Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20121119

Dossier : A‑387‑11

Référence : 2012 CAF 298

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ACKLANDS‑GRAINGER INC.

demanderesse

et

 

LE procureur général du Canada

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOEL

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER


Date: 20121119

Dossier : A‑387‑11

Référence : 2012 CAF 298

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ACKLANDS‑GRAINGER INC.

demanderesse

et

 

LE procureur général du Canada

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Notre Cour est saisie d’un recours en contrôle judiciaire dirigé contre une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur rejetant la plainte d’Acklands‑Grainger Inc. (Acklands) relative à un appel d’offres lancé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (Travaux publics) en vue de la fourniture de matériel de lutte contre l’incendie, de protection et de sauvetage dans le cadre d’offres à commandes nationales.

 

[2]               Acklands est distributeur de produits et de matériaux de sécurité industrielle et d’assemblage. Elle acquiert du matériel et des produits de lutte contre l’incendie, de protection et de sauvetage auprès de divers fabricants qui auraient été autorisés à soumissionner dans le cadre de l’invitation en cause en concurrence avec Acklands.

 

[3]               Par une plainte présentée au Tribunal, Acklands a soutenu que l’appel d’offres accordait aux fabricants un avantage indu comparativement aux autres soumissionnaires et qu’il donnait lieu à un conflit d’intérêts, en violation des accords commerciaux dont le Canada est signataire. Le Tribunal a jugé que la plainte n’était pas fondée et l’a rejetée avec dépens.

 

[4]               Acklands a engagé un recours en contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. Elle sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire au Tribunal avec instruction de reconnaître le bien-fondé de la plainte. Par les motifs ci‑après, je conclus que la présente demande en contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

Norme de contrôle

[5]               La norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Construction de Défense (1951) Limitée c Zenix Engineering Ltd., 2008 CAF 109, aux paragraphes 20 et 25. Le recours en contrôle judiciaire fondé sur la norme de la décision raisonnable appelle la prise en compte de la décision elle‑même et des motifs de celle-ci. La décision doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », et le caractère raisonnable qui tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » doit ressortir des motifs : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47.

 

Observations préliminaires

[6]               La décision du Tribunal fut rendue le 19 septembre 2011 (Marchés publics, dossier PR‑2011‑007). La demande en contrôle judiciaire fut déposée dans le délai de 30 jours prescrit par l’article 28 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, c F‑7. Cependant, l’instruction de l’affaire par la Cour a été retardée parce que les motifs du Tribunal ne furent rendus que le 31 janvier 2012.

 

[7]               Le Tribunal a compétence pour connaître des différends relatifs aux marchés publics auxquels certains accords commerciaux s’appliquent. En l’espèce, la compétence du Tribunal à l’égard de la plainte d’Acklands n’a pas été attaquée.

 

[8]               La plainte d’Acklands porte essentiellement sur ce que l’on pourrait appeler les dispositions de non‑discrimination figurant dans les accords commerciaux applicables. Il n’est pas nécessaire de reproduire ici les dispositions pertinentes de ces accords étant donné qu’il est bien connu qu’elles visent toutes à empêcher les gouvernements d’adopter un processus d’approvisionnement qui accorde à un fournisseur potentiel ou à une catégorie de fournisseurs potentiels un avantage concurrentiel indu par rapport aux autres.

 

[9]               Acklands a invoqué un deuxième motif à l’appui de sa plainte, soit le fait que l’appel d’offres donne lieu à un conflit d’intérêts en raison de la mesure dans laquelle les soumissionnaires potentiels qui sont des fabricants peuvent influencer la procédure d’appel d’offres. Le Tribunal a conclu que l’allégation de conflit d’intérêts, au vu des faits de l’espèce et des observations d’Acklands, était subsidiaire par rapport à l’allégation de discrimination injuste et que, par conséquent, il ne convenait pas de la discuter séparément. Par les observations écrites et orales qu’il a présentées devant la Cour, le conseil d’Acklands a attaqué la conclusion du Tribunal sur ce point. Ces observations ont été rejetées sans que le conseil de la Couronne ait à y répondre verbalement. Par conséquent, la seule question de fond en jeu dans la présente demande instance en contrôle judiciaire est celle de savoir si le Tribunal a agi de façon raisonnable en concluant que la procédure d’appel d’offres en cause n’avait pas procuré aux fabricants un avantage concurrentiel injuste comparativement aux autres soumissionnaires.

