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Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110916

Dossier : A-450-10

Référence : 2011 CAF 253

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

RACHEL EXETER

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                              LE JUGE NADON

 

 


Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110916

Dossier : A-450-10

Référence : 2011 CAF 253

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

RACHEL EXETER

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Le présent appel est interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour fédérale (motifs du juge Beaudry) daté du 10 novembre 2010.

 

[2]               L’appelante a saisi la Cour fédérale d’une requête visant à obtenir la prorogation du délai prévu pour signifier et déposer un avis de demande de contrôle judiciaire. Elle demandait l’annulation de la décision rendue le 18 février 2009 par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal). La Cour fédérale a rejeté la requête de l’appelante.

 

[3]               Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, prévoit un délai de 30 jours pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. L’appelante a tenté de déposer sa demande environ 19 mois après l’expiration de ce délai.

 

[4]               La décision de la Cour de proroger ce délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales est de nature discrétionnaire. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est fondé sur les principes établis dans les arrêts Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.), Laurendeau c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 445, et Muckenheim c. Canada (Commission de l’assurance‑emploi), 2008 CAF 249. Compte tenu de ces arrêts, la Cour doit examiner les quatre questions suivantes :

 

(1)               La partie requérante a‑t‑elle eu l’intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire?

(2)        La partie intimée a‑t‑elle subi un préjudice en raison du retard de la partie requérante?

(3)        La partie requérante a‑t‑elle donné une explication raisonnable pour justifier son            retard?

(4)        La demande de contrôle judiciaire envisagée a‑t‑elle des chances d’être accueillie?

 

[5]               Seule l’appelante a choisi de produire des éléments de preuve sur ces questions. Ses éléments de preuve démontrent que, depuis le jour même de la décision du Tribunal, elle a constamment cherché à savoir si la décision du Tribunal pouvait être contestée et, le cas échéant, de quelle manière elle pouvait l’être. Par exemple, elle a demandé à plusieurs reprises au personnel du Tribunal de lui indiquer quels étaient les recours qui s’offraient à elle. Le personnel du Tribunal l’a avisée que la décision du Tribunal était définitive et l’a informée de l’existence d’une clause privative à l’article 102 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, qui prévoit que toutes les décisions du Tribunal sont définitives. Le personnel ne l’a toutefois pas informée de la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. L’appelante dit que les renseignements incomplets fournis par le personnel du Tribunal et sa propre interprétation de l’article 102 l’ont empêchée de présenter sa demande de contrôle judiciaire dans le délai prévu. Elle ajoute qu’elle n’avait pas les moyens de faire appel à un avocat pour obtenir des conseils juridiques.

 

[6]               Plus tard, après avoir pris connaissance d’une décision prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire qu’elle avait repérée sur le site Web du Tribunal, l’appelante a appris qu’elle pouvait saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire. Moins d’un mois plus tard, elle a tenté de déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Mais comme le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, était expiré, il lui a été impossible de déposer sa demande. Elle a donc déposé une requête en prorogation de délai.

 

[7]               Le juge de la Cour fédérale a rejeté la requête de l’appelante après avoir conclu qu’il n’avait [TRADUCTION] « pas jugé satisfaisantes les explications données [par l’appelante] pour justifier le retard ». Les motifs de l’ordonnance n’expliquent pas en quoi les explications n’étaient pas satisfaisantes.

 

[8]               À mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion de la Cour fédérale concernant les explications données par l’appelante pour justifier le retard, étant donné que la requête de l’appelante est rejetée pour un autre motif – qui ne permet pas non plus de faire droit à sa requête –, soit parce que la demande n’a aucune chance d’être accueillie : voir Laurendeau, précité, au paragraphe 2, et Muckenheim, précité, au paragraphe 8.

 

[9]               L’appelante a expliqué à la Cour fédérale et à notre Cour en quoi consistait la demande de contrôle judiciaire qu’elle tenait à présenter. Elle entend contester la décision du Tribunal de rejeter la plainte qu’elle avait déposée dans laquelle elle alléguait conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, précitée, qu’il y avait eu abus de pouvoir relativement à un processus de nomination à Statistique Canada. Au cours de ce processus, elle a demandé qu’une mesure d’accommodement particulière soit prise à son endroit mais, à son avis, cette demande n’a pas été examinée convenablement. Elle dit que certaines lignes directrices n’ont pas été suivies. De plus, sa demande a été soumise à certains responsables pour obtenir leur avis mais, selon l’appelante, ceux‑ci visaient plutôt le but illégitime de mettre fin à son emploi.

