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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

Date : 20110728

Dossier : A-248-11

Référence : 2011 CAF 232

 

 

En présence de monsieur le juge Stratas

 

ENTRE :

La PREMIÈRE NATION DE STONEY, représentée par ses chefs et ses conseillers,

et la PREMIÈRE NATION DE BEARSPAW, représentée par son chef

et ses conseillers, le chef David Bearspaw fils, Trevor Wesley,

Patrick Twoyoungmen, Roderick Lefthand et Gordon Wildman

 

appelants

et

ROBERT SHOTCLOSE, HARVEY BAPTISTE,

CORRINE WESLEY, MYRNA POWDERFACE,

CINDY DANIELS, WANDA RIDER

et la PREMIÈRE NATION DE WESLEY

intimés

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                           Le juge Stratas

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of appeal

 

Date : 20110728

Dossier : A-248-11

Référence : 2011 CAF 232

 

En présence de monsieur le juge Stratas

 

ENTRE :

La PREMIÈRE NATION DE STONEY, représentée par ses chefs et ses conseillers,

et la PREMIÈRE NATION DE BEARSPAW, représentée par son chef

et ses conseillers, le chef David Bearspaw fils, Trevor Wesley,

Patrick Twoyoungmen, Roderick Lefthand et Gordon Wildman

 

appelants

et

ROBERT SHOTCLOSE, HARVEY BAPTISTE,

CORRINE WESLEY, MYRNA POWDERFACE,

CINDY DANIELS, WANDA RIDER

et la PREMIÈRE NATION DE WESLEY

intimés

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Les appelants ont présenté deux requêtes afin d’obtenir un sursis à l’exécution du jugement rendu le 22 juin 2011 par la Cour fédérale (le juge Mosley) : 2011 CF 750.

 

[2]               Devant la Cour fédérale, les intimés à titre individuel (autres que la Première Nation de Wesley) ont demandé l’annulation de certaines décisions et mesures prises par la Première Nation de Bearspaw, représentée par son chef et ses conseillers, et par la Première Nation de Stoney, représentée par ses chefs et ses conseillers.

 

[3]               Par ces décisions et mesures, les chefs et les conseillers ont prolongé les mandats du chef et du conseil de Bearspaw. L’élection visant ces postes, qui devait initialement se tenir le 10 décembre 2010, n’a pas eu lieu.

 

[4]               La Cour fédérale a donné gain de cause aux intimés à titre individuel. Elle a notamment :

 

●          déclaré que les décisions et mesures prises par le chef et les conseillers afin de prolonger leur mandat étaient contraires à la coutume de la bande Bearspaw et qu’elles étaient donc invalides;

 

●          déclaré que le mandat du chef et des conseillers de la Première Nation de Bearspaw avait pris fin le 9 décembre 2010;

 

●          destitué le chef et les conseillers de la Première Nation de Bearspaw de leurs fonctions et leur a interdit d’exercer leurs pouvoirs jusqu’à la prochaine élection;

 

●          ordonné qu’une nouvelle élection pour les postes de chef et de conseillers soit tenue dans un délai de 60 jours.

 

B.        Événements postérieurs au jugement (Première Nation de Bearspaw)

 

[5]               À la suite du jugement de la Cour fédérale, la Première Nation de Bearspaw s’est retrouvée sans dirigeants. Une élection est prévue pour le 9 août 2011. Tous les postes sont contestés. En tout, 25 candidats se présentent à l’élection, y compris l’ancien chef et certains anciens conseillers. Après l’élection, la Première Nation de Bearspaw sera à nouveau pourvue de dirigeants.

 

C.        Appel des appelants

 

[6]               Les appelants interjettent appel à la Cour du jugement rendu par la Cour fédérale.

 

[7]               D’une façon générale, les appelants avancent dans leur appel que la Cour fédérale a commis une erreur. Ils soutiennent que les décisions et mesures prises pour prolonger le mandat du chef et des conseillers étaient valides et que tous ces dirigeants pouvaient donc continuer d’exercer leurs fonctions. En conséquence, la Cour fédérale n’était pas fondée à destituer le chef et les conseillers ni à les empêcher d’exercer leurs pouvoirs.

