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Date : 20111215

Dossier : A-192-10

Référence : 2011 CAF 354

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

AGATHE LÉTOURNEAU

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 8 septembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LA JUGE TRUDEL

                                                                                                                      LE JUGE MAINVILLE

 

 


Date : 20111215

Dossier : A-192-10

Référence : 2011 CAF 354

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

AGATHE LÉTOURNEAU

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit, en l’espèce, d’un appel d’un jugement rendu le 15 avril 2010 par le juge Réal Favreau (le juge) de la Cour canadienne de l’impôt, 2010 CCI 203, rejetant l’appel de l’appelante déposé à l’encontre d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre), en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR), pour une somme de 70 848,41$.

 

[2]               Plus particulièrement, le ministre cotisait l’appelante relativement à des déductions à la source non remises par 9034-1751 Québec Inc. (la compagnie). Le juge concluait que l’appelante, en tant qu’administratrice de la compagnie, devait être tenue solidairement responsable avec cette dernière pour le paiement des retenues à la source, y compris les intérêts et pénalités s’y rapportant, que la compagnie devait déduire, retenir et remettre au Receveur général du Canada.

 

[3]               Tel que le souligne le juge au paragraphe 4 de ses motifs, le litige devant lui portait principalement sur la date de démission de l’appelante comme administratrice de la compagnie. Devant le juge, l’appelante a prétendu qu’elle était devenue administratrice le 4 janvier 1999 et qu’elle avait démissionné le 9 décembre 1999. Par conséquent, elle prétendait ne pouvoir être tenue responsable des dettes de la compagnie puisque la cotisation établie par le ministre pour recouvrer la somme payable était prescrite, n’ayant pas été établie dans les deux années suivant la date à laquelle elle avait cessé pour la dernière fois d’être administratrice de la compagnie. Le juge a rejeté les prétentions de l’appelante. En concluant ainsi, il accueillait l’argument du ministre selon lequel le délai de prescription de deux ans prévu au paragraphe 227.1 (4) de la LIR était inapplicable vu les fausses représentations de l’appelante.

 

[4]               La seule question devant nous est de déterminer si le juge a erré en concluant que l’appelante devait être tenue solidairement responsable des dettes fiscales de la compagnie. Pour les motifs qui suivent, j’en viens à la conclusion que le juge a erré et que l’appel devrait être accueilli.

 

Les faits

[5]               Un bref résumé des faits sera utile à une bonne compréhension de l’appel. Plus particulièrement, afin de bien comprendre les conclusions légales et factuelles auxquelles en arrive le juge, il m’appert important de relater certains aspects de la preuve déposée devant le juge et de résumer brièvement les témoignages de l’appelante et de M. Jean Fontaine (Jean Fontaine). Il est important de noter que les faits qui suivent, autres que la date de démission de l’appelante comme administratrice, ne sont point contestés par les parties.

 

[6]               La compagnie a été constituée le 23 avril 1996 en vertu de la partie 1A de la Loi sur les compagnies, LRQ, c. 38. Jusqu’à ce qu’elle cesse ses opérations en avril 2002, la compagnie a exploité six dépanneurs sous la bannière Pétroles Sonerco. L’un de ces dépanneurs était situé à St-Hyacinthe, Québec, et opérait sous le nom d’Accommodation Grandmaître.

 

[7]               En date du 1er février 2002, la compagnie déposait un avis d’intention de faire une proposition concordataire. Aucune suite ne fût donnée à cette proposition.

 

[8]               Le 5 mars 2002, le ministre établissait une cotisation à l’égard de la compagnie pour des déductions à la source impayées pour l’année 2002, pour une somme de 824,65$. Le 6 mars 2002, il établissait une deuxième cotisation à l’égard de la compagnie pour des déductions à la source impayées pour l’année 2001, pour une somme de 70 023,76$.

 

[9]               La compagnie a fait cession de ses biens le 18 avril 2002 et elle a été radiée d’office par le Registraire des entreprises du Québec le 7 mai 2004.

