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Date : 20111216

Dossier : A-70-09

Référence : 2011 CAF 356

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

RAKEL ELBILIA

demanderesse

et

AIR CANADA

et

 

SYNDICAT NATIONAL DE L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA), SECTION LOCALE 2002

 

défendeurs

 

 

 

Demande jugée sur dossier sans comparution des parties.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20111216

Dossier : A-70-09

Référence  2011 CAF 356

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

RAKEL ELBILIA

demanderesse

et

AIR CANADA

et

 

SYNDICAT NATIONAL DE L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA), SECTION LOCALE 2002

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 16 janvier 2009 par laquelle le Conseil canadien des relations industrielles [le Conseil] a rejeté la plainte de madame Elbilia conformément à l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 [le Code] dans laquelle elle a allégué que le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada [le Syndicat] a été arbitraire et injuste dans sa façon de la représenter.

 

[2]               En janvier 2006, madame Elbilia a pris un congé de maladie. Son médecin l’a déclarée apte à retourner au travail le 24 avril 2006, mais son employeur lui ayant imposé des conditions relativement à son retour, elle n’est retournée au travail que le 7 février 2007. Madame Elbilia prétend que son absence entre le 24 avril 2006 et le 7 février 2007, une période d’environ neuf mois et demi, était une forme de congédiement déguisé. Elle a demandé à son syndicat de déposer un grief concernant le fait que son retour au travail a été retardé. Elle n’a pas réussi à convaincre le Conseil que le Syndicat avait été injuste et arbitraire dans la façon dont il avait traité son grief.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire. Avant d’examiner le bien-fondé de la demande, il convient de formuler quelques remarques préliminaires.

 

Remarques préliminaires

[4]               Conformément à l’article 16.1 du Code, le Conseil a tranché cette affaire sans tenir d’audience étant donné qu’il a jugé que les observations des parties et le dossier étaient suffisants (motifs du Conseil à la page 9).

 

[5]               Pour des raisons très différentes et en vertu d’une ordonnance rendue en présence des parties le 30 novembre 2011, notre Cour a également décidé de trancher la présente demande en se fondant sur le dossier existant, y compris les représentations écrites des parties, mais sans tenir d’audience.

 

[6]               Consciente de ses obligations de justice et d’équité à l’égard de toutes les parties qui comparaissent devant elle, notre Cour a procédé de cette manière inhabituelle en raison des circonstances décrites ci-dessous (voir l’ordonnance rendue par la Cour le 30 novembre 2011).

 

[7]               Suivant la présentation d’une demande conjointe en vue d’établir une date d’audience, la présente affaire a été inscrite au rôle pour une audience le 7 septembre 2011. La demanderesse agissait alors pour son propre compte.

 

[8]               Le 26 août 2011, le juge en chef Blais a refusé la demande d’ajournement de l’audience présentée par la demanderesse. Au cours des jours suivants, la demanderesse a nommé M. Jean‑Carol Boucher à titre d’avocat pour la représenter. Au nom de sa cliente, M. Boucher a, à son tour, présenté une deuxième requête en vue d’ajourner l’audience principalement en raison de ses obligations professionnelles et déontologiques. Les deux défendeurs se sont opposés à cette requête, laquelle a été instruite le 7 septembre 2011, avant l’audition de l’affaire sur le fond.

 

[9]               Cette requête a donné lieu à une ordonnance rendue en présence des parties en vertu de laquelle :

 

-                     la requête a été accueillie;

-                     les dépens de 2 800 $ relatifs à cette journée ont été adjugés aux défendeurs;

-                     l’audience a été fixée au 30 novembre 2011, date à laquelle toutes les parties ont souscrit;

-                     la demande devait être [traduction] « tranchée en se fondant sur le dossier existant. Au cas où la demanderesse souhaiterait modifier son mémoire des faits et du droit, une requête en ce sens devrait être présentée dans les meilleurs délais ».

 

[10]           Le 23 novembre 2011, M. Boucher a signifié et a tenté de déposer une autre requête en vue d’ajourner l’audience fixée au 30 novembre. Je dis « a tenté » parce que le registraire de la Cour d’appel fédérale a refusé le dépôt de la requête étant donné qu’elle ne respectait pas les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. L’avocat de la demanderesse cherchait à obtenir un délai supplémentaire pour modifier son mémoire des faits et du droit et le recueil de jurisprudence afin, comme il l’a fait valoir, de présenter une « défense pleine et entière » pour sa cliente.

