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Date : 20191022


Dossier : A-161-18

Référence : 2019 CAF 263

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

CANADIAN AIRPORT WORKERS UNION

demandeur

et

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE ET SÉCURITÉ PRÉEMBARQUEMENT GARDA INC.

défenderesses

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 septembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20191022


Dossier : A-161-18

Référence : 2019 CAF 263

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

CANADIAN AIRPORT WORKERS UNION

demandeur

et

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE ET SÉCURITÉ PRÉEMBARQUEMENT GARDA INC.

défenderesses

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] La présente demande de contrôle judiciaire est la dernière escarmouche dans la lutte menée par deux syndicats pour obtenir le droit de représenter une unité de négociation regroupant des travailleurs affectés aux services de contrôle de sécurité avant l’embarquement aux aéroports de la région de Toronto (aéroport international Pearson, aéroport Buttonville et aéroport Billy Bishop). Le demandeur, Canadian Airport Workers Union (CAWU), a acquis les droits de négociation lorsqu’il a délogé l’agent négociateur initial, la section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters, après un vote pour la représentation syndicale qui s’est tenu en 2009 : Canadian Airport Workers Union c. Sécurité préembarquement Garda inc., 2012 CCRI 651, au paragraphe 1 (décision CAWU 2012). En 2012, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA), l’une des défenderesses, a à son tour délogé le CAWU : décision CAWU 2012, au paragraphe 2. En 2015, le CAWU a déposé une demande visant à déloger l’AIMTA, sans succès : Canadian Airport Workers Union c. Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2015 CCRI 764 (décision CAWU 2015). La présente demande fait suite à la deuxième tentative du CAWU de déloger l’AIMTA en 2018.

[2] Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a rejeté la demande du CAWU pour déloger l’AIMTA dans une décision portant le numéro de référence 2018 CCRI 878 (la décision), au motif que la preuve d’adhésion n’était pas fiable et que, quoi qu’il en soit, la preuve d’adhésion n’était pas suffisante pour démontrer qu’il avait l’appui de la majorité des membres de l’unité de négociation. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur de l’une des défenderesses, l’AIMTA.

II. Exposé des faits

[3] Une demande visant à déloger un agent négociateur existant doit être accompagnée des éléments de preuve de l’appui sous la forme d’une demande d’adhésion signée et d’un paiement d’au moins cinq dollars au syndicat demandeur dans les six mois précédant la demande : voir Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520, art. 31 (le Règlement).

[4] Le Conseil a une politique de longue date selon laquelle une demande pour tenir un scrutin de représentation dans le but de déloger le syndicat en place ne sera acceptée que si le syndicat demandeur démontre qu’il a l’appui de la majorité des employés de l’unité de négociation : CJMS Radio Montréal (Québec) Limitée (1978), 33 di 393, à la page 412, [1980] 1 Can. L.R.B.R. 270; Algoma Central Marine, une division de Algoma Central Corporation, 2009 CCRI 469, au paragraphe 18 (décision Algoma Central Marine). En revanche, le Conseil n’ordonnera pas la tenue d’un scrutin de représentation si la preuve d’appui des employés à l’égard du syndicat demandeur est telle que le vote est considéré comme acquis : Télébec Ltée (1995), 99 di 141, à la page 145, 96 CLLC 220-040 (C.C.R.T.); Syndicat des travailleuses et travailleurs de Transport F. Lussier - CSN c. Transport F. Lussier Inc, 2013 CCRI 678, au paragraphe 34.

[5] L’AIMTA a apparemment eu vent de la campagne de recrutement menée par le CAWU et a tenté de minimiser la preuve d’appui en demandant aux employés de signer des cartes afin de confirmer leur appui à l’AIMTA et en révoquant toute carte d’adhésion que les membres auraient pu signer à l’appui du CAWU. Ces cartes ont ensuite été soumises au CAWU et au Conseil. L’AIMTA soutient qu’elle a demandé aux employés s’ils accepteraient de signer ces cartes sans leur demander quel était le syndicat qu’ils appuyaient. Par conséquent, le nombre de cartes signées aurait pu être plus élevé (et l’a effectivement été) que le nombre de cartes signées par les employés soutenant le CAWU.