 

[10]           Le 4 mai 2006, le ministre établissait une cotisation à l’égard de l’appelante pour une somme de 70 848,41$, en vertu de l’article 227.1 de la LIR.

 

[11]           Selon le registre des administrateurs de la compagnie, l’appelante aurait été administratrice du 4 janvier 1999 au 9 décembre 1999. À compter de cette date, le seul administrateur apparaissant au registre est Jean Fontaine, pompiste et gérant du dépanneur de St-Hyacinthe. Il avait la responsabilité de gérer les employés du dépanneur et d’effectuer les achats d’essence et de fournitures diverses. Je note que Jean Fontaine avait aussi été administrateur du 23 avril 1996 au 2 décembre 1996, ainsi que durant la période du 12 mai 1997 au 4 janvier 1999.

 

[12]           Le poste qu’occupait Jean Fontaine au dépanneur de St-Hyacinthe lui avait été offert par Marcel Létourneau, le conjoint de l’appelante, en qui, selon les propos du juge, Jean Fontaine avait une confiance aveugle. En outre, Jean Fontaine suivait à la lettre les conseils de Marcel Létourneau. D’ailleurs, Jean Fontaine a témoigné qu’il n’avait jamais refusé de signer les documents que Marcel Létourneau lui demandait de signer, même s’il n’avait pas toujours la connaissance suffisante pour comprendre la portée et les conséquences de ces documents.

 

[13]           En sa qualité d’administrateur de la compagnie, Jean Fontaine a signé plusieurs documents, à savoir des résolutions corporatives, une demande d’ouverture de compte bancaire pour la compagnie à la caisse populaire Bourg-Joli de St-Hyacinthe en date du 24 janvier 2000, selon laquelle il était l’un des deux signataires autorisés à signer les chèques de la compagnie (l’autre étant Mme Guylaine Lemay, contrôleuse de la compagnie), une demande d’admission et convention de personne morale pour la compagnie et une résolution et attestation concernant l’administration d’une personne morale. En outre, Jean Fontaine a signé de nombreux chèques, dont plusieurs à l’ordre de Marcel Létourneau, en date des mois de mars et avril 2001, et des déclarations annuelles de personne morale pour la compagnie pour les années 1998, 2000 et 2001. Ces déclarations ont été déposées au Registraire des entreprises du Québec (le « CIDREQ »). Je note que le 23 février 2000 la déclaration annuelle 1999 de la compagnie a été déposée au CIDREQ, identifiant Jean Fontaine comme son administrateur, président et secrétaire. La véracité de l’information contenue dans cette déclaration annuelle a été certifiée par Me Jacques Matte, procureur autorisé de la compagnie. Finalement, c’est Jean Fontaine qui a signé, en tant qu’administrateur, la cession de biens de la compagnie le 18 avril 2002.

 

[14]           Il ressort du témoignage de Jean Fontaine qu’il n’avait, en fait, aucune connaissance des affaires de la compagnie durant son terme comme administrateur. En outre, il a reconnu n’avoir jamais examiné les livres de la compagnie ainsi que les certificats d’actions A-1 qu’il avait signés le 23 avril 1996 en sa capacité de secrétaire et président de la compagnie.

 

[15]           Quant au témoignage de l’appelante, il a révélé ce qui suit. L’appelante a épousé Marcel Létourneau en 1966. Elle a reconnu avoir été administratrice de la compagnie du 4 janvier 1999 au 9 décembre 1999, c’est-à-dire jusqu’au jour où elle a soumis sa démission. Par résolution des actionnaires, la compagnie acceptait sa démission et nommait Jean Fontaine comme administrateur le 9 décembre 1999, une charge que ce dernier acceptait le jour même.

 

[16]           Selon le registre des actionnaires de la compagnie, l’appelante aurait détenu 100 actions de catégorie « A » de la compagnie du 4 janvier 1999 au 3 janvier 2001. Elle aurait acquis ces actions de Jean Fontaine le 4 janvier 1999 et les lui aurait par ailleurs rétrocédées le 3 janvier 2001.

