  Le rôle de la Cour

[22]  Dans un appel comme celui-ci d’une décision de la Cour fédérale, la tâche de la Cour n’est pas de se plonger dans les faits qui sous-tendent la plainte de la Dre Hood en matière de droits de la personne, ni de réexaminer la preuve présentée par les parties. Ce n’est pas non plus le rôle de la Cour de prendre la décision qu’elle estime que la Commission aurait dû prendre : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 R.C.S. 339.

[23]  Le rôle de la Cour est plutôt de déterminer si la Cour fédérale a identifié la norme de contrôle appropriée à appliquer à la décision de la Commission et si elle a appliqué cette norme correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47, [2013] 2 R.C.S. 559.

IV.  La Cour fédérale a-t-elle déterminé correctement la norme de contrôle appropriée?

[24]  La Dre Hood affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en faisant preuve de retenue à l’égard de la décision de la Commission de ne pas traiter sa plainte en matière de droits de la personne. Bien qu’elle ne cite aucune jurisprudence à l’appui de sa demande, la Dre Hood affirme que la Cour aurait plutôt dû examiner la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision correcte.

[25]  Il est vrai que, lorsqu’il est allégué qu’une personne a été traitée injustement dans un régime administratif (comme le processus de traitement des plaintes de la Commission), la cour de révision doit examiner le processus qui a été suivi dans l’affaire en question et déterminer elle-même si ce processus a satisfait aux critères d’équité dictés par les circonstances. En d’autres termes, la cour de révision doit appliquer la norme de la décision correcte : arrêt Khosa, précité, au paragraphe 43; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 R.C.S. 502.

[26]  Toutefois, je ne peux accepter la prétention de la Dre Hood selon laquelle la Cour fédérale aurait dû revoir le fond de la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision correcte. En effet, selon une jurisprudence importante qui lie notre Cour, lorsqu’une décision administrative comporte l’évaluation des faits d’une affaire donnée, il faut faire preuve de retenue à l’égard de cette décision : voir, par exemple, l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, aux paragraphes 29 et 30, [2018] 2 R.C.S. 230.

[27]  La Cour suprême a également statué que les décisions discrétionnaires prises par les commissions des droits de la personne méritent la déférence : Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 17, [2012] 1 R.C.S. 364. De plus, la Cour a expressément déterminé que les décisions prises par la Commission en application de l’article 41 de la LCDP doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, paragraphes 40 à 42, 474 N.R. 366, autorisation d’interjeter appel refusée, [2015] CSCR n438. Cela s’explique par le fait que les décisions rendues à l’issue d’un examen préalable prises aux termes de l’article 41 de la LCDP supposent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur les faits de l’affaire, les politiques et l’expertise de la Commission : arrêt Bergeron, ci-dessus, aux paragraphes 41 et 45. Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable dans l’examen du fond de la décision de la Commission concernant la plainte de la Dre Hood.

[28]  La question suivante est de savoir si la Commission a correctement appliqué les normes de contrôle pertinentes dans l’affaire de la Dre Hood.

V.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la Dre Hood avait été traitée équitablement par la Commission?

[29]  Tout en notant que la Dre Hood n’avait pas fait d’allégations précises d’iniquité procédurale de la part de la Commission, la Cour fédérale a néanmoins examiné la question de savoir s’il y avait eu manquement à l’équité procédurale dans son cas.

[30]  Il est vrai que la Cour fédérale n’a pas expressément indiqué la norme de contrôle à appliquer pour déterminer si la Dre Hood avait été traitée équitablement par la Commission. Il est toutefois évident, d’après les motifs de la Cour, qu’elle a examiné le processus suivi par la Commission pour traiter la plainte de la Dre Hood en matière de droits de la personne et qu’elle a déterminé de son propre chef si la Dre Hood avait bénéficié du niveau approprié d’équité procédurale. Il s’agit de la bonne approche, et aucune erreur n’a été démontrée à cet égard.

