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Date : 20190715


Dossier : A-250-18

Référence : 2019 CAF 205

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

RODRIGO RAMOS

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 mai 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20190715


Dossier : A-250-18

Référence : 2019 CAF 205

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

RODRIGO RAMOS

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1] M. Ramos interjette appel de la décision rendue par la Cour fédérale (le juge Annis) (2018 CF 696), qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la déléguée du ministre des Transports qui a refusé de revoir la décision du 6 octobre 2017 annulant son habilitation de sécurité en matière de transport.

[2] M. Ramos conteste également le rejet, par la Cour fédérale, de la requête qu’il a présentée verbalement à la fin de l’audience afin de modifier sa demande de contrôle judiciaire pour y inclure un deuxième refus de réexaminer la décision annulant son habilitation, qui lui a été communiquée cette fois-ci le 17 octobre 2017.

[3] Bien que je sois très sensible aux difficultés qu’éprouve M. Ramos, je ne peux accepter ses observations. Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’appel devrait être rejeté sans dépens.

I. RÉSUMÉ DES FAITS

[4] Je décrirai de façon assez détaillée les faits à l’intention de M. Ramos, car celui-ci a insisté sur leur importance en l’espèce. Je tiens à lui donner l’assurance que j’ai dûment pris en compte les faits présentés.

[5] Durant la période qui nous intéresse, M. Ramos travaillait comme nettoyeur et gérant (poste également désigné sous le nom d’assistant-concierge) à l’Aéroport international Toronto Pearson depuis 2004. Pour ce travail, il a dû obtenir une habilitation de sécurité et la renouveler tous les cinq ans, ce qu’il n’a eu aucune difficulté à faire en 2004, 2009 et 2014.

[6] En juillet 2015, M. Ramos a été accusé relativement à deux incidents d’attouchements inappropriés et d’agressions sexuelles commis sur un étudiant qui participait à un programme d’échanges et qui vivait chez lui dans le cadre d’un programme d’accueil. Il a été arrêté en août 2015. M. Ramos ne conteste pas les incidents et il a reconnu la plupart des faits concernant l’étudiant participant au programme d’échanges. En août 2016, la Couronne a retiré les accusations après que M. Ramos ait pris l’engagement de ne pas troubler l’ordre public avec paiement d’une caution de 500 $. M. Ramos n’a donc pas de casier judiciaire.

[7] Le 17 octobre 2016, Transports Canada a écrit à M. Ramos pour l’informer que les allégations d’agression sexuelle soulevaient des « préoccupations quant à son admissibilité à conserver une habilitation de sécurité » et que ladite habilitation serait réévaluée à la lumière des événements décrits en détail dans la lettre. On y mentionnait également que les accusations avaient mené à un engagement de ne pas troubler l’ordre public. Cette lettre se terminait comme suit :

[traduction]

L’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport est convoqué, lorsqu’il y a lieu, pour formuler une recommandation au ministre des Transports relativement à l’attribution, au refus ou à l’annulation d’une habilitation de sécurité. Veuillez consulter la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (PHST), qui se trouve sur notre site Web à l’adresse http://www.tc.gc.ca/fra/sureteaerienne/phst-menu.htm. Les divers motifs sur lesquels l’Organisme consultatif peut s’appuyer pour formuler une recommandation figurent à l’article 1.4 de la politique.

Transports Canada vous encourage à fournir des renseignements supplémentaires décrivant les circonstances entourant les accusations criminelles et les incidents mentionnés ci-dessus, ainsi que toute autre information ou explication pertinente, y compris toutes circonstances atténuantes, dans les 20 jours suivant la réception de la présente lettre [...].

Si vous désirez discuter de cette question plus à fond, n’hésitez pas à communiquer avec Mme Leslie Mott, au 613-949-0232.

[8] Bien que l’affidavit de M. Ramos n’en fasse nullement mention, le dossier certifié semble indiquer que M. Ramos a laissé un message à Mme Mott, quelque temps avant le 28 octobre 2016, et que Mme Mott l’a rappelé à cette date en lui demandant de communiquer avec elle. M. Ramos n’a pas rappelé Mme Mott, et aucun élément de preuve n’indique qu’il a consulté quelqu’un d’autre, pas même son employeur ou l’avocat criminaliste qui l’a défendu et que M. Ramos a consulté un an plus tard pour obtenir de l’aide relativement à la présente affaire. Il semble plutôt que M. Ramos aurait envoyé une nouvelle demande d’habilitation de sécurité le 25 octobre 2016, demande qui n’a toutefois été reçue par Transports Canada que plus d’un an plus tard. Ce document ne contient aucune information ni explication au sujet des événements et des préoccupations mentionnés dans la lettre du 17 octobre 2016. De fait, M. Ramos a utilisé un formulaire normalisé qui contenait les mêmes types de renseignements que ceux qu’il avait fournis sur ses demandes précédentes, au lieu de fournir d’autres informations ou des explications portant sur des circonstances atténuantes, concernant les événements en question (voir le para. 2 ci-dessus).

