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Date : 20121024

Dossier : A-309-11

Référence : 2012 CAF 266

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE DAWSON                      

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

appelant

et

LAWRENCE ABRAHAM, WALLACE ABRAHAM, WALTER ABRAHAM, ANTHONY ALEXANDER, HENRY BOUBARD, RICHARD BOUCHIE, NEIL BOULETTE, GEORGE BRUYERE, DANIEL BUNN, JASON BUNN, JOSEPH BUNN, EVA MARIE COURCHENE, HAROLD COURCHENE (DÉCÉDÉ), JASON COURCHENE, JONATHON COURCHENE, LARRY COURCHENE, REINIE COURCHENE, WAYNE COURCHENE, BARRY FONTAINE, CURTIS FONTAINE, FELIX FONTAINE (DÉCÉDÉ), GEORGE FONTAINE, HARRY FONTAINE, KEITH FONTAINE, NELSON FONTAINE, NORMAN FONTAINE, PETER FONTAINE (DÉCÉDÉ), RONALD FONTAINE, WILFRED LEO FONTAINE (DÉCÉDÉ), BRADLEY FOUNTAIN, BRIAN DOUGLAS FOUNTAIN (DÉCÉDÉ), DOUGLAS FOUNTAIN (DÉCÉDÉ), MARK FOUNTAIN, ADRIAN GUIMOND, ALLAN GUIMOND, NORBERT GUIMOND, RANDAL PAUL GUIMOND, TERRY GUIMOND, DARRIN HATHER, ARTHUR HENDERSON, CHRIS HENDERSON, DONALD HENDERSON, FLOYD HENDERSON, JOHN HENDERSON, ALLAN HOUSTON, CLIFFORD HOUSTON, EDGAR HOUSTON, RAYMOND HOUSTON, VINCENT KUZDAK, HAROLD LAVADIER, ROGER LUSTY, KELVIN PAKOO, MARK PAKOO, NEIL PAKOO, RODERICK PAKOO, JOHN GLEN SANDERS, LEE GLENN SANDERSON, JAMES SETTE, HANK SIEGAL, WALTER SOUKA, JASON STARR, JOSEPH STRONGQUILL, DOUGLAS SWAMPY, RICHARD SWAMPY, KELLY ZACHARIAS

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan), le 12 mars 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                  LE JUGE STRATAS

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                     LE JUGE PELLETIER

Y A SOUSCRIT :                                                                                           LA JUGE DAWSON

 

 



Date : 20121024

Dossier : A-309-11

Référence : 2012 CAF 266

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

appelant

et

LAWRENCE ABRAHAM, WALLACE ABRAHAM, WALTER ABRAHAM, ANTHONY ALEXANDER, HENRY BOUBARD, RICHARD BOUCHIE, NEIL BOULETTE, GEORGE BRUYERE, DANIEL BUNN, JASON BUNN, JOSEPH BUNN, EVA MARIE COURCHENE, HAROLD COURCHENE (DÉCÉDÉ), JASON COURCHENE, JONATHON COURCHENE, LARRY COURCHENE, REINIE COURCHENE, WAYNE COURCHENE, BARRY FONTAINE, CURTIS FONTAINE, FELIX FONTAINE (DÉCÉDÉ), GEORGE FONTAINE, HARRY FONTAINE, KEITH FONTAINE, NELSON FONTAINE, NORMAN FONTAINE, PETER FONTAINE (DÉCÉDÉ), RONALD FONTAINE, WILFRED LEO FONTAINE (DÉCÉDÉ), BRADLEY FOUNTAIN, BRIAN DOUGLAS FOUNTAIN (DÉCÉDÉ), DOUGLAS FOUNTAIN (DÉCÉDÉ), MARK FOUNTAIN, ADRIAN GUIMOND, ALLAN GUIMOND, NORBERT GUIMOND, RANDAL PAUL GUIMOND, TERRY GUIMOND, DARRIN HATHER, ARTHUR HENDERSON, CHRIS HENDERSON, DONALD HENDERSON, FLOYD HENDERSON, JOHN HENDERSON, ALLAN HOUSTON, CLIFFORD HOUSTON, EDGAR HOUSTON, RAYMOND HOUSTON, VINCENT KUZDAK, HAROLD LAVADIER, ROGER LUSTY, KELVIN PAKOO, MARK PAKOO, NEIL PAKOO, RODERICK PAKOO, JOHN GLEN SANDERS, LEE GLENN SANDERSON, JAMES SETTE, HANK SIEGAL, WALTER SOUKA, JASON STARR, JOSEPH STRONGQUILL, DOUGLAS SWAMPY, RICHARD SWAMPY, KELLY ZACHARIAS

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté d’un jugement rendu le 1er juin 2011 par la Cour fédérale (le juge Campbell) : 2011 CF 638.

 

[2]               La Cour fédérale a infirmé la décision prise par une représentante du ministre (la représentante) en application du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.). La représentante a exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser que les déclarations de revenus relatives aux années d’imposition 1985 à 1998 des intimés fassent l’objet d’une nouvelle cotisation.

 

[3]               Les intimés ont demandé à la représentante d’établir de nouvelles cotisations sur le fondement de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. Cette disposition prévoit une exemption qui s’applique dans certaines situations aux Autochtones et/ou à leurs biens. Les intimés sollicitaient l’établissement de nouvelles cotisations afin de soustraire à l’impôt le revenu d’emploi qu’ils ont gagné pendant les années en cause dans une usine de pâte.