 

[17]           L’appelante a aussi témoigné avoir été actionnaire de Gestion Aghmana Inc. qui était propriétaire d’un immeuble commercial à Rouyn-Noranda et dans lequel la compagnie opérait un dépanneur. Par ailleurs, le témoignage de l’appelante aurait révélé que, suite à la faillite de la compagnie, l’appelante a signé et déposé une preuve de réclamation auprès du syndic de faillite de la compagnie en date du 6 mail 2002, relativement à un prêt de 158 000 $ consenti par Gestion Aghmana Inc. à la compagnie.

 

[18]           En outre, l’appelante a témoigné que durant la période où elle a occupé les fonctions d’administratrice de la compagnie, elle n’était pas impliquée dans la gestion quotidienne des opérations de la compagnie, puisque cette gestion était la responsabilité de Guylaine Lemay qui s’occupait, entre autres, de la tenue des livres et de la comptabilité à Victoriaville, où étaient situés les bureaux de Marcel Létourneau.

 

[19]           À compter du 9 décembre 1999, soit la date à laquelle l’appelante soutient avoir démissionné comme administratrice, elle n’était nullement habilitée à signer des chèques pour la compagnie et les résolutions bancaires. De plus, elle n’était jamais présente au bureau de Victoriaville où se faisait l’administration de la compagnie et où se trouvaient ses livres. En bref, l’appelante n’a nullement participé à l’administration de la compagnie, puis il y a absence de gestes d’administration de sa part à compter du 9 décembre 1999.

 

La réponse du ministre à l’Avis d’appel :

[20]           Au paragraphe 10 de sa réponse à l’Avis d’appel, le ministre a tenu pour acquis un certain nombre de faits, notamment :

(b) L’appelante a été administratrice de 9034 à compter du 4 janvier 1999;

(j) Le registre des administrateurs de 9034 a été falsifié de manière à faire croire que l’appelante aurait démissionné de son poste d’administratrice le 9 décembre 1999;

(k) En réalité, l’appelante a été administratrice de 9034 au moins jusqu’au 3 janvier 2002;

 

La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[21]           Le juge a conclu que l’appelante devait être tenue solidairement responsable avec la compagnie pour le paiement de la dette de cette dernière à l’égard des déductions à la source non remises. Avant d’expliquer les motifs du juge, je reproduis les dispositions de la LIR qui sont au cœur du débat devant nous :

152. (4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

 

 

227. (10) Le ministre peut en tout temps, établir une cotisation pour les montants suivants :

a) un montant payable par une personne en vertu des paragraphes (8), (8.1), (8.2), (8.3) ou (8.4) ou 224(4) ou (4.1) ou des articles 227.1 ou 235 ;

b) un montant payable par une personne ou une société de personnes en vertu du paragraphe 237.1(7.4) ;

c) un montant payable par une personne en vertu du paragraphe (10.2) pour défaut par une personne non-résidente d’effectuer une déduction ou une retenue ;

d) un montant payable en vertu de la partie XIII par une personne qui réside au Canada.

Les sections I et J de la partie 1 s’appliquent, avec les modifications nécessaires, à tout avis de cotisation que le ministre envoie à la personne ou à la société de personnes.

 

227.1 (1) Lorsqu'une corporation a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la Partie VII ou de la Partie VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la corporation, à la date à laquelle la corporation était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la corporation, du paiement de cette somme, incluant tous les intérêts et toutes les pénalités s'y rapportant.

 

227.1 (4) L'action ou les procédures visant le recouvrement d'une somme payable par un administrateur d'une corporation en vertu du paragraphe (1) sont prescrites après deux ans de la date à laquelle l'administrateur cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de cette corporation.

152. (4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer’s normal reassessment period in respect of the year only if

(a) the taxpayer or person filing the return

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

 

 

 

 

 

 

 

227. (10) The Minister may at any time assess any amount payable under

(a) subsection 227(8), 227(8.1), 227(8.2), 227.(8.3) or 227(8.4) or 224(4) or 224(4.1) or section 227.1 or 235 by a person,

(b) subsection 237.1(7.4) by a person or partnership,

(c) subsection 227(10.2) by a person as a consequence of a failure of a non-resident person to deduct or withhold any amount, or

(d) Part XIII by a person resident in Canada.