[6] Le CAWU a réagi à cette initiative en déposant une plainte de pratiques de travail déloyales, tout en soutenant que l’AIMTA avait tenté de nuire à sa campagne de syndicalisation en produisant des documents censés être des révocations d’adhésion : voir la décision, au paragraphe 7. Le lendemain du dépôt de la plainte de pratiques de travail déloyales, le CAWU a déposé sa demande d’accréditation, accompagnée de la preuve d’appuis.

[7] En réponse à la demande d’accréditation, l’AIMTA a allégué que la preuve d’adhésion déposée par le CAWU n’était pas fiable puisque le CAWU avait sollicité des demandes d’adhésion sans obtenir le paiement de cinq dollars, comme l’exige l’article 31 du Règlement.

[8] Les parties ne s’entendaient pas non plus sur le nombre d’employés membres de l’unité de négociation, un chiffre qui est évidemment important pour répondre à la question concernant l’appui de la majorité. Pour déterminer l’appui de la majorité, le CAWU a cherché à exclure les employés qu’il considérait comme « inactifs », soit ceux qui étaient absents depuis six mois ou plus et qui, selon le CAWU, avaient perdu l’accréditation requise pour assurer la sécurité avant l’embarquement.

[9] De son côté, l’AIMTA a fait valoir que les employés qui avaient obtenu leur autorisation de sécurité ou qui étaient en attente de cette autorisation après le dépôt de la plainte de pratiques de travail déloyales, mais qui n’avaient pas encore terminé le processus d’accréditation de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) (contrôleurs préaccrédités), devraient être inclus dans l’unité. Les responsabilités limitées des contrôleurs préaccrédités ne correspondaient pas exactement à la description de tâche dans le libellé de l’accréditation. Malgré ce fait, l’AIMTA a affirmé que ces employés devaient être inclus dans l’unité de négociation puisqu’ils payaient leurs cotisations syndicales et détenaient des droits aux termes de l’entente collective.

[10] Au cours de ce débat, le CAWU a demandé au Conseil d’ordonner à l’employeur de produire les listes d’employés qu’il fournissait à l’ACSTA, ainsi que des listes d’ancienneté, dans lesquelles on pourrait voir les employés « actifs » de l’unité. Le Conseil a refusé de rendre cette ordonnance, mais a demandé à l’employeur de fournir des renseignements supplémentaires sur le statut des employés qui figuraient sur la liste, ce qu’il a accepté de faire.

[11] À la lumière des allégations formulées par les syndicats et conformément aux procédures établies, le Conseil a délégué ses pouvoirs d’enquête à plusieurs responsables des relations industrielles (RRI) pour vérifier les renseignements sur l’adhésion soumis par le CAWU et les renseignements sur la révocation soumis par l’AIMTA. Les RRI ont vérifié, au moyen d’entrevues confidentielles menées en personne et au téléphone, les renseignements qui figuraient dans les demandes d’adhésion et les cartes de révocation d’adhésion pour s’assurer que la preuve était fiable et parfaitement représentative des souhaits des employés.

[12] Les RRI ont fait part de leurs conclusions auprès du Conseil dans un rapport confidentiel. Le Conseil a demandé d’autres renseignements, ce que les RRI ont fourni dans un rapport supplémentaire. Conformément à la politique de longue date du Conseil, ces rapports ont été traités en tout temps comme confidentiels par le Conseil et n’ont pas été divulgué aux parties.

[13] L’enquête des RRI a révélé qu’un nombre important d’employés ayant signé des demandes d’adhésion n’avaient pas payé les droits d’adhésion de cinq dollars exigés. Elle a également déterminé, dans au moins un cas, que ce paiement avait en fait été versé au nom de l’employé par une autre personne que ledit employé : voir la décision, au paragraphe 42. Le Conseil a souligné qu’il a toujours affirmé que le paiement des droits d’adhésion par un employé était une exigence importante et non une simple formalité. Les syndicats qui soumettent une demande ont été avisés que la non-conformité à cette exigence pourrait entraîner le rejet de la preuve d’adhésion : voir la décision, aux paragraphes 44 à 46.

[14] Au paragraphe 47 de la décision, le Conseil a conclu ce qui suit :

[...] le nombre de cartes d’adhésion au CAWU entachées d’irrégularité est suffisant pour soulever des préoccupations et des doutes sérieux quant à la question de savoir si, parmi les éléments de preuve produits, il y en a qui témoignent réellement de l’intention des employés. Ainsi, la preuve d’adhésion irrégulière entache l’ensemble de la preuve d’adhésion du CAWU, et le Conseil n’est pas disposé à se fier à la preuve présentée par le CAWU pour décider s’il ordonnera la tenue d’un scrutin de représentation. Le Conseil rejette la demande d’accréditation pour ce seul motif.