[9] Le ministre qui, aux termes de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 [Loi sur l’aéronautique], a le pouvoir discrétionnaire d’accorder, de refuser, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité, a mis en place un processus pour examiner ces décisions en conformité avec la politique énoncée dans la lettre du 17 octobre 2016 (la politique sur le PHST) qui vise à prévenir les actes illégaux d’interférence avec l’aviation civile.

[10] Conformément à ce processus, un organisme consultatif, présidé par le directeur des programmes de filtrage de sécurité et composé de personnes choisies en fonction de leur connaissance des buts et des objectifs du Programme d’habilitation de sécurité (en l’espèce, quatre membres; voir le dossier d’appel, onglet 9, p. 199), a examiné toute la documentation concernant M. Ramos. Après avoir notamment souligné i) que les fonctions de M. Ramos à titre d’« assistant-concierge » exigeaient un haut degré d’intégrité et de confiance, ii) que M. Ramos avait usé de sa situation de confiance pour abuser du plaignant lors des incidents en cause et iii) que M. Ramos n’avait fourni aucune explication ni information au sujet des préoccupations soulevées dans la lettre du 17 octobre 2016, l’Organisme consultatif a conclu qu’il devrait recommander l’annulation de l’habilitation de sécurité de M. Ramos. Cette conclusion était fondée sur le fait que l’Organisme consultatif [traduction] « estimait raisonnable de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pourrait être sujet ou être incité à commettre, ou encore pourrait aider ou inciter toute autre personne à commettre, un acte illicite susceptible d’interférer avec l’aviation civile » (dossier de discussion de l’Organisme consultatif, dossier d’appel, onglet 9, p. 203). Ce motif est l’un de ceux énoncés au paragraphe 1.4(4) de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, une disposition qui a été expressément mentionnée dans la lettre du 17 octobre 2016.

[11] Lorsque l’Organisme consultatif a formulé sa recommandation, le 28 juin 2017, il avait en sa possession une copie des demandes présentées par M. Ramos en 2004, 2009 et 2014, ainsi que les détails de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public en échange du retrait des accusations criminelles. La recommandation de l’Organisme consultatif a été examinée et acceptée par Mme Wendy Nixon, directrice générale adjointe de la Sûreté de l’aviation et déléguée du ministre dans cette affaire. Mme Nixon a rendu sa décision annulant l’habilitation de sécurité de M. Ramos le 29 septembre 2017. Dans sa lettre, Mme Nixon précisait que sa décision pouvait être revue par la Cour fédérale dans les 30 jours et avait indiqué le numéro de téléphone d’une personne à joindre pour obtenir plus de renseignements.

[12] Bien que M. Ramos ait reçu cette lettre le 5 octobre 2017, il a été informé de la décision dès le 30 septembre 2017 lorsqu’il a tenté d’utiliser son laissez-passer qui avait été annulé. Le 2 octobre 2017, il a appelé pour dire qu’il avait envoyé une réponse à la lettre du 17 octobre 2016, mais on lui a répondu que la réponse n’a jamais été reçue. Mme Stéphanie Séguin, qui a répondu à son appel, l’a encouragé à lire la décision avec soin pour bien comprendre les recours qui s’offraient à lui, et elle l’a informé qu’il pouvait, s’il le voulait, envoyer de nouveau le document qu’il avait envoyé l’année précédente, mais que rien ne garantissait que son dossier serait examiné de nouveau.

[13] Après avoir reçu la copie de la nouvelle demande envoyée par M. Ramos en octobre 2016, Mme Séguin lui a envoyé un courriel confirmant qu’il avait jusqu’au 6 octobre 2017 pour présenter ses « observations ». Elle a précisé qu’elle ne prendrait pas elle-même la décision et que la personne autorisée aurait à déterminer si les observations démontraient « un changement important dans les circonstances » pouvant justifier un réexamen de la décision annulant l’habilitation de sécurité. M. Ramos l’a appelée le lendemain pour demander des clarifications. Puis, le 5 octobre 2017, il lui a envoyé un autre message lui demandant si elle avait besoin d’autres renseignements « à son sujet ».

[14] Bien que M. Ramos n’ait jamais demandé de prorogation afin de pouvoir présenter d’autres observations ou consulter un avocat, il a pris des mesures, certes un peu tardivement, en consultant un avocat criminaliste qui l’a dirigé vers l’avocat dont il a retenu les services après leur rencontre, le 10 octobre 2017. Le 13 octobre 2017, l’avocat de M. Ramos a écrit une longue lettre à Mme Nixon lui demandant de réexaminer la décision d’annuler l’habilitation de sécurité de son client. Dans cette lettre, l’avocat insistait principalement sur les répercussions économiques de cette décision pour M. Ramos ainsi que sur l’absence de corrélation entre le comportement de M. Ramos (les incidents) et la sûreté de l’aviation civile. Aucune mention n’y était faite de quelque mesure prise par M. Ramos après le 29 septembre 2017. De même, la lettre ne faisait nullement mention des remords de M. Ramos et n’incluait pas de copie du rapport du psychologue sur lequel M. Ramos a cherché ultérieurement à fonder sa demande de contrôle judiciaire.