And, where the Minister sends a notice of assessment by that person or partnership, Divisions I and J of Part 1 apply with any modifications that the circumstances require.

 

 

 

 

 

227.1 (1) Where a corporation has failed to deduct or withhold an amount as required by subsection 135(3) or 135.1(7) or section 153 or 215, has failed to remit such an amount or has failed to pay an amount of tax for a taxation year as required under Part VII or VIII, the directors of the corporation at the time the corporation was required to deduct, withhold, remit or pay the amount are jointly and severally, or solidarily, liable, together with the corporation, to pay that amount and any interest or penalties relating to it.

 

 

 

227.1 (4) No action or proceedings to recover any amount payable by a director of a corporation under subsection 227.1(1) shall be commenced more than two years after the director last ceased to be a director of that corporation.

 

[22]           En premier lieu, le juge résumait les faits révélés par la preuve et, notamment, ceux révélés par les témoignages de l’appelante et de Jean Fontaine. En second lieu, le juge examinait les dispositions législatives pertinentes, plus particulièrement les paragraphes 227 (10), 227.1 (1) et 227.1 (4) de la LIR, ce qui l’amenait à constater que même si le ministre n’était pas assujetti à une limite de temps pour établir une cotisation à l’égard d’une personne en vertu de l’article 227.1 de la LIR, l’action ou les procédures visant le recouvrement de la somme cotisée devenaient prescrites, en raison du paragraphe 227.1 (4), « deux ans à compter de la date à laquelle l’administrateur cesse pour la dernière fois d’être administrateur de cette société ».

 

[23]           Vu ces dispositions, le juge indiquait qu’il lui était nécessaire de déterminer la date à laquelle l’appelante avait cessé pour la dernière fois d’être administratrice de la compagnie. Après une analyse de la preuve, le juge a conclu que l’appelante était demeurée administratrice de la compagnie jusqu’au 7 mai 2004 lorsque la compagnie avait été radiée d’office par le Registraire des entreprises. Selon le juge, le registre des administrateurs avait été falsifié relativement à la démission de l’appelante comme administratrice de la compagnie. Plus particulièrement, le juge se disait d’avis que des corrections inexpliquées avaient été faites au registre des administrateurs pour substituer la date du 3 janvier 2002 par celle du 9 décembre 1999. Vu la falsification, la date de démission réelle de l’appelante à titre d’administratrice n’était pas connue et sa lettre de démission ne pouvait être reconnue comme étant valide et effective. Ces constatations menaient le juge à conclure, au paragraphe 31 de ses motifs, ce qui suit :

[31]    Comme la preuve n'a pas révélé que l'appelante avait démissionné de son poste d'administratrice, avait fait faillite, était inhabile à exercer ses fonctions ou s'était prévalue d'un régime de protection, ni que la société avait fait l'objet d'une liquidation avant le moment où l'immatriculation de la société a été radiée d'office, l'appelante doit être considérée comme n'ayant jamais perdu son statut d'administratrice jusqu'au moment où la société a été radiée d'office.

 

[24]           Ayant conclu que l’appelante était demeurée administratrice de la compagnie jusqu’au 7 mai 2004, le juge s’est penché sur l’argument de l’appelante fondé sur le paragraphe 227.1 (4) de la LIR et selon lequel le recours du ministre était prescrit puisque la cotisation établie par ce dernier à l’égard de l’appelante, en date du 4 mai 2006, était en dehors de la période de deux ans prescrite au paragraphe 227.1 (4). Le juge a rejeté cet argument au paragraphe 21 de ses motifs puisque la cotisation du ministre, en date du 7 mai 2006, a été établie moins de deux ans de la date de radiation d’office de la compagnie par le Registraire des entreprises, soit le 7 mai 2004, et était, par conséquent, non prescrite.

