Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20191001


Dossier : A-408-18

Référence : 2019 CAF 241

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

JASON HONG

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20191001


Dossier : A-408-18

Référence : 2019 CAF 241

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

JASON HONG

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  Le gendarme Jason Hong, membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), interjette appel d’un jugement de la Cour fédérale ayant rejeté sa demande d’ordonnance de mandamus. Le gendarme Hong a cherché à obtenir une ordonnance de mandamus afin d’obliger la GRC à donner effet à la sentence arbitrale enjoignant à la GRC de le réadmettre dans le programme de formation menant à une qualification à titre de spécialiste de l’identité judiciaire (2018 CF 1208).

I.  Contexte

[2]  En 2011, le gendarme Hong a déposé une demande d’admission au Programme d’apprentissage en identité judiciaire (le PAIJ). Sa demande a été rejetée avant la fin du processus de sélection, pour des motifs non liés directement au présent appel. Le gendarme Hong est parvenu à avoir gain de cause dans sa contestation du rejet de sa candidature à la suite d’une série de griefs intentée dans le cadre de la procédure interne de traitement des griefs de la GRC.

[3]  Dans la dernière décision rendue au sujet des griefs le 4 octobre 2017, l’arbitre responsable du dossier a enjoint à la GRC de prendre certaines mesures de redressement. Les parties s’entendent, dans le cadre du présent appel, sur le fait que la décision de l’arbitre exige l’adoption de mesures de redressement, mais elles ne s’entendent pas sur la nature de ces mesures.

[4]  Selon l’interprétation par la GRC de cette décision, elle doit admettre à nouveau le gendarme Hong dans le processus de sélection, en lui faisant crédit des étapes déjà terminées. Il appartiendrait ensuite au gendarme Hong de franchir les étapes restantes. Le processus de sélection a changé depuis que le gendarme Hong a présenté sa demande; en conséquence, la GRC a placé sa demande au sein du processus de sélection actuel.

[5]  Toutefois, selon le gendarme Hong, il devait être retourné directement dans le programme, sans avoir à franchir les autres étapes du processus de sélection.

[6]  Le 12 mars 2018, le gendarme Hong a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Il cherchait à obtenir une ordonnance de mandamus afin de contraindre l’officier des ressources humaines de la Direction générale de la GRC [traduction] « à mettre en œuvre la décision sur le grief et à réactiver le programme de formation » (dossier d’appel, p. 24).

II.  La décision sur le grief

[7]  Les parties pertinentes de la décision sur le grief à l’origine du litige sont les suivantes :

[traduction]

[41] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le plaignant a établi selon la prépondérance des probabilités que la politique relative aux mutations latérales était appliquée de façon incohérente. En conséquence, le grief est accueilli et il faut donner au plaignant la possibilité de poursuivre le processus d’admission au PAIJ.

[…]

[46] Si le plaignant s’intéresse toujours au Service de l’identité judiciaire, il doit être réintégré dans le PAIJ à l’étape où il était rendu et un poste semblable et disponible doit lui être offert.

[47] Le plaignant serait tenu de répondre à toutes les exigences actuelles du PAIJ. Si le plaignant suit avec succès le PAIJ et est promu par la suite, cette promotion doit être antidatée de 24 mois.

[…]

[50] L’officier des ressources humaines de la Direction générale, ou son délégué, en consultation avec l’officier des ressources humaines de la Division « E », doit, dans les 30 jours suivant la réception de la présente décision, confirmer l’admissibilité du plaignant et son intérêt continu à l’égard du PAIJ.

[51] Dans les 90 jours suivant la date de réception de la confirmation de l’admissibilité et de l’intérêt continu du [demandeur], l’officier des ressources humaines de la Direction générale doit réactiver le processus du PAIJ pour le plaignant. Il faut offrir au plaignant un poste approprié au Service de l’identité judiciaire.

[52] Une fois que le plaignant aura suivi avec succès le PAIJ et obtenu par la suite une promotion au titre de la section 15 du chapitre 14 du MGC, la date de promotion sera antidatée d’une période supplémentaire de deux ans par l’officier des ressources humaines de la Direction générale.