 

[4]               La Cour fédérale a examiné la décision de la représentante selon la norme de contrôle de la décision correcte et l’a infirmée après avoir conclu que les intimés avaient droit en tout temps à l’exemption prévue à l’article 87.

 

[5]               Pour les raisons qui suivent, j’accueillerais l’appel et je rétablirais la décision de la représentante. La norme de contrôle applicable à cette décision est celle de la décision raisonnable, et la décision de la représentante est raisonnable.

 

A.        Faits

 

(1)        Contexte

 

[6]               Les intimés sont tous des membres de la bande Sagkeeng qui travaillaient au Tembec Pulp Mill à Pine Falls, au Manitoba.

 

[7]               Pendant fort longtemps, des membres de la bande ont travaillé à l’usine. En 1926, en contrepartie d’une promesse que les membres de la bande seraient employés à l’usine, la bande a cédé des terres pour la construction de celle‑ci. L’usine a été construite et, conformément à la promesse faite, des membres de la bande ont travaillé à l’usine jusqu’à sa fermeture.

 

 

(2)        Demandes de nouvelles cotisations des intimés fondées sur le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

 

[8]               En 2003, les intimés ont demandé au ministre d’établir de nouvelles cotisations relativement à chacune des années d’imposition depuis 1985; ainsi, le nouveau calcul tiendrait compte du fait que leur revenu d’emploi gagné à l’usine était exempté de taxation suivant l’article 87 de la Loi sur les Indiens. La demande de nouvelle cotisation visant les plus récentes années d’imposition a été présentée pendant la période normale de nouvelle cotisation. Par contre, celle touchant les années d’imposition antérieures n’a pas été déposée au cours de cette période. C’est le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, tel qu’il était alors rédigé, qui s’applique à ces dernières années.

 

[9]               Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu fait partie des dispositions d’allègement pour les contribuables prévues par la Loi. Comme il ressort du texte de ce paragraphe, reproduit ci‑dessous, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’établir une nouvelle cotisation à l’égard d’un particulier après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour une année si le particulier demande une nouvelle cotisation afin de réduire l’impôt à payer ou d’obtenir un remboursement d’impôt pour l’année en cause. Lorsque le ministre exerce ce pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable, ce dernier est soustrait à l’exigence habituelle voulant qu’une demande de nouvelle cotisation ne puisse être présentée que dans un délai donné.

 

[10]           Le paragraphe 152(4.2) (version édictée par L.C. 1994, ch. 7, qui s’applique en l’espèce) est rédigé comme suit :

 

152. (4.2)  Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable – particulier, autre qu’une fiducie, ou fiducie testamentaire – pour une année d’imposition le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, sur demande du contribuable :

 

a)      établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie;

 

b)      déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, en application des paragraphes 119(2), 120(2), 120.1(4), 122.2(1), 122.5(3), 127.1(1), 144(9) ou 210.2(3) ou (4) de la présente loi ou du paragraphe 122.4(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, dans sa version applicable aux années d’imposition se terminant avant 1991, avoir été payé au titre de l’impôt du contribuable pour l’année en vertu de la présente partie.

152. (4.2)  Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining, at any time after the expiration of the normal reassessment period for a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a testamentary trust in respect of a taxation year,

 

(a)  the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for that year, or

 

(b) a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for that year,

 

the Minister may, if application therefor has been made by the taxpayer,

 

(c)  reassess tax, interest or penalties available under this Part by the taxpayer in respect of that year, and

 

(d)  redetermine the amount of tax, if any, deemed by subsection 119(2), 120(2), 120.1(4), 122.2(1), 122.5(3), 127.1(1), 144(9) or 210.2(3) or (4) of this Act or subsection 122.4(3) of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, as it applied to taxation years ending before 1991, to have been paid on account of the taxpayer’s tax under this Part for that year.

 

 

[11]           Les demandes présentées par les intimés en 2003 afin d’obtenir de nouvelles cotisations pour chacune des années d’imposition depuis 1985 étaient fondées sur l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Les intimés estimaient que, même s’ils avaient payé de l’impôt sur le revenu d’emploi gagné à l’usine pour chaque année depuis 1985, ce revenu était exempté de taxation aux termes de cette disposition.

 

[12]           L’article 87 de la Loi sur les Indiens est libellé comme suit :

 

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

 

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

 

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

 

 

(3) Aucun impôt sur les successions, taxe d’héritage ou droit de succession n’est exigible à la mort d’un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d’aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada de 1952, ou l’impôt payable, en vertu de la Loi de l’impôt sur les biens transmis par décès, chapitre E-9 des Statuts revisés du Canada de 1970, sur d’autres biens transmis à un Indien ou à l’égard de ces autres biens.

87. Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83 and section 5 of the First Nations Fiscal and Statistical Management Act, the following property is exempt from taxation:

 

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

 

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

 

 

(2) No Indian or band is subject to taxation in respect of the ownership, occupation, possession or use of any property mentioned in paragraph (1)(a) or (b) or is otherwise subject to taxation in respect of any such property.