[15] Dans l’intervalle, n’ayant reçu aucune autre observation de M. Ramos, Mme Pauline Mahon, directrice adjointe des Programmes de filtrage de sécurité, a écrit à M. Ramos le 6 octobre 2017 pour l’informer que sa demande de réexamen avait été rejetée. Dans cette lettre, Mme Mahon rappelait que M. Ramos avait été bien informé des préoccupations qui avaient été soulevées le 17 octobre 2016 quant à son admissibilité à conserver son habilitation de sécurité et que sa nouvelle demande, qu’il était censé avoir envoyée en 2016 mais qui n’avait pas été reçue, contenait la même information que celle figurant dans les demandes qui étaient déjà au dossier et qui avaient été examinées dans le cadre du processus d’examen. Mme Mahon a également cité l’article II-36 de la politique sur le PHST qui prévoit qu’une nouvelle demande (comme celle que M. Ramos est censé avoir présentée le 25 octobre 2016) ne peut être soumise que si une période de cinq (5) ans s’est écoulée depuis la date de l’annulation ou que s’il y a eu un changement dans les circonstances ayant mené au rejet ou à l’annulation. Là encore, M. Ramos a été informé de son droit de demander un contrôle judiciaire de la décision.

[16] Bien que M. Ramos ait reçu la lettre de refus du 6 octobre 2017, son avocat a continué de correspondre avec d’autres fonctionnaires du service de Mme Nixon. En réponse à sa lettre du 13 octobre 2017 et aux divers courriels qui ont suivi, l’avocat de M. Ramos a été informé, le 17 octobre 2017, que son client avait déjà appris que sa demande avait été rejetée le 6 octobre 2017. Le courriel précisait également que, pour obtenir des réponses à toutes autres questions, l’avocat de M. Ramos devait produire la lettre de consentement habituelle de son client.

[17] Le 25 octobre 2017, M. Ramos a présenté un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Mme Nixon le 29 septembre 2017. L’avis de demande a par la suite été modifié avec le consentement de l’intimé, pour indiquer que la décision faisant l’objet du contrôle était en fait le refus de réexamen communiqué par Mme Mahon le 6 octobre 2017.

[18] Le 7 novembre 2017, M. Ramos a appris qu’il était mis à pied jusqu’à ce que son employeur règle la question de son habilitation de sécurité. Apparemment, il n’y avait pas d’autres emplois disponibles qui ne nécessitaient pas une telle habilitation.

[19] Ainsi qu’il a été mentionné, la Cour fédérale a rejeté la demande de M. Ramos, concluant que la décision était à la fois raisonnable et équitable sur le plan procédural. La Cour fédérale a conclu qu’elle ne pouvait pas prendre en compte des documents dont le décideur n’avait pas été saisi le 6 octobre 2017 ou avant. Elle a aussi rejeté la demande visant à modifier la décision à examiner, afin que le contrôle porte sur le refus du 17 octobre 2017 plutôt que sur celui communiqué le 6 octobre 2017. La Cour fédérale a noté que cette demande avait été faite à la onzième heure et que l’accueillir aurait pour effet de modifier la nature même des procédures sommaires devant la Cour. De plus, elle n’était pas convaincue qu’un contrôle judiciaire de la décision rendue le 17 octobre 2017 (refus d’examiner la demande de réexamen présentée par l’avocat de M. Ramos) ait des chances d’être accueilli.

II. QUESTIONS EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

[20] Les questions soulevées dans le présent appel sont les suivantes :

1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en refusant d’autoriser la modification proposée par M. Ramos?

2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

3. La décision du 6 octobre 2017 refusant le réexamen était-elle raisonnable?

[21] Les normes de contrôle applicables à la première question sont celles énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Plus particulièrement, au moment de revoir une décision discrétionnaire de la Cour fédérale dans le cadre d’une requête en modification, en l’absence d’une erreur de droit isolable, notre Cour ne peut intervenir que si M. Ramos relève une erreur manifeste et dominante.

[22] En ce qui concerne les deux autres questions, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la ou les bonnes normes de contrôle et si elle les a appliquées correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux para. 46 et 47(arrêt Agraira)). Nul ne conteste que la cour de révision doive intervenir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale; c’est ce que l’on appelait auparavant un examen fondé sur la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général)), 2018 CAF 69, [2018] A.C.F. no 382, aux para. 54 et 55; Demitor c. Westcoast Energy Inc. (Spectra Energy Transmission), 2019 FCA 114, au para. 26). Le bien-fondé de la décision de la déléguée du ministre de refuser d’effectuer le réexamen doit être évalué selon la norme de la décision raisonnable.

[23] Comme notre Cour doit effectivement se mettre à la place de la Cour fédérale pour répondre à ces questions, notre attention se portera sur la décision administrative proprement dite. Il n’est pas particulièrement utile de tenter de relever des erreurs dans le raisonnement de la Cour fédérale.

[24] La Cour fédérale a clairement indiqué que la norme de la décision raisonnable était celle qui devait s’appliquer pour juger du bien-fondé de la décision dont elle avait été saisie. Elle n’a toutefois pas clairement indiqué sur quels critères elle s’était fondée pour examiner la question de l’équité procédurale. Ainsi que nous l’avons mentionné, même si cette question n’était pas en litige, la Cour fédérale aurait dû malgré tout le préciser pour permettre à notre Cour d’appliquer correctement l’approche définie dans l’arrêt Agraira. Quoi qu’il en soit, j’examinerai cette question de nouveau, comme il se doit.

