ENTRE :
BRADLEY RICHARD FRANCIS BUCKLEY, KELLY BUCKLEY, JOE WILLIAM BUCKLEY et CAROL J. BUCKLEY
et
JAMES BUHLMAN et CINDY MAISONVILLE
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 décembre 2011.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2012.
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE TRUDEL
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL
LA JUGE DAWSON
Dossier : A‑82‑11
Référence : 2012 CAF 9
CORAM : LE JUGE NOËL
LA JUGE DAWSON
LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
BRADLEY RICHARD FRANCIS BUCKLEY, KELLY BUCKLEY, JOE WILLIAM BUCKLEY et CAROL J. BUCKLEY
appelants
et
JAMES BUHLMAN et CINDY MAISONVILLE
intimés
MOTIFS DU JUGEMENT
Introduction
[1] Le présent appel porte sur la différence entre les articles 28 et 29 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la Loi) et sur la question de savoir quelle limite de responsabilité s’applique dans le cas de l’abordage survenu le 22 juillet 2006 entre deux bateaux de plaisance. Sauf indication contraire, je cite les articles de la Loi qui étaient en vigueur le 22 juillet 2006, consciente que ces articles ont été renumérotés à la suite d’une modification législative récente (Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, mod. par L.C. 2009, ch. 21) et que le libellé de l’article 29 actuel est pratiquement identique à celui de l’article 28, dans sa rédaction en vigueur en 2006. À mon avis, cette modification est sans conséquence sur l’issue du présent appel.
[2] Pour limiter leur éventuelle responsabilité sous le régime de la Loi, les intimés, James Buhlman et Cindy Maisonville, ont demandé à la Cour fédérale de rendre un jugement sommaire contre les appelants, Bradley Richard Francis Buckley [Bradley], son épouse, Kelly Buckley, le père de Bradley, Joe William Buckley, et l’épouse de ce dernier, Carol J. Buckley. Dans les présents motifs, Bradley et son père sont désignés simplement comme les Buckley.
[3] Par suite de la requête présentée par les intimés, la Cour fédérale a prononcé l’ordonnance suivante portant la référence neutre 2011 CF 73 :
… la limite de responsabilité de James Buhlman et Cindy Maisonville pour les créances nées des lésions corporelles subies par Bradley Richard Francis Buckley et Joe William Buckley lors d’un accident de bateau survenu sur le lac Eagle, dans le district de Kenora, en Ontario, le 22 juillet 2006, est d’un million de dollars, conformément à l’article 28 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, sans compter les intérêts avant jugement.
Il n’y aura, en vertu du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, aucune adjudication de dépens.
[4] Les appelants font valoir plusieurs moyens dans le présent appel pour démontrer que la juge de la Cour fédérale (la juge) a commis une erreur en ne concluant pas que la créance née des lésions corporelles subies par les Buckley était une créance maritime assujettie à la limite de responsabilité plus élevée prévue au paragraphe 29(2) de la Loi. L’ordonnance de la juge reposait plutôt sur l’article 28 de la Loi.
[5] Les intimés appuient la conclusion de la juge. Ils sont toutefois en désaccord avec elle sur les deux questions suivantes qui font l’objet de leur appel incident : (1) La limite de responsabilité d’un million de dollars à laquelle sont assujetties les créances nées de lésions corporelles au sens de l’article 28 de la Loi comprend‑elle les intérêts avant jugement et les dépens ou exclut‑elle les intérêts avant jugement, ainsi que la juge l’a estimé? (2) Les intimés ont‑ils droit à leurs dépens de la requête en jugement sommaire?
Appel incident des intimés
[6] À l’ouverture de l’audience, les intimés ont informé notre Cour qu’ils ne donnaient pas suite à la première question soulevée dans leur appel incident, de sorte qu’il ne restait plus à trancher que la question des dépens. Leur thèse est que, comme ils ont obtenu gain de cause en première instance sur leur requête en jugement sommaire, les dépens devraient suivre l’issue du principal et leur être adjugés.
[7] Comme je propose de confirmer la décision de la Cour fédérale, je vais trancher immédiatement cette question ainsi que l’appel incident.
