Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20120427

Dossier : A-351-11

Référence : 2012 CAF 132

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

YVES LEBON

 

appelant

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 avril 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                      LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20120427

Dossier : A-351-11

Référence : 2012 CAF 132

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

YVES LEBON

 

appelant

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               La Cour fédérale a rejeté la demande présentée par M. LeBon en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision (2011 CF 1018, [2011] A.C.F. no 1261) par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) avait rejeté la demande de transfèrement au Canada qu’il avait présentée en vertu de l’article 7 de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21 (la Loi). Le juge de la Cour fédérale a examiné la décision du ministre au regard de la norme de contrôle de la raisonnabilité et il a conclu qu’elle était « défendable tant en fait qu’en droit. Ses motifs sont complets et intelligibles, et il permet au demandeur de savoir que le ministre a tenu dûment compte de tous les facteurs énumérés à l’article 10 de la [Loi] » (motifs, au paragraphe 47).

[2]               La Cour est saisie de l’appel de la décision rendue par la Cour fédérale. Malgré la solide argumentation du procureur général, je suis arrivée à la conclusion, pour les motifs qui suivent, que l’appel devrait être accueilli.

 

Question en litige dans le présent appel

[3]               Bien que l’appelant reproche plusieurs erreurs au juge, j’estime que la question à trancher est celle de savoir s’il a commis une erreur en concluant que la décision du ministre était raisonnable.

 

Les faits

[4]               M. LeBon, qui est un citoyen canadien, a franchi la frontière américaine en voiture près de Champlain, dans l’État de New York, le 17 août 2007. Il a déclaré aux autorités américaines qu’il venait aux États-Unis pour rendre visite à des membres de sa famille dans le Maine, ce qui était faux. Il a été arrêté le 22 août 2007 par un agent du service de police de l’Illinois pour une contravention mineure au code de la route. À sa demande, il a laissé le policier fouiller son véhicule. Le policier a découvert 119 sachets contenant chacun un kilo de cocaïne.

 

[5]               M. LeBon a été accusé de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic et de s’être trouvé illégalement sur le territoire des États‑Unis en tant qu’étranger. Il a plaidé coupable aux accusations portées contre lui et il a été condamné à une peine d’emprisonnement de dix ans suivie d’une mise en liberté surveillée pendant cinq ans. M. LeBon est actuellement incarcéré dans un établissement correctionnel à sécurité minimale à Allenwood, en Pennsylvanie.

[6]               Le 25 novembre 2008, M. LeBon a demandé son transfèrement au Canada. Les autorités américaines ont approuvé sa demande le 6 mars 2009. Le 16 août 2010, le ministre a refusé d’approuver la demande de transfèrement.

 

Cadre législatif

[7]               La Loi permet à un citoyen canadien de purger dans un établissement canadien la peine à laquelle il a été condamné par un tribunal étranger. L’objet de la Loi est énoncé à l’article 3 :

La présente loi a pour objet de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux.

The purpose of this Act is to contribute to the administration of justice and the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community by enabling offenders to serve their sentences in the country of which they are citizens or nationals.

 

[8]               Le transfèrement doit avoir été approuvé tant par le délinquant, que par l’État étranger et par le ministre (paragraphe 8(1)).

 

[9]               Au moment où le ministre a pris sa décision, la Loi l’obligeait à tenir compte des facteurs énumérés aux paragraphes 10(1) et (2), qui sont ainsi libellés :

10. (1) Le ministre tient compte des facteurs ci-après pour décider s’il consent au transfèrement du délinquant canadien :

 

a) le retour au Canada du délinquant peut constituer une menace pour la sécurité du Canada;

 

b) le délinquant a quitté le Canada ou est demeuré à l’étranger avec l’intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence permanente;

 

c) le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada;

 

d) l’entité étrangère ou son système carcéral constitue une menace sérieuse pour la sécurité du délinquant ou ses droits de la personne.

 

(2) Il tient compte des facteurs ci-après pour décider s’il consent au transfèrement du délinquant canadien ou étranger :

 

a) à son avis, le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle, au sens de l’article 2 du Code criminel;

 

b) le délinquant a déjà été transféré en vertu de la présente loi ou de la Loi sur le transfèrement des délinquants, chapitre T-15 des Lois révisées du Canada (1985).