 

Faits et procédures

[10]           Travaux publics a la mission d’assurer aux autres ministères fédéraux de nombreux services, y compris les services liés à l’acquisition de biens. Le 3 février 2011, Travaux publics a lancé un appel d’offre relatif à la fourniture de matériel de lutte contre l’incendie, de protection et de sauvetage. L’appel a pris la forme d’une demande d’offres à commandes. Il avait pour objet de receuillir des offres à commandes principales et nationales pour la fourniture de matériel de lutte contre l’incendie, de protection et de sauvetage à divers ministères et à diverses agences gouvernementales, selon les besoins. Les offres à commandes devaient avoir une durée d’un an. Travaux publics aurait eu la possibilité de renouveler les offres à commandes pour deux autres périodes d’un an.

 

[11]           Dans le cadre de l’appel en cause, le matériel de lutte contre l’incendie, de protection et de sauvetage était réparti en trois grands groupes : a) le matériel de lutte contre l’incendie, b) le matériel de protection et c) le matériel de sauvetage. Les produits étaient ensuite répartis en 24 catégories : 7 catégories de matériel de lutte contre l’incendie, 12 catégories de matériel de protection et 5 catégories de matériel de sauvetage.

 

[12]           Pour chacune des 24 catégories de produits, Travaux publics avait établi une liste de fabricants dont les produits étaient admissibles. Chaque fabricant admissible de produits faisant partie de l’une ou l’autre des 24 catégories pouvait choisir les produits d’une catégorie donnée qu’il était prêt à offrir.

 

[13]           Les soumissionnaires pouvaient aussi bien être des fabricants admissibles que des distributeurs qui s’approvisionnaient auprès d’un fabricant admissible. En d’autres termes, les distributeurs étaient en concurrence avec tous les fabricants admissibles, même si ces ceux‑ci devaient nécessairement être la source d’approvisionnement des produits. Seuls les soumissionnaires en mesure de fournir au moins 90 p. 100 des produits d’un fabricant admissible dans une catégorie donnée pouvaient obtenir une offre à commandes pour ladite catégorie.

 

[14]           Les fabricants admissibles étaient requis de fournir à tous les distributeurs une liste de prix de tous les produits qu’ils étaient prêts à fournir, structurée selon les 24 catégories de produit. Chaque prix sur la liste devait être le « prix suggéré par le fabricant pour une petite quantité de ventes directes aux consommateurs », désigné dans l’invitation par l’expression « prix de détail suggéré par le fabricant » ou « PDSF ». Dans le cadre de l’appel d’offres, ces prix devaient servir de prix de référence pour les produits du fabricant concerné. Il semble que Travaux publics ait tenu pour acquis que le PDSF d’un produit donné correspond à la valeur au détail de ce produit. Cette hypothèse est constante.

 

[15]           Chaque soumissionnaire qui n’était pas un fabricant admissible devait obtenir la liste la plus récente des PDSF communs de chaque fabricant admissible dont il voulait se procurer les produits. La liste des PDSF communs pouvait avoir déjà été établie par le fabricant pour son propre usage ou pour les besoins de l’appel d’offres en cause.

 

[16]           Pour chaque catégorie de produits, chacun des soumissionnaires devait fournir un rabais unique, exprimé en pourcentage, applicable au PDSF de tous les produits du fabricant concerné inscrits dans la catégorie visée. Le soumissionnaire était aussi tenu de fournir, avec sa soumission, un document du fabricant précisant que le fabricant l’autorisait à fournir ses produits dans le cadre de l’appel d’offres en cause.