 

D.        Requête en sursis des appelants

 

[8]               Peu après avoir déposé leur avis d’appel, les appelants ont présenté une requête, sans en donner avis aux autres parties, afin d’obtenir la suspension de l’exécution du jugement de la Cour fédérale ou un sursis à cette exécution jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur appel. Accorder le sursis aurait pour effet de retarder l’élection fixée au 9 août 2011, de rétablir le chef et les conseillers dans leurs fonctions et de leur permettre d’exercer leurs pouvoirs jusqu’à ce que l’appel soit tranché.

 

[9]               Le 30 juin 2011, la Cour, par l’intermédiaire du juge Trudel, a ordonné que la requête en sursis des appelants soit présentée par voie d’avis.

 

[10]           Évidemment, cette ordonnance était justifiée. Compte tenu des conséquences possibles de la requête en sursis et du fait qu’il n’était nullement nécessaire pour les appelants d’agir de manière furtive, ces derniers auraient dû donner avis de leur requête à toutes les parties intéressées.

 

[11]           À la suite de l’ordonnance du juge Trudel, les appelants ont donné avis de leur requête en sursis aux intimés à titre individuel. Comme il fallait s’y attendre, la requête a été vivement contestée.

 

E.        Questions diverses

 

[12]           Dans certains des documents produits, on a laissé entendre que l’avocat inscrit au dossier pour le compte des appelants n’avait plus le pouvoir de représenter l’appelante, la Première Nation de Stoney. À la lumière des documents déposés par l’avocat inscrit au dossier pour le compte des appelants, de l’absence de documents ou de requêtes visant à libérer ce dernier de ses obligations, et de l’effet juridique des articles 120 à 126 des Règles des Cours fédérales, la Cour peut considérer que cet avocat est habilité à représenter l’appelante, la Première Nation de Stoney.

 

F.         Calendrier établi par téléconférence

 

[13]           À la demande des appelants, la Cour a tenu une téléconférence avec toutes les parties afin de fixer les échéances pertinentes. Par suite des observations formulées à cette occasion, la Cour a accéléré l’instruction de l’appel et elle a fixé des délais serrés pour chacune des étapes de la requête en sursis et de l’appel. La Cour a en outre ajouté la Première Nation de Wesley à titre de partie intimée à l’appel. Cette dernière a participé à la demande présentée devant la Cour fédérale, tous considéraient qu’elle avait un réel intérêt dans la demande, et elle était présente au moment de la téléconférence d’établissement du calendrier tenue par la Cour.

 

[14]           L’audition de l’appel a été fixée à la mi‑septembre.

 

[15]           En raison des documents produits par les appelants et dont elle était saisie au moment de la téléconférence d’établissement du calendrier, la Cour était préoccupée par l’absence de gouvernance, par le bien‑être de la collectivité et par la possibilité que des situations d’urgence surviennent avant que la requête en sursis ne soit tranchée. Les appelants avaient déjà signalé qu’il serait nécessaire, selon toute vraisemblance, de présenter une requête provisoire afin d’obtenir une mesure de redressement immédiate. En conséquence, dans l’éventualité où il faudrait recourir à une requête en sursis provisoire, la Cour a établi un processus particulier devant être suivi par les parties. Ce processus a été élaboré pour faire face à une véritable urgence, que la Cour a définie comme une question sérieuse qui ne saurait attendre que la requête en sursis soit tranchée pour être réglée.

 

G.        Requête des appelants visant à obtenir un sursis provisoire d’urgence

 

[16]           Peu après, conformément au processus élaboré par la Cour, les appelants ont présenté une requête afin d’obtenir un sursis provisoire d’urgence. Ils ont déposé des documents à l’appui de cette requête. La Cour a conclu que les documents produits par les appelants ne révélaient pas de cas d’urgence la justifiant d’intervenir avant de statuer sur la requête en sursis. La Cour a déclaré qu’elle examinerait la requête en sursis provisoire en même temps que la requête en sursis.