10. (1) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian offender, the Minister shall consider the following factors:

 

(a) whether the offender’s return to Canada would constitute a threat to the security of Canada;

 

(b) whether the offender left or remained outside Canada with the intention of abandoning Canada as their place of permanent residence;

 

 

(c) whether the offender has social or family ties in Canada; and

 

(d) whether the foreign entity or its prison system presents a serious threat to the offender’s security or human rights.

 

(2) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian or foreign offender, the Minister shall consider the following factors:

 

(a) whether, in the Minister’s opinion, the offender will, after the transfer, commit a terrorism offence or criminal organization offence within the meaning of section 2 of the Criminal Code; and

 

(b) whether the offender was previously transferred under this Act or the Transfer of Offenders Act, chapter T-15 of the Revised Statutes of Canada, 1985.

 

[10]           Le ministre a l’obligation de motiver son refus de consentir au transfèrement (paragraphe 11(2)).

 

Renseignements soumis au ministre

[11]           Le ministre a reçu une courte note de service se rapportant à la demande de M. LeBon. À cette note de service étaient joints un résumé préparé par le Service correctionnel du Canada (le SCC) et certains documents à l’appui, dont la demande de transfèrement de M. LeBon.

[12]           Parmi les renseignements soumis au ministre par le SCC, mentionnons les suivants :

 

i.                    Les renseignements obtenus par certaines sources, y compris par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) [traduction] « ne permettaient pas de croire que le retour de M. LeBon au Canada constituerait une menace pour la sécurité du Canada ».

ii.                  M. LeBon n’avait pas indiqué qu’il avait l’intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence. Il se trouvait aux États-Unis dans le but de commettre l’infraction.

iii.                M. LeBon a des liens familiaux sur lesquels il peut compter au Canada. Sa femme et son fils adulte étaient disposés à lui offrir leur appui et, une fois libéré, M. LeBon il irait vivre avec sa femme.

iv.                Ni les États-Unis ni son système carcéral ne constituent une menace sérieuse pour la sécurité de M. LeBon ou pour ses droits de la personne. M. LeBon travaille présentement à la cafétéria de l’établissement où il est incarcéré et il s’est bien adapté, suivant les autorités.

v.                  Les renseignements obtenus par diverses sources, y compris par le SCRS, ne permettaient pas de [traduction] « croire que [M. LeBon] commettrait, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou liée au crime organisé au sens de l’article 2 du Code criminel ».

vi.                M. LeBon n’a jamais été transféré sous le régime de la Loi.

vii.              M. LeBon n’avait aucun antécédent criminel au Canada et aucune accusation en instance aux États-Unis.

viii.            En ce qui concerne les risques de récidive de M. LeBon, le SCC a écrit ce qui suit :

                                    [traduction]

La déclaration suivante se fonde sur les résultats ou les conclusions tirées des renseignements connus au sujet du délinquant ainsi que sur une synthèse des renseignements relatifs à l’infraction reprochée et à sa condamnation.

 

M. LeBon est présentement incarcéré dans un établissement à sécurité minimale. Il a démontré un schème d’adaptation satisfaisante à l’établissement; aucune intervention particulière n’est requise pour gérer son cas. Il n’a pas fait l’objet d’accusations de manquements à la discipline. Il n’a pas de casier judiciaire et il n’a pas d’accusations en suspens. Il n’a pas d’antécédents de violence ou de délinquance sexuelle.

 

M. LeBon a obtenu la note de +21 selon l’Échelle révisée d’information statistique sur la récidive (ISR­R1), indiquant qu’il se classe dans une catégorie où quatre délinquants sur cinq ne commettront pas d’actes criminels après leur libération.

 

La décision du ministre

[13]           Voici la brève décision du ministre :

[traduction]

La Loi sur le transfèrement international des délinquants (la Loi) a pour objet de renforcer la sécurité publique et de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux. Dans le cas de chaque demande de transfèrement, j’examine les faits et les circonstances uniques tels qu’ils me sont présentés en tenant compte des objectifs de la Loi et des facteurs précis énumérés à l’article 10.