 

[17]           Travaux publics devait classer les soumissions par ordre décroissant en fonction des rabais exprimés en pourcentage (c’est‑à‑dire que plus le rabais en pourcentage était élevé, meilleur serait le classement de la soumission). Pour que les produits d’un fabricant donné dans une catégorie de produits soient pris en compte, il fallait que ces produits soient visés par au moins trois soumissions. S’il y avait suffisamment d’offres recevables, trois offres à commandes étaient établies pour chaque catégorie de produits. Seuls les soumissionnaires dont les soumissions s’étaient classées au premier, au deuxième et au troisième rang pouvaient obtenir une offre à commandes.

[18]           À partir du moment où les offres à commandes étaient établies dans le cadre de l’appel d’offres en cause, les rabais en pourcentage devaient demeurer fixes pour la durée de l’offre à commandes. Cependant, l’invitation prévoyait la révision potentielle des listes de PDSF tous les six mois « en fonction de la conjoncture du marché » (une expression qui n’était pas définie). Par suite des demandes de renseignements présentées par des soumissionnaires au cours du processus d’appel d’offres, certaines modifications ont été apportées à l’appel d’offres en ce qui concerne le mécanisme de modification des prix. L’interprétation de ces dispositions modifiées a résulté en certains différends qui ont été déférés au Tribunal. Au final, le Tribunal a statué qu’une mise à jour à la liste des PDSF d’un fabricant pour une catégorie de produits serait prise en compte uniquement si la même liste était soumise à Travaux publics par les trois détendeurs d’offres à commandes pour cette catégorie et que ces derniers recevraient la liste à jour directement du fabricant. En substance, chaque détenteur d’une offre à commandes avait le pouvoir de rejeter toute proposition d’un fabricant de mettre à jour sa liste de PDSF.

 

Discussion

[19]           Le grief d’Acklands est fondé sur le fait que le mécanisme initial de fixation des prix établi par l’appel d’offres en cause, tout comme le mécanisme de mise à jour des prix, donne aux fabricants, comparativement aux distributeurs, un avantage concurrentiel en sus de l’avantage concurrentiel dont ils jouissent de façon inhérente en tant que fabricants. Les observations présentées par Acklands devant notre Cour sont substantiellement les mêmes que celles qu’elle a présentées devant le Tribunal, qui les a rejetées. Vu les motifs convaincants et détaillés du Tribunal, je peux m’en tenir à résumer la thèse d’Acklands et les conclusions du Tribunal sur chacun des principaux points.

a) Mécanisme initial de fixation des prix

[20]           Acklands ne soutient pas que le fait que des fabricants admissibles aient pu participer au processus comme soumissionnaires en concurrence avec les distributeurs de leurs produits pouvait, en soi, justifier un grief fondé sur la discrimination ou la concurrence déloyale. Toute plainte de cette nature aurait été rejetée du fait que le Tribunal avait déjà rejeté un tel principe dans CAE Inc. c TPSGC, le 7 septembre 2004, PR‑2004‑008. Le Tribunal s’explique à ce sujet aux paragraphes 73 à 77 des motifs qu’il a rendus dans la présente affaire (notes de bas de page omises) :

¶73. Manifestement, sur le marché commercial normal, tous les fournisseurs, qu’il s’agisse de fabricants, de distributeurs ou de revendeurs, possèdent certains avantages concurrentiels naturels par rapport à d’autres fournisseurs. Pour les fabricants, leur avantage peut provenir du fait qu’ils peuvent produire des marchandises de manière efficace tout en conservant les coûts, comme ceux des intrants et de la main‑d’œuvre, au plus bas niveau possible. Pour les distributeurs et les revendeurs, leurs avantages peuvent provenir du fait qu’ils peuvent offrir une gamme de produits plus vaste et diminuer les frais de logistique habituellement associés au transfert de ces marchandises aux consommateurs. Par exemple, ils peuvent posséder des entrepôts situés un peu partout au pays, disposer de réseaux de distribution établis et avoir conclu des ententes spéciales ou profiter de tarifs avantageux relativement au transport.