III.  Décision de la Cour fédérale

[8]  La Cour fédérale a exposé la question en litige comme étant « [...] celle de savoir si la manière dont la GRC interprète la décision faisant suite au grief, de même que les étapes franchies à ce jour pour s’y conformer, est raisonnable. Dans l’affirmative, il n’y a pas lieu que la Cour intervienne » (motifs de la Cour fédérale, par. 23).

[9]  La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur la question à savoir si elle devrait « exerce[r] sa compétence en equity pour rendre une ordonnance de mandamus ». Elle a conclu qu’il n’y avait pas lieu de rendre une telle ordonnance, car la GRC s’était déjà pliée à la décision sur le grief en plaçant le gendarme Hong à nouveau dans le processus de sélection. Les motifs de la Cour sont reproduits ci-après:

[33]  Cela dit, je ne suis pas convaincu qu’il convient en l’espèce que la Cour intervienne et exerce sa compétence en equity pour rendre une ordonnance de mandamus. La décision faisant suite au grief exigeait que le demandeur soit réintégré dans le processus de sélection et qu’on lui crédite les étapes déjà franchies. Mais l’arbitre a aussi clairement indiqué qu’il devait répondre aux exigences actuelles du processus de sélection du PFAIJ. Selon moi, le dossier n’étaye pas la conception du demandeur selon laquelle le succès qu’il avait remporté devant l’arbitre voulait dire qu’il n’était pas tenu de se soumettre aux nouvelles exigences.

[34]  À partir du moment où le CPR du PIJ a pris en main le dossier du demandeur et s’est apprêté à lui faire subir le reste des étapes du processus de sélection du PFAIJ, le demandeur a été réintégré dans le processus de sélection du PFAIJ. Comme cela a été fait dans le délai de 90 jours suivant la date à laquelle le demandeur a confirmé qu’il était toujours intéressé, la GRC a rempli les exigences que lui imposait la décision faisant suite au grief. Il n’y a pas eu de défaut de se conformer à la décision. La Cour ne peut ordonner l’exécution d’une obligation d’agir dont on s’est déjà acquitté.

IV.  Analyse

[10]  Dans sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, le gendarme Hong a seulement demandé une ordonnance de mandamus. Comme le fait remarquer la Cour, les principes généraux applicables aux ordonnances de mandamus sont énoncés dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 aux pages 766 à 769, 1993 CanLII 3004 (C.A.F.) : « [a]u nombre des exigences [...] figure l’existence d’une obligation légale d’agir à caractère public envers le demandeur ainsi qu’un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation » (motifs de la Cour fédérale, par. 26).

[11]  La question à trancher est de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’aucune ordonnance de mandamus ne devrait être accordée, car la GRC s’était pliée à la décision sur le grief. Le gendarme Hong soutient que la Cour fédérale aurait commis deux erreurs : 1) en faisant preuve d’une retenue indue à l’égard de l’interprétation par la GRC de la décision de l’arbitre; 2) en interprétant incorrectement les de l’ordonnance de l’arbitre. À mon sens, aucune erreur n’a été commise, et il n’y a pas lieu pour notre Cour d’intervenir.

[12]  La décision de la Cour fédérale devrait être examinée par notre Cour selon les principes énoncés dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. La norme de contrôle applicable à l’égard des questions de fait (y compris des questions mixtes de fait et de droit, sauf si elles comportent une question de droit isolable) est celle de l’erreur manifeste et dominante et, pour les questions de droit, celle de la décision correcte.

[13]  Quant à la question à savoir si la Cour fédérale a indûment fait preuve de retenue quant à l’interprétation par la GRC de la décision de l’arbitre, je suis en désaccord avec le gendarme Hong. En l’occurrence, j’estime que la Cour n’a pas manifesté de retenue. Quoi qu’il en soit, l’issue du présent appel serait inchangée.

[14]  En outre, bien que la Cour fédérale eût énoncé que l’interprétation de la GRC commande la retenue (motifs de la Cour fédérale, par. 24), ses conclusions quant à l’ordonnance de mandamus ont été rendues selon la norme plus rigoureuse de la décision correcte. Plus particulièrement, la Cour fédérale a conclu que « [...] le dossier n’étaye pas la conception du [gend. Hong] selon laquelle le succès qu’il avait remporté devant l’arbitre voulait dire qu’il n’était pas tenu de se soumettre aux nouvelles exigences [de sélection] » (par. 33). En conséquence, l’issue du contrôle judiciaire serait la même, et ce, peu importe la norme de contrôle.