[8] La juge avait, en vertu de l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui devaient les payer. Il est de jurisprudence constante qu’il n’est pas loisible à une juridiction d’appel de simplement substituer l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge de première instance (Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), 2005 CAF 139, [2005] 3 R.C.F. 367, au paragraphe 13; Apotex Inc. c. Merck & Co., 2006 CAF 324, aux paragraphes 3 et 4).
[9] Au paragraphe 45 de ses motifs, la juge explique que, « les [intimés] ayant obtenu gain de cause sur la base d’un argument qu’ils n’ont pas fait valoir, et auquel les [appelants] n’ont pas répondu, j’estime, en vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère la Règle 400, qu’il n’y a pas lieu d’adjuger de dépens ».
[10] Les intimés ne contestent pas cette conclusion qui, à mon humble avis, justifie amplement le résultat. Les intimés n’ont pas réussi à me convaincre que la décision de la juge au sujet des dépens était entachée d’une erreur de principe ou qu’elle était manifestement erronée (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38, au paragraphe 49).
[11] Par conséquent, je propose de rejeter l’appel incident avec dépens. Ce faisant, je ne me prononce pas sur la question de savoir si les intérêts avant jugement font partie ou non de la limite de responsabilité. Cette question devra être abordée à une autre occasion lorsque la Cour aura eu l’avantage d’entendre des arguments complets à ce sujet.
L’appel
A. Faits pertinents
[12] Pour mieux comprendre la thèse que les parties ont exposée dans le cadre du présent appel, il est utile de connaître les faits pertinents. Les faits pertinents sont exposés en détail dans les motifs de la Cour fédérale et les parties ne contestent pas le résumé qu’en a fait la juge.
[13] Le 22 juillet 2006, Joe William Buckley, son fils, Bradley, et deux enfants se sont inscrits à l’Eagle Lake Sportsmen’s Lodge (la pourvoirie) qui, comme son nom l’indique, est situé sur le lac Eagle à Vermillion Bay, en Ontario.
[14] Cette pourvoirie, qui appartient aux intimés Bullman et Maisonville, qui s’occupent aussi de son exploitation, est un camp de pêche qui offre à sa clientèle des activités sportives, et leur permet notamment d’utiliser des bateaux à moteur.
[15] Le 22 juillet 2006, en soirée, les Buckley sont partis en bateau faire une promenade sur le lac Eagle. Bradley et son père étaient à bord d’un bateau de marque Lund Outfitter mesurant dix-sept pieds, manœuvré par le père, tandis que l’intimé Buhlman et les enfants se trouvaient à bord d’un bateau de marque Crestliner de même taille. Les bateaux et les moteurs étaient la propriété de la pourvoirie et étaient immatriculés à son nom.
[16] Alors qu’ils rentraient vers le camp de pêche, le Crestliner est entré en collision avec le Lund Outfitter. L’abordage causa des lésions corporelles aux deux passagers du Lund Outfitter. Les blessures subies par Bradley étaient les plus graves.
[17] En vertu de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, les appelants ont introduit devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario une action en dommages‑intérêts (dossier no 548821) fondée sur la négligence. Ils réclament, à titre de dommages‑intérêts, environ 8,2 millions de dollars, plus les intérêts avant jugement et les dépens.
[18] Récemment, les parties ont consenti à ce que l’instruction du dossier de la Cour supérieure de l’Ontario dont la date d’audience avait déjà été fixée soit ajournée de six mois en attendant l’issue du présent appel.
B. Résumé de la décision de la Cour fédérale
[19] En résumé, la juge de la Cour fédérale a conclu que les créances des Buckley étaient des créances maritimes au sens de l’article 24 de la Loi, lequel renvoie à l’article 2 de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes [la Convention de 1976], modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes.