¶74. De plus, sur le marché commercial normal, les distributeurs peuvent bénéficier de relations privilégiées avec des fabricants particuliers, ce qui leur permettrait d’obtenir des conditions commerciales et des prix avantageux. M. Kaul a expressément reconnu que de telles relations sont courantes. Nonobstant l’existence de relations privilégiées, le Tribunal est d’avis que les fabricants souhaitent généralement entretenir de bonnes relations avec tous leurs distributeurs et revendeurs, car ceux‑ci contribuent à faire en sorte que les produits fabriqués par ces fabricants se rendent effectivement sur le marché.

¶75. Par conséquent, dans le contexte d’une invitation à soumissionner dans le cadre de laquelle les fabricants, les distributeurs et les revendeurs se livrent concurrence, il est tout à fait raisonnable de s’attendre à ce que chacun d’eux compte sur ses propres avantages concurrentiels naturels afin d’offrir le plus bas prix possible ou, dans le contexte de la présente invitation à soumissionner, le meilleur rabais en pourcentage sur les prix indiqués sur les listes de PDSF communs. Ces avantages inhérents, qui existent indépendamment de la manière dont une invitation à soumissionner est

structurée, n’entraînent pas la conclusion que la procédure de passation des marchés présente un caractère discriminatoire.

¶76. Ce principe a été reconnu expressément par le Tribunal dans CAE Inc., où il déclarait ce qui suit :

[43] En ce qui concerne le premier motif de plainte selon lequel TPSGC et MDN n’ont pas accordé un accès égal dans le cadre du marché public, le Tribunal ne croit pas qu’une procédure d’appel d’offres est nécessairement discriminatoire de façon inhérente lorsque les soumissionnaires ne sont pas sur un même pied d’égalité au moment de s’engager dans la procédure de soumission. Comme l’a affirmé CAE dans sa lettre du 15 mars 2004 à TPSGC : « Il ne fait aucun doute que certains soumissionnaires disposent de certains avantages concurrentiels dans certaines offres. Un tel état des choses fait simplement partie du mouvement commercial ordinaire de flux et de reflux » [traduction]. Le Tribunal fait observer que de tels avantages concurrentiels peuvent découler du fait qu’une société est titulaire d’un contrat, de la [propriété intellectuelle], de l’[International Traffic in Arms Regulations] ou de divers autres facteurs commerciaux. Le Tribunal accepte cette déclaration de CAE et est d’avis que, si un soumissionnaire se trouve dans une situation désavantageuse, il ne s’ensuit pas nécessairement que la procédure d’appel d’offres appliquée par TPSGC présente un caractère discriminatoire. [Note omise]

¶77. Par conséquent, bien que les accords commerciaux imposent des obligations d’équité et de transparence aux entités gouvernementales, le Tribunal est d’avis que ces obligations ne peuvent être interprétées de manière à obliger le gouvernement à adopter une procédure de passation des marchés qui tendrait à éliminer les effets des avantages concurrentiels naturels ou légitimes dont les fournisseurs pourraient bénéficier. En fait, de telles procédures de passation des marchés, si elles étaient adoptées, seraient probablement interprétées comme étant discriminatoires.

 

 

 

[21]           En ce qui concerne le mécanisme initial de fixation des prix, Acklands soutenait essentiellement ceci : étant les seuls à pouvoir fixer le prix de référence de leurs produits, les fabricants admissibles peuvent manipuler les prix de référence en leur faveur et au détriment des distributeurs. Selon Acklands, cette capacité de manipuler les prix de référence n’a rien à voir avec les avantages inhérents liés au fait d’être un fabricant, et elle résulte plutôt de la clause de l’appel d’offres qui accorde aux fabricants le pouvoir de fixer le prix de référence.