 

(3) No succession duty, inheritance tax or estate duty is payable on the death of any Indian in respect of any property mentioned in paragraphs (1)(a) or (b) or the succession thereto if the property passes to an Indian, nor shall any such property be taken into account in determining the duty payable under the Dominion Succession Duty Act, chapter 89 of the Revised Statutes of Canada, 1952, or the tax payable under the Estate Tax Act, chapter E-9 of the Revised Statutes of Canada, 1970, on or in respect of other property passing to an Indian.

 

 

 

(3)        Instances connexes devant la Cour canadienne de l’impôt et notre Cour : l’affaire Boubard

 

 

[13]           À peu près au même moment où les intimés présentaient leur demande de nouvelles cotisations fondée sur l’article 87 de la Loi sur les Indiens, certains d’entre eux étaient parties à l’affaire Boubard c. Canada, 2008 CCI 133, décision confirmée par 2008 CAF 392. Dans cette affaire, la Cour était appelée à décider si le revenu d’emploi gagné à l’usine par les intimés était exempté de taxation pour les années d’imposition 2000 à 2002 en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Les intimés ont obtenu gain de cause.

 

[14]           La décision Boubard a permis de régler le sort des années d’imposition 2000 à 2002, mais les années d’imposition antérieures à 2000 demeuraient en litige dans le cadre de la demande fondée sur le paragraphe 154(4.2).

 

(4)        Décisions administratives

 

[15]           La demande des intimés a fait l’objet de deux examens. Au bout du compte, le 12 novembre 2009, la représentante a décidé que les intimés avaient droit à un allègement pour les contribuables en application du paragraphe 152(4.2) relativement aux années d’imposition 1999 et suivantes, mais pas pour les années d’imposition 1985 à 1998.

 

[16]           Le fondement détaillé de sa décision est exposé plus loin. De façon générale, elle n’était pas convaincue que le ministre aurait exempté de taxation le revenu d’emploi des intimés en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens pour les années d’imposition 1985 à 1998.

 

(5)        Instances devant la Cour fédérale

 

[17]           Comme il est mentionné précédemment, la Cour fédérale a infirmé la décision de la représentante après avoir examiné cette décision selon la norme de contrôle de la décision correcte. Elle a conclu que les intimés avaient en tout temps eu droit à l’exemption prévue à l’article 87, de sorte qu’il y avait lieu d’établir de nouvelles cotisations relativement aux années d’imposition en litige.

 

B.        Analyse

 

(1)        Norme de contrôle

 

[18]           Saisie de l’appel interjeté de la décision de la Cour fédérale statuant sur la demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit trancher le point de savoir si le juge de la Cour fédérale a eu recours à la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement : Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23.

 

[19]           Compte tenu de la nature juridique de la question soumise à la représentante, la Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle pertinente était celle de la décision correcte.

 

[20]           Les intimés font valoir que la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle. Ils soutiennent que la décision de la représentante commande l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[21]           Les intimés fondent leur thèse sur une analyse de la tâche exécutée par la représentante en application du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ils avancent que la décision de la représentante comportait deux étapes différentes.

 

●          La première étape consistait à évaluer l’état du droit relativement à l’article 87 de la Loi sur les Indiens pour chacune des années de la période en cause. Cette étape visait à déterminer si les intimés avaient droit à l’exemption de taxation. Il s’agissait principalement d’interpréter l’état de la jurisprudence relative à l’article 87.

 

●          La seconde étape consistait à se demander s’il y avait lieu d’accorder un allègement en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Cette étape était en grande partie de nature discrétionnaire.

 

[22]           Selon les intimés, la question véritablement en litige en l’espèce touche la première étape. Ils affirment qu’il est uniquement question à cette étape d’une interprétation juridique. Par conséquent, ils soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[23]           Lorsqu’elle a adopté la norme de contrôle de la décision correcte, la Cour fédérale a conclu que la représentante devait trancher le point de savoir si les intimés avaient droit à un allègement aux termes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Comme il s’agissait d’une question d’ordre juridique, la norme de la décision correcte s’appliquait (au paragraphe 13).

 

[24]           Je ne suis pas d’accord avec la Cour fédérale. Je ne puis admettre que la question dont était saisie la représentante tenait au droit des intimés d’obtenir un allègement en application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[25]           Je ne suis pas non plus d’accord avec les intimés. Je ne crois pas que la décision de la représentante doive être analysée en deux étapes différentes pour arrêter la norme de contrôle applicable.

 

[26]           Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne confère pas aux intimés le droit à un allègement. Il leur accorde uniquement le droit de demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[27]           Il faut se rappeler que, selon le paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la cotisation est définitive et exécutoire en l’absence d’une nouvelle cotisation établie par suite d’une opposition formulée en temps opportun ou d’un appel tranché en faveur du contribuable. Le contribuable pourrait ultérieurement découvrir que la cotisation est erronée, mais il sera trop tard – il n’a aucunement le droit d’exiger que l’erreur soit corrigée. Il dispose plutôt du recours offert au paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, lequel prévoit non pas un droit à une nouvelle cotisation, mais bien la possibilité de présenter une demande visant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 152(4.2) n’oblige en rien le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable dans les cas où ce dernier aurait droit à un avantage fiscal s’il le revendiquait au cours de la période normale de nouvelle cotisation. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour dans l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153, au paragraphe 6, « [l]’octroi d’une dispense est une mesure discrétionnaire et ne peut être revendiqué de droit ».