III. DISCUSSION

1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en refusant d’autoriser la modification proposée?

[25] Premièrement, M. Ramos fait valoir qu’à son avis aucune modification n’était nécessaire pour que la Cour fédérale examine comme il se doit la correspondance envoyée par son avocat entre le 13 octobre 2017 et le 17 octobre 2017, dans laquelle il demandait un réexamen de la décision annulant l’habilitation. Il soutient que ce n’est que par excès de prudence qu’il a demandé une modification à la fin de ses observations présentées en réponse à la Cour fédérale. Il ne fournit toutefois aucune explication justifiant pourquoi cet élément de preuve, qui n’a pas été présenté à Mme Mahon, la déléguée du ministre en l’espèce, pourrait être pris en compte. Malgré les observations de M. Ramos, il ne fait aucun doute à mon esprit que sa demande ne renvoyait qu’à la décision rendue par Mme Mahon le 6 octobre 2017 et que tout élément de preuve obtenu à cette date ou après n’a pas été dûment présenté à la Cour fédérale.

[26] Deuxièmement, M. Ramos soutient que, de toute façon, la Cour fédérale a commis une erreur en refusant de modifier son avis de demande. Il ne fournit toutefois aucune explication à l’appui dans son mémoire des faits et du droit, si ce n’est que de dire que la Cour fédérale a commis une erreur en examinant le bien-fondé de la décision du 17 octobre 2017 – qu’il souhaite maintenant faire réexaminer – car, ce faisant, la Cour fédérale a ajouté des motifs qui n’avaient pas été clairement énoncés dans la décision en question (ce courriel indiquait simplement que le refus de réexaminer l’annulation de l’habilitation avait déjà été communiqué le 6 octobre 2017). M. Ramos prétend que ce processus constitue une [traduction] « autojustification » indue de la décision du 17 octobre 2017, car les arguments invoqués par son avocat n’ont en fait jamais été pris en compte (mémoire des faits et du droit, au para. 47).

[27] Il est important de mentionner ici que M. Ramos n’a jamais demandé l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve, après qu’il ait été très clairement établi, d’après les dossiers certifiés déposés en application de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), que le décideur ayant rendu la décision du 29 septembre 2017 (premier dossier certifié déposé) ou celle du 6 octobre 2017 refusant le réexamen (dossier certifié supplémentaire déposé en décembre 2017 après la première modification de l’avis de demande de M. Ramos) n’avait jamais été saisi de ladite correspondance ni du rapport du psychologue que M. Ramos voulait maintenant présenter à la Cour fédérale pour la première fois.

[28] Cela est particulièrement surprenant, étant donné que M. Ramos avait eu à préciser quelle décision il avait l’intention de contester lorsqu’il a présenté, en novembre 2017, sa première requête visant à modifier son avis de demande. M. Ramos aurait pu, en application de l’article 301 des Règles, demander l’autorisation de contester plus d’une décision; à mon avis, il a plutôt clairement établi que la décision contestée était celle rendue par Mme Mahon le 6 octobre 2017.

[29] De plus, le défendeur avait fait valoir, dans ses propres observations écrites et verbales présentées à la Cour fédérale, que la correspondance datant du 6 octobre 2017 et après n’était pas pertinente, car le décideur n’en avait pas été saisi (transcription de l’instance en présence de Monsieur le juge Annis, p. 75 et 108). Rien n’explique pourquoi M. Ramos a attendu à la toute fin de l’audience devant la Cour fédérale pour demander une modification, alors qu’il savait qu’on lui avait déjà refusé de déposer des éléments de preuve dont Mme Mahon n’avait pas été saisie.

[30] Pour examiner la modification demandée, les parties et la Cour fédérale ont présumé que la décision du 17 octobre 2017 était sujette à révision, comme l’avait fait valoir M. Ramos lorsqu’il a demandé cette modification. La Cour fédérale a donc examiné les facteurs pertinents à l’étude d’une telle requête, notamment le moment où la requête a été présentée, son incidence sur l’instance globale, le fait que M. Ramos avait déjà modifié son avis de demande afin de remplacer la décision devant faire l’objet du contrôle, ainsi que les chances que la demande modifiée soit accueillie. Il est clair que la Cour fédérale a discuté de ce dernier point d’une manière assez détaillée dans ses motifs, car les deux parties ont présenté des observations exhaustives après l’audience relativement au bien-fondé de la demande. Je ne suis pas convaincue que, ce faisant, la Cour fédérale ait commis une erreur qui justifierait notre intervention.

[31] Le fait que le principe de dessaisissement ne s’applique pas aussi rigoureusement aux décideurs administratifs ne signifie pas qu’ils doivent formuler des motifs détaillés relativement à toutes les demandes de réexamen qu’ils reçoivent lorsqu’il y en a plus qu’une. Selon les circonstances, il peut être suffisant de simplement dire non à une partie qui demande un réexamen pour une deuxième fois, quelques jours seulement après avoir essuyé un premier refus. Surtout si l’on présume que le décideur a pris en compte la documentation qui lui avait été présentée. Il appartiendra ensuite à la cour de révision de déterminer, à la lumière du dossier, si ce deuxième refus était raisonnable.