 

[22]           Supposons qu’un distributeur, Smithco par exemple, soit prêt à fournir le produit B à 40 $. Il pourra offrir à l’un ou à l’ensemble des fabricants admissibles un rabais de 20 p. 100 sur les produits de cette catégorie. Cependant, vu les conditions de l’appel d’offres, une offre de rabais de 20 p. 100 à l’égard des produits de Yco à l’intérieur de la catégorie s’appliquera à l’ensemble des produits Yco de la catégorie. Cela signifie que le prix offert pour le produit A de Yco sera de 1 600 $.

 

[23]           Pour cette catégorie de produits, des soumissions pourraient être présentées par Xco, Yco, Zco et tous les autres soumissionnaires qui feraient l’acquisition du produit A de Yco, et du produit B de Xco, de Yco et de Zco. Soulignons que Yco, en tant que fabricant du produit A, pourra toujours faire en sorte d’obtenir pour elle‑même un prix de 1 600 $ pour le produit A en présentant une soumission prévoyant un rabais de 20 p. 100.

 

[24]           Supposons qu’un distributeur, Smithco par exemple, soit prêt à fournir le produit B à 40 $. Il pourrait offrir un rabais de 20 p. 100 pour le produit B acquis de n’importe lequel des trois fabricants admissibles. Toutefois, vu les conditions de l’appel d’offres, l’offre de rabais de 20 p. 100 par Smithco s’appliquera à l’ensemble des produits de la catégorie. Il faudra donc appliquer le même rabais de 20 p. 100 au produit A de Yco, dont le prix s’élèvera en conséquence à 1 600 $.

 

[25]           Supposons maintenant que le prix de 1 600 $ pour le produit A soit inacceptable pour Smithco parce que Yco ne vendra pas le produit A à Smithco à moins de 1 600 $. Si Smithco souhaite déposer une soumission qui lui garantit un prix supérieur à 1 600 $ pour le produit A, il faudra qu’elle offre un rabais inférieur à 20 p. 100 pour l’ensemble des produits de Yco de la catégorie. Cela signifie donc que, à l’égard du produit A, la soumission de Smithco se classera toujours derrière celle de Yco.

 

[26]           Au titre des avantages inhérents que lui confère le fait d’être un fabricant, Yco peut fixer à l’égard Smithco le prix du produit A à 1 600 $. Toutefois, selon Acklands, étant donné que l’invitation donne au fabricant Yco le droit supplémentaire de fixer le prix de référence du produit A à 2 000 $ par l’intermédiaire de son PDSF, Yco a à l’égard du produit A un avantage concurrentiel qui ne découle pas du fait qu’elle est un fabricant et dont ne bénéficie pas Smithco.

 

[27]           Le Tribunal a conclu que, contrairement à ce que soutient Acklands, tout avantage dont pourra bénéficier un fabricant du fait de son droit de fixer le prix de référence des produits à l’intérieur d’une catégorie donnée était en fait un des avantages inhérents qu’il possédait en tant que fabricant et fournisseur de produits à des soumissionnaires qui sont aussi ses distributeurs. Cet avantage découle naturellement du fait que le fabricant connaît le coût des produits vendus par ses distributeurs, et du pouvoir qu’il exerce sur ces coûts. Cet avantage concurrentiel existera même à l’égard d’une invitation qui n’utilisera pas un PDSF commun comme prix de référence. Par conséquent, l’utilisation de cette technique d’établissement des prix n’accorde pas aux fabricants un avantage qu’ils ne possèdent pas déjà du fait qu’ils sont des fabricants.

 

[28]           À mon avis, il était raisonnable que le Tribunal conclue, à partir des éléments dont il était saisi que les avantages inhérents des fabricants existaient indépendamment du mécanisme d’établissement des prix retenu pour l’invitation en cause et que ces avantages n’avaient pas été substantiellement modifiés ou augmentés par l’exigence que les fabricants fixent le prix de référence de leurs produits.

 

[29]           Acklands a aussi fait valoir, en ce qui concerne le mécanisme initial d’établissement des prix, que les fabricants ne sont pas tenus de fournir la même liste de PDSF à tous les soumissionnaires. Étant donné que le soumissionnaire qui soumet une liste des PDSF d’un fabricant donné qui diffère de la liste des PDSF soumise par la majorité des distributeurs de ce fabricant sera réputé non conforme, le fabricant dispose, en substance, du pouvoir d’exclure un soumissionnaire.