 

[28]           Dans l’arrêt Armstrong c. Canada, 2006 CAF 119, au paragraphe 29, la Cour a déclaré que le ministre jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour établir une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 152(4.2) lorsque cette mesure est justifiée ou appropriée dans les circonstances.

 

[29]           Le fait d’analyser cette disposition en deux volets – l’un touchant l’aspect juridique et l’autre, l’aspect discrétionnaire – comme le font valoir avec insistance les intimés, reviendrait à changer la nature de la décision visée au paragraphe 152(4.2) qui, de décision fondée sur l’exercice unique d’un large pouvoir discrétionnaire, se transformerait en décision en deux étapes, dont la première concernerait le droit à un allègement et la seconde, le pouvoir discrétionnaire. Une telle approche est contraire à l’analyse ci‑dessus de même qu’à l’enseignement des arrêts Armstrong et Lanno rendus par notre Cour.

 

[30]           De plus, même s’il était acceptable de diviser en deux étapes la tâche que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu confie au ministre, la première étape, celle censée viser l’aspect juridique, n’intéresse pas une pure question de droit. Il s’agit plutôt d’une question mixte de fait et de droit. Dans la présente affaire, la représentante devait interpréter l’état du droit au regard de l’article 87 de la Loi sur les Indiens et évaluer comment il s’appliquait à la situation de fait des intimés.

 

[31]           Envisagé ainsi, le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’apparente à n’importe quelle autre disposition qui confère un vaste pouvoir discrétionnaire à un décideur, c’est‑à‑dire un pouvoir discrétionnaire fondé sur des éléments juridiques et factuels. Dans l’affaire qui nous occupe, le ministre (ou la représentante en l’espèce) doit, selon les termes employés au paragraphe 71 de la circulaire d’information IC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, « être convainc[u] qu’un tel remboursement ou une telle réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps » – il s’agit de l’aspect du pouvoir discrétionnaire ayant un certain caractère juridique – et il peut tenir compte de certains autres facteurs, dont bon nombre sont également énumérés dans la circulaire d’information.

 

[32]           Habituellement, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de ce genre est assujetti à un contrôle fondé sur le caractère raisonnable : Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, au paragraphe 27; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53.

 

[33]           En accord avec ces arrêts de la Cour suprême du Canada, notre Cour a à deux occasions adopté la norme de la décision raisonnable pour examiner l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu : arrêt Lanno, précité, au paragraphe 7; Hoffman c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 310, au paragraphe 5. Lorsque la jurisprudence a déjà établi « de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier », la question de la norme de contrôle est réglée : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 62. À mon avis, cette analyse confirme que les arrêts Lanno et Hoffman ont fixé d’une manière satisfaisante la norme de contrôle applicable en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[34]           Les intimés avancent que l’arrêt Bozzer c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 186, rendu par notre Cour est tout à fait pertinent et commande le recours à la norme de la décision correcte en l’espèce. Or, l’affaire Bozzer peut être distinguée de celle qui nous occupe en l’espèce car elle concernait l’interprétation d’une disposition différente, soit le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. De plus, la question précise soulevée dans l’arrêt Bozzer portait sur la signification du délai de prescription de dix ans prévu dans cette disposition. Il s’agissait d’une pure question de droit, et non d’une question liée à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

 

[35]           Les intimés n’ont invoqué aucun précédent de notre Cour ou de la Cour suprême du Canada laissant entendre que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire comme celui prévu au paragraphe 152(4.2), lequel repose sur toute une gamme de circonstances dont l’une comporte un élément d’ordre juridique, est assujetti, en raison de la présence de cet élément juridique, à la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[36]           En conséquence, pour les raisons qui précèdent, je conclus que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

 

            (2)        Signification d’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable

 

[37]           Cependant, à la lumière des observations formulées en l’espèce, il convient d’examiner plus avant ce que signifie une norme de contrôle fondée sur la décision raisonnable dans une affaire comme celle‑ci.

 

[38]           Le ministre a soutenu devant nous que la norme de la décision raisonnable est empreinte de déférence et que la Cour ne peut intervenir que rarement dans les affaires comme celle qui nous occupe. Les intimés ont par ailleurs affirmé que la décision de la représentante comporte un élément juridique important, à savoir si, en droit, le ministre avait pu être convaincu à divers moments que le revenu d’emploi gagné à l’usine par les intimés était exempté de taxation aux termes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Comme nous l’avons vu, les intimés ont avancé que cet élément d’ordre juridique signifiait que la décision de la représentante devait faire l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision correcte, et j’ai rejeté cette prétention. Mais cet aspect juridique de la décision a‑t‑il une quelconque incidence sur notre appréciation du caractère raisonnable de la décision de la représentante fondée sur le paragraphe 152(4.2)?

 

[39]           Les observations de la Cour formulées en réponse à cette question pourraient se révéler utiles pour trancher de futures affaires. Des décisions discrétionnaires sont souvent prises en application du paragraphe 152(4.2) et d’autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, et bon nombre d’entre elles nécessitent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui comporte un aspect juridique appréciable. L’argument qui nous a été présenté soulève une certaine incertitude quant à la façon dont il convient d’analyser le caractère raisonnable dans ces cas. Il y a lieu de résoudre cette incertitude pour que cela puisse servir dans d’autres affaires.