[32] Dans sa correspondance, l’avocat de M. Ramos n’a fait état d’aucune circonstance qui pourrait justifier le réexamen de la décision annulant l’habilitation de son client. Il soutenait essentiellement que cette décision était déraisonnable pour divers motifs, notamment son incidence sur la famille de M. Ramos et la nature de sa transgression. Or, toutes ces circonstances auraient pu être invoquées en réponse à la lettre du 17 octobre 2016. Ainsi qu’il est expliqué ci-après, le processus ayant mené à la décision d’annuler l’habilitation de sécurité n’a donné lieu à aucun manquement à l’équité procédurale qui pourrait justifier un réexamen, et ni M. Ramos ni son avocat n’ont invoqué quelque autre motif énoncé dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848 [arrêt Chandler] qui pourrait justifier un réexamen. Si le courriel daté du 17 octobre 2017 est en réalité une décision sujette à révision et non une simple lettre de courtoisie, je souscris à la dernière conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les chances de succès d’une nouvelle demande de modification étaient en fait très minces.

[33] De plus, notre Cour a déclaré que, « plus tardive est la demande, plus difficile il sera pour le requérant de surmonter le double obstacle que représentent pour lui l’injustice causée à la partie adverse et les intérêts de la justice » (Canderel Ltée c. Canada (C.A.F.), [1994] 1 C.F. 3, au para. 13). Comme l’a indiqué la Cour fédérale, les demandes de contrôle judiciaire doivent être traitées promptement, car il s’agit de procédures sommaires. Si cette deuxième modification était accueillie, cela équivaudrait à l’introduction d’une toute nouvelle demande. Le décideur serait alors tenu de déposer un nouveau dossier certifié en application de l’article 317 des Règles. Les parties devraient quant à elles déposer des dossiers complémentaires, et une nouvelle audience devrait avoir lieu, cela, plus de 18 mois après l’expiration du délai prévu pour demander un contrôle judiciaire de la décision, quelle qu’elle fût, rendue selon les parties le 17 octobre 2017. Dans les circonstances particulières de l’espèce, je suis d’avis que cela était suffisant pour conclure qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice d’accorder l’autorisation de modifier.

2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[34] M. Ramos a soulevé différentes questions liées au processus ayant mené à la décision du 29 septembre 2017 annulant son habilitation, ainsi qu’à la décision du 6 octobre 2017. Elles pourraient toutes deux être pertinentes, mais pour différents motifs.

[35] D’après mon examen du dossier, j’en conclus que, lorsque M. Ramos a communiqué avec Mme Séguin, la seule question qu’il a abordée avec elle était la réponse qu’il avait envoyée à la lettre du 17 octobre 2016 mais qui n’avait peut-être pas été prise en compte. Manifestement, cela pourrait constituer un manquement à l’équité procédurale dans le processus ayant mené à l’annulation de son habilitation de sécurité. À partir de ses communications avec M. Ramos, Mme Séguin a finalement été en mesure d’établir que la seule information que M. Ramos avait fournie était en fait une nouvelle demande et qu’il n’avait fourni aucune autre information en réponse aux préoccupations soulevées dans la lettre en question.

[36] Un manquement à l’équité procédurale avant la décision annulant l’habilitation de sécurité rendue le 29 septembre 2017 pourrait certes être un facteur pertinent pour étudier la demande de réexamen. Il ne s’agirait toutefois pas d’un manquement à l’équité procédurale ayant entaché le processus qui a mené au refus faisant l’objet du présent contrôle. Cela dit, j’examinerai malgré tout l’argument présenté relativement à la décision du 29 septembre 2017, ici plutôt que dans la section suivante portant sur le bien-fondé de la décision du 6 octobre 2017, tout simplement par souci de commodité, car les principes juridiques sont les mêmes, qu’il s’agisse d’évaluer cet argument ou le manquement allégué à l’équité durant le processus ayant mené à la décision du 6 octobre 2017.

[37] Le principal argument de M. Ramos est que le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie selon les caractéristiques personnelles de la personne en cause. Comme M. Ramos n’avait pas d’avocat pour le conseiller lorsqu’il a reçu la lettre du 17 octobre 2016, il estime que le ministre avait l’obligation d’en faire davantage qu’il ne l’a fait pour l’aider avant d’annuler son habilitation de sécurité.

[38] Il ne fait aucun doute que le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie en fonction du contexte. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux para. 21 et 22, 174 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême du Canada a défini les facteurs devant être pris en compte selon le contexte particulier de chaque affaire. Dans l’arrêt Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, notre Cour a examiné en détail comment ces facteurs s’appliquent dans le contexte d’une personne dont l’habilitation de sécurité délivrée conformément à la Loi a été révoquée (aux para. 27 et 28) :

[27] Bien que je structure l’analyse d’une façon un peu différente, j’estime que le niveau d’équité procédurale établi par la Cour fédérale reflète ces facteurs dans le contexte de l’espèce. La décision est très importante autant pour les personnes visées que pour l’intérêt public relatif aux questions de sûreté et de sécurité. Le législateur a confié la décision non pas à une cour ou à un tribunal quasi judiciaire, mais au pouvoir discrétionnaire du Ministre. Le Ministre a choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire avec l’aide d’un organisme consultatif en vertu d’une politique qui assure que les personnes sont informées des allégations formulées contre elles et qu’elles ont la possibilité de répondre avant qu’une recommandation ne soit faite au Ministre pour qu’il prenne lui-même sa décision.