[15] Après avoir affirmé qu’il rejetterait la demande du CAWU en se fondant sur la fiabilité de la preuve d’adhésion, le Conseil a ensuite examiné le caractère suffisant de la preuve d’adhésion présentée subsidiairement. Il a commencé à examiner la demande du CAWU pour obtenir des listes d’employés supplémentaires (voir le paragraphe 10 précité). Le Conseil a rejeté la demande du CAWU au motif que les listes d’employés obtenues auprès de l’employeur étaient suffisantes pour déterminer la composition de l’unité de négociation et que, par conséquent, elles étaient suffisantes aux fins de la demande du CAWU.

[16] Le Conseil a ensuite examiné l’objection formulée par le CAWU relativement à diverses catégories d’employés absents. Le Conseil a réitéré son approche qui consiste à inclure dans l’unité de négociation « toute personne absente dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle retourne au travail, en vertu de certains droits conférés par une convention collective ou par la loi, et ce, peu importe la raison de l’absence » : voir la décision, au paragraphe 57. En se fondant sur ce principe, le Conseil a inclus dans l’unité de négociation les employés en congé parental ou de maternité, les employés congédiés, mais au nom desquels des griefs ont été présentés, et les employés en congé pour activités syndicales.

[17] Le Conseil a résumé comme suit sa conclusion sur le caractère suffisant de la preuve d’appui du CAWU (au paragraphe 63) :

Le Conseil est par conséquent convaincu, sur le fondement de la preuve que révèle le rapport confidentiel, qu’en écartant seulement les cartes d’adhésion irrégulières et en prenant en considération les trois catégories d’inclusions susmentionnées, l’appui dont bénéficie le CAWU est inférieur au seuil exigé pour qu’un scrutin soit ordonné. Il convient également de souligner que n’entrent en jeu, dans cette analyse, ni le groupe des contrôleurs préaccrédités, dont l’inclusion est contestée, ni aucune autre objection soulevée par le CAWU, par exemple en ce qui concerne les employés en congé médical autorisé, en congé par suite d’un accident de travail, ou en congé autorisé pour des raisons diverses.

[18] La conclusion du Conseil mérite qu’on s’y arrête. Pour déterminer le niveau d’appui du CAWU, le Conseil a exclu (« écarté ») uniquement les demandes d’adhésion du CAWU qui, selon lui, n’étaient pas accompagnées du paiement des droits d’adhésion de cinq dollars. En outre, bien que le Conseil ait inclus les trois groupes d’employés susmentionnés dans l’unité, il n’a pas inclus dans l’unité les contrôleurs préaccrédités dont l’inclusion a été contestée par le CAWU, ni les autres groupes d’employés absents comme ceux en congé de maladie, en congé par suite d’un accident de travail ou en congé pour diverses raisons. Plus loin dans sa décision, le Conseil a également indiqué qu’il n’avait pas tenu compte de la preuve de révocation de l’adhésion de l’AIMTA. En d’autres termes, malgré le fait que le Conseil a pris la défense du CAWU pour plusieurs questions, notamment celle de l’exclusion des contrôleurs préaccrédités, le CAWU n’avait pas l’appui de la majorité des travailleurs de l’unité de négociation.

[19] En ce qui concerne la plainte de pratiques de travail déloyales déposée par le CAWU, le Conseil a décidé que, étant donné qu’il n’avait pas tenu compte de la preuve de révocation de l’adhésion de l’AIMTA, il ne servirait à rien, sur le plan des relations de travail, de trancher cette question. Le Conseil a donc rejeté la plainte.

III. Question en litige

[20] Dans son mémoire des faits et du droit, le CAWU a fait état d’une crainte raisonnable de partialité de la part de l’un des RRI qui ont préparé les rapports confidentiels pour le Conseil. Comme cette allégation doit être renvoyée pour nouvel examen devant le Conseil, le CAWU a avisé la Cour qu’il abandonnait ce motif de contrôle judiciaire, sous réserve de droits qu’il pourrait avoir dans le contexte d’une décision en réexamen éventuelle. Après le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire, le CAWU a été autorisé à déposer un nouvel élément de preuve selon lequel la décision du Conseil a été prise sur la base de faux témoignages. Après certaines procédures préliminaires devant le tribunal saisi de l’appel, le CAWU a également abandonné ce motif de contrôle judiciaire.