 

[40]           En outre, le contrôle fondé sur la décision raisonnable prend de plus en plus de place en droit administratif canadien et les précisions, quelles qu’elles soient, quant à sa signification permettront de toucher des dividendes considérables. Quand l’occasion se présente, comme en l’espèce, nous devons nous efforcer de montrer que le contrôle fondé sur le caractère raisonnable, perçu comme une notion vague qui repose sur des impressions, constitue un outil tangible et pratique.

 

[41]           Comme on le sait, le caractère raisonnable tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », mais aussi « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Selon la notion des « issues possibles acceptables », il « est loisible [aux décideurs] d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

[42]           Le caractère raisonnable constitue une norme de contrôle unique. Mais le fait d’affirmer qu’il existe différentes issues possibles acceptables élude le point de savoir dans quelle mesure cet éventail d’issues doit être large ou étroit dans une affaire donnée. Selon la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59, bien que « la raisonnabilité constitue une norme unique », elle « s’adapte au contexte ».

 

[43]           Ce contexte influe sur l’étendue de la gamme des solutions possibles acceptables. La Cour suprême a confirmé que cet éventail est tributaire de « l’ensemble des facteurs pertinents » au regard du processus décisionnel en cause : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, aux paragraphes 17, 18 et 23; arrêt Halifax (Regional Municipality), précité, au paragraphe 44.

 

[44]           À titre d’exemple, lorsque le décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher une affaire qui soulève principalement des questions de fait et de politique ayant un aspect juridique négligeable, on peut s’attendre à ce que l’éventail des issues possibles acceptables dont il dispose soit très vaste. D’un point de vue pratique, l’étendue de l’éventail dans ce genre d’affaire signifie qu’il sera relativement difficile pour la partie qui demande le contrôle judiciaire de la décision d’établir que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

 

[45]           Dans d’autres cas, toutefois, la situation pourrait être différente. Par exemple, lorsque le décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une question qui comporte un aspect juridique plus important, il se peut que les issues possibles acceptables auxquelles le décideur pourra recourir soient moins nombreuses. Les questions d’ordre juridique, par opposition aux questions de fait ou de politique, permettent moins d’issues possibles acceptables.

 

[46]           Un bon exemple de l’effet contraignant des questions juridiques lorsqu’il faut apprécier le caractère raisonnable d’une décision discrétionnaire se trouve dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193. Dans cette affaire, le tribunal avait rendu une décision discrétionnaire concernant des mesures correctives. La Cour a conclu que la norme de contrôle applicable à cette décision discrétionnaire était celle du caractère raisonnable. Or, le pouvoir discrétionnaire ne s’exerçait pas principalement à l’égard de questions de fait ou de politique. Le tribunal agissait sous le régime d’une disposition légale qui l’obligeait à tenir compte d’une liste de facteurs pour l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire de réparation. Seul l’exercice du pouvoir discrétionnaire fondé sur la liste de facteurs prévue par la loi pouvait être qualifié d’« issue possible acceptable ». Le tribunal avait complètement omis d’examiner certains des facteurs prévus par loi. La Cour a donc conclu que la décision discrétionnaire du tribunal était déraisonnable. Une approche analogue a été suivie dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 43.

 

[47]           Dans l’arrêt Mills c. Ontario (Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal), 2008 ONCA 436, 237 O.A.C. 71, la Cour d’appel de l’Ontario a adopté le même cadre d’analyse de la norme du caractère raisonnable. Le juge Rouleau, qui a rédigé les motifs de la Cour, a reconnu que cette norme constituait une norme unique, celle de la déférence, et qu’il [traduction] « n’est pas nécessaire ni approprié […] d’apprécier le degré de déférence dans le cadre de la norme du caractère raisonnable » (au paragraphe 18). Cela dit, l’étendue de l’éventail d’issues auxquelles le décideur peut recourir peut être vaste ou restreinte, selon les circonstances (au paragraphe 22) :

 

[traduction] L’application de la norme de la décision raisonnable exigera désormais une démarche contextuelle à adopter en matière de déférence qui tiendra compte d’éléments tels le processus décisionnel, la catégorie à laquelle appartient le décideur et son expertise ainsi que la nature et la complexité de la question à trancher. Lorsque le décideur est un ministre, par exemple, et que sa décision vise l’intérêt public, une très grande variété de telles décisions seront visées par la norme du caractère raisonnable. Par contre, lorsque les faits ne sont pas vraiment contestés et que le tribunal doit seulement déterminer si un individu a contrevenu à une disposition de sa loi constitutive, la gamme des issues raisonnables devient nécessairement beaucoup plus limitée.

 

 

 

[48]           Un certain nombre de décisions de la Cour suprême du Canada sont compatibles avec l’analyse susmentionnée des situations où l’éventail des issues possibles acceptables est restreint ou vaste suivant la norme du caractère raisonnable. Dans les affaires nécessitant une interprétation législative, la Cour suprême a souvent formulé d’une façon étroite les issues possibles acceptables offertes au décideur administratif, vraisemblablement en raison du caractère explicite de la disposition législative particulière en cause : voir, par exemple, Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37. Lorsque l’aspect juridique de la décision est moins important et que l’appréciation des faits, la connaissance spécialisée et les questions de politique prédominent, la Cour suprême a souvent formulé d’une façon large les issues possibles acceptables offertes au décideur administratif : voir, par exemple, Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; arrêt Halifax (Regional Municipality), précité.