 

Le demandeur, Yves LeBon, est un citoyen canadien qui purge une peine de dix ans d’emprisonnement aux États‑Unis pour les infractions suivantes : possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic et s’être trouvé illégalement sur le territoire américain en tant qu’étranger. Le 17 août 2007, le délinquant est entré aux États‑Unis. Il a déclaré qu’il se rendait visiter des membres de sa famille dans le Maine. Le 22 août 2007, au cours d’un contrôle routier de routine, un policier de l’Illinois a demandé à M. LeBon s’il pouvait fouiller son véhicule. Le policier a découvert dans le coffre de la voiture 119 sachets contenant chacun un kilo de cocaïne.

 

La Loi exige que je détermine si le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction d’organisation criminelle au sens de l’article 2 du Code criminel. À cet égard, je constate que la nature de l’activité criminelle en cause donne à penser que d’autres complices qui n’ont pas été appréhendés étaient impliqués et indique qu’il s’agit d’actes graves imputables à une organisation criminelle. Je constate également que le demandeur n’a pas fait de déclaration à la police après son arrestation et qu’il ressort du dossier que le demandeur n’a pas collaboré avec la police pour identifier d’autres personnes impliquées dans le crime. De plus, l’infraction visait une grande quantité de cocaïne, laquelle a un effet destructeur sur la société. Le demandeur était impliqué dans la perpétration d’une infraction grave portant sur une quantité importante de drogue qui, si elle avait réussi, aurait vraisemblablement généré un avantage matériel ou financier pour le groupe qu’il aidait.

 

La Loi exige en outre que je détermine si le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada. Je constate que le demandeur a des liens familiaux au Canada et je reconnais que sa femme et son fils continuent de lui assurer leur appui.

 

Après avoir examiné les faits et les circonstances uniques de la présente demande ainsi que les facteurs énumérés à l’article 10 de la Loi, je ne crois pas qu’un transfèrement favoriserait l’atteinte des objectifs de la Loi.

 

La norme de contrôle

[14]           Lorsque la décision rendue par la Cour fédérale en réponse à une demande de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de notre Cour consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement (Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, 386 N.R. 212, au paragraphe 18). Si la Cour fédérale a retenu et appliqué la mauvaise norme, notre Cour procède à un examen suivant la norme de contrôle applicable. Si la Cour fédérale a appliqué la bonne norme de contrôle, notre Cour s’assure alors qu’elle l’a bien appliquée et remédie au besoin aux erreurs qui ont été commises.

 

[15]           En l’espèce, la décision que le ministre était appelé à rendre au sujet de l’opportunité d’approuver la demande de transfèrement du délinquant canadien au Canada était tributaire des faits et était de nature discrétionnaire. En principe, c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique à de telles décisions (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53). Compte tenu de la nature de la décision du ministre, c’est à bon droit que le juge de première instance a retenu la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle applicable.

 

Application de la norme de contrôle

[16]           Dans l’arrêt Telfer, notre Cour a expliqué dans les termes suivants la nature du contrôle judiciaire effectué suivant la norme de la raisonnabilité :

25.       Lors d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la raisonnabilité, le juge doit examiner le processus décisionnel (y compris les raisons avancées pour justifier la décision) afin de s’assurer qu’il offre une « justification » rationnelle de la décision, qu’il est transparent et qu’il est intelligible. De plus, le tribunal d’appel doit déterminer si la décision en soi appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au paragraphe 47).

 

[17]           Plus récemment, la Cour suprême a donné d’autres éclaircissements au sujet de la nature du contrôle judiciaire effectué selon la norme de la raisonnabilité. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, la juge Abella écrit ce qui suit au nom de la Cour, aux paragraphes 14, 15 et 16 :

14                Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), ss. 12 : 5330 et 12 : 5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

 

15                La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

16                Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[18]           Par conséquent, compte tenu du dossier dont le ministre disposait en l’espèce, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si les raisons avancées par le ministre pour justifier sa décision permettent à la juridiction de contrôle de comprendre pourquoi le ministre a pris cette décision et ensuite de déterminer si la conclusion du ministre appartient aux issues acceptables.

 

[19]           Avant de passer à l’examen de la décision du ministre, il importe de reconnaître le bien-fondé de l’argument du procureur général suivant lequel le transfèrement prévu par la Loi est un privilège offert aux délinquants canadiens incarcérés à l’extérieur du Canada. Nul n’a le droit d’exiger son rapatriement au Canada. L’argument suivant lequel le ministre n’a aucune obligation de suivre l’avis du SCC est également bien fondé.