[21] Le CAWU a résumé brièvement sa thèse devant la Cour en trois points, l’un de ces points étant son argument principal (« plus important ») et les deux autres, ses arguments subsidiaires (« moins importants »). Le principal argument est que le Conseil l’a privé de l’équité procédurale lorsqu’il a traité les demandes d’accréditation sur la base de rapports confidentiels de RRI, le brimant ainsi dans son droit fondamental de connaître les éléments de preuve à réfuter et de faire valoir ses arguments. Les arguments subsidiaires étaient que le Conseil a commis une erreur en n’ordonnant pas que des listes d’employés supplémentaires soient fournies afin de clarifier le nombre d’employés dans l’unité de négociation et en n’ordonnant pas la tenue d’un scrutin de représentation à la lumière du conflit d’appartenance au sein de l’unité de négociation.

IV. Discussion

A. Norme de contrôle

[22] Aux termes de l’alinéa 28(1)h) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, chapitre F-7, notre Cour siège à titre de tribunal de première instance pour examiner les décisions du Conseil. Par conséquent, la norme de contrôle est présumée être celle de la décision raisonnable pour les questions de droit découlant de l’interprétation de la loi constitutive d’un tribunal ou d’une loi étroitement liée à son mandat: McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragraphe 21, [2013] 3 R.C.S. 895 (arrêt McLean); Groia c. Barreau du Haut‑Canada, 2018 CSC 27, au paragraphe 46, [2018] 1 R.C.S. 772. Si la présomption du critère de la décision raisonnable est rejetée ou ne s’applique pas, la norme de contrôle pour les questions de droit est celle de la décision correcte : arrêt McLean, au paragraphe 22; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au paragraphe 28, [2018] 2 R.C.S. 230. Les questions mixtes de fait et de droit doivent être évaluées en fonction de la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 R.C.S. 190; Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, au paragraphe 45, [2013] 3 R.C.S. 53; Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, au paragraphe 12; Fawcett c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 87, au paragraphe 15, 53 C.C.E.L. (4th) 177.

[23] De manière générale, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale liées aux décisions du Conseil; voir, par exemple, Wsáneć School Board c. Colombie‑Britannique, 2017 CAF 210, aux paragraphes 22 et 23, [2018] 4 C.N.L.R. 295.

[24] Plus récemment, la Cour a examiné la jurisprudence sur la norme de contrôle de l’équité procédurale : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux paragraphes 34 à 56, [2019] 1 R.C.F. 121. Dans cet arrêt, le juge Rennie, rédigeant les motifs de la Cour, a conclu que « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » : au paragraphe 54 (citant le juge Caldwell, rédigeant les motifs de la majorité de la Cour d’appel de la Saskatchewan).

[25] Finalement, la Cour doit simplement s’assurer que le demandeur connaissait les éléments de preuve à réfuter et qu’il a eu la possibilité de faire valoir ses arguments.

B. Équité procédurale

[26] Comme il a été indiqué ci-dessus, le CAWU soutient que la décision du Conseil de se fonder sur les rapports confidentiels de RRI sans divulguer ces rapports a porté atteinte à son droit de connaître les éléments de preuve à réfuter, tout en nuisant à sa capacité de s’exprimer relativement aux allégations à son égard.

[27] La question a récemment été examinée par le Conseil dans la décision Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Jordan Rooley, 2015 CCRI 759 (décision Rooley). La confidentialité de la preuve de l’appui de l’adhésion repose sur l’obligation du Conseil d’assurer la confidentialité de la volonté des employés, conformément à l’article 35 du Règlement. Cette disposition, ou une disposition similaire, est en vigueur depuis de nombreuses décennies. La garantie de confidentialité protège les employés des risques de représailles pour leur appui à un syndicat en particulier ou à un syndicat au lieu d’un autre : voir la décision Rooley, aux paragraphes 28 à 45.

