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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20111118

Dossier : A-450-09

Référence : 2011 CAF 317

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

ALMA POITRAS, LEO DESNOMIE,

LAMBERT STONECHILD,

INEZ DIETER, GLORIA DIETER,

ELAINE PINAY, ELWOOD OSCAR PINAY,

DELMA POITRAS, FREDA EVELYN DESNOMIE,

GREGORY BRASS, AVEN ROSS,

EVELYN POITRAS, MARTINE DESNOMIE,

HOWARD DESNOMIE, ENOCH POITRAS

ET GERALD DESNOMIE

appelants

et

CHEF BEVERLY BELLEGARDE

intimée

 

Audience tenue à Regina (Saskatchewan), le 14 novembre 2011

Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                        LA JUGE Layden-Stevenson

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

 

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20111118

Dossier : A-450-09

Référence : 2011 CAF 317

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

ALMA POITRAS, LEO DESNOMIE,

LAMBERT STONECHILD,

INEZ DIETER, GLORIA DIETER,

ELAINE PINAY, ELWOOD OSCAR PINAY,

DELMA POITRAS, FREDA EVELYN DESNOMIE,

GREGORY BRASS, AVEN ROSS,

EVELYN POITRAS, MARTINE DESNOMIE,

HOWARD DESNOMIE, ENOCH POITRAS

ET GERALD DESNOMIE

appelants

et

CHEF BEVERLY BELLEGARDE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

[1]               L’intimée a demandé le contrôle judiciaire de décisions la destituant de ses fonctions de chef de la Première nation de Peepeekisis (la Première nation) et lui interdisant d’occuper une charge élective pendant 10 ans. Le juge Zinn, de la Cour fédérale (le juge) a accueilli la demande et, par jugement en date du 30 septembre 2009, il a ordonné, notamment, qu’elle soit rétablie dans ses fonctions de chef. Le jugement est publié sous la référence 2009 CF 968, et c’est contre lui que les appelants se pourvoient. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejetterais leur appel.

 

[2]               L’intimée a d’abord été élue chef lors d’une élection complémentaire tenue le 10 septembre 2005, puis réélue lors d’une élection régulière tenue le 17 décembre 2006. Son mandat a expiré le 16 décembre 2010. Elle ne s’est pas représentée aux élections. Elle soutient que l’affaire est théorique puisque la décision de la Cour ne dissipera pas la controverse entre les parties et qu’elle n’aura aucun effet concret sur leurs droits. Les appelants concèdent que l’appel est [traduction] « techniquement théorique », mais ils demandent à la Cour de l’instruire pour statuer sur les principes.

 

[3]               Je conviens avec l’intimée que l’affaire est théorique pour ce qui est de sa destitution. Toutefois, les questions relatives à l’interdiction de siéger pendant 10 ans et aux dépens accordés par le juge demeurent en litige, ce qu’a reconnu l’avocat de l’intimée à l’audience.

 

Contexte

[4]               Le contexte factuel est présenté dans les motifs du juge, et il n’y a pas lieu d’en recommencer l’exposé. Il suffit d’indiquer que le nœud du litige découle d’une divergence de vues concernant la constitution du conseil des anciens (le conseil) défini à l’article 1.3 de la Peepeekisis First Nation Customs Election Act (la Loi électorale), qui est ainsi rédigé :

[traduction] « conseil des anciens » Le groupe de personnes que la communauté reconnaît, selon la tradition, pour leur sagesse et leur savoir‑faire en raison de leur âge et de leur expérience.

 

 

La décision de la Cour fédérale

[5]               De l’avis du juge, la preuve ne permettait pas d’établir que l’un ou l’autre des deux conseils dont on se réclamait satisfaisait aux critères établis par la Loi électorale ou par la coutume. Il s’ensuit que le conseil reconnu par les appelants (qui avait pris la décision relative à la destitution et à l’interdiction) n’était pas dûment constitué (motifs du juge, par. 38 à 45). L’eût‑il même été, le juge a ensuite conclu qu’il y avait eu manquement aux règles d’équité et de justice naturelle. Trois raisons l’ont amené à cette conclusion. Premièrement, l’intimée n’avait pas été informée que la question de sa destitution serait débattue. Deuxièmement, le conseil reconnu par les appelants ayant déjà examiné et commenté cette question, la décision avait à toutes fins utiles été prise (la réunion subséquente ne pouvait corriger ce défaut puisqu’il n’y avait aucune preuve que le conseil était disposé à reconsidérer la destitution). Troisièmement, l’avis de la réunion où la destitution a été décidée n’avait pas été donné à tous les anciens (motifs du juge, par. 46-50).

 

Les erreurs alléguées

[6]               Les appelants soutiennent que le juge a erré en ne concluant pas :

1)      que l’intimée aurait dû se prévaloir de la procédure d’appel interne en matière électorale;

2)      le conseil proposé par les appelants est le conseil dûment constitué en vertu de la coutume, au sens de la Loi électorale;

3)      l’intimée n’avait pas droit au recours parce qu’elle n’était pas « sans reproche ».

Les appelants contestent également l’adjudication des dépens.

 

Analyse

Procédure d’appel interne en matière électorale

[7]               Le dossier ne permet pas d’établir clairement si cet argument a été invoqué devant le juge. Les appelants soutiennent que la Loi électorale prévoit un processus d’appel dont l’intimée devait se prévaloir avant de s’adresser à la Cour. Comme il en a été fait mention, le juge a conclu qu’aucun des conseils dont on se réclamait n’était régulièrement constitué. Compte tenu de la preuve, j’estime, pour les motifs exposés à l’égard de la question suivante, que la conclusion du juge est inattaquable. Il s’ensuit nécessairement qu’aucun processus d’appel ne pouvait légitimement se tenir devant un conseil qui n’était pas dûment constitué. Qui plus est, le texte même de la Loi électorale indique que l’appel qui y est prévu est restreint aux litiges portant sur les résultats électoraux. Enfin, même si l’article 8 s’applique, le juge conserve le pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande : Canadian Pacific Ltd. c. Matsqui Indian Band, [1995] 1 R.C.S. 3. Cet argument ne peut donc être retenu.

 

Constitution du conseil suivant la coutume

[8]               Il ne semble pas contesté que la définition de « conseil des anciens » est large au point qu’il faille recourir à la coutume pour l’appliquer. Les motifs du juge détaillent avec passablement de précision les problèmes touchant la constitution de chacun des conseils proposés (motifs du juge, par. 18-24 et 38-42). Il n’est pas nécessaire de répéter les propos du juge; quelques exemples suffiront.

 

[9]               La constitution du conseil proposé par l’intimée fait suite à une réunion des membres de la bande tenue le 6 janvier 2006, portant sur le rôle du conseil dans la Première nation et sur sa structure et sa composition (dossier d’appel, vol. 1, p. 74). En contre‑interrogatoire, les appelants ont reconnu que la réunion avait été précédée d’un sondage auprès de la Première Nation et qu’elle visait à déterminer qui était considéré comme un ancien (dossier d’appel, vol. 3, onglet 20, p. 895-896). Cette démarche paraît à première vue chercher à identifier les membres du conseil conformément aux traditions de la Première nation. Toutefois, les noms des membres du conseil que l’intimée a transmis au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) ne correspondaient pas exactement à la liste établie à l’issue de la réunion (dossier d’appel, vol. 1, p. 80, comparé à dossier d’appel, vol. 1, p. 79). La preuve indique en outre que la réunion n’était pas une réunion générale de la bande (dossier d’appel, vol. 2, p. 696). De plus, il ressort de la preuve par affidavit que, selon la coutume, le remplacement de membres est l’apanage du conseil établi (dossier d’appel, vol. 1, onglet 7, p. 113).

 

[10]           La constitution du conseil proposé par les appelants paraît découler d’une réunion de la bande tenue le 25 octobre 2008. Le procès‑verbal de cette réunion fait état d’une motion visant à nommer tous les anciens [traduction] « qui se reconnaissent comme tels » (dossier d’appel, vol. 2, p. 453). Il semble y avoir incompatibilité entre un critère aussi large et général et le texte de la Loi électorale, qui mentionne des critères externes (comme les connaissances traditionnelles). Un appelant a fait état d’une tradition culturelle exigeant qu’une personne ait des petits‑enfants pour avoir qualité d’ancien (dossier d’appel, vol. 3, p. 896), et il semblait reconnaître une pratique ancestrale selon laquelle les anciens nommaient leurs remplaçants (dossier d’appel, vol. 3, p. 890). De telles exigences dépassent la simple auto‑identification. Fait plus important, ainsi que l’a signalé le juge, même si le conseil proposé par les appelants était reconnu comme conseil légitime, son pouvoir se limite aux appels relatifs aux élections. Cette conclusion de fait découle de la formulation de la résolution sur laquelle s’appuient les appelants, qui désigne simplement les anciens « devant prendre part à l’appel le cas échéant » (dossier d’appel, vol. 2, p. 453). Lors de cette réunion, une motion visant à ne donner qu’un rôle consultatif au conseil avait été présentée (mais elle n’avait pas été adoptée).