 

[49]           L’analyse qui précède donne à penser que, même si la norme du caractère raisonnable s’applique en l’espèce, les aspects juridiques de la décision de la représentante tendent à restreindre la gamme des issues possibles acceptables. Par exemple, si la représentante adoptait un point de vue inacceptable des aspects juridiques de l’affaire, sa décision pourrait ne pas appartenir aux issues possibles acceptables et être jugée déraisonnable.

 

[50]           En définitive, malgré l’éventail restreint d’issues possibles acceptables dont disposait la représentante, je conclus que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu dans la présente affaire appartient à ces issues. Sa décision était raisonnable.

 

 

(3)        Application de la norme de contrôle de la décision raisonnable : la représentante a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière raisonnable

 

 

[51]           Certaines caractéristiques de la décision de la représentante ont mené à la conclusion que sa décision était raisonnable.

 

I

 

[52]           Lorsqu’elle a pris sa décision, la représentante a étroitement suivi la circulaire d’information pertinente IC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, et elle a choisi une issue qui était compatible avec ce document. Il est bien connu que les circulaires d’information comme celle en cause sont considérées, sur le plan juridique, comme des politiques ou des lignes directrices, et non comme des lois.

 

[53]           Il serait loisible à une partie de soutenir que la représentante a mal interprété le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou que la circulaire d’information est incompatible avec cette disposition, de telle sorte que la représentante, en s’appuyant sur ce document, a agi contrairement à la loi. Mais les intimés n’invoquent aucun de ces arguments en l’espèce.

 

[54]           Le fait qu’un décideur administratif se conforme à des énoncés de politique ou à des lignes directrices non contestés a été considéré comme une indication, quoique non concluante, du caractère raisonnable : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 72 (« une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l’article »); Herman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 629; Khoja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 142. De même, à l’occasion, le fait qu’une décision s’écarte sans raison d’énoncés de politique et de lignes directrices peut soulever des doutes quant au caractère raisonnable : Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, aux paragraphes 44 à 56.

 

[55]           En conséquence, pour les besoins de la présente affaire, l’observation des normes énoncées dans la circulaire d’information susmentionnée – laquelle n’est pas contestée en l’espèce – peut constituer une indication du fait que la décision de la représentante appartenait, pour reprendre les termes employés dans l’arrêt Dunsmuir, précité, aux issues acceptables pouvant se justifier au sens du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’analyse qui suit montre que la représentante s’est conformée à la circulaire d’information.

 

[56]           Selon le paragraphe 71 de la circulaire d’information, il fallait en premier lieu que la représentante soit « convaincue qu’un […] remboursement ou une […] réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps ». La représentante s’est justement posé cette question précise.

 

[57]           Les paragraphes 73, 87 et 88 de la circulaire d’information sont également pertinents. De façon générale, ces dispositions empêchent les personnes qui demandent l’établissement d’une nouvelle cotisation après l’expiration des délais normaux de se prévaloir de modifications ultérieures de la loi ou de son application. Ces dispositions sont ainsi rédigées :

 

73. […] La capacité de l’ARC de permettre un rajustement de montants pour une année d’imposition frappée de prescription ne devrait pas être utilisée pour effectuer un nouvel examen des points en cause […] lorsque le particulier […] a choisi de ne pas contester les points en cause au moyen des processus d’opposition et d’appel normaux […].

 

87. La politique de l’ARC ne permet pas l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription si la demande est motivée par une décision judiciaire (pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter la circulaire d’information IC75‑7R3, Nouvelle cotisation relative à une déclaration de revenus). Les demandes visant l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription fondée uniquement sur le fait qu’un autre contribuable a obtenu gain de cause dans le cadre d’un appel ne seront pas acceptées en vertu du paragraphe 152(4.2).

 

88. De même, la connaissance d’un règlement négocié d’un autre contribuable visant à régler une opposition, ou d’un consentement à jugement à l’égard d’un appel d’un autre contribuable ne pourra être utilisée pour permettre l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard de la déclaration frappée de prescription d’un contribuable en vertu du paragraphe 152(4.2) lorsque le contribuable a choisi de ne pas protéger son droit de faire opposition ou d’interjeter appel.

 

 

 

[58]           La représentante a suivi ces dispositions de la circulaire d’information. Dans les motifs de sa décision, elle a déclaré :

 

[traduction] En outre, la politique de l’ARC précise que les dispositions d’allègement pour les contribuables ne constituent pas un remplacement acceptable à l’application rétroactive d’une décision judiciaire défavorable lorsque le contribuable a omis de protéger son droit de produire une opposition ou d’interjeter appel.

 

 

[59]           Pour plus de précision, j’ajouterais que rien ne donne à penser que la représentante a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en utilisant la circulaire d’information comme elle l’a fait. Dans les circonstances en l’espèce, son observation de la circulaire d’information tend à montrer que sa décision était raisonnable.

 

II

 

[60]           La représentante s’est ensuite demandé, dans les termes employés au paragraphe 71 de la circulaire d’information, si elle était « convaincue qu’un […] remboursement ou une […] réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps ». La réponse à cette question nécessitait un examen de la jurisprudence concernant l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Elle s’est penchée sur chacune des années d’imposition, elle a évalué l’état du droit à ce moment au regard de l’article 87 et elle s’est demandé si les intimés avaient droit à une réduction d’impôt pour l’année en cause à la lumière de l’état du droit au cours de cette période.