 

[10]           Le Tribunal a rejeté la plainte de l’appelante parce qu’elle avait été déposée après le délai imparti de 15 jours. Elle avait déposé sa plainte 14 mois après l’expiration du délai.

 

[11]           Le Tribunal s’est demandé s’il devait néanmoins accepter la plainte tardive de l’appelante. Sur la foi de la preuve dont il disposait, le Tribunal a conclu qu’aucune circonstance exceptionnelle n’avait empêché l’appelante de déposer sa plainte avant l’expiration du délai. De plus, il a conclu que son degré d’insatisfaction était suffisant pour qu’elle soit alertée à la possibilité d’avoir à déposer une plainte dans un délai précis. Le Tribunal s’est appuyé sur les documents dont il disposait pour justifier cette conclusion de fait. Premièrement, l’appelante avait envoyé au cours du processus de nomination un courriel dans lequel elle exprimait son mécontentement quant à la mesure d’accommodement prise à son égard. Deuxièmement, dans sa plainte, elle a affirmé qu’elle ne jugeait pas suffisants les renseignements qui lui avaient été communiqués durant la discussion informelle sur les résultats qu’elle avait obtenus dans le processus de nomination. Troisièmement, avant d’être informée que sa candidature était rejetée, l’appelante a présenté une demande d’accès à l’information pour obtenir des renseignements de son employeur.

 

[12]           L’appelante a tenté de justifier son retard en disant que son employeur avait mis beaucoup de temps avant de répondre à sa demande d’accès à l’information. Le Tribunal a conclu que cette explication n’était pas suffisante, comme il l’avait fait dans d’autres affaires dont il avait été saisi. Selon le Tribunal, les difficultés que l’appelante avait éprouvées pour obtenir les renseignements nécessaires pour établir le bien‑fondé de sa thèse auraient pu être réglées par le dépôt de sa plainte et par l’observation des règles de procédure du Tribunal.

 

[13]           La demande de contrôle judiciaire que veut présenter l’appelante à l’égard de cette décision a‑t‑elle des chances d’être accueillie? Pour répondre à cette question, nous devons d’abord déterminer la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal.

 

[14]           À mon avis, il est incontestable que la décision du Tribunal doit être examinée selon la norme déférente de la décision raisonnable. Parmi les facteurs que la Cour suprême a établis pour favoriser la retenue judiciaire, bon nombre d’entre eux s’appliquent à la décision du Tribunal : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Les conclusions de fait étant au cœur de la décision du Tribunal, la retenue s’impose : Dunsmuir, précité, au paragraphe 53. De plus, la décision du Tribunal intéresse l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur les faits et, dans ce cas également, la décision du Tribunal commande la retenue : Dunsmuir, précité, au paragraphe 53. Enfin, la décision du Tribunal est protégée par une clause privative qui prévoit que cette décision est « définitive » : article 102 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, précitée. La clause privative « milite clairement en faveur » d’un contrôle fondé sur la norme déférente de la décision raisonnable : Dunsmuir, précité, au paragraphe 52.

 

[15]           Dans le cadre d’un contrôle effectué selon la norme de la décision raisonnable, la Cour n’est pas autorisée à tirer ses propres conclusions et à substituer son opinion sur ces questions à celle du Tribunal. Plus particulièrement, la Cour n’est pas autorisée à tirer de nouvelles conclusions de fait ni à exercer son propre pouvoir discrétionnaire fondé sur les faits. La Cour doit plutôt se contenter de décider si les décisions du Tribunal font partie des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. En d’autres termes, « il est loisible [au Tribunal] d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » : Dunsmuir, précité au paragraphe 47. En pratique, la Cour ne peut intervenir que si le Tribunal a commis une erreur fondamentale.

 

[16]           Dans ses observations, l’appelante nous invite à tirer à nouveau des conclusions de fait en appréciant nous-mêmes la preuve et à exercer ensuite notre propre pouvoir discrétionnaire pour déterminer si le Tribunal aurait dû retenir sa plainte. En particulier, elle prie la Cour de conclure, contrairement à ce que le Tribunal a conclu, que la situation ne lui permettait pas d’être alertée à la possibilité d’avoir à déposer devant le Tribunal une plainte dans un délai précis. C’est précisément ce genre de réévaluation de la preuve et d’exercice du pouvoir discrétionnaire que la Cour n’est pas autorisée à faire dans le cadre d’un contrôle effectué au regard de la norme de la décision raisonnable.

 

[17]           Ni la preuve au dossier ni les observations de l’appelante ne comportent d’élément indiquant que la décision du Tribunal est déraisonnable. La décision du Tribunal, qui se fonde sur les faits et les pouvoirs discrétionnaires décrits aux paragraphes 11 et 12 des présents motifs, fait partie des issues possibles pouvant être justifiées. La décision du Tribunal est raisonnable.

 

[18]           Comme le contrôle judiciaire proposé par l’appelante n’a aucune chance d’être accueilli, sa requête visant à obtenir la prorogation du délai prévu pour déposer la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[19]           L’appelante a soulevé une dernière question devant la Cour. Quelques jours seulement avant l’audience relative au présent appel, l’appelante a donné un avis de contestation constitutionnelle au moyen d’un avis soulevant une question constitutionnelle. Elle cherchait à contester la validité du paragraphe 99(3) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, précitée. Cette disposition permet au Tribunal de statuer sur une plainte sur dossier seulement, sans tenir d’audience. L’appelante n’a soulevé cette question constitutionnelle ni devant le Tribunal ni devant la Cour fédérale.

 

[20]           L’intimé a présenté une requête en radiation de l’avis de question constitutionnelle. Devant notre Cour, l’appelante s’est plainte d’une irrégularité dans la livraison des documents de la requête mais, à mon avis, elle les a reçus assez tôt avant l’audience relative à l’appel; en fait, elle a été en mesure de déposer des documents écrits en réponse à la requête avant la date prévue pour l’audience. Après avoir entendu les observations des parties, la Cour a accueilli la requête de l’intimé et refusé d’examiner la contestation constitutionnelle de l’appelante. Les motifs de la Cour pour ce faire sont exposés ci‑dessous.

 

[21]           La contestation constitutionnelle de l’appelante n’a pas été présentée en temps opportun et le dossier factuel de la contestation comporte des lacunes : Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, aux paragraphes 36 à 49, [2009] 3 R.C.S. 712. De plus, selon la jurisprudence, lorsqu’un tribunal administratif a compétence pour statuer sur une question constitutionnelle, la question constitutionnelle doit d’abord être soulevée devant ce tribunal : Okwuobi c. Commission scolaire Lester B. Pearson, 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257. Enfin, il ressort du dossier que, pendant que l’affaire était devant le Tribunal, l’appelante ne s’est pas opposée à ce qu’il statue sur dossier et elle n’a pas demandé la tenue d’une audience. Elle s’est opposée seulement après que le Tribunal a rendu sa décision.

 

[22]           Avant de conclure, j’aimerais faire un bref commentaire sur l’avis que le personnel du Tribunal a donné à l’appelante, dont il est d’ailleurs question au paragraphe 5 des présents motifs, et sur la confusion qui s’en est suivie. Je constate que bon nombre de tribunaux administratifs ont adopté comme pratique de joindre à leurs décisions une lettre d’accompagnement précisant, en une seule phrase, le recours possible pour contester la décision et le délai prévu pour exercer ce recours. Cette pratique est très recommandable, car elle réduit la possibilité de confusion et facilite l’accès à la justice.


 

[23]            Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

     Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     M. Nadon j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-450-10

 

APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE LE 10 NOVEMBRE 2010 PAR LE JUGE MICHEL BEAUDRY AU DOSSIER NO 10-T-37

 

INTITULÉ :                                                                           Rachel Exeter c.
Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 14 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 16 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rachel Exeter

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Adrian Bieniasiewicz

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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