[15]  Quant à la question de savoir si la Cour fédérale a bien interprété la décision de l’arbitre, les motifs de l’arbitre ainsi que le dossier dans son ensemble soutiennent amplement la conclusion de la Cour fédérale voulant que le gendarme Hong doive terminer le processus de sélection. L’arbitre n’a pas enjoint à la GRC d’admettre directement le gendarme Hong dans le programme d’apprentissage, contrairement à ce que soutient le principal intéressé.

[16]  Le gendarme Hong s’appuie sur trois documents pour étayer sa position : un affidavit de Frederick Fontaine, une sentence préliminaire d’arbitrage et la sentence finale rendue sur le grief et faisant l’objet du présent appel (mémoire de l’appelant, par. 44). Je ne partage pas l’avis du gendarme Hong selon lequel ces documents appuient sa thèse.

[17]  Les deux premiers documents n’indiquent pas que le gendarme Hong avait terminé le processus de sélection. L’affidavit de M. Fontaine révèle que le gendarme Hong avait franchi seulement deux des quatre étapes prévues dans le processus de sélection au moment de son élimination. La sentence préliminaire d’arbitrage indique que le gendarme Hong avait été admis en [traduction] «  présélection », mais n’indique pas qu’il avait terminé tout le processus de sélection.

[18]  Quant au troisième document, la sentence finale sur le grief, le gendarme Hong en invoque le paragraphe 9. Le texte est rédigé :

[traduction]

[9]  Le plaignant a été accepté au PAIJ. Le 7 décembre 2011, le plaignant a réussi le Test d’aptitude en comparaison matérielle, soit le premier test à passer pour l’admission au PFAIJ. La prochaine étape serait de subir une évaluation de trois semaines au Service d’identification de la GRC à Surrey.

[19]  Dans ce paragraphe, l’arbitre conclut que le gendarme Hong n’a pas pris part à cette évaluation de trois semaines qui fait partie du processus de sélection. Toutefois, l’arbitre conclut également que le gendarme Hong a été admis au PAIJ. Ces deux conclusions sont contraires, sauf si l’arbitre entendait également le processus de sélection en employant le nom défini du programme de formation, le PAIJ. En conséquence, la directive de l’arbitre voulant que le gendarme Hong soit « tenu de répondre à toutes les exigences actuelles du PFAIJ » signifie que le processus de sélection actuel doit suivre son cours (décision sur le grief, par. 47).

[20]  Le gendarme Hong s’appuie également grandement sur le paragraphe 51 de la décision sur le grief :

[51]  Dans les 90 jours suivant la date de réception de la confirmation de l’admissibilité et de l’intérêt continu du [demandeur], l’officier des ressources humaines de la Direction générale doit réactiver le processus du PAIJ pour le plaignant. Il faut offrir au plaignant un poste approprié au Service de l’identité judiciaire.

[21]  Le gendarme Hong fait valoir que l’arbitre, au paragraphe 51 de sa décision, enjoint à la GRC de le placer au sein du Service de l’identité judiciaire. Or, cette prétention est problématique en ce qu’elle porte sur une seule phrase, plutôt que sur le texte dans son ensemble. Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la sentence arbitrale ne permet pas au gendarme Hong d’éviter le processus de sélection. L’arbitre n’explique pas pourquoi il mentionne expressément le « Service de l’identité judiciaire » au paragraphe 51, mais cette mention ne permet pas au gendarme Hong de se soustraire aux étapes du processus de sélection.

[22]  À l’audience, les deux parties ont reconnu que la décision sur le grief n’était pas rédigée aussi clairement qu’elle aurait pu l’être. Quoi qu’il en soit, je partage l’avis de la Cour fédérale

voulant que l’interprétation avancée par le gendarme Hong ne soit pas défendable. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-408-18

 

INTITULÉ :

JASON HONG c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 septembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

Andrew Montague-Reinholdt

 

Pour l’appelant

 

Kirk Shannon

Sanam Goudarzi

 

Pour L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour L’INTIMÉ

 

 

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