 

H.        Requêtes présentées à la Cour en l’espèce

 

[17]           La Cour est donc saisie de deux requêtes en sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale ainsi que de l’ensemble des éléments de preuve présentés par les parties dans le cadre de ces requêtes.

 

[18]           Par souci de célérité, les parties étaient satisfaites que la Cour tranche ces requêtes sur le fondement de leurs prétentions écrites en application de l’article 369 des Règles plutôt que sur celui d’observations de vive voix. Il était inutile pour la Cour d’entendre des observations orales des parties. Elle a statué sur les deux requêtes à la lumière des éléments de preuve largement suffisants produits par les parties et de leurs utiles observations écrites. Les présents motifs de la Cour intéressent les deux requêtes.

 

I.          Questions préliminaires soulevées par les requêtes

 

(1)        Admissibilité de la déclaration sous serment du 19 juillet 2011 de Robert Shotclose

 

[19]           Les intimés à titre individuel ont présenté cette déclaration sous serment au greffe après le délai applicable au dépôt de déclarations sous serment et de contre‑interrogatoires fixé par la Cour dans son ordonnance établissant le calendrier. Le greffe a accepté de déposer ce document. Indépendamment de l’ordonnance établissant le calendrier, le dépôt d’une telle déclaration sous serment n’est pas envisagé par l’article 369 des Règles.

 

[20]           Si, dans le cadre d’une requête à la Cour, les intimés à titre individuel avaient établi l’existence de motifs valables et l’absence de préjudice aux appelants, cette déclaration sous serment aurait pu être admissible. Or, les intimés à titre individuel ont omis de présenter une requête en ce sens.

 

[21]           Par conséquent, la déclaration sous serment n’aurait pas dû être acceptée pour dépôt et elle est inadmissible. La Cour n’en a pas tenu compte pour statuer sur les présentes requêtes. Le greffe retirera ce document du dossier de la Cour et le retournera aux avocats des intimés à titre individuel.

 

(2)        Requête afin d’obtenir une ordonnance de confidentialité visant la pièce « B » annexée à la déclaration sous serment du 19 juillet 2011 de Robert Shotclose

 

[22]           Les appelants ont déposé une requête afin d’obtenir une ordonnance de confidentialité visant la pièce « B » produite au soutien de la déclaration sous serment. Les intimés ont consenti à la requête.

 

[23]           Comme il est mentionné plus haut, cette déclaration sous serment n’aurait pas dû être acceptée pour dépôt. Elle sera retirée du dossier de la Cour et renvoyée aux intimés à titre individuel. Une ordonnance de confidentialité est donc inutile et la Cour n’en rendra aucune.

 

[24]           Cette requête appelle toutefois certaines remarques pour orienter les parties dans des affaires à venir. Dans les documents qu’ils ont produits à l’appui de leur requête, les appelants n’ont donné pratiquement aucune raison pour justifier que la pièce « B » soit déclarée confidentielle. Ils ont fait état de l’intérêt public lié au caractère confidentiel des renseignements financiers, mais ils n’ont pas précisé exactement la nature de cet intérêt public ni tenté d’expliquer en détail en quoi la confidentialité était justifiée.

 

[25]           L’intérêt public joue incontestablement en faveur de la publicité des débats judiciaires. En effet, les instances judiciaires, y compris les documents produits auprès de la Cour, ont un caractère public, et non secret, et il s’agit d’ailleurs d’un principe constitutionnel selon l’alinéa 2b) de la Charte. Ceux qui demandent qu’un quelconque aspect de ce genre de débats soit tenu secret doivent établir qu’une exception à ce principe constitutionnel est justifiée, conformément aux normes et aux processus rigoureux maintes fois énoncés par la Cour suprême du Canada : voir, par exemple, les arrêts Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442; et Société Radio‑Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, [2011] 1 R.C.S. 65.