 

[11]           Par une directive datée du 28 novembre, les parties ont été invitées, au début de l’audience, à présenter leurs arguments concernant la requête. L’avocat de la demanderesse a également été informé que si sa requête était refusée, il devait être prêt à procéder à l’instruction de la demande. L’audience du 30 novembre s’est donc déroulée comme prévu, du moins pendant les premières minutes.

 

[12]           Le dépôt de la requête par laquelle la demanderesse visait à obtenir une ordonnance autorisant l’ajournement de l’audience a effectivement été accepté et les parties ont débattu sur le fond. Après une brève suspension de l’audience, la Cour a rejeté la requête et a demandé à l’avocat de présenter sa demande de contrôle judiciaire.

 

[13]           À ce moment, l’avocat a demandé l’autorisation de présenter un document qui était, en fait, un mémoire des faits et du droit amendé. Les défendeurs s’y sont fermement opposés. L’autorisation a été refusée.

 

[14]           Après une autre suspension de l’audience, M. Boucher a demandé l’autorisation de cesser de représenter la demanderesse, demande à laquelle cette dernière ne s’est pas opposée. La demande de M. Boucher, présentée oralement, a été acceptée. La demanderesse devait donc se représenter elle-même. Elle demandait à son tour l’ajournement de l’audience afin, selon elle, de nommer un nouveau représentant. Elle ne voulait pas agir en son propre nom. Cette demande a été également rejetée.

 

[15]           Devant une telle situation, étant préoccupée par l’équité de l’ensemble du processus, la Cour a indiqué qu’elle trancherait la demande de contrôle judiciaire en se fondant sur le dossier existant sans tenir d’audience.

 

 

 

Les questions de fond

[16]           Cela étant dit, j’examinerai maintenant la présente demande en gardant à l’esprit que la norme de contrôle applicable à l’égard de la décision du Conseil concernant l’obligation de juste représentation du syndicat est la norme de la décision raisonnable (Syndicat des services du grain (SIDM-Canada) c. Friesen, 2010 CAF 339, paragraphe 31; McAuley c. Chalk River Technicians and Technologists Union, 2011 CAF 156, paragraphe 13).

 

Analyse

[17]           La demanderesse a fait valoir devant le Conseil que son Syndicat n’a pas examiné sa situation de façon exhaustive, qu’il n’a pas déposé de grief lorsqu’elle lui a demandé et qu’il ne l’a pas tenue informée de l’évolution de son dossier (motifs du Conseil aux pages 10-11). Elle a également souligné que [traduction] « l’employeur et le syndicat ont agi de manière illégale » dans le but de monter un dossier contre elle (ibidem à la page 12).

 

[18]           Bien qu’il dit avoir été [traduction] « touché par le cas de [la demanderesse] », le Conseil n’a « pas été en mesure de conclure que le Syndicat avait violé son obligation de juste représentation » (ibidem à la page 19). À son avis, la demanderesse n’a pas « présenté suffisamment de faits pour démontrer que, selon toute vraisemblance, le Syndicat a contrevenu à ses obligations en vertu du Code » (ibidem).

 

[19]           Dans son avis de demande modifié, la demanderesse conteste la lettre de décision du Conseil au motif que le Conseil a agi de façon partiale et arbitraire et qu’il a manqué d’impartialité. Elle fait également valoir que le Conseil, par l’entremise de son « personnel […] a fait preuve de partisanerie avec son Syndicat et qu’à plusieurs reprises, [il a outrepassé] son mandat et son pouvoir dans l’application de certaines procédures et en ce qui concerne ses capacités décisionnelles » (avis de demande modifié, 25 juin 2009).

 

[20]           Si la demanderesse avait gain de cause avec ces motifs de plainte, l’affaire devrait faire l’objet d’un nouvel examen par une formation du Conseil différemment constituée.

 

[21]           Toutefois, après avoir examiné attentivement le dossier, je suis d’accord avec l’avocat du Syndicat que rien dans ce dossier n’appuie, directement ou indirectement, la proposition qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que la décision du Conseil à l’égard de la plainte de la demanderesse était injuste ou qu’elle manquait d’impartialité (mémoire des faits et du droit du Syndicat au paragraphe 53; voir également Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, page 636).

 

[22]           Ceci devrait régler la question puisque le seul élément soulevé dans l’avis de demande modifié était l’équité procédurale.

 

[23]           Cependant, par le truchement des éléments matériels de son affidavit et de son mémoire des faits et du droit, la demanderesse a ajouté plusieurs motifs de plainte contre la décision du Conseil. Bien qu’il semble qu’à certains moments, elle débatte de nouveau le bien-fondé de son grief contre son employeur et le Syndicat, elle conteste également certaines conclusions du Conseil et le fait qu’il n’a pas rendu une décision favorable à l’égard de sa plainte.