Créances soumises à la limitation
1. Sous réserve des articles 3 et 4, les créances suivantes, quel que soit le fondement de la responsabilité, sont soumises à la limitation de la responsabilité :
a) créances pour mort, pour lésions corporelles, pour pertes et pour dommages à tous biens (y compris les dommages causés aux ouvrages d’art des ports, bassins, voies navigables et aides à la navigation) survenus à bord du navire ou en relation directe avec l’exploitation de celui‑ci ou avec des opérations d’assistance ou de sauvetage, ainsi que pour tout autre préjudice en résultant;
(Je souligne) |
Claims subject to limitation
1. Subject to Articles 3 and 4 the following claims, whatever the basis of liability may be, shall be subject to limitation of liability:
(a) claims in respect of loss of life or personal injury or loss of or damage to property (including damage to harbour works, basins and waterways and aids to navigation), occurring on board or in direct connexion with the operation of the ship or with salvage operations, and consequential loss resulting therefrom;
[I underline] |
[21] La juge a conclu que la limite de responsabilité plus élevée prévue au paragraphe 29(2) de la Loi ne s’appliquait pas, parce que les Buckley ne se trouvaient pas à bord du navire à l’égard duquel les propriétaires et exploitants invoquaient une limitation de responsabilité (motifs du jugement, aux paragraphes 34, 36, 37 et 41). Ils ne se trouvaient pas à bord du « navire abordeur ». Elle a plutôt conclu que l’alinéa 28(1)a) de la Loi s’appliquait et qu’il avait pour effet de limiter la responsabilité des intimés à 1 000 000 $ plutôt que de les assujettir à la limite de 3 000 000 $ prévue à l’article 29 de la Loi (mémoire des faits et du droit des appelants, au paragraphe 2).
[22] Je m’attarderai davantage aux motifs de la juge plus loin dans mon analyse.
C. Thèse des parties et dispositions législatives pertinentes
[23] La thèse des parties est demeurée la même, tant en appel qu’en première instance, et elle est exposée en détail dans les motifs de la Cour fédérale. Les articles 28 et 29 de la Loi ont joué un rôle déterminant dans la décision qui a été rendue au sujet de la requête en jugement sommaire. En voici le texte :
[24] Ces deux articles se trouvent à la partie 3 de la Loi intitulée « Limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ». Il est acquis aux débats dans le présent appel que les parties ne se fondent pas sur la partie 4 de la Loi, intitulée « Responsabilité en matière de transport de passagers par eau ». En conséquence, les parties ne s’appuient pas sur la Convention d’Athènes de 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages, modifiée par le Protocole de 1990 (13 décembre 1974, 1463 RTNU 19). Les parties ne contestent donc pas la conclusion de la juge suivant laquelle la partie 4 de la Loi ne s’applique pas à la présente affaire.
[25] Les appelants sont d’avis que l’analyse que la juge a faite de la partie 3 de la Loi était incomplète (Mémoire des faits et du droit des appelants, au paragraphe 16). Ils affirment qu’après avoir conclu que la créance des Buckley était une créance maritime au sens de la Convention de 1976, la juge devait poursuivre son analyse en fonction de l’article 29. Si elle l’avait fait, comme elle le devait, elle aurait constaté que les Buckley étaient des personnes transportées à bord d’un navire utilisé à des fins commerciales. Le paragraphe 29(2) se serait appliqué à eux (mémoire des faits et du droit des appelants, aux paragraphes 45 et 46). Les intimés auraient donc été assujettis à une limite de responsabilité plus élevée.
[26] Les appelants soutiennent que, pour décider si le paragraphe 28(1) s’applique ou non, il faut se poser les deux questions suivantes : (1) La créance porte‑t‑elle sur un « navire jaugeant moins de 300 tonneaux »? (2) La créance est‑elle, au sens du paragraphe 28(1), une créance « autre que celle mentionnée à l’article 29 » de la Loi? Les appelants soutiennent que l’article 28 s’applique par défaut si l’article 29 ne s’applique pas (ibid., au paragraphe 20).