 

[26]           À la lumière de ces arrêts et de notre Constitution, le terme « confidentialité » est en quelque sorte un euphémisme. Ce que l’on tente vraiment d’obtenir par la présente requête – à l’initiative de certains au détriment des intérêts de tous les autres – est le secret.

 

[27]           Le fait que les parties à la présente instance aient consenti à ce que la pièce « B » soit déclarée confidentielle n’a réellement aucune pertinence puisque les intérêts en cause, qui se fondent sur la Constitution, vont au‑delà des intérêts privés des parties et englobent ceux du grand public. Cela est particulièrement vrai dans la présente affaire, qui soulève d’importantes questions de gouvernance d’une collectivité des Premières Nations.

 

[28]           Si j’avais conclu en l’espèce, après lecture de la requête, qu’il était possible de soutenir que la pièce « B » avait un caractère confidentiel, j’aurais exigé des parties qu’elles donnent un avis aux médias conformément aux arrêts de la Cour suprême. Cependant, à la lumière des éléments de preuve déposés, cette possibilité n’existait pas.

 

[29]           Quoi qu’il en soit, comme la déclaration sous serment qui renferme la pièce « B » n’aurait pas dû être déposée, la mesure de redressement demandée dans la requête en confidentialité n’est pas nécessaire. La requête sera rejetée pour ce motif.

 

J.         Bien‑fondé des requêtes

 

(1)        Observations préliminaires

 

[30]           Les parties ont produit de nombreux éléments de preuve dans le cadre des requêtes. Il s’agit d’une énorme quantité de déclarations sous serment et de transcriptions de contre‑interrogatoires de déposants. La Cour a lu l’ensemble de ces documents et les a examinés avec soin.

 

[31]           La Cour garde à l’esprit la controverse qui règne au sein de la collectivité de même que l’élection en cours. Elle ne cherche nullement à influer sur l’élection ou sur l’appel à la Cour. Elle s’abstiendra donc de tirer des conclusions ou de formuler des observations ou des remarques inutiles sur les questions en litige soulevées par les parties.

 

(2)        Critère applicable en matière de sursis

 

[32]           Dans le cadre d’une requête en sursis et d’une requête en sursis provisoire, il y a lieu d’appliquer le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt RJR‑Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Pour obtenir le sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale, les appelants doivent établir qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’un préjudice irréparable sera subi s’il n’est pas sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de ce sursis.

 

[33]           Les appelants doivent satisfaire à chacune de ces trois exigences. Le défaut de remplir l’une d’elles entraînera le rejet des requêtes.

 

(3)        Report de l’élection ordonné par la Cour fédérale

 

[34]           Comme il a déjà été mentionné, la requête des appelants vise notamment à obtenir la suspension, jusqu’à ce que la Cour statue sur l’appel, de l’ordonnance de la Cour fédérale voulant qu’une élection doive être tenue pour les postes de chef et de conseillers de la Première Nation de Bearspaw.

 

[35]           À mon avis, la preuve produite par les appelants n’est pas suffisante pour établir que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur au regard de cet aspect du jugement de la Cour fédérale. Dans la mesure où il s’agit de permettre la tenue de l’élection, les avantages l’emportent sur les inconvénients.

 

[36]           Le 9 août 2011, l’élection aura lieu. Les documents produits montrent que les candidats ont amplement participé à l’élection. Ils établissement également que la collectivité manifeste un grand intérêt pour celle‑ci et qu’elle y participe de façon notable. Certains membres de l’ancien conseil de la Première Nation de Bearspaw se sont portés candidats à l’élection. Ils seront réélus ou non. Un nouveau gouvernement de la Première Nation de Bearspaw entrera bientôt en fonction et il sera en mesure de diriger l’ensemble des affaires de la collectivité. Cette situation n’est pas sans ressembler à celle dans l’affaire Weekusk c. Tribunal d’appel de la Première nation Thunderchild, 2007 CF 202, où la Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait pas lieu, selon la prépondérance des inconvénients, de suspendre l’exécution d’une décision du Tribunal dans l’attente que celle‑ci soit révisée par la Cour fédérale.

