Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20110811

Dossiers : A-261-09

A-262-09

 

Référence : 2011 CAF 234

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

CLYDE HOUSE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à St. John's (Terre-Neuve), le 1er juin 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 août 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                           LE JUGE EVANS

         LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

 


Date : 20110811

Dossiers : A-261-09

A-262-09

 

Référence : 2011 CAF 234

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

CLYDE HOUSE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               La Cour est saisie des appels de deux décisions rendues par le juge en chef adjoint Rossiter (le juge en chef adjoint) de la Cour canadienne de l'impôt.

 

[2]               La première décision, dans laquelle le juge en chef adjoint a rejeté les appels de l'appelant à l'égard des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu (le ministre) pour les années d'imposition 2003 et 2004, a été rendue le 19 juin 2009. J’appellerai cette décision « la décision en matière d’impôt ». Le présent appel porte uniquement sur l'année d'imposition 2003 de l'appelant, plus précisément, sur la conclusion du juge en chef adjoint selon laquelle le ministre a eu raison d'inclure la somme de 305 000 $ dans le calcul du revenu de l'appelant pour l’année 2003.

 

[3]               Dans la deuxième décision portée en appel (2009 CCI 245), également datée du 19 juin 2009, le juge en chef adjoint a rejeté la requête présentée par l’appelant en vertu des articles 168 et 172 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) et visant à obtenir une ordonnance annulant ou modifiant la décision en matière d’impôt.

 

[4]               Comme je conclus que l'appel de la décision en matière d’impôt devrait être accueilli, je n’ai pas à me prononcer sur les questions soulevées par le deuxième appel que je rejetterais, mais sans frais.

 

[5]               Je ferai maintenant une brève récapitulation des faits saillants.

 

Les faits

[6]               L’appelant, M. House, est âgé de 77 ans. Vers 1954, il a quitté l'île de Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour se rendre à Goose Bay, à la recherche d'un emploi. À compter de 1954, l’appelant a occupé plusieurs emplois, entre autres celui de pilote de petits avions. En janvier 1980, il a été gravement blessé lors d’un écrasement d’avion et il a perdu son pied droit.

 

[7]               Au cours des années passées à Goose Bay, l’appelant a exploité une entreprise de chasse, de pêche et de services aériens nolisés sous la raison sociale Hunt River Camps/Air Northland Ltd. (Hunt River), qu'il a constituée en société dans la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador en 1978. L’appelant et son épouse étaient tous deux actionnaires de Hunt River.

 

[8]               Hunt River a commencé à exercer ses activités vers 1978 et a continué jusqu'à 1998 ou 1999, lorsque ses actifs ont été vendus. Après cette vente, l'appelant et son épouse sont retournés sur l'île de la province pour prendre leur retraite.

 

[9]               En 2004, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) a demandé que Hunt River produise des déclarations de revenus pour les années d'imposition 2001, 2002 et 2003. Les déclarations de revenus ont été dûment produites par M. Fred Cole (M. Cole), comptable agréé, dont les services avaient été retenus par l’appelant et Hunt River. e la Cour de l'impôt.

 

[10]           La déclaration de revenus produite par M. Cole pour l'année d'imposition 2003 indiquait que Hunt River avait encaissé un placement de 305 000 $ au cours de cette année‑là. L’ADRC a donc entrepris une vérification des livres de Hunt River et, en temps voulu, elle a également entrepris une vérification des livres de l’appelant pour l'année d'imposition 2003.

 

[11]           Le 19 novembre 2004, Mme Elaine Ryan Brophy (Mme Brophy), de la Division de la validation et de l'exécution du Bureau des services fiscaux de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, a écrit à Hunt River pour l’informer que ses déclarations de revenus faisaient l'objet d'un examen et qu'à cette fin, et pour que cet examen soit fait de façon appropriée, certains livres et registres de l'entreprise étaient nécessaires. Plus particulièrement, Mme Brophy a demandé les documents suivants :

1.            les résumés, les livres ou registres ayant servi à documenter le placement de 305 000 $ et le transfert de cet élément d'actif, y compris les documents‑source;

2.            les factures et les reçus concernant l'achat ou la vente de tout élément d'actif;

3.            les relevés de comptes bancaires, les carnets de dépôt et les chèques annulés de l'entreprise;

4.            les copies des documents de travail du comptable ayant servi à la préparation des déclarations de revenus, y compris les livres, les registres, les écritures de régularisation, etc.;

5.            les relevés bancaires personnels des actionnaires, expliquant la source des fonds ayant servi aux placements personnels.

 

[12]           Le 30 novembre 2004, M. Cole a répondu à Mme Brophy et a indiqué, entre autres choses, ce qui suit :

[traduction] Il n'y a eu aucune transaction au cours de 2002. Les montants indiqués sur les bilans sont des reports de 2001. Cette entreprise n'exerce plus ses activités depuis 1999. Comme il n’y avait aucune transaction à consigner, aucun des documents que vous demandez ci‑dessus n’existe. Au moment où l'entreprise liquidait ses affaires, soit en 1999, votre agence a effectué une vérification de l'entreprise et de ses actionnaires.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           M. Cole a joint à sa lettre un calendrier et des copies de certificats de dépôts à terme de la Labrador Savings and Credit Union (Labrador Credit Union) établis au nom de l'épouse de l'appelant pour la période du 18 novembre 2000 au 18 novembre 2002. Ces documents indiquaient un solde de 652 000 $ dans le compte de l'épouse de l'appelant.

 

[14]           Le 18 novembre 2005, Mme Brophy a écrit à l'appelant pour l'informer que, à moins qu’il ne présente des renseignements supplémentaires ou une explication satisfaisante, l’ADRC avait l'intention d'inclure un montant supplémentaire de 305 000 $ dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 2003.

 

[15]           Le 1er décembre 2005, M. Cole a répondu à la lettre du 18 novembre 2005 de Mme Brophy, lui fournissant des renseignements sur le compte de prêts aux actionnaires, ainsi que des copies de bilans tