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Date : 20130416

Dossier : A-297-12

Référence : 2013 CAF 102

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CLAUDE MERCURE

Appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

Intimée

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 11 décembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 avril 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER

Y A (ONT) SOUSCRIT :                                                                    LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL                                                                                                                                                                                   

 

 



Date : 20130416

Dossier : A-297-12

Référence : 2013 CAF 102

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CLAUDE MERCURE

Appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

Intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PELLETIER

 

 [1]                       Comment un juge de première instance doit-il réagir, afin d’assurer le droit à l’équité procédurale, lorsqu’un contribuable, sans en apprécier la portée, fait un aveu qui détermine le résultat de son appel?  Voilà la question principale que soulève cet appel.  En aval de cette question est celle du droit de l’appelant, monsieur Mercure, au remboursement de la taxe payée lors de la construction de sa nouvelle maison.

 

 [2]                       Monsieur Mercure et sa conjointe ont décidé de se construire une nouvelle maison.  Ils ont choisi d’agir en qualité d’entrepreneurs, c'est-à-dire qu’ils se sont chargés d’embaucher les sous-traitants habituels (plombiers, électriciens, etc.) et de se réserver tous les travaux qu’ils étaient en mesure de faire eux-mêmes. 

 

 [3]                       Conscient de la possibilité de remboursement de la taxe sur les produits et services (TPS) payée sur les matériaux de construction, monsieur Mercure s’informa auprès de l’Agence canadienne du revenu (l’ARC) de la procédure à suivre et, en particulier, des délais de prescription pour déposer sa réclamation.  Monsieur Mercure témoigna qu’on lui avait dit que la demande de remboursement devait être faite au plus tard deux ans « après que la maison soit convenablement habitable » (Dossier d’appel, p. 24).   Quand il demanda des précisions sur ce que voulait dire « convenablement habitable », on lui a dit :

Comparez-vous un petit peu à un promoteur qui construit une maison où le terrain n’est pas aménagé et tout comme ça là, et puis que vous rentrez dans une maison comme ça, comme une maison modèle, et puis ça vous donne une idée d’une maison convenablement habitable. 

 

Dossier d’appel, p. 24.

 

 

 [4]                       Cette explication cadre plus ou moins avec le libellé du paragraphe 256(3) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-5, (la Loi) qui se lit comme suit :

(3) Les remboursements prévus au présent article ne sont versés que si le particulier en fait la demande au plus tard :

a) à la date qui suit de deux ans le premier en date des jours suivants :

(i) le jour qui suit de deux ans le jour où l’immeuble est occupé pour la première fois de la manière prévue au sous-alinéa (2)d)(i),

(ii) le jour où la propriété est transférée conformément au sous-alinéa (2)d)(ii),

(iii) le jour où la construction ou les rénovations majeures de l’immeuble sont achevées en grande partie;

b) à toute date postérieure à celle prévue à l’alinéa a), fixée par le ministre.

 

 [5]                       Il n’est pas contesté que la disposition qui s’applique dans les circonstances est le sous-alinéa 256(3)a)(iii).   La source de ce litige est le fait que monsieur Mercure a fait sa demande au moment où il jugeait que sa maison était convenablement habitable alors que le test prescrit par la Loi parle de construction ou rénovations « achevées en grande partie ».

 

 [6]                       Conscient du fait que le temps s’écoulait et que le rythme des travaux ralentissait après l’arrivée d’un second enfant, monsieur Mercure décida que sa maison était devenue convenablement habitable en septembre 2007, lorsque la construction et l’aménagement de la chambre de son premier enfant furent terminés.  Il a donc soumis sa réclamation pour remboursement en juillet 2009, à l’intérieur des deux ans après que sa maison, dans son appréciation des choses, était devenue convenablement habitable.  Il a vu sa demande refusée pour le motif qu’elle était hors délai.

 

 [7]                       Monsieur Mercure porta cette décision en appel devant la Cour canadienne de l’impôt, 2012 CCI 148.  Dans sa réponse à l’avis d’appel, le ministre du Revenu, au nom de Sa Majesté la reine,  énonça ses hypothèses de fait :

11.       En refusant la demande de remboursement, le ministre s’est fondé sur les conclusions et les hypothèses de faits suivantes :

 

(e) L’appelant admet avoir déménagé dans l’immeuble en avril 2006

(i) Au cours de la vérification effectuée par l’intimée, les factures soumises par l’appelant ont été vérifiées;

(j) L’intimée a constaté que le coût des travaux du début de la construction jusqu’au 31 décembre 2006 s’élève à 182 572,24 $;

(k) L’intimée a constaté que le coût des travaux en 2007 s’élève à 2 389,50 $ et représente des achats de pierres extérieures, de moulures ainsi que de céramiques;

l) L’intimée a constaté que le coût des travaux en 2008 s’élève à 2 463,20 $ et représente des achats de peinture, de pelouse et de membranes pour l’extérieur;

m) L’intimée a constaté que le coût des travaux en 2009 s’élève à 191,60 $ et représente des achats de peinture et de luminaires;

(n) Par conséquent, les travaux effectués après 2006 étaient minimes et la maison a été achevée en grande partie en décembre 2006.

 

 [8]                       Lorsque monsieur Mercure s’est présenté devant la Cour canadienne de l’impôt, le juge lui a demandé s’il admettait, niait ou ignorait chacune des hypothèses de fait du ministre.  Monsieur Mercure a avoué que chacune des hypothèses de fait du ministre était vraie.  Après que monsieur Mercure eut admis l’hypothèse qui paraît au paragraphe 11(n), le juge lui demanda :

SON HONNEUR : Et la question en litige, vous êtes conscient de ce sur quoi porte principalement le litige?

M. Mercure : Oui

Dossier d’appel, pp. 20-21

 

 [9]                       Cette question laisse entendre que le juge était conscient dès lors de la portée de cet aveu.

 

 [10]                   Après cet échange, le juge expliqua à monsieur Mercure qu’il avait le « fardeau de la preuve », c'est-à-dire qu’il lui revenait de démontrer que ses allégations étaient bien fondées.  Monsieur Mercure a donc témoigné, et a été contre-interrogé quant aux faits qui le portaient à croire que ce n’était qu’en septembre 2009 que sa maison était devenue convenablement habitable.

 

 [11]                   Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a rendu une décision écrite trois mois après l’audition de la cause.  Le juge a commencé sa décision en reprenant les faits tels que relatés par monsieur Mercure.  Il a reproduit ensuite la portion de la transcription où monsieur Mercure concède l’exactitude de toutes les hypothèses de fait du ministre.  Le juge a alors tranché la question en litige comme suit :

17. L’appelant est une personne qui comprend bien et vite. Il est très structuré et très bien articulé [sic].  De plus, il était bien préparé.  Dans un tel contexte, je ne peux pas mettre de côté ses admissions qui sont très claires.

19 […] En l’espèce, l’appelant a fait une admission ne laissant aucune place à l’équivoque ou à l’interprétation.  Cette admission situe donc dans le temps clairement le début du temps pour le calcul du délai.

20 […] L’appelant lui-même a identifié par ses admissions le moment où le calcul du délai a commencé.

21.  Conséquemment, l’appel doit être rejeté puisque la réclamation a été déposée après l’expiration du délai prévu par la Loi.

 

 [12]                   Il est clair que l’admission dont il est question dans les motifs du juge est celle qui porte sur le paragraphe 11(n) selon laquelle « la maison a été achevée en grande partie en décembre 2006 ».

 

 [13]                   Monsieur Mercure interjeta appel de cette décision, remettant carrément en question la façon de faire du juge de la Cour canadienne de l’impôt.  Il allègue que le juge, n’ayant pas porté à sa connaissance l’effet de l’aveu quant au paragraphe 11(n), l’a privé du droit à l’équité procédurale.  Il allègue en plus que tout ce qui s’est passé au procès par la suite démontre qu’il n’a jamais accepté que la fin de décembre 2006 était la date pertinente du calcul du délai pour le dépôt de sa réclamation.  Il conclut sur ce point en disant que, n’ayant pas porté à son attention l’effet de son aveu quant au paragraphe 11(n), le juge se devait de décider la cause à partir de son témoignage et n’aurait pas dû donner à son aveu l’effet qu’il lui a donné.

 

 [14]                   Sur le fond, monsieur Mercure soutient toujours que la date à laquelle la date à laquelle le délai commençait à courir pour le dépôt de sa demande de remboursement était bien la fin septembre 2007.  Il se fonde sur des photos de l’intérieur de la maison, prises après décembre 2006, qui démontrent l’état inachevé des travaux.

 

 [15]                   Bien qu’il n’emploie pas ce langage, l’impression qui se dégage de la plaidoirie de monsieur Mercure est qu’il s’est senti piégé par le juge de la Cour canadienne de l’impôt.  Il a été amené à faire un aveu dont il ignorait la portée sans avoir eu la chance soit de le retirer, soit d’en expliquer le sens.  Il fait valoir, non sans une certaine justification, qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale.

 

 [16]                   Comme cette cour l’a dit dans l’arrêt Wagg c. Canada, 2003 CAF 303, [2004] R.C.F. 206, au paragraphe 23 :

Les plaideurs se représentent eux-mêmes pour une diversité de raisons. S'ils viennent à se rendre compte avant le début du procès qu'ils ont sous-estimé la complexité de la tâche qui les attendait, il est dans leur intérêt et dans celui de la Cour qu'ils puissent se faire représenter. Mais, une fois qu'un procès a débuté, je ne crois pas qu'il soit injuste de contraindre un appelant à respecter son choix de se représenter lui-même et de s'en remettre à son propre entendement.

 

 

 [17]                   En l’espèce, monsieur Mercure aurait dû prendre connaissance de l’article 256 de la Loi qui régit sa réclamation.  S’il l’avait fait, il aurait vu et lu la proposition « le jour où la construction ou les rénovations majeures de l’immeuble sont achevées en grande partie » et aurait été en mesure d’en apprécier l’importance lorsque le juge lui demanda si le paragraphe 11(n) de la réponse à l’avis d’appel était vrai ou non.  Le fait que monsieur Mercure ait préparé sa cause sur la base de l’expression « convenablement habitable » s’explique mais l’explication ne relève pas monsieur Mercure de son obligation, en tant que plaideur qui se présente lui-même devant la cour, de prendre connaissance  de la loi dont il conteste l’application. 

 

 [18]                   En revanche, monsieur Mercure a raison quant il se plaint de la suite des choses après qu’il eut fait cet aveu qui s’avère maintenant inopportun.  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt semblait être ou, encore, devait être conscient du fait que cet aveu mettait fin à tout espoir que l’appel réussisse.  Alors, pourquoi permettre à monsieur Mercure de faire une preuve dont l’objet était de miner ou de contourner son propre aveu? Dans la mesure où la loi du Québec s’appliquait,  selon l’article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. c. C-5, monsieur Mercure était forclos de contredire son propre aveu.  Voilà l’effet de l’article 2852 du Code civil du Québec.  Dans son ouvrage La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, Jean-Claude Royer  résume la doctrine et la jurisprudence sur cette question comme suit :

895 - Irrecevabilité d'une preuve contraire - L'aveu judiciaire, qui n'est pas révoqué, est une preuve complète et exclusive. L'auteur de l'aveu ne peut offrir une preuve contraire. Il serait inconcevable d'autoriser un plaideur à prouver le contraire de ce qu'il admet devant le tribunal. De plus, l'aveu judiciaire ne peut être révoqué que pour cause d'erreur de fait.

 

 

 

 [19]                   Le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait le loisir de demander à monsieur Mercure s’il acceptait les hypothèses de fait du ministre, s’il les niait ou encore s’il ignorait si elles étaient vraies ou fausses.  Mais lorsque monsieur Mercure a avoué que la construction de sa maison était achevée en grande partie dès décembre 2006, le juge se devait de lui expliquer qu’il ne lui était pas permis de faire une preuve qui contredisait son propre aveu.   Le Juge se devait aussi de lui dire que sur la foi de cet aveu, son appel devait être rejeté.

 

 [20]                   Une telle explication aurait permis à monsieur Mercure de réagir et se faire entendre sur le bien-fondé et la portée de son aveu, ce qui aurait entraîné soit la révocation de l’aveu et la continuation du procès, soit le prononcé du jugement rejetant l’appel.  Dans un cas comme dans l’autre, monsieur Mercure aurait eu la chance de se faire entendre sur ces questions.  En procédant comme il l’a fait, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a privé monsieur Mercure de son droit d’être entendu sur la question qui est devenue, à son insu, la question déterminante pour l’issue de son appel et, de ce fait,  le juge a brimé son droit à l’équité procédurale. 

 

 [21]                   Il reste à déterminer le remède auquel monsieur Mercure a droit.  Règle générale, lorsqu’il y a un manquement à l’équité procédurale, la cour ne s’interroge pas pour savoir si ce manquement a eu une incidence sur l’issue du litige.  Le fait même du manquement à l’équité procédurale suffit pour renvoyer la cause pour une nouvelle audition.  À cette règle générale, il n’y a qu’une exception, à savoir lorsque la question devant le tribunal mène à une réponse inéluctable: voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, aux paragraphes 50-54.

 

 [22]                   Or, il appert que nous sommes en présence d’une telle question.  Même si l’on écarte l’aveu de monsieur Mercure quant au paragraphe 11(n), il n’en reste pas moins que les dépenses encourues jusqu’à la fin de décembre 2006 s’élevaient à 182 572,24 $.  Le total des dépenses encourues jusqu’à la fin de 2009 s’élevait à 187 616,54 $ ce qui fait que 97,3% du total des dépenses liées à la construction de la maison avaient été encourues dès décembre 2006.  Bien que monsieur Mercure ait stocké une certaine quantité de matériaux dans son garage, comme il l’a fait valoir devant nous, il n’en  reste pas moins que le pourcentage très élevé de dépenses encourues dès la fin de 2006 ne laisse place à aucune autre conclusion que la construction de sa maison était achevée en grande partie en décembre 2006.  Les photos de l’état de l’intérieur de la maison à divers moments après décembre 2006 mises en preuve par monsieur Mercure ne sont pas concluantes puisque la Loi exige seulement que la construction soit achevée en grande partie et non pas qu’elle soit complètement achevée.

 

 [23]                   Pour ces motifs, je rejetterais l’appel mais sans frais.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Pierre Blais j.c. »

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-297-12

 

 

INTITULÉ :                                                                          Claude Mercure et Sa majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Québec, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 11 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :                                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS, LA JUGE TRUDEL

MOTIFS CONCOURANTS :                                            

MOTIFS DISSIDENTS :                                                    

 

DATE DES MOTIFS :                                                         16 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claude Mercure

POUR L’APPELANT

 

Me Pier-Olivier

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claude Mercure

POUR L’APPELANT

 

Larivière Meunier, Québec, Québec

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

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