[28] La Cour suprême, dans l’arrêt Conseil canadien des relations du travail c. Transair Ltd., (1976), [1977] 1 R.C.S. 722, à la page 741, 1976 CanLII 170, a confirmé le droit du Conseil à donner suite à une enquête de l’un de ses représentants sur l’appui des travailleurs envers un syndicat sans divulguer ce rapport :

De fait, c’est l’enquêteur et non [le représentant syndical] qui connaissait précisément le nombre des employés de l’unité de négociation proposée qui étaient membres du syndicat puisque c’est lui que le Conseil a chargé de vérifier quels employés étaient membres en règle. Le Conseil pouvait agir en se fondant sur le rapport sans le rendre public à cet égard, vu les dispositions de l’art. 29(4) du Règlement, une fois assuré que l’enquête requise avait été tenue.

[29] Notre Cour a rendu une décision similaire : Maritime Ontario Freight Lines Ltd. c. Section locale 938 des teamsters, 2001 CAF 252, au paragraphe 29, 278 N.R. 142.

[30] Il est important de souligner que le CAWU connaissait ou aurait dû connaître les questions sur lesquelles les RRI enquêtaient. La réponse de l’AIMTA à la demande d’accréditation du CAWU, plus particulièrement, a introduit des éléments de preuve de l’appui de l’adhésion qui est en cause. En fait, cette même question avait déjà été soulevée entre ces parties dans la décision CAWU 2015, aux paragraphes 15 et 16.

[31] La jurisprudence du Conseil sur cette question est explicite, cohérente et établie de longue date. Elle a été approuvée par la Cour suprême et par notre Cour, et il ne fait aucun doute qu’elle était connue du CAWU et de ses conseillers.

[32] Il est vrai que le CAWU n’a pu aborder des cas précis d’omission de payer les droits d’adhésion de cinq dollars, mais rien de l’empêchait de présenter au Conseil les éléments de preuve sur les mesures prises pour prévenir de tels incidents, s’il a effectivement pris ces mesures.

[33] Même si la thèse du CAWU présentée devant la Cour est qu’il ne désirait pas enfreindre les droits à la confidentialité des employés, ses arguments quant au fait qu’il n’a pu aborder les rapports des RRI reposaient sur son incapacité à contester des cas individuels où les droits d’adhésion de cinq dollars n’ont pas été payés par l’employé en question. Je ne sais pas comment il aurait pu le faire sans écarter la confidentialité de la preuve de l’appui des employés individuels pour un syndicat ou un autre.

[34] Dans les circonstances, le droit du CAWU de connaître les éléments de preuve à réfuter et de faire valoir ses arguments pourrait avoir été assujetti à des considérations propres au droit du travail, y compris à la nécessité prépondérante de protéger la confidentialité de la volonté des employés, mais ces contraintes sont bien connues et ont été avalisées par les tribunaux. Dans ces circonstances, j’estime que le droit du CAWU à l’équité procédurale n’a pas été enfreint.

C. L’omission d’ordonner de fournir une liste d’employés

[35] Le CAWU soutient que le Conseil a violé son droit à l’équité procédurale lorsqu’il a refusé d’obliger Garda à fournir des listes d’employés qu’il avait déjà fournis à l’AIMTA, tout en soutenant que l’écart entre les thèses des parties sur la taille de l’unité de négociation nécessitait la divulgation d’autres documents. Comme l’a souligné l’AIMTA dans les arguments présentés à la Cour, la différence entre les parties en ce qui concerne la taille de l’unité de négociation est considérablement moins marquée que ce qu’a suggéré le CAWU. Les listes d’employés de Garda montrent que l’unité de négociation compte 2 168 employés. Dans sa propre analyse, le CAWU a estimé que ce nombre variait de 1 885 à 1 968, alors que la demande d’accréditation faisait mention de 1 625 employés seulement dans l’unité de négociation.

[36] Plus précisément, le Conseil a tenu compte des inquiétudes du CAWU lorsqu’il a obligé l’employeur à fournir des renseignements supplémentaires sur le statut des personnes qui figuraient sur la liste d’employés. Le Conseil a ensuite examiné les objections du CAWU à l’inclusion de divers types de travailleurs absents et a décidé d’en inclure certains et d’en exclure d’autres. La thèse du Conseil est que la production de listes supplémentaires ne l’aurait pas aidé à déterminer quels sont les employés qui doivent être inclus dans l’unité de négociation.