 

[61]           Le libellé du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu étaye cette méthodologie qui consiste à examiner l’état du droit pour chacune des années en cause. Si la représentante avait adopté une méthodologie contraire au paragraphe 152(4.2), la décision qu’elle a rendue par suite de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire n’appartiendrait pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard du droit, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

III

 

[62]           Suivant cette méthodologie, la représentante a examiné l’état du droit.

 

[63]           Pour chacune des années d’imposition 1985 à 1991 des intimés, la représentante a conclu qu’elle n’était pas convaincue que le revenu d’emploi gagné à l’usine par les intimés aurait été exempté de taxation aux termes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Cette conclusion reposait principalement sur l’arrêt de 1983 Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, de la Cour suprême du Canada.

 

[64]           La représentante a appliqué le raisonnement suivant :

 

[traduction] En janvier 1983, la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans l’arrêt Nowegijick. Elle a conclu que le revenu d’emploi était payé à l’endroit où résidait l’employeur. Si le particulier était payé au siège social de l’employeur et si le siège social de l’employeur était situé sur des terres d’une réserve, le revenu d’emploi devait alors être considéré comme exempt d’impôt. Auparavant, la politique de l’ARC fondée sur le bulletin d’information IT‑62 [annulé par le communiqué spécial du 15 juillet 1995 relatif au bulletin d’interprétation IT‑297R] exigeait que les fonctions soient exercées directement dans la réserve pour que le revenu gagné soit exempt d’impôt. En raison des divergences entre la politique de l’ARC et l’arrêt Nowegijick, le gouvernement fédéral a publié le décret de remise C.P. 1985‑2446. Le décret accordait une remise d’impôt sur le revenu d’emploi, quel qu’il soit, gagné au titre de fonctions exercées dans une réserve pour les années 1983 à 1992. Comme le revenu gagné à l’usine par vos clients ne satisfait pas aux conditions fixées dans le décret de remise ni aux critères énoncés dans l’arrêt Nowegijick, leur revenu n’aurait pu être considéré comme exempt d’impôt au cours des années 1983 à 1991.

 

 

 

[65]           Aucun élément de ce raisonnement ni du dossier de la présente affaire ne permet de conclure que l’issue choisie par la représentante – qui a exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser l’établissement d’une nouvelle cotisation relativement à chacune des années 1985 à 1991 – est déraisonnable.

 

[66]           Au contraire, ce raisonnement me paraît inattaquable. Il étaye le point de vue selon lequel, pour chaque année d’imposition 1985 à 1991, le ministre n’aurait pas été « convainc[u] qu’un […] remboursement ou une […] réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps ».

 

[67]           La représentante s’est ensuite penchée sur les années d’imposition 1992 à 1998 des intimés. Elle a estimé qu’à cet égard, l’arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, de la Cour suprême du Canada, était fondamental.

 

[68]           Voici le raisonnement qu’elle a suivi :

 

[traduction] En 1992, dans l’arrêt Williams, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il importait de se demander si l’activité à l’origine du revenu était « étroitement lié[e] » à la réserve, ou s’il était plus approprié de considérer qu’elle était exercée dans le cadre du « marché ». Par suite de l’arrêt Williams, on a élaboré en 1994 un critère fondé sur des facteurs de rattachement, lequel a servi à déterminer si le revenu devait être exempt d’impôt. Pendant les années d’imposition 1993 à 1998, la question des facteurs de rattachement et du poids devant être accordé à chacun au regard du situs du revenu d’emploi évoluait toujours et n’était pas encore réglée.

 

 

 

[69]           La représentante a bien saisi la portée de l’arrêt Williams, tout comme elle était justifiée de considérer qu’on ne pouvait savoir avec certitude comment le critère énoncé dans cette décision aurait influé sur la situation des intimés au cours des années d’imposition 1992 à 1998.

 

[70]           Après avoir examiné les faits et le critère de l’arrêt Williams, la représentante a conclu, en reprenant les termes employés au paragraphe 71 de la circulaire d’information, qu’elle n’aurait pas été « convaincue qu’un […] remboursement ou une […] réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps ».

 

[71]           Je ne puis dire que quoi que ce soit dans le raisonnement de la représentante ou dans le dossier de la présente affaire ait pour effet de rendre déraisonnable l’issue qu’elle a choisie, à savoir exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser l’établissement d’une nouvelle cotisation relativement à chacune des années d’imposition 1992 à 1998.

 

[72]           Enfin, la représentante a examiné les années d’imposition 1999 et suivantes des intimés. À la lumière du droit applicable, elle a conclu que le ministre aurait été convaincu que les intimés auraient obtenu un remboursement ou une réduction si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps. Les motifs qu’elle a formulés à cet égard sont ainsi rédigés :

 

[traduction]

 En ce qui concerne le revenu d’emploi gagné dans des circonstances analogues à celles où se trouvaient vos clients, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur cette situation dans l’arrêt Amos en 1999. En 1998, le revenu n’aurait pas été considéré comme exempt d’impôt, compte tenu de la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Amos, le 22 juin 1998.

 

En 2007, la Cour fédérale du Canada a rendu la décision Wyse. Elle était d’accord avec la décision du ministre selon laquelle le revenu d’emploi des demandeurs n’aurait pas été considéré comme exempt d’impôt avant 1999.