 

[37]           Certes, la Cour pourrait trancher l’appel en faveur des appelants, décider que l’élection du 9 août 2011 n’aurait pas dû avoir lieu et rétablir l’ancien chef et les anciens conseillers dans leurs fonctions au sein du conseil de la Première Nation de Bearspaw. Cela pourrait comporter d’éventuels inconvénients. S’ils ne sont pas élus le 9 août 2011, l’ancien chef et les anciens conseillers auront été privés de leur capacité de gagner une rémunération et d’exercer leurs pouvoirs entre la date où la présente requête est tranchée et celle où il est statué sur l’appel. De plus, la collectivité aura été privée de la gouvernance qu’auraient exercée l’ancien chef et les anciens conseillers pendant cette période.

 

[38]           Cependant, ces éventuels inconvénients doivent être mis en balance avec le fait qu’entre le moment présent et celui où la Cour statuera sur l’appel, les membres de la collectivité bénéficieront d’une gouvernance choisie démocratiquement et d’une gestion globale des affaires de la collectivité. Le chaos et les dangers potentiels qui, selon les appelants, seraient causés par l’actuelle absence de gouvernance seraient éliminés. Les éléments de preuve produits par les appelants ne donnent pas à penser autrement.

 

[39]           Pour les raisons qui précèdent et après avoir apprécié l’ensemble de la preuve, j’estime que la prépondérance des inconvénients milite contre le sursis de l’exigence, fixée par la Cour fédérale dans son jugement, portant sur la tenue d’une élection. La Cour n’empêchera pas l’élection prévue pour le 9 août 2011 d’avoir lieu.

 

(4)        Sursis des autres modalités du jugement de la Cour fédérale

 

[40]           Quant aux autres modalités du jugement de la Cour fédérale, les appelants n’ont pas réussi, selon moi, à établir l’existence d’un préjudice irréparable.

 

[41]           Puisque l’élection aura lieu comme prévu le 9 août 2011, un nouveau chef et de nouveaux conseillers seront élus à ce moment. Les éventuels préjudices causés par la décision de la Cour fédérale de destituer le chef et les conseillers disparaîtront après que les résultats de l’élection du 9 août 2011 seront connus. La gouvernance sera alors rétablie. La preuve présentée par les appelants ne laisse pas à penser autrement.

 

[42]           L’examen du reste de la décision de la Cour fédérale soulève donc la question de savoir si un préjudice irréparable sera causé d’ici à ce que la gouvernance soit rétablie.

 

[43]           Dans les éléments qu’ils ont produits au soutien de leurs deux requêtes, les appelants s’en tiennent plutôt à un degré de généralité qui ne nous avance à rien. Ils signalent le fait qu’à l’heure actuelle la Première Nation de Bearspaw n’est pas représentée au conseil tribal de Stoney. Ils font en outre état dans leurs observations écrites d’une [traduction] « extraordinaire position de vulnérabilité et de paralysie » ayant des [traduction] « conséquences désolantes pour chacun des membres ». On avance que cette situation découle [traduction] « du défaut d’exécuter les ententes de cogestion et d’indemnisation, lequel pourrait faire en sorte que l’ensemble de la Nation de Stoney doive être géré par un tiers », ce qui [traduction] « signifiera à son tour que seuls les services essentiels seront fournis ». [traduction] « Les pertes économiques augmenteraient probablement » et seraient accompagnées d’une hausse frappante du [traduction] « risque de licenciement collectif et de coupures dans les programmes ». [traduction] « Les problèmes de flux de trésorerie » s’aggraveront, les facilités de trésorerie s’épuiseront, les provisions seront insuffisantes pour honorer les chèques et les factures ne seront pas acquittées. La [traduction] « conduite quotidienne des affaires et des questions de gouvernance » entre le moment présent et le 9 août 2011 sera interrompue, d’après eux, ce qui aura une incidence sur [traduction] « les relations d’affaires existantes et potentielles, les relations futures, les contrats et la survaleur ».

 

[44]           Les intimés contestent la plupart de ces assertions. Ils signalent notamment que, selon la preuve, l’entente de cogestion a été signée. Ils laissent entendre que, grâce à cette mesure, les décisions pourront être prises et les fonds pourront circuler.

 

[45]           Il n’est pas nécessaire de résoudre ce conflit dans la preuve puisque les appelants n’ont pas présenté d’éléments suffisants pour établir qu’un préjudice irréparable sera causé pendant la période pertinente.

 

[46]           Il ne fait aucun doute que la destitution du chef et des conseillers a laissé un vide sur le plan de la gouvernance, ce qui a donné naissance à tout le moins à un risque de préjudice. Un certain aspect de ce préjudice pourrait en effet être important. Si la preuve produite en l’espèce avait été convaincante, la Cour aurait pu décider qu’à certains égards ce préjudice était irréparable. Mais la preuve des appelants n’est pas suffisante.

 

[47]           Globalement, la preuve offerte par les appelants n’établit pas qu’un préjudice sera causé entre maintenant et le moment où les dirigeants élus le 9 août 2011 entreront en fonction. Par exemple, les appelants soulèvent la possibilité – et uniquement la possibilité – que la Première Nation de Stoney se retrouve gérée par un tiers. Mais la preuve est muette quant au moment où cela pourrait vraisemblablement se produire. Elle ne révèle pas quand les facilités de trésorerie s’épuiseront et ne permettront plus d’honorer les obligations financières. Elle ne permet pas de savoir si des obligations financières particulières doivent être honorées avant que les nouveaux dirigeants n’entrent en fonction. Elle ne fait état d’aucune décision devant être prise ni d’aucune autorisation devant être donnée avant que les nouveaux dirigeants n’entrent en fonction. Tout simplement, la preuve n’établit nullement qu’un préjudice irréparable sera subi d’ici à deux semaines environ.

 

[48]           En ce qui concerne la question de la nature irréparable du préjudice, la preuve présentée par les appelants est également insuffisante. La preuve produite à l’appui d’un sursis doit établir avec précision – et il ne peut s’agir de simples assertions générales – l’existence réelle d’un préjudice qui ne pourra être réparé plus tard, ou une réelle probabilité qu’un tel préjudice soit subi. Il est beaucoup trop facile pour ceux qui demandent un sursis dans une affaire comme celle‑ci d’énumérer diverses difficultés, de les qualifier de graves, puis, au moment de préciser le préjudice qui risque d’en découler, d’employer des termes généraux et expressifs qui ne servent pour l’essentiel qu’à affirmer – et non à prouver à la satisfaction de la Cour – que le préjudice est irréparable.

 

[49]           Un sursis à l’exécution d’un jugement doit être reconnu pour ce qu’il est. C’est‑à‑dire un empêchement temporaire – prononcé sur le fondement de la preuve, des observations et d’un examen approprié – à l’exécution des modalités du jugement. Pour obtenir ce genre de redressement, la partie requérante ne peut se contenter d’isoler un préjudice ou un inconvénient. Elle doit montrer (en plus des autres volets du critère énoncé dans l’arrêt RJR‑Macdonald) qu’un préjudice sera effectivement subi et qu’il ne pourra faire l’objet d’une réparation par la suite. Elle doit faire cette preuve au moyen d’éléments suffisamment concrets ou précis pour emporter la conviction de la Cour sur la question.

 

[50]           Cela ne s’est pas produit dans le cas qui nous occupe. En quoi l’absence de représentation de la Première Nation de Bearspaw au conseil tribal de Stoney pendant la prochaine quinzaine de jours donnera‑t‑elle lieu à un préjudice irréparable? Quelles factures deviendront exigibles pendant cette période? Lesquelles ne pourront être payées plus tard et pourquoi? Quelle est la situation exacte du flux de trésorerie? Quel est l’état des facilités de trésorerie et pourquoi? Quelles sont les conséquences pour les membres de la collectivité? Qui en souffre, dans quelle mesure et pourquoi? En quoi consiste au juste la [traduction] « vulnérabilité et [la] paralysie » dont les appelants font état? Sur quel fondement affirme‑t‑on que l’élection du 9 août 2011 pourrait faire en sorte que les membres de la Première Nation de Stoney perdent confiance en leur gouvernement?