[27] Pour ce qui est de la première question, il n’y a aucun doute que les deux navires jaugeaient moins de 300 tonneaux. Il reste donc à savoir si les créances des Buckley tombaient sur le coup de l’article 29 de la Loi. Les appelants affirment que la juge aurait dû se poser les questions suivantes : (1) Les créances maritimes tombent‑elles sur le coup du paragraphe 29(1) du fait qu’il s’agit de créances pour blessures corporelles causées à des passagers d’un navire pour lequel aucun certificat n’est requis? (2) Si le paragraphe 29(1) ne s’applique pas, qu’en est‑il du paragraphe 29(2), qui porte sur les créances maritimes « des personnes transportées sur un navire autrement que sous le régime d’un contrat de transport de passagers »? et (3) Les personnes en question étaient‑elles transportées à bord d’un navire « autre qu’un navire utilisé à des fins commerciales ou publiques »?
[28] Les appelants soutiennent que la conclusion de la juge suivant laquelle les créances des Buckley étaient des créances maritimes au sens de l’article 28, mais non au sens de l’article 29, est contradictoire et inexacte (ibid., au paragraphe 25), ajoutant que [traduction] « une créance qui ne répond pas à la définition de créance maritime à l’article 29 ne saurait répondre à la définition de l’article 28; la même définition vaut dans les deux cas » (ibid., au paragraphe 25). La juge a donc commis une erreur en empêchant les créances maritimes des Buckley de bénéficier des avantages de l’article 29 de la Loi parce que ces créances ne visaient pas le navire à bord duquel les appelants se trouvaient. Le fait de se trouver à bord du « navire abordeur » n’est pas une condition préalable à respecter pour que le paragraphe 29(2) de la Loi s’applique. Il suffit de démontrer que la personne qui a subi des lésions se trouvait à bord d’un navire. Le paragraphe 28(1) et l’alinéa 29(3)b) de la Loi parlent d’« un » navire et non « du » navire. Par souci de commodité, voici de nouveau ces dispositions :
Navires d’une jauge inférieure à 300 tonneaux 28. (1) La limite de responsabilité pour les créances maritimes — autres que celles mentionnées à l’article 29 — nées d’un même événement impliquant un navire jaugeant moins de 300 tonneaux est fixée à : a) 1 000 000 $ pour les créances pour décès ou blessures corporelles; b) 500 000 $ pour les autres créances.
Exception 29 (3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas : […] b) dans le cas d’une personne transportée à bord d’un navire autre qu’un navire utilisé à des fins commerciales ou publiques. (Je souligne) |
Liability for ships under 300 tons
28. (1) The maximum liability for maritime claims that arise on any distinct occasion involving a ship with a gross tonnage of less than 300 tons, other than claims mentioned in section 29, is (a) $1,000,000 in respect of claims for loss of life or personal injury; and (b) $500,000 in respect of any other claims.
Exception 29 (3) Subsection (2) does not apply in respect of … (b) a person carried on board a ship other than a ship operated for a commercial or public purpose.
[I underline] |
[29] Les appelants affirment en outre que l’interprétation retenue par la juge [traduction] « crée une situation incongrue », en ce sens que les passagers blessés seraient traités différemment selon qu’ils se trouvaient à bord du « navire abordeur » ou du « navire abordé » au moment de la collision.
[30] Pour leur part, les intimés s’en tiennent au jugement de la Cour fédérale et souscrivent dans l’ensemble au raisonnement suivi par la juge.
Question en litige
[31] La juge de la Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en appliquant l’article 28 de la Loi aux créances maritimes des Buckley? Non.
Norme de contrôle
[32] Les parties n’ont pas abordé la question de la norme de contrôle applicable. Le litige a trait à une question de droit portant sur l’interprétation des articles 28 et 29 de la Loi à la lumière de la convention de 1976. La question en litige est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).
Analyse
[33] La Convention de 1976 vise une foule de créances qui sont assujetties à diverses limites de responsabilité. À l’alinéa 2(1)a), elle vise plus précisément les événements « survenus à bord du navire ou en relation directe avec l’exploitation de celui‑ci » (voir paragraphe [20] ci‑dessus).
[34] En l’espèce, la juge a conclu à juste titre que les blessures subies à bord du Lund Outfitter étaient survenues en relation directe avec l’exploitation du Crestliner (motifs du jugement, au paragraphe 18), le navire dont on cherchait à engager la responsabilité.
