Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20191010


Dossier : A-231-18

Référence : 2019 CAF 251

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

ARTHUR KEITH

appelant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET FORCES ARMÉES CANADIENNES

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 octobre 2019.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 10 octobre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20191010


Dossier : A-231-18

Référence : 2019 CAF 251

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

ARTHUR KEITH

appelant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET FORCES ARMÉES CANADIENNES

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 10 octobre 2019)

LA JUGE GLEASON

[1]  L’appelant interjette appel de la décision rendue par la Cour fédérale (sous la plume du juge Brown) dans le jugement Keith c. Canada (Commission des droits de la personne), 2018 CF 645, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant à l’encontre de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP ou le Tribunal) intitulée Keith c. Commission des droits de la personne et autre, 2017 TCDP 32. Dans cette décision, le TCDP a rejeté l’allégation de discrimination formulée par l’appelant après que les Forces armées canadiennes eurent refusé de l’embaucher comme psychiatre du fait qu’il ne possédait pas l’agrément de spécialiste en psychiatrie du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (le CRMCC).

[2]  L’appelant est né aux États-Unis et il y a fait toutes ses études en médecine et sa formation de spécialiste en psychiatrie. Il est reconnu comme spécialiste en psychiatrie aux États-Unis et il est également agréé par l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (l’OMCO), qui le reconnaît comme un spécialiste en Ontario. La reconnaissance de l’OMCO n’est toutefois pas reconnue par toutes les administrations canadiennes. Durant la période visée par la plainte, les Forces armées canadiennes exigeaient que tous les psychiatres soient agréés par le CRMCC (ou par un organisme équivalent au Québec) afin de pouvoir offrir un niveau de soins uniforme à l’ensemble des patients ambulatoires des Forces armées canadiennes, partout au pays.

[3]  Le Tribunal a conclu que l’appelant n’a pas présenté de preuve à première vue de discrimination, et ce, pour deux motifs principaux. Premièrement, le Tribunal a conclu que l’appelant n’a pu établir qu’il présentait une caractéristique protégée contre la discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 1985, ch. H-6 (la LCDP), précisant que l’appelant n’avait pu établir que le lieu de ses études était un substitut de son origine nationale (l’un des motifs protégés par la LCDP). Deuxièmement, le Tribunal a conclu que l’appelant n’a pu établir qu’il a fait l’objet d’un traitement défavorable en raison de son lieu d’études ou de son lieu d’origine, tout en jugeant que la preuve était insuffisante pour conclure que l’exigence des Forces armées canadiennes relative à l’agrément par le CRMCC désavantageait les médecins ou les psychiatres formés aux États-Unis. Le TCDP a estimé que ces conclusions étaient suffisantes pour rejeter la plainte de l’appelant. Le Tribunal a également examiné les arguments invoqués par les Forces armées canadiennes et conclu que le fait pour les Forces armées canadiennes d’exiger qu’un candidat soit agréé par le CRMCC constituait une exigence professionnelle justifiée et que les Forces armées canadiennes avaient donc le droit d’imposer une telle exigence. Le Tribunal a donc rejeté la plainte de l’appelant.

[4]  La Cour fédérale a jugé que la décision du TCDP était sujette à révision par rapport à la norme de la décision raisonnable et elle a ensuite conclu que cette décision était raisonnable. Elle a également conclu que le Tribunal n’avait pas contrevenu au droit à l’équité procédurale de l’appelant et elle a donc rejeté sa demande de contrôle judiciaire.

[5]  Comme le présent appel porte sur un jugement concernant une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et décider si celle-ci a employé la norme de contrôle appropriée et, le cas échéant, si elle l’a appliquée correctement, comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46.

[6]  En l’espèce, la Cour fédérale a appliqué les normes de contrôle appropriées, à savoir la norme de la décision correcte (ou l’absence de retenue) pour examiner la question de l’équité procédurale et la norme de la décision raisonnable pour juger du bien-fondé de la décision du Tribunal. Sur ce dernier point, il convient de préciser qu’il est maintenant bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique à la fois à l’interprétation que fait le TCDP de la LCDP et à l’application de cette loi aux faits qui sont présentés au Tribunal : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230, aux paragraphes 27 à 29. La jurisprudence citée par l’appelant, selon laquelle les interprétations que le Tribunal fait de la LCDP sont sujettes à révision par rapport à la norme de la décision correcte – principalement la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, [2015] 2 R.C.F. 595 et la jurisprudence qui y est mentionnée – a été remplacée par le jugement rendu par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général).

[7]  Pour juger du caractère raisonnable de la décision du Tribunal sur le fond, il suffit d’examiner une seule des questions soulevées par l’appelant, et ce dernier doit avoir gain de cause sur ce point pour que la décision du TCDP soit infirmée. Contrairement à ce que prétend l’appelant, il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure que l’appelant n’a pas réussi à établir que le traitement défavorable dont il a fait l’objet de la part des Forces armées canadiennes était attribuable à son lieu d’études ou à son lieu d’origine, les éléments de preuve présentés étant insuffisants pour conclure que le processus d’agrément du CRMCC nuit aux médecins ou aux psychiatres qui ont fait leurs études aux États-Unis. Il était loisible au Tribunal de tirer cette conclusion, notamment vu l’absence de preuve statistique établissant que les médecins, spécialistes ou psychiatres formés aux États-Unis échouent dans une proportion démesurée ou sont de quelque manière défavorisés lors du processus d’agrément.

[8]  Quant aux allégations relatives au manquement à l’équité procédurale, il était là encore loisible au Tribunal d’examiner l’absence de preuve d’adversité et de conclure que ce facteur était déterminant. De fait, cette question était au cœur des revendications de l’appelant contestant les pratiques d’embauche des Forces armées canadiennes, ce dernier prétendant qu’il avait été défavorisé parce que les Forces armées canadiennes exigeaient qu’il soit agréé par le CRMCC. Il n’y avait donc rien de répréhensible dans le fait que le Tribunal se concentre sur cette question ou qu’il conclut qu’il incombait à l’appelant de produire des éléments de preuve à l’appui, car il est bien établi qu’il incombe au demandeur d’établir l’existence à première vue de discrimination : Moore c. Colombie-Britannique, 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360, au paragraphe 33.

[9]  Nous notons enfin que l’appelant fait essentiellement valoir qu’il était inutile pour lui d’obtenir l’agrément du CRMCC pour exercer la psychiatrie au sein des Forces armées canadiennes. Il ne s’agit toutefois pas du point en litige dans une affaire de discrimination, où il incombe plutôt au demandeur de faire la preuve à première vue de discrimination.

[10]  Le présent appel sera donc rejeté avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-231-18

 

 

INTITULÉ :

ARTHUR KEITH c. COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET FORCES ARMÉES CANADIENNES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 octobre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LA JUGE GLEASON

COMPARUTIONS :

David Baker

Laura Lepine

Pour l’appelant

 

Wendy Wright

Joseph Cheng

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bakerlaw

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour les intimées

 

 

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