 

 

[73]           À mon avis, ces motifs sont fondés compte tenu de la jurisprudence applicable à laquelle renvoie la représentante. Cependant, la brièveté des motifs nécessite quelques précisions.

 

[74]           En 2008, la présente Cour a rendu l’arrêt Boubard, précité. Comme il est expliqué précédemment, elle a conclu que l’article 87 de la Loi sur les Indiens s’appliquait à la situation des intimés pour les années d’imposition 2000 à 2002 et elle a exempté de taxation leur revenu d’emploi gagné à l’usine. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt voulant que la situation des intimés soit identique à celle présentée dans l’affaire Amos c. Canada, [1999] 4 CTC 1, 1999 D.T.C. 5333, sur laquelle avait statué la Cour.

 

[75]           Dans l’arrêt Amos, la Cour a reconnu qu’il était difficile de connaître avec certitude quel était l’état du droit relativement à l’article 87 de la Loi sur les Indiens : « […] reconnaissant les difficultés auxquelles la Cour canadienne de l’impôt a fait face pour tenir compte des divers facteurs qu’on dit être pertinents, compte tenu des précédents, pour déterminer le situs du revenu aux fins de l’article 87 » (au paragraphe 2). Il s’agit d’un fondement solide pour l’opinion de la représentante selon laquelle le droit relatif à l’article 87 était trop incertain avant 1999 pour permettre au ministre d’être convaincu que cette disposition aurait été appliquée à la situation des intimés.

 

[76]           Dans l’arrêt Amos, la Cour a conclu que l’article 87 avait pour effet d’exempter le revenu en cause. Elle a infirmé la décision rendue en 1998 dans laquelle la Cour canadienne de l’impôt avait refusé l’exemption prévue par cette disposition.

 

[77]           Enfin, en 2007, la Cour fédérale s’est prononcée dans l’affaire Wyse c. Ministre du Revenu national, 2007 CF 535. Elle a déclaré ceci au paragraphe 98 :

 

 

Troisièmement, au cours des années d’imposition 1993 à 1998 des demandeurs, les facteurs de rattachement appropriés et l’importance à leur accorder en ce qui concerne le situs des revenus d’emploi ont évolué et n’étaient pas arrêtés définitivement. Pour ce qui est des revenus d’emploi, la question a été tranchée en 1999 par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Amos, précité.

[Souligné dans l’original.]

 

 

 

Ce passage étaye encore davantage le point de vue de la représentante voulant que le droit relatif à l’article 87 ait été trop incertain avant 1999 pour que le ministre puisse être convaincu que cette disposition aurait été appliquée à la situation des intimés.

 

[78]           Vu cette analyse de la jurisprudence et mon examen des motifs de la représentante, je ne puis dire que son raisonnement ou le dossier de la présente affaire comporte un quelconque élément susceptible de rendre déraisonnable l’issue qu’elle a choisie, à savoir l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour refuser l’établissement d’une nouvelle cotisation relativement à chacune des années d’imposition antérieures à 1999.

 

IV

 

[79]           Une dernière observation formulée par les intimés au sujet du caractère raisonnable de la décision de la représentante doit être abordée.

 

[80]           Les intimés, et même la Cour fédérale, ont laissé entendre que les intimés devraient pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, tel qu’il est interprété aujourd’hui.

 

[81]           Je ne suis pas d’accord. L’observation des intimés et la conclusion de la Cour fédérale sont incompatibles avec le libellé du paragraphe 152(4.2). Selon l’interprétation donnée à cette disposition dans la décision de la représentante et dans la circulaire d’information, il est nécessaire de procéder à un examen rétrospectif de l’état du droit à divers moments.

 

[82]           En outre, l’observation des intimés et la conclusion de la Cour fédérale auraient pour effet de miner l’objet du paragraphe 152(4.2), exposé aux paragraphes 73, 87 et 88 de la circulaire d’information (non contestée en l’espèce), à savoir que les personnes qui demandent une nouvelle cotisation après l’expiration des délais normaux ne doivent pas pouvoir tirer avantage des modifications ultérieures de la loi ou de son application.

 

[83]           En conséquence, j’estime que la décision de la représentante est raisonnable.

 

C.        Dispositif proposé

 

[84]           Pour les raisons qui précèdent, j’accueillerais l’appel et annulerais le jugement de la Cour fédérale, et je rétablirais la décision rendue le 12 novembre 2009 par la représentante, avec dépens dans toutes les cours.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

 

 


LE JUGE PELLETIER (motifs concourants)

 

[85]           J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Stratas et je souscris à ceux‑ci, à l’exception des paragraphes 37 à 50 qui, à mon avis, vont au‑delà des questions auxquelles il fallait répondre pour trancher la présente affaire.

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

      Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 

 


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-309-11

 

APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE CAMPBELL DATÉ DU 1ER JUIN 2011, DOSSIER T-2067-09

 

INTITULÉ :                                                                          Procureur général du Canada c. Lawrence Abraham et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                                 Le 15 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               Le juge Stratas

 

MOTIFS CONCOURANTS :                                             Le juge Pelletier         

Y A SOUSCRIT :                                                                 La juge Dawson

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 24 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brooke Sittler

Jamie Hammersmith

 

Pour l’appelant

 

Joe Aiello

Bruce Gammon

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’appelant

 

Phillips Aiello

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES INTIMÉS

 

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