 

[25]           Nonobstant l’analyse du juge relativement à cette question, que l’on retrouve aux paragraphes 39 et 40 de ses motifs, le juge semble tenir pour acquis que le recours du ministre était prescrit à moins qu’il ne soit possible d’invoquer le paragraphe 152(4) de la LIR. Voici ce que le juge énonce aux paragraphes 21 et 39 de ses motifs :

[21]    La nouvelle cotisation établie à l’encontre de l’appelante est datée du 4 mai 2006, soit plus de deux ans à compter de la date à laquelle l’appelante a cessé pour la dernière fois d’être une administratrice de 9034-1751 Québec Inc., que ce soit le 9 décembre 1999 ou le 3 janvier 2002; plus de deux ans après que l’ARC a consulté pour la première fois l’original du livre de la compagnie 9034-1751 Québec Inc. le 24 janvier 2004 et plus de deux ans après que 9034-1751 Québec Inc. a fait cession de ses biens le 18 avril 2002 mais à l’intérieur de la période de deux ans de la date de radiation d’office du statut d’immatriculation de 9034-1751 Québec Inc. par le Registraire des entreprises survenue le 7 mai 2004.

 

...

 

[39]    La cotisation établie à l’égard de l’appelante est postérieure à la période normale de nouvelle cotisation. Le paragraphe 227(10) de la Loi permet au ministre d’établir, en tout temps, une cotisation pour un montant visé à l’article 227.1 de la Loi, auquel cas les sections I et J de la Partie I de la Loi s’appliquent à la cotisation. Ces sections de la Loi englobent le paragraphe 152(4) qui limite le pouvoir du ministre d’établir une nouvelle cotisation après la période normale de cotisation que dans les cas prévus aux alinéas a) et b) dudit paragraphe. Le cas prévu au sous-alinéa 152(4)a)(i) est celui où le contribuable ou la personne produisant la déclaration soit a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission involontaire, ou soit a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelques renseignement sous le régime de la présente loi.

 

[26]           Le juge était d’avis, tel qu’il appert de ses propos au paragraphe 39 de ses motifs, que l’article 227 (10) in fine prévoyait que le ministre pouvait établir en tout temps une cotisation à l’égard d’un montant payable par une personne en vertu de l’article 227.1 et que les sections I et J de la partie 1 de la LIR s’appliquaient, avec les modifications nécessaires, à tout avis de cotisation envoyé par le ministre à la personne. En outre, le juge était d’avis que le paragraphe 152 (4) de la LIR prévoyait que le ministre pouvait établir une cotisation ou une nouvelle cotisation en dehors de la date d’expiration de la période normale d’une nouvelle cotisation lorsque le contribuable visé par celle-ci avait « fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou avait commis quelque fraude en produisant sa déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la LIR ». En d’autres mots, selon le juge, la prescription de deux ans devenait inapplicable lorsque la conduite du contribuable correspondait à celle prescrite au sous-alinéa 152.4 a)(i).

 

[27]           Au paragraphe 40 de ses motifs, le juge indiquait que le ministre avait le fardeau de démontrer qu’il était en droit de cotiser l’appelante en dehors de la période normale d’une nouvelle cotisation et se disait satisfait qu’en l’espèce, le ministre avait rencontré son fardeau de preuve. Plus particulièrement, le juge énonçait que puisque le registre des administrateurs avait fait l’objet d’altérations malhabiles ayant empêché le ministre d’établir une nouvelle cotisation dans la période normale prescrite par la LIR et que l’appelante avait connaissance de ces altérations, les procédures de recouvrement du ministre n’étaient pas assujetties au délai de prescription de deux ans. Par conséquent, selon le juge, l’appelante devait être tenue solidairement responsable des dettes de la compagnie.

 

[28]           Pour ces motifs, le juge a rejeté, avec dépens, l’appel de l’appelante à l’encontre de la cotisation du ministre.