[28] Plus précisément, la décision de la Cour fédérale selon laquelle l’équité procédurale exige qu’une personne dont l’habilitation de sécurité en vertu de la Loi pourrait être révoquée soit informée des faits qu’on lui reproche et ait la possibilité de répondre, est compatible avec les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker et avec l’objectif d’assurer une procédure équitable et ouverte.

[39] Les détails mentionnés dans la lettre du 17 octobre 2016 étaient amplement suffisants pour satisfaire à cette obligation et, après avoir fait un examen approfondi du dossier, y compris des affidavits de M. Ramos, j’en conclus que M. Ramos aurait dû être au courant des allégations qui pesaient contre lui. Il devait savoir que le ministre avait des préoccupations « quant à son admissibilité à conserver une habilitation de sécurité », compte tenu des incidents qui étaient décrits dans cette lettre. De plus, le texte utilisé dans la lettre du 17 octobre 2016 pour décrire ce qu’une personne comme M. Ramos doit faire pour participer au processus est une formule uniformisée. Ce texte a été utilisé à maintes reprises, et notre Cour ainsi que la Cour fédérale ont conclu qu’il est suffisamment clair et détaillé pour offrir une possibilité juste et significative à la personne visée de participer au processus, lorsque suffisamment de détails sont fournis sur l’incident ou les incidents à l’origine des préoccupations.

[40] M. Ramos affirme malgré tout qu’il n’a pas eu une possibilité significative de répondre, car il croyait en fait que la présentation d’une nouvelle demande était la marche à suivre. Il prétend que l’équité procédurale doit être évaluée en regard d’une norme purement subjective, c’est-à-dire en fonction de ce que la personne concernée a réellement compris ou fait. Je ne suis pas de cet avis. Il faut se demander ce qu’une personne raisonnablement diligente aurait compris ou fait dans les mêmes circonstances. Fournir une possibilité juste et significative signifie donner toute l’information dont a besoin une personne raisonnable pour participer au processus. Il n’est pas pertinent de savoir si la personne n’a pas su profiter de cette possibilité en n’agissant pas comme l’aurait fait une personne raisonnablement diligente.

[41] L’avocat de M. Ramos affirme que son client n’a peut-être pas compris ce que signifiait l’expression « circonstances atténuantes » ni ce à quoi Mme Séguin faisait référence en parlant d’« observations ». Premièrement, ce n’est pas ce que dit M. Ramos dans son affidavit. C’est plutôt son avocat qui a demandé à notre Cour de tirer ces conclusions à partir du comportement de M. Ramos. Deuxièmement, il est de nos jours relativement facile pour quiconque d’utiliser son téléphone ou Internet pour trouver la signification d’un mot. Troisièmement, et plus important encore, dans la lettre du 17 octobre 2016, on demandait d’abord et avant tout à M. Ramos de fournir des « informations ou explications » au sujet des incidents qui y étaient décrits et des préoccupations formulées quant à l’admissibilité de M. Ramos à conserver son habilitation de sécurité. De plus, la lettre mentionnait le nom (Mme Mott) et le numéro de téléphone d’une personne qui pourrait expliquer le processus. M. Ramos avait cette information, mais il n’a pas rappelé Mme Mott lorsque celle-ci a tenté de le joindre. Comme nous l’avons déjà mentionné, rien n’indique que M. Ramos a pris quelque mesure pour bien se renseigner sur les informations ou explications qu’il aurait pu fournir pour répondre aux préoccupations énoncées dans la lettre. Comment pourrait-il être injuste de conclure que M. Ramos avait l’obligation de prendre tout au moins les mesures qu’il a prises en fait un an plus tard, lorsqu’il a contacté son avocat criminaliste pour obtenir de l’aide? M. Ramos devait savoir que l’annulation possible de son habilitation aurait une incidence sur son emploi et sur sa famille. Une telle décision a presque invariablement cet effet, que la personne soit un pilote (Mitchell c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 241) ou un concierge. Toute personne raisonnable agissant de sa propre initiative aurait pris cette lettre au sérieux et aurait tout au moins rappelé Mme Mott. S’il craignait de manquer de temps, M. Ramos aurait pu demander une prorogation en parlant à Mme Mott.

[42] Par conséquent, comme l’a fait Mme Mahon le 6 octobre 2017, je dois conclure que M. Ramos a eu l’occasion de présenter des observations lorsqu’il a reçu la lettre du 17 octobre 2016, mais qu’il n’a fourni aucune autre information ni explication que l’Organisme consultatif et la déléguée du ministre ne possédaient pas déjà et qui aurait pu justifier le réexamen de la recommandation d’annuler son habilitation de sécurité.