 

[24]           Plus précisément, la demanderesse conteste a) le délai de présentation du grief, qui l’a poussée à chercher à être représentée par son propre avocat (ibidem au paragraphe 38); b) le manque de communication du Syndicat avec elle (ibidem aux paragraphes 38 et 51); et c) le fait que le Conseil n’a pas pris en compte son droit à une juste représentation en arbitrage (ibidem aux paragraphes 60 à 62).

 

[25]           Après avoir lu attentivement la décision du Conseil, il semble que le Conseil avait clairement ces questions à l’esprit lorsqu’il a examiné la plainte.

[traduction]

Selon les documents au dossier, le syndicat a informé la plaignante à plusieurs reprises que, pour qu’il puisse poursuivre sa plainte, elle devait fournir les renseignements médicaux requis par l’employeur. La plaignante n’a pas répondu aux demandes de l’employeur. Le syndicat a également demandé à la plaignante si elle voulait être représentée par le syndicat ou par son propre avocat; elle a choisi d’être représentée par l’avocat de son choix. La preuve indique effectivement que la plaignante était représentée par un avocat de son choix en ce qui concerne son retour au travail.

 

La preuve indique également que, dans une lettre datée du 31 janvier 2007, l’avocat de la plaignante a demandé au syndicat de fixer une rencontre pour traiter les divers dossiers de la plaignante – une réunion qui a effectivement eu lieu.

 

Le syndicat a ensuite déposé un grief contestant le refus de l’employeur de permettre à la plaignante de retourner au travail le 24 avril 2006, même si le syndicat savait que le délai de présentation d’un tel grief avait expiré. Conformément à la preuve au dossier, le syndicat s’était arrangé avec l’employeur afin que ce dernier ne tienne pas compte du délai prévu dans la convention collective et qu’il autorise le syndicat à renvoyer le grief à l’arbitre Martin Teplitsky pour décision. Le syndicat a informé la plaignante que l’audience d’arbitrage était prévue pour septembre, date à laquelle l’audience a effectivement eu lieu. La décision arbitrale a été rendue le 25 septembre 2007; le grief de la plaignante a été rejeté.

 

Il convient de souligner qu’étant donné que la présente plainte a été déposée avant que la décision arbitrale ait été rendue, elle ne vise pas la représentation par le syndicat dans le cadre de l’arbitrage (décision du Conseil à la page 20).

 

[26]           Compte tenu de ce qui précède, le Conseil a conclu que la plaignante n’a pas fourni suffisamment de faits matériels pour conclure que le Syndicat était hostile à son égard. Le Conseil a plutôt souligné que le Syndicat a pris les mesures nécessaires pour faire valoir les droits de la plaignante, bien qu’il l’ait informée qu’il serait difficile pour lui d’intervenir puisqu’elle avait choisi d’être représentée par son propre avocat plutôt que par le Syndicat et qu’elle avait refusé de fournir les renseignements médicaux demandés.

 

[27]           Compte tenu du dossier dans son ensemble, j’estime que la décision du Conseil était raisonnable, soit une décision appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47).

 

[28]           En effet, malgré le retard du Syndicat à poursuivre le grief, ce dernier a réussi à négocier les délais avec l’employeur et a porté le grief en arbitrage. Un manque de communication avec le plaignant s’estimant lésé n’est pas, en soi, une violation de l’article 37. Il s’agit d’un manquement à l’obligation de juste représentation seulement lorsqu’il porte atteinte à la position du plaignant s’estimant lésé. Il n'y a aucun élément de preuve établissant une telle situation. Au contraire, le grief a réellement été déposé et une décision a été rendue.

[29]           Enfin, quant à la question de juste représentation en arbitrage, je souligne que le grief a été instruit le 24 septembre 2007, après que la plainte en vertu de l’article 37 ait été déposée le 7 septembre 2007. Le Conseil n’était donc pas saisi de cette question.

 

[30]           Je rejetterais donc cette demande avec dépens.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

           Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

           J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

 

 

 


Cour d'appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                                A-70-09

 

INTITULÉ :                                                               Rakel Elbilia c. Air Canada et Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-CANADA), SECTION LOCALE 2002

 

DEMANDE jugée sur dossier sans comparution des parties

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE NOËL

                                                                                    LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 16 décembre 2011

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

Rakel Elbilia

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Michael McCrory

 

Lewis Gottheil

POUR LA DÉFENDERESSE (AIR CANADA)

 

POUR LE DÉFENDEUR (TCA-Canada, Section locale 2002)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

AIR CANADA

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (AIR CANADA)

 

Services juridiques TCA-Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR (TCA-Canada, Section locale 2002)

 

 

 

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