 

 

Analyse

[29]            Tel que je l’indiquais au paragraphe 4 de mes motifs, je suis d’avis que le juge a erré en concluant que l’appelante devait être tenue solidairement responsable de la dette fiscale de la compagnie. Le juge a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’appelante n’a jamais démissionné de son poste d’administratrice. En concluant ainsi, il a omis de considérer une preuve abondante qui soutenait la prétention de l’appelante et il a accordé trop d’importance à certains aspects de la preuve, dont le fait que Jean Fontaine agissait pour le compte de Marcel Létourneau. Par conséquent, notre Cour est justifiée d’intervenir (voir : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 S.C.R. 235).

 

[30]           En raison de cette erreur, le juge a conclu, à tort, que l’appelante avait une connaissance de la falsification de sa véritable date de démission à titre d’administratrice dans le registre des administrateurs. Puisque la preuve révèle que l’appelante a démissionné le 9 décembre 1999, elle ne peut être tenue responsable de la dette fiscale de la compagnie portant sur des retenues à la source non-remises pour les années 2001 et 2002.

 

[31]           La pierre angulaire du raisonnement du juge est le fait qu’une correction a été apportée au registre des administrateurs relativement à la date de démission de l’appelante, soit en substituant la date du 3 janvier 2002 par celle du 9 décembre 1999. Selon le juge, puisque l’appelante n’a déposé aucune preuve pouvant éclairer la Cour quant à l’auteur et aux motifs de cette falsification et puisqu’à son avis, seule l’appelante pouvait bénéficier de cette falsification, il en résulte que la modification au registre a été faite « en pleine connaissance de cause de l’appelante » (para. 33 des motifs du juge). Selon le juge, les agissements de l’appelante avaient pour but de limiter sa responsabilité à l’égard de la dette de la compagnie pour les années 2001 et 2002.

 

[32]           Un autre élément menant à la conclusion du juge est sa détermination que l’appelante n’était pas crédible et que son témoignage manquait de rigueur. Au paragraphe 37 de ses motifs, le juge énonçait ce qui suit :

[37]     … Elle ne se rappelait plus de rien ou n’avait que de vagues souvenirs concernant notamment le prêt de 158 000 $ consenti par Gestion Aghmana Inc., l’hypothèque de madame Lambert sur son condominium en Floride, les raisons de sa démission comme administratrice de 9034-1751 Québec Inc. et le versement par 9034-1751 Québec Inc. de faux salaires à madame Lambert pour rembourser sa dette hypothécaire personnelle.

 

[33]           Comme dernier élément, le juge concluait, au paragraphe 38 de ses motifs, que Jean Fontaine « n’était qu’un prête-nom agissant pour le compte du conjoint de l’appelante ». Le juge s’exprimait comme suit :

[38]     … La preuve est à l’effet qu’il signait les documents que Marcel Létourneau lui présentait. Dans les faits, Jean Fontaine n’a jamais été administrateur de

9034-1751 Québec Inc. et il n’a jamais fait de tenue de livres et de registres de comptabilité. L’administration de 9034-1751 Québec Inc. était faite à Victoriaville et non à Saint-Hyacinthe. De plus, il n’avait aucune connaissance des affaires, des cinq autres dépanneurs gérés par 9034-1751 Québec Inc., exception faite des informations acquises lors de la tournée annuelle des dépanneurs avec Marcel Létourneau. Sa prétention à l’effet qu’il pouvait devenir propriétaire d’un dépanneur avec ses heures de travail supplémentaires n’est pas réaliste et ne peut être retenue. Aucun prix et aucune modalité d’acquisition du dépanneur n’ont été convenus avec Marcel Létourneau. Les achats et les ventes des actions de 9034-1751 Québec Inc. étaient effectués sans qu’il ne soit tenu compte de leur valeur réelle. D’ailleurs, le témoin a manqué de mémoire pour expliquer les raisons pour lesquelles il y a eu de si nombreux transferts d’actions de 9034-1751 Québec Inc. et les raisons pour lesquelles des retenues pour l’assurance-emploi ont été effectuées à l’égard du salaire que 9034-1751 Québec Inc. lui a versé en 2002 alors qu’il était actionnaire de ladite société et que, à ce titre, il n’avait pas droit à l’assurance-emploi.