[43] Si l’on examine maintenant le processus ayant mené à la décision en litige, M. Ramos affirme ce qui suit au sujet du refus : lorsqu’elle a réalisé que la demande de réexamen de M. Ramos était basée uniquement sur sa demande de 2016, Mme Séguin aurait dû mieux lui expliquer quelles autres informations il pouvait fournir avant de refuser de réexaminer la décision d’annuler son habilitation. M. Ramos allègue ne pas avoir compris ce qui pourtant lui avait été clairement expliqué et qui était également clairement énoncé dans la politique sur le PHST, mais, là encore, rien dans ses affidavits ne laisse croire à cette prétendue incompréhension. Selon la plaidoirie de son avocat, il aurait dû être évident à Mme Séguin que M. Ramos ne comprenait pas le sens du mot « observations » et qu’il ne savait pas quelles autres informations il aurait pu fournir à son sujet pour convaincre le décideur de rétablir son laissez-passer de sécurité et cela, en soi, créait une obligation supplémentaire pour le ministre. Là encore, je ne suis pas de cet avis.

[44] Mme Séguin a expliqué le processus à trois occasions distinctes. Dès qu’elle a appris que la réponse de M. Ramos à la lettre du 17 octobre 2016 avait peut-être été perdue, elle l’a encouragé à lui en faire parvenir une copie, en lui indiquant toutefois que cela ne garantissait pas qu’il y aurait réexamen de la décision. Elle a en outre précisé que ses observations devaient porter sur des changements importants dans les circonstances. Il n’y avait aucune obligation pour le ministre d’en faire davantage, notamment compte tenu du fait que Mme Séguin ne pouvait savoir – et ne savait pas – si M. Ramos avait d’autres informations à communiquer. Le personnel administratif n’a pas à jouer le rôle d’avocat auprès des personnes engagées dans leurs propres processus administratifs. Il n’a pas à examiner ou à déterminer s’il existe réellement des circonstances qui pourraient justifier un réexamen. Sa seule obligation est de communiquer l’information disponible au sujet du processus proprement dit.

[45] Les préoccupations soulevées, les incidents, la politique applicable ainsi que les mesures de redressement disponibles ont tous été exposés dans la lettre du 17 octobre 2016 que M. Ramos reconnaît avoir reçue. Cette lettre précisait également l’information qui pourrait être jugée pertinente aux fins d’un éventuel réexamen. Il ne s’agit pas ici d’une affaire où le décideur s’est fondé sur une preuve extrinsèque ou sur des préoccupations que M. Ramos ignorait. Seul M. Ramos savait s’il existait des circonstances particulières ou d’autres informations qu’il pourrait présenter pour appuyer sa demande de réexamen. Aucun élément de preuve ne précise exactement ce que M. Ramos ne comprenait pas au sujet du processus proprement dit ou des autres informations qu’il aurait pu fournir pour obtenir ce qu’il voulait – un laissez-passer de sécurité.

[46] Comme toute autre personne engagée dans un processus administratif, M. Ramos se devait d’agir avec diligence. Il devait, au besoin, obtenir un avis juridique indépendant pour formuler ses observations. En réalité, il savait qu’il avait besoin d’aide en l’espèce, car il a consulté un avocat criminaliste en octobre 2017 (la date exacte n’est pas précisée dans son affidavit). Il savait également que le temps pressait, car il a dit à Mme Séguin que la décision devait être rendue avant le 13 octobre 2017, qui était le délai fixé par son employeur. Il n’a pas demandé de prorogation de délai pour soumettre ses observations, même s’il savait qu’il devait rencontrer un avocat le 10 octobre 2017 – soit après la date limite du 6 octobre 2017 qui avait été fixée pour la présentation d’observations supplémentaires. On ne sait même pas avec certitude s’il a informé l’avocat qu’il avait déjà demandé un réexamen de la décision annulant son habilitation et que le délai fixé pour la présentation d’observations à cet égard avait déjà expiré. Cela pourrait expliquer pourquoi Mme Séguin n’a pas reçu de copie de la lettre qui a été envoyée à Mme Nixon le 13 octobre 2017, et pourquoi il n’est pas fait mention dans cette lettre des échanges entre M. Ramos et Mme Séguin.

[47] Eu égard à ce qui précède, tout comme la Cour fédérale, je ne peux conclure que le ministre a manqué à son obligation d’agir équitablement avant de refuser de réexaminer la décision du 6 octobre 2017 annulant l’habilitation de sécurité de M. Ramos.

3. La décision du 6 octobre 2017 refusant le réexamen était-elle raisonnable?

[48] M. Ramos a fourni peu d’arguments pour étayer sa thèse selon laquelle la seule décision faisant l’objet du contrôle – soit la décision du 6 octobre 2017 – était déraisonnable. J’ai déjà examiné et rejeté les observations voulant que la déléguée du ministre ait manqué à son obligation d’agir équitablement. M. Ramos a également déclaré, mais principalement en lien avec la décision du 17 octobre 2017 dont notre Cour n’a pas été saisie, que la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, car elle a fondé sa décision entièrement sur la politique sur le PHST et que la décision était, de ce fait, déraisonnable. Je ne suis pas de cet avis.

[49] Ainsi qu’il a été indiqué, la demande de « réexamen » de M. Ramos était fondée sur le fait que le décideur n’avait pas tenu compte de sa réponse à la lettre du 17 octobre 2016, c’est-à-dire de sa nouvelle demande. M. Ramos n’a pas invoqué d’autres motifs, ni fourni quelque autre information en regard desquels la décision d’annuler son habilitation devrait être réexaminée.

[50] Il soutient malgré tout qu’il avait droit à un réexamen. L’argument voulant que le décideur ait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire présuppose que le ministre avait le pouvoir de réexaminer la décision et pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances soulevées par M. Ramos.

[51] Comme il a été indiqué précédemment, rien dans la décision d’annuler l’habilitation ne permettait à M. Ramos de croire, ou ne lui fournissait une attente légitime de croire, que la décision serait réexaminée s’il présentait ultérieurement des informations en réponse à la lettre du 17 octobre 2016. Aucune disposition de la politique sur le PHST ne prévoit expressément le réexamen d’une décision annulant une habilitation, si ce n’est lors de la présentation d’une nouvelle demande en application de la partie II-36 de la politique.

[52] M. Ramos cite l’arrêt Chandler de la Cour suprême du Canada et la décision de la Cour fédérale, Chopra c. Canada (Procureur général) 2013 CF 644, au para. 64 [décision Chopra], où les quatre motifs pour lesquels, selon l’arrêt Chandler, un décideur administratif peut envisager la possibilité de revoir une décision en common law sont ainsi résumés :

1) il est toujours possible de rouvrir une instance s’il y a eu déni de justice naturelle ayant eu pour effet de la vicier ou de la rendre nulle;

2) « la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante » (l’existence de nouveaux éléments de preuve);

3) l’erreur de compétence;

4) le défaut du tribunal administratif « de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante ».

[53] Le législateur peut restreindre ou étendre ce pouvoir. Par conséquent, déterminer si, et sur quelle base, un décideur administratif particulier a le pouvoir de revoir sa décision est une question d’interprétation de la loi qui exige plus qu’un simple examen du libellé de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, qui ne porte pas expressément sur cette question. Cela exige une interprétation du texte, du contexte ou de l’objet ((Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27). Aucune partie ne l’a fait et aucune partie n’a allégué qu’en l’espèce le pouvoir de réexamen inclurait des motifs autres que ceux énoncés dans l’arrêt Chandler. Eu égard à ma dernière conclusion, je suis disposée à présumer, sans trancher la question, que le ministre avait le pouvoir de réexaminer la décision pour les motifs énoncés dans la décision Chopra et sur lesquels M. Ramos a particulièrement insisté.

[54] Comme M. Ramos n’a invoqué aucun autre motif devant notre Cour, j’en conclus que le seul qui pourrait s’appliquer en l’espèce est le manquement allégué à l’équité procédurale durant le processus ayant mené à la décision d’annuler son habilitation, le 29 septembre 2017. Cependant, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale et Mme Mahon a bien indiqué dans sa décision que M. Ramos avait reçu tous les renseignements pertinents relativement aux préoccupations du ministre quant à son admissibilité, avant que la décision annulant son habilitation ne soit rendue. Dans ces circonstances, il n’a pu y avoir entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire puisqu’il n’y avait aucun pouvoir discrétionnaire à exercer. Comme le prévoit l’arrêt Chandler, le pouvoir d’examiner de nouveau ne consiste habituellement pas simplement à changer d’avis à la lumière d’observations supplémentaires ou parce qu’un décideur a commis une erreur dans le cadre de l’exercice de sa compétence (arrêt Chandler, au para. 76).

[55] De fait, en examinant l’application possible de la partie II-36 de la politique sur le PHST à la nouvelle demande de M. Ramos, qu’il aurait prétendument soumise en réponse à la lettre du 17 octobre 2016 mais que le ministre n’a reçue qu’en octobre 2017, Mme Mahon élargissait en fait les motifs au titre desquels M. Ramos pourrait normalement demander un réexamen. Mme Mahon avait le droit d’examiner si la demande de M. Ramos était justifiée au titre de la partie II-36 de la politique sur le PHST, car ce dernier avait décidé de présenter une nouvelle demande comme le prévoit cette politique. Ce faisant, elle a examiné comme il se doit si la demande de M. Ramos mettait en lumière des circonstances qui pourraient justifier une nouvelle décision, conformément à la politique sur le PHST. Mme Mahon n’a commis aucune erreur susceptible de révision en formulant sa conclusion, car il n’y avait eu aucun changement dans les circonstances ayant mené à l’annulation et qu’une période de cinq ans ne s’était pas écoulée depuis l’annulation. Sa décision était raisonnable.

IV. CONCLUSION

[56] Eu égard à ce qui précède, aucun motif ne justifie l’intervention de notre Cour. L’appel est rejeté sans dépens, car le ministre a confirmé durant l’audience qu’il ne souhaitait pas l’adjudication de dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Wyman W.Webb, j.c.a »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE ANNIS LE 6 JUILLET 2018, DOSSIER NO T-1628-17

DOSSIER :

A-250-18

 

INTITULÉ :

RODRIGO RAMOS c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell

 

Pour l’appelant

 

Jacob Pollice

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osborne G. Barnwell

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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