[35] Pour la juge, la question essentielle était celle de savoir « quelle était la situation [des Buckley] par rapport au Crestliner » (ibid., au paragraphe 34). Pour trouver la bonne réponse, la juge s’est livrée à une analyse du régime de limitation de responsabilité prévu aux articles 28 et 29 de la Loi. Reconnaissant que les articles 28 et 29 portent sur des scénarios différents et ayant déjà accepté qu’elle avait affaire à des créances maritimes, la juge a porté son attention sur l’article 29 de la Loi, sur lequel les appelants ont axé toute leur thèse.
[36] D’entrée de jeu, la juge a écarté l’application du paragraphe 29(1), étant donné qu’il était acquis aux débats que les Buckley n’étaient pas des passagers visés par un contrat de transport de passagers au sens de l’alinéa 7(2)a) de la Convention de 1976 (ibid., aux paragraphes 36 et 22).
[37] La juge a ensuite examiné le paragraphe 29(2) de la Loi, qu’elle a également écarté. À son avis « [p]our que le paragraphe 29(2) s’applique, les personnes ayant subi des blessures corporelles doivent faire valoir leur créance sur le bateau à bord duquel elles se trouvaient » (motifs du jugement, au paragraphe 37). Les Buckley ne se trouvaient pas à bord du Crestliner.
[38] Comme nous l’avons déjà mentionné, les appelants ne sont pas d’accord avec l’interprétation que la juge a faite des articles applicables de la Loi. La thèse que les appelants font valoir dans le présent appel repose sur le « but du voyage » et sur l’emploi de l’article indéfini « un » pour qualifier le navire par opposition à l’article défini « le ».
Fins commerciales
[39] Je vais examiner d’abord l’alinéa 29(3)b) en ce qui concerne les créances formulées par des personnes transportées à bord d’un navire exploité à des fins commerciales ou publiques.
[40] Dans ses motifs, la juge a reproché aux deux avocats l’importance qu’ils accordaient à la nature du « voyage » en se demandant si les bateaux avaient été utilisés à des fins commerciales ou à des fins d’agrément. Elle a estimé que l’importance ainsi attachée à cette question ne lui paraissait pas justifiée, préférant plutôt se concentrer sur « le rôle revenant au bateau à l’égard duquel on entend se prévaloir d’une limitation de responsabilité » (ibid., au paragraphe 32). Après tout, les intimés ne demandaient pas à la Cour de se prononcer sur la responsabilité, mais plutôt de déterminer la limite de la responsabilité prévue par la Loi (ibid., au paragraphe 33).
[41] Il n’est pas nécessaire dans le présent appel d’examiner cette question ni celle de savoir si le Lund Outfitter ou le Crestliner étaient exploités à des fins commerciales ou à des fins d’agrément. Je suis d’accord avec la juge pour dire que le paragraphe 29(2) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce, étant donné que les Buckley ne se trouvaient pas à bord du Crestliner. Cette conclusion suffit pour régler les arguments des appelants sans qu’il soit nécessaire d’examiner davantage le but du voyage.
L’argument « un navire / le navire »
[42] En édictant la Loi, le législateur fédéral entendait fixer des limites de responsabilité et créer une uniformité en trouvant un équilibre entre les intérêts des armateurs et ceux des autres personnes. À ce propos, je suis d’accord avec les intimés pour dire que l’article 29 assure une certitude en ce qui concerne la limite d’une éventuelle responsabilité et qu’il permet aux propriétaires de navires et à leurs assureurs de fixer une limite globale en ce qui concerne l’éventuelle responsabilité découlant des créances présentées par leurs passagers ou par les personnes qu’ils transportent à des fins commerciales ou publiques (mémoire des faits et du droit des intimés, au paragraphe 21). Les armateurs et les assureurs ont ainsi une bonne idée de ce dont ils peuvent être responsables et du degré de cette responsabilité.