 

[30]           Le Tribunal a retenu l’idée qu’on ne pouvait obliger un fabricant à remettre la même liste de PDSF à tous les soumissionnaires, de sorte que les fabricants peuvent dans une certaine mesure faire en sorte que certains soumissionnaires soient exclus. Cependant, le Tribunal a souligné que les fabricants disposent forcément de l’avantage d’exclure des soumissionnaires en augmentant substantiellement les prix qu’ils exigent de ces soumissionnaires pour leurs produits, en leur imposant des conditions commerciales défavorables ou en refusant de leur vendre leurs produits. Le Tribunal a conclu que cet avantage inhérent n’était pas accru du simple fait que le fabricant était en mesure de fixer le prix de référence. À mon avis, cette conclusion est raisonnable.

 

b) Mécanisme de mise à jour des prix

[31]           Acklands a soutenu que le mécanisme de mise à jour des prix est irrémédiablement vicié parce que les fabricants ne sont pas obligés de remettre la même liste à jour de PDSF à tous les détenteurs d’offres à commandes. Le Tribunal a rejeté cette allégation après examen des conditions de l’appel d’offres, comme il a été expliqué ci‑dessus. À mon avis, il était tout à fait loisible au Tribunal d’ainsi interpréter l’appel et la conclusion du Tribunal constitue une réponse adéquate à cet aspect du grief d’Acklands.

 

[32]           Acklands a aussi fait valoir que les fabricants pouvaient modifier de façon stratégique leurs listes de PDSF pour favoriser leur propre soumission ou celle d’un distributeur qu’ils entendaient avantager. Par exemple, les fabricants et leurs fournisseurs privilégiés peuvent offrir,  au départ, un plus grand rabais en pourcentage, ce qui augmentera leurs chances d’obtenir une offre à commandes puis, par la suite, présenter une nouvelle liste de PDSF plus élevés afin de réduire le poids du rabais. Le Tribunal a rejeté cette thèse au motif que toute tentative de manipulation de ce genre entraînera probablement une augmentation ultérieure des prix au‑delà de ce que les conditions du marché justifieront et le rejet des nouveaux PDSF. Là encore, j’estime que cette conclusion est raisonnable au vu des éléments dont était saisi le Tribunal.

 

[33]           Acklands a soutenu que le fait que Travaux publics se réservait le droit de rejeter une liste de PDSF modifiée n’assurait aucune protection contre une manipulation déloyale des prix par un fabricant étant donné que l’appel d’offre ne précisait pas les normes ou les paramètres d’exercise, par Travaux publics, de son pouvoir discrétionnaire d’accepter ou de rejeter une modification, si ce n’est de l’exigence relative au caractère « raisonnable » des modifications. Cependant, le Tribunal n’était pas convaincu que Travaux publics exercerait son pouvoir discrétionnaire de manière arbitraire ou complaisante ou qu’il ne tiendrait pas compte des raisons pour lesquelles il s’est réservé ce pouvoir, soit éviter les abus potentiels de la part de détenteurs d’offres à commandes. J’estime que le Tribunal pouvait raisonnablement tirer cette conclusion compte tenu des éléments dont il était saisi.

 

Conclusion

[34]           Par ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

« Je souscrit à ces motifs

            Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je souscrit à ces motifs

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑387‑11

 

(DEMANDE de contrôle judiciaire RELATIVE À une décision du TRIBUNAL CANADIEN du COMMERCE extérieur DANS l’affaire PR‑2011‑007, marchés publics, rendue LE 19 SEPTEMBRE 2011)

 

INTITULÉ :                                                  ACKLANDS‑GRAINGER INC. c
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 17 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                            LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LES JUGES NOËL et PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul D. Conlin 

Drew Tyler

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexander Gay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Conlin Bedard LLP 

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan 

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.