 

[34]           À mon avis, la preuve ne soutient aucunement la conclusion du juge selon laquelle l’appelante n’a jamais démissionné de son poste d’administratrice. Il ne peut faire de doute que Jean Fontaine a été nommé administrateur le 9 décembre 1999 en remplacement de l’appelante et qu’il a occupé ce poste jusqu’à la date de la dissolution de la compagnie le 7 mai 2004. Suite à la lettre de démission de l’appelante en date du 9 décembre 1999, Jean Fontaine a été nommé administrateur par une résolution des actionnaires et il a accepté cette charge le même jour. Le 24 janvier 2000, il a ouvert le compte bancaire de la compagnie à la caisse populaire Bourg-Joli et seuls lui et Guylaine Lemay étaient désignés comme signataires autorisés. Il a de plus signé les formulaires d’ouverture de compte ainsi que la résolution bancaire et a signé tous les chèques de la compagnie durant les années 2000 et 2001. En réalité, Jean Fontaine est la seule personne à avoir agi pour le compte de la compagnie durant la période débutant le 9 décembre 1999 et se terminant au jour de la dissolution de la compagnie le 7 mai 2004, ce qui explique que c’est Jean Fontaine qui a signé, à titre d’administrateur, la cession de biens de la compagnie le 18 avril 2002.

 

[35]           Le témoignage de Jean Fontaine n’a nullement été remis en question par le juge. Au contraire, c’est en raison de son témoignage que le juge a conclu qu’il n’était que le prête-nom de Marcel Létourneau. Implicitement, le juge reconnaissait que l’administrateur de jure était Jean Fontaine et qu’il agissait sous le contrôle de l’administrateur de facto, Marcel Létourneau.

 

[36]           Un autre élément appuyant la thèse de l’appelante selon laquelle elle avait démissionné le 9 décembre 1999 est la déclaration annuelle de la compagnie pour l’année 1999 déposée au CIDREQ le 23 février 2000 et identifiant Jean Fontaine comme son nouvel administrateur. Ce document corrobore entièrement les témoignages de Jean Fontaine et de l’appelante selon lesquels l’appelante avait démissionné le 9 décembre 1999 puis avait été remplacée par Jean Fontaine le même jour.

 

[37]           La preuve a aussi clairement démontré que l’appelante n’a posé aucun geste, à titre d’administratrice de la compagnie, à compter du 9 décembre 1999. Le juge a reconnu ce fait au paragraphe 34 de ses motifs.

 

[38]           À mon avis, la preuve ne pouvait mener qu’à une conclusion, soit que l’appelante n’était plus administratrice de la compagnie à compter du 9 décembre 1999. Pourquoi le juge a-t-il conclu que l’appelante n’a jamais démissionné de son poste d’administratrice? Aux paragraphes 30, 31 et 32 ci-haut, j’ai expliqué le raisonnement du juge. L’un des éléments dont il a tenu compte est le fait que Jean Fontaine n’était qu’un prête-nom pour Marcel Létourneau. À mon avis, cet élément n’est d’aucune pertinence en ce qui concerne la date de démission de l’appelante. Le contrôle exercé par Marcel Létourneau sur Jean Fontaine ne pouvait, en soi, mener à la conclusion que l’appelante n’a jamais démissionné. Au mieux, ce fait aurait pu mener à la conclusion que Marcel Létourneau était l’administrateur de facto de la compagnie au moment où Jean Fontaine exerçait ses fonctions d’administrateur.