 

[51]           Les appelants ont en outre invoqué de la jurisprudence qui, selon eux, donne à penser que l’interruption de la gouvernance d’une bande ou la perte de prestige de ceux qui sont destitués entraîne automatiquement un préjudice irréparable : Première Nation de Montana c. Rabbit, 2011 CF 420; Orr c. Première Nation de Fort McKay, 2011 FC 37; Duncan c. Première Nation de Behdzi Ahda, 2002 CFPI 581. Je ne puis reconnaître qu’un préjudice irréparable soit automatiquement causé dans ces situations et il existe des décisions en ce sens : voir, par exemple, Weatherill c. Canada (Procureur général) (1998), 143 F.T.R. 302, 6 Admin. L.R. (3d) 137, au paragraphe 30 (C.F. 1re inst.). Il importe de rappeler à nouveau que la partie requérante tente d’obtenir une mesure de redressement extraordinaire qui a pour effet d’empêcher l’exécution des modalités d’un jugement. L’exécution des jugements ne doit pas être interrompue sur le fondement d’une espèce de présomption de préjudice irréparable. Il faut plutôt examiner la preuve relative aux circonstances réelles sans aucune idée préconçue ni présomption. Dans le cadre des présentes requêtes, je conclus, pour les motifs qui précèdent, que les appelants n’ont pas satisfait aux exigences applicables.

 

K.        Dépens

 

[52]           L’intimée, Première Nation de Wesley, ne demande aucuns dépens. Les autres intimés demandent leurs dépens sur la base d’une indemnisation complète.

 

[53]           Bien que la décision initiale des appelants de présenter leur requête en sursis sans donner un avis préalable soit regrettable, elle ne fonde pas à elle seule l’adjudication de dépens plus élevés. De même, ni les autres mesures prises par les appelants ni les autres circonstances ne justifient une telle adjudication.

 

L.        Dispositif

 

[54]           Pour les motifs qui précèdent, les requêtes des appelants seront rejetées. L’intimée, la Première Nation de Wesley, ne demande aucuns dépens. Les autres intimés ont droit à leurs dépens. 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        A-248-11

 

INTITULÉ :                                                     LA PREMIÈRE NATION DE STONEY, REPRÉSENTÉE PAR SES CHEFS ET SES CONSEILLERS ET LA PREMIÈRE NATION DE BEARSPAW, REPRÉSENTÉE PAR SON CHEF ET SES CONSEILLERS, LE CHEF DAVID BEARSPAW FILS, TREVOR WESLEY, PATRICK TWOYOUNGMEN, RODERICK LEFTHAND ET GORDON WILDMAN c. ROBERT SHOTCLOSE, HARVEY BAPTISTE, CORRINE WESLEY, MYRNA POWDERFACE, CINDY DANIELS, WANDA RIDER ET LA PREMIÈRE NATION DE WESLEY

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                    Le 28 juillet 2011

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

Jeffrey R.W. Rath

 

POUR LES APPELANTS

 

Heather L. Treacy

Joshua A. Jantzi

 

 

 

 

Kenneth E. Staroszik, c.r.

 

POUR LES INTIMÉS, Robert Shotclose, Harvey Baptiste, Corrine Wesley, Myrna PowDerface, Cindy Daniels ET Wanda Rider

 

POUR L’INTIMÉE, LA PREMIÈRE NATION DE WESLEY


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rath & Company

 

POUR LES APPELANTS

 

Fraser Miller Casgrain LLP

 

 

 

 

 

Wilson Laycraft

POUR LES INTIMÉS, Robert Shotclose, Harvey Baptiste, Corrine Wesley, Myrna PowDerface, Cindy Daniels ET Wanda Rider

 

POUR L’INTIMÉE, LA PREMIÈRE NATION DE WESLEY

 

 

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