[43] L’article 7 de la Convention, qui est la source de l’article 29 de la Loi, est ainsi libellé :
Article 7Limite applicable aux créances des passagers1. Dans le cas de créances résultant de la mort ou de lésions corporelles des passagers d’un navire et nées d’un même événement, la limite de la responsabilité du propriétaire du navire est fixée à un montant de 175 000 unités de comptes multiplié par le nombre de passagers que le navire est autorisé à transporter conformément à son certificat. 2. Aux fins du présent article, l’expression « créances résultant de la mort ou de lésions corporelles des passagers d’un navire » signifie toute créance formée par toute personne transportée sur ce navire ou pour le compte de cette personne :
a) en vertu d’un contrat de transport de passager; ou b) qui, avec le consentement du transporteur, accompagne un véhicule ou des animaux vivants faisant l’objet d’un contrat de transport de marchandises.
(Je souligne) |
Article 7The limit for passenger claims1. In
respect of claims arising on any distinct occasion for loss of life or
personal injury to passengers of a ship, the limit of liability of the
shipowner thereof shall be an amount of 175,000 Units of Account
multiplied by the number of passengers which the ship is authorized to carry
according to the ship’s certificate. 2. For the purpose of this Article “claims for loss of life or personal injury to passengers of a ship” shall mean any such claims brought by or on behalf of any person carried in that ship:
(a) under a contract of passenger carriage, or (b) who, with the consent of the carrier, is accompanying a vehicle or live animals which are covered by a contract for the carriage of goods.
[I underline] |
[44] Il résulte à mon avis du rapprochement de l’article 7 de la Convention et de l’article 29 de la Loi qu’il convient de favoriser l’interprétation de la juge suivant laquelle le paragraphe 29(2) de la Loi vise les personnes se trouvant à bord du navire cherchant à limiter sa responsabilité.
[45] Bien qu’il n’ait pas été jugé applicable en l’espèce, le paragraphe 29(1) de la Loi concerne les passagers se trouvant à bord d’un navire et, partant, les personnes transportées à bord de ce navire aux termes d’un contrat de transport. Le paragraphe 29(2) s’applique aux personnes qui sont transportées à bord de ce navire à des fins commerciales ou publiques sans contrat de transport.
[46] Les paragraphes 29(1) et 29(2) de la Loi s’appliquent tous les deux à la catégorie de personnes se trouvant à bord du navire soit à titre de passagers soit à titre de personnes transportées autrement qu’aux termes d’un contrat de transport. De plus, la formule utilisée pour fixer la limite de responsabilité qui est prévue aux sous‑alinéas 29(2)b)(i) et 29(2)b)(ii) tient compte du nombre de passagers que le navire est autorisé à transporter en vertu de son certificat ou du nombre de personnes à bord du navire au moment de l’incident.
[47] Tout cela m’amène à la conclusion à laquelle la juge est arrivée : le paragraphe 29(2) ne s’applique pas aux créances maritimes en litige. Par conséquent, la juge n’a pas commis d’erreur de droit ou de principe qui justifierait notre intervention. C’est à bon droit qu’elle a conclu que l’article 29 de la Loi ne s’appliquait pas aux Buckley, qui n’étaient ni des passagers ni des personnes transportées à bord du Crestliner, et c’est également à bon droit qu’elle a conclu que le libellé plus large du paragraphe 28(1) régissait leurs créances maritimes.
Dispositif
[48] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens et de rejeter également avec dépens l’appel incident.
« Je suis d’accord
Marc Noël, j.c.a. »
« Je suis d’accord
Eleanor R. Dawson, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A‑82‑11
APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE PAR LA JUGE HENEGHAN DE LA COUR FÉDÉRALE LE 20 JANVIER 2011 DANS LE DOSSIER NO T‑864‑09
INTITULÉ : BRADLEY RICHARD FRANCIS BUCKLEY, KELLY BUCKLEY, JOE WILLIAM BUCKLEY et CAROL J. BUCKLEY c. JAMES BUHLMAN et CINDY MAISONVILLE
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 décembre 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE TRUDEL
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL
LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : Le 11 janvier 2012
COMPARUTIONS :
Anna Szczurko
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POUR LES APPELANTS
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Martin Abadi
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POUR LES INTIMÉS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats London (Ontario)
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POUR LES APPELANTS
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Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LES INTIMÉS
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