 

[39]           Un autre élément dont a tenu compte le juge pour conclure comme il l’a fait est la falsification du registre des administrateurs qui, selon lui, était attribuable à l’appelante qui cherchait à limiter sa responsabilité relativement à la dette de la compagnie pour les années 2001 et 2002. Cela résulte entièrement de sa conclusion selon laquelle l’appelante n’a jamais véritablement démissionné de son poste d’administratrice. Puisqu’à mon avis, comme je viens de l’expliquer, la preuve est claire que l’appelante a cessé d’être administratrice le 9 décembre 1999, au moment où elle a été remplacée par Jean Fontaine, il en découle que l’appelante n’avait aucun intérêt à modifier le registre des administrateurs. Puisque tous les documents bancaires et corporatifs à compter du 9 décembre 1999, soit les chèques, les déclarations annuelles, les documents d'ouverture du compte à la caisse populaire Bourg-Joli font publiquement état que Jean Fontaine était l’administrateur durant ces années, il m’apparaît impossible de conclure, avec respect, que l’indication dans le registre des administrateurs selon laquelle l’appelante a démissionné le 9 décembre 1999 est frauduleuse. L’entrée au registre des administrateurs ne fait que confirmer la situation réelle, soit que Jean Fontaine est devenu administrateur le 9 décembre 1999 en remplacement de l’appelante.

 

[40]           Par conséquent, à mon avis, en concluant que la correction apportée au registre des administrateurs était frauduleuse, le juge n’a pas tenu compte d’une preuve importante, dont la preuve documentaire, qui corroborait les témoignages de l’appelante et de Jean Fontaine selon lesquels il y avait eu un changement d’administrateur le 9 décembre 1999.

 

[41]           Un autre élément dont a tenu compte le juge pour conclure que l’appelante n’a jamais démissionné de son poste d’administratrice est son manque de crédibilité. Toutefois, même si l’appelante n’était pas crédible en ce qui a trait, par exemple, au prêt de 158 000$ consenti par Gestion Aghmana Inc. à la compagnie, à l’hypothèque de Mme Lambert ou aux raisons de sa démission comme administratrice de la compagnie, il n’en demeure pas moins que la preuve documentaire et testimoniale démontrent amplement que l’appelante n’était plus administratrice à compter du 9 décembre 1999.

 

[42]           Ainsi, en raison de ma conclusion selon laquelle l’appelante a démissionné le 9 décembre 1999, donc qu’elle n’était pas administratrice en 2001 et 2002, elle ne peut être tenue responsable de la dette fiscale de la compagnie portant sur les retenues à la source que la compagnie a omis de déduire, retenir et remettre au Receveur général du Canada en 2001 et 2002.

 

[43]           Devant le juge et devant notre Cour, les parties ont tenu pour acquis que la cotisation du ministre à l’égard de l’appelante en date du 4 mai 2006 constituait une « procédure[s] visant le recouvrement d’une somme payable par un administrateur d’une corporation » au sens du paragraphe 227.1 (4) de la LIR. Même si j’ai des doutes quant au bien-fondé de cette prémisse, il n’est pas nécessaire pour nous, compte tenu de la conclusion à laquelle j’en arrive, de déterminer si la cotisation du ministre est une procédure au sens du paragraphe 227.1 (4). Quoi qu’il en soit, comme l’appelante a démissionné de son poste d’administratrice le 9 décembre 1999, « l’action ou les procédures » du ministre visant le recouvrement de la dette fiscale de la compagnie sont prescrites puisque plus de deux ans se sont écoulés depuis que l’appelante a cessé pour la dernière fois d’être administratrice de la compagnie.

 

[44]           Enfin, il ne nous est pas nécessaire de décider si, en raison du paragraphe 227.10 in fine, le paragraphe 152 (4) trouve application en l’instance.

 

Disposition

[45]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’infirmerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais l’appel de l’appelante à l’encontre de la cotisation du ministre avec dépens et je retournerais l’affaire au ministre afin qu’il établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l’appelante a démissionné comme administratrice de la compagnie le 9 décembre 1999.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Robert M. Mainville j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-192-10

 

INTITULÉ :                                                                           AGATHE LÉTOURNEAU c. LA REINE.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 8 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LA JUGE TRUDEL

                                                                                                LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 15 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphane Rivard

POUR L’APPELANTE

 

 

Me Simon-Nicolas Crépin

Me Simon Vincent

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rivard et Associés

Montréal, Québec

POUR L’APPELANTE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

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