 

[20]           Pour ce qui est de la décision du ministre, il est évident, lorsqu’on la lit en toute objectivité en tenant compte du dossier dont il disposait, que le ministre était en désaccord avec l’avis du SCC suivant lequel M. LeBon ne commettrait vraisemblablement pas d’infraction d’organisation criminelle. Suivant le ministre, les risques que M. LeBon commette une infraction d’organisation criminelle l’emportaient sur les effets positifs que représentaient les liens familiaux sur lesquels M. LeBon pouvait compter, de sorte que le transfèrement ne permettrait pas d’atteindre les objectifs visés par la Loi.

 

[21]           Les motifs invoqués par le ministre laissent toutefois sans réponse les deux questions suivantes :

 

i.                    Sur quoi le ministre s’est-il fondé pour écarter l’avis du SCC?

ii.                  Comment le ministre s’y est‑il pris pour évaluer les facteurs pertinents de manière à conclure que les facteurs en question qui ne favorisaient pas le rapatriement de M. LeBon l’emportaient sur ceux qui militaient en faveur de son rapatriement au Canada?

 

[22]           Pour ce qui est de la première question, j’estime qu’il n’existe pas de critère absolu quant à la mesure dans laquelle le ministre doit expliquer son désaccord, le cas échéant, avec l’avis qu’il a reçu. Chaque cas est un cas d’espèce et est tributaire du dossier soumis au ministre. Dans certains cas, le dossier permet de comprendre facilement les raisons pour lesquelles le ministre était en désaccord avec l’avis qu’il avait reçu. En pareil cas, peu ou point d’explications sont requises. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

 

[23]           Dans le cas qui nous occupe, l’avis du SCC était sans équivoque : le SCC ne croyait pas qu’après son transfèrement, M. LeBon commettrait une infraction d’organisation criminelle. Le SCC était également d’avis que M. LeBon ne commettrait aucun acte criminel après sa libération. Lors des plaidoiries, l’avocate du procureur général n’a pu faire référence à aucun élément de preuve convaincant qui aurait raisonnablement pu mettre en doute ou contredire l’opinion du SCC. Dans ces conditions, la conclusion contraire à laquelle le ministre est arrivée au sujet des risques qu’une infraction d’organisation criminelle soit commise n’était ni étayée par des motifs justifiables, ni transparente ni intelligible.

 

[24]           Pour ce qui est de la seconde question toujours sans réponse, l’obligation faite au ministre de motiver sa décision lorsqu’il refuse un transfèrement ne permettait pas au ministre de se contenter d’affirmer : [traduction] « Après avoir examiné les faits et les circonstances uniques de la présente demande ainsi que les facteurs énumérés à l’article 10 de la Loi, je ne crois pas qu’un transfèrement favoriserait l’atteinte des objectifs de la Loi ».

 

[25]           Lorsque, comme en l’espèce, il existe des facteurs favorables à un transfèrement, le ministre doit démontrer qu’il a apprécié les divers facteurs qui s’opposent pour expliquer les raisons l’ayant amené à refuser de consentir au transfèrement. Sans cette appréciation, la décision du ministre n’est ni transparente ni intelligible. Elle ne satisfait pas non plus à l’obligation légale que l’article 11(2) impose au ministre de motiver sa décision.

 

Dispositif

[26]           Comme la décision du ministre n’était ni étayée par des motifs justifiables, ni transparente ni intelligible, elle était déraisonnable et elle devrait donc être annulée.

 

[27]           Comme il n’est pas nécessaire que j’examine l’argument fondé sur la Charte qu’a fait valoir M. LeBon – suivant lequel le ministre ne pouvait tirer de conclusion défavorable du fait qu’il avait gardé le silence après son arrestation –, je m’abstiens d’émettre une opinion à ce sujet.

 

[28]           J’accueillerais donc l’appel et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre, j’annulerais la décision du ministre et je renverrais l’affaire au ministre pour qu’il se prononce sur la demande de transfèrement de M. LeBon conformément aux présents motifs dans un délai de soixante jours. J’adjugerais par ailleurs à M. LeBon ses dépens tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale, pour un montant global de 5 000 $.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-351-11

 

INTITULÉ :                                                                          Yves LeBon c. Procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 18 avril 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 27 avril 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Yavar Hameed

POUR L’APPELANT

 

Catherine A. Lawrence

Jessica DiZazzo

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hameed & Farrokhzad

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

 

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