[37] Le CAWU ne m’a pas persuadé que la décision du Conseil sur cette question avait nui à sa capacité à défendre sa thèse relativement à la taille de l’unité de négociation.

D. L’omission d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation

[38] Comme je l’ai indiqué précédemment, le Conseil s’attend à ce que le syndicat maraudeur démontre l’appui de la majorité avant d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation. En raison des irrégularités décelées par les RRI dans les éléments de preuve des deux syndicats, le CAWU soutient qu’il était déraisonnable pour le Conseil de ne pas ordonner la tenue d’un scrutin.

[39] La thèse du Conseil relativement à la tenue d’un scrutin de représentation dans le cas d’une activité de substitution est résumée dans la décision Canadian Council of Teamsters v. Brotherhood of Railway and Airline Clerks (1988), 73 di 183, aux pages 186 et 187 (C.L.R.B.), comme suit :

[traduction]

Le raisonnement qui sous-tend la politique du Conseil obligeant un syndicat à établir une preuve d’appui à première vue lorsqu’il tente de déloger un agent négociateur déjà en place est décrit dans la décision CJMS Radio Montréal (Québec) Limitée, précitée. Aux fins de la présente affaire, il n’est nullement nécessaire d’entreprendre un long examen de cette politique. Essentiellement, la préoccupation du Conseil est de préserver la paix industrielle. En fonction des délais établis dans le Code pour le dépôt des demandes d’accréditation, ces demandes coïncident avec le début de la négociation collective en vue de renouveler les conventions collectives. Elles perturbent non seulement le processus de négociation collective, car il est peu probable que des négociations significatives soient menées tant que l’employeur n’est pas certain que le bon parti se trouve à l’autre bout de la table des négociations, mais également l’entreprise de l’employeur puisque les syndicats rivalisent pour obtenir l’appui des employés. La plupart des unités de négociation comptent des employés dissidents qui préféreraient être représentés par un autre syndicat, voire aucun.

Si le Conseil devait ordonner la tenue d’un scrutin chaque fois qu’un de ces groupes dépose une demande visant à remplacer l’agent négociateur, cela entraînerait le chaos. En adoptant la politique des 50 % plus 1, le Conseil s’assure que la grande majorité des employés souhaitent réellement remplacer l’agent négociateur et qu’ils ont exprimé leur sincérité en se joignant au syndicat qui cherche à s’approprier les droits de négociation.

[40] Des décisions subséquentes confirment la thèse du Conseil : voir Securicor Canada Limitée, 2004 CCRI 304, au paragraphe 55; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2004 CCRI 282, au paragraphe 36; la décision Algoma Central Marine, au paragraphe 18; la décision CAWU 2015, au paragraphe 7.

[41] La question de savoir si une ordonnance visant la tenue d’un scrutin de représentation est une question que le Conseil est des plus compétents pour trancher. Le passage mentionné plus haut montre que le Conseil a examiné la question et a réfléchi aux questions pertinentes au moment d’établir sa politique. L’argument du CAWU est, essentiellement, de nous inviter à substituer notre avis de la question à celui du Conseil. Compte tenu des connaissances spécialisées du Conseil dans les relations de travail et compte tenu, également, que le Conseil connaît bien ces parties en raison de leurs fréquentes comparutions, il s’agit de motifs convaincants pour faire preuve de déférence à l’égard du pouvoir discrétionnaire du Conseil de ne pas ordonner la tenue d’un scrutin de représentation.

V. Conclusion

[42] Pour tous ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens. L’AIMTA demande des dépens sur une base avocat-client en raison des allégations d’inconduite de la part du CAWU, qui ont ensuite été abandonnées. Bien que les parties doivent faire preuve de retenue relativement aux allégations d’inconduite, je ne suis pas certain que le comportement du CAWU donne à l’AIMTA le droit de recevoir des dépens sur une base avocat-client. Je recommanderais des dépens à l’échelon supérieur de la colonne 3 du tarif.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Judith Woods, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-161-18

 

 

INTITULÉ :

CANADIAN AIRPORT WORKERS UNION c. ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE ET SÉCURITÉ PRÉEMBARQUEMENT GARDA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 septembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

D. Bruce Sevigny

 

Pour le demandeur

 

Amanda J. Pask

Elichai Shaffir

 

Pour les défenderesses

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sevigny Dupuis LLP

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Cavalluzzo, s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les défenderesses

 

 

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