 

[11]           Selon moi, le juge n’a pas commis d’erreur en concluant qu’au vu de la preuve aucun des conseils n’était régulièrement constitué. Les appelants font toutefois valoir que le juge aurait dû se borner à confirmer que la composition du conseil était dictée par la coutume et soutiennent qu’il disposait d’une preuve suffisante pour tirer une telle conclusion. Selon eux, si le juge s’était limité à cette conclusion, il n’y aurait aucune raison d’annuler la décision du conseil proposé par les appelants. En toute déférence, je ne vois pas comment il pourrait en être ainsi. Puisque les appelants ont affirmé que leur conseil était le conseil constitué suivant la coutume, il était essentiel qu’ils fournissent une preuve permettant au juge de conclure que tel était le cas. Autrement dit, il incombait aux appelants de démontrer que leur conseil était régulièrement constitué conformément à la coutume. Ils ne l’ont pas fait. Qui plus est, en supposant même que je leur donne raison sur ce point, ce qui n’est pas le cas, le juge a conclu également que le conseil proposé par les appelants avait manqué aux règles d’équité procédurale, point sur lequel je reviendrai.

 

L’exigence d’être sans reproche

[12]           Les appelants, alléguant l’inconduite de l’intimée, soutiennent que le juge a erré en ne rejetant pas sa demande au motif qu’elle n’était pas « sans reproche ». Ce motif d’appel pose problème parce que cet argument n’a pas été invoqué devant le juge. On ne saurait donc lui reprocher de ne pas avoir fait ce qu’on ne lui a pas demandé de faire et, de toute manière, une cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire n’est pas tenue de la rejeter pour le seul motif que le demandeur n’est pas « sans reproche » : Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 14. Cet argument est donc lui aussi écarté.

 

Équité procédurale

[13]           Le juge a conclu que la décision de destituer l’intimée n’avait pas été prise conformément aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle, ce qui suffisait en soi, selon lui, pour annuler la décision, à moins qu’il ne soit établi que le respect de ces principes ne faisait pas partie de la coutume de la Première nation (motifs du juge, par. 46). Après examen des garanties procédurales prévues à la Loi électorale, le juge a estimé qu’il n’était pas acceptable que des garanties moindres s’appliquent à la proposition de destitution d’un chef dûment élu. Il a fait état de manquements précis (motifs du juge, par. 47-50). Les appelants n’ont contesté aucune de ces conclusions. Cela, en soi, justifie de rejeter leur appel.

 

Dépens

[14]           Les appelants contestent l’adjudication des dépens faite par le juge sans indiquer quelle erreur il aurait commise. Ils se contentent de demander que l’ordonnance du juge soit infirmée et qu’aucuns dépens ne soient adjugés en appel.

 

[15]           Les appelants n’ont pas contesté le mémoire de dépens déposé devant le juge par l’intimée. La Première nation a décliné l’invitation du juge à présenter des observations sur ce point. Les ordonnances d’adjudication de dépens sont de nature discrétionnaire : Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106, règle 400(1). Si le juge de première instance n’a pas mal exercé son pouvoir discrétionnaire ou n’a pas commis d’erreur de droit, il n’est pas loisible à une cour d’appel de simplement remplacer l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge par le sien : Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2006 CAF 324. Comme il n’a pas été établi en l’espèce que le juge avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire ou qu’il avait commis une erreur de droit, je n’interviendrai pas dans sa décision.

 

[16]           Hormis le fait que le litige a coûté et continue de coûter cher, les appelants n’ont invoqué aucune raison justifiant la Cour de s’écarter de la règle générale portant que les dépens suivent normalement l’issue de l’instance. Je ne suis pas convaincue que cette dure réalité justifie de déroger à la règle générale.

 

 

 

Conclusion

[17]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            John M. Evans, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                                            A-450-09

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE ZINN DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 30 SEPTEMBRE 2009, DOSSIER No T-920-09)

 

INTITULÉ :                                                       ALMA POITRAS, LEO DESNOMIE, LAMBERT STONECHILD, INEZ DIETER, GLORIA DIETER, ELAINE PINAY, ELWOOD OSCAR PINAY, DELMA POITRAS, FREDA EVELYN DESNOMIE, GREGORY BRASS, AVEN ROSS, EVELYN POITRAS, MARTINE DESNOMIE, HOWARD DESNOMIE, ENOCH POITRAS ET GERALD DESNOMIE et CHEF BEVERLY BELLEGARDE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                              Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                             Le 14 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                          LA JUGE Layden-Stevenson

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                       LES JUGES EVANS et PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                    Le 18 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher N.H. Butz

POUR LES APPELANTS

 

 

Nathalie Whyte

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group s.r.l.

Regina (Saskatchewan)

POUR LES APPELANTS

 

 

Rath & Company

Priddis (Alberta)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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