[31]  La Cour fédérale a également conclu que la Dre Hood avait été traitée équitablement dans le cadre du processus de la Commission. Je souscris à cette conclusion.

[32]  La Commission a avisé la Dre Hood que des facteurs liés à l’article 41 étaient en jeu dans son cas. De plus, elle a été en mesure de présenter des observations à l’enquêteur et de lui fournir tous les documents qu’elle jugeait pertinents dans son cas. Le rapport de l’enquêteur était rigoureux et contenait une évaluation juste de la preuve fournie par les parties. Par la suite, la Dre Hood a reçu le rapport de l’enquêteur et a pu présenter des observations supplémentaires en réponse à ce rapport. Ces observations ont ensuite été prises en compte par la Commission pour en arriver à sa décision. Dans ces circonstances, je suis convaincue que la Dre Hood a été traitée équitablement par la Commission.

VI.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la décision de la Commission était raisonnable?

[33]  Comme ce fut le cas à la Cour fédérale, la majorité des observations de la Dre Hood à la Cour fédérale n’ont pas porté sur les erreurs relatives à la manière dont la Commission a traité sa plainte en matière de droits de la personne. Elles portaient plutôt sur le bien-fondé de sa plainte sous-jacente, sur ce qu’elle considère comme des erreurs commises par l’ACIA dans le traitement de ses plaintes et griefs, ainsi que sur les prétendues erreurs dans les dossiers de santé provinciaux.

[34]  La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que la décision de la Commission de ne pas traiter la plainte de la Dre Hood en matière de droits de la personne était raisonnable. Comme nous l’avons déjà mentionné, il n’incombait pas à la Cour fédérale de mener une nouvelle enquête sur la plainte. Il n’appartenait pas non plus à la Cour fédérale de réévaluer la preuve dont la Commission était saisie et de décider elle-même si la Commission aurait dû traiter la plainte de la Dre Hood. La Cour fédérale était plutôt chargée de déterminer si la décision de la Commission était justifiée, transparente et intelligible, et si elle faisait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190.

[35]  La décision de la Commission indique clairement pourquoi elle a décidé de ne pas donner suite à la plainte en matière de droits de la personne de la Dre Hood, et sa décision était justifiée, transparente et intelligible. De plus, comme je l’expliquerai plus loin, je suis également convaincue qu’elle faisait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[36]  En ce qui concerne le respect des délais de la plainte, la Commission a conclu que le retard dans le dépôt de la plainte, entre 2008 et juin 2013, était attribuable au fait que la Dre Hood s’était engagée dans le processus de règlement des griefs. Cela était conforme à la politique de la Commission, qui exigeait que les plaignants épuisent les autres mécanismes de recours avant de déposer une plainte en matière de droits de la personne, et la Commission n’a pas blâmé la Dre Hood pour ce retard.

[37]  Toutefois, la Commission a conclu qu’un délai de huit mois s’était écoulé entre juin 2013, période où la Dre Hood a tenté pour la première fois de réactiver sa plainte, et mars 2014, lorsqu’elle a finalement fourni à la Commission les documents relatifs à la plainte sous une forme acceptable. La Commission a conclu que ce retard était imputable à la Dre Hood et qu’il était le résultat d’un manque de diligence de sa part. Cela a amené la Commission à conclure qu’elle ne devait pas traiter la plainte en application de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, car elle n’a pas été déposée en temps opportun.

[38]  Lors de l’audition de son appel, la Dre Hood a suggéré que la Commission avait peut-être tardé à trouver son dossier parce que son nom avait été mal orthographié dans les dossiers de la Commission. Elle a également déclaré qu’elle a eu besoin de temps pour faire des recherches sur les questions relatives à sa déficience alléguée avant de finaliser sa plainte en matière de droits de la personne. Toutefois, ces explications n’ont pas été fournies à la Commission dans la réponse de la Dre Hood au rapport d’enquête, et elle n’a pas non plus souligné de preuve au dossier qui pourrait appuyer ses allégations ou miner de toute autre façon le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission sur la question du délai.

[39]  Aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la LCDP, la Commission peut refuser de traiter une plainte en matière de droits de la personne si elle estime que la victime de l’acte discriminatoire allégué devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts.

[40]  L’enquêteur a conclu que la Dre Hood avait eu l’occasion de soulever les autres préoccupations qu’elle avait soulevées dans sa plainte en matière de droits de la personne (comme le harcèlement présumé par des collègues et le défaut d’accommoder son syndrome du canal carpien) au moyen des procédures dont elle pouvait se prévaloir à l’ACIA. La conclusion selon laquelle le fait que la Dre Hood n’ait pas épuisé ces processus internes de règlement des différends constituait un motif légitime pour la Commission de refuser d’examiner sa plainte plus avant, ainsi que sa conclusion sur cette question, étaient raisonnablement loisibles à la Commission dans le dossier dont elle disposait.

[41]  Enfin, la Commission a conclu que la plainte de la Dre Hood était « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, car elle avait déjà demandé réparation pour la plus grande partie de l’inconduite qui était à la source de sa plainte auprès de la Commission. La plainte de harcèlement de la Dre Hood avait fait l’objet d’une enquête approfondie par un enquêteur externe engagé par l’ACIA, qui avait déterminé qu’une seule des nombreuses allégations de conduite inappropriée de la part de son superviseur avait été formulée. De l’avis de la Commission, le fond de la plainte de harcèlement de la Dre Hood était essentiellement similaire aux allégations contenues dans sa plainte en matière de droits de la personne. Une fois de plus, il est évident, à la lumière du dossier, que la Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

[42]  De plus, certaines des questions de discrimination soulevées dans la plainte de la Dre Hood en matière de droits de la personne avaient été abordées dans les griefs qu’elle avait déposés contre son employeur relativement à sa suspension et à son congédiement. Son grief de licenciement a été déclaré abandonné, et les griefs relatifs à ses suspensions ont été traités par la CRTFP.

[43]  Il est vrai que la CRTFP n’a pas traité les griefs de suspension de la Dre Hood sur le fond parce qu’elle a conclu que les mesures prises par l’employeur n’étaient pas de nature disciplinaire. Elle a toutefois formulé des conclusions concernant le comportement de la Dre Hood en milieu de travail et les motifs de l’ACIA pour demander qu’elle subisse une EAT. Ces conclusions (qui sont maintenant finales) l’ont amenée à conclure que les actions de l’ACIA étaient justifiées et qu’elles étaient motivées par une préoccupation légitime quant à l’état de santé de la Dre Hood.

[44]  Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle la plainte de la Dre Hood en matière de droits de la personne était vexatoire compte tenu des mesures de redressement qu’elle avait déjà prises ou qu’elle aurait pu prendre dans son milieu de travail était loisible en fonction du dossier qui lui avait été présenté.

VII.  Conclusion

[45]  La Commission avait trois raisons différentes pour décider de ne pas donner suite à la plainte de la Dre Hood en matière de droits de la personne, et l’une d’entre elles aurait fourni un fondement suffisant pour sa décision. La Commission a appliqué le critère approprié dans chaque cas, et elle a examiné les observations et les éléments de preuve qui avaient été présentés par la Dre Hood sur chaque point. Sa décision était justifiée, transparente et intelligible, et elle faisait clairement partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il s’agissait donc d’une décision raisonnable et il n’y a aucune raison que la Cour intervienne.

VIII.  Règlement proposé

[46]  Pour les motifs précités, je serais d’avis de rejeter l’appel de la Dre Hood, sans dépens.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D. G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Annexe

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

[…]

[…]

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-346-18

 

 

INTITULÉ :

ROSEMARY ANNE HOOD c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS, AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA et EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA – MAIN-D’ŒUVRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 novembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Rosemary Anne Hood

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Erica Haughey

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

 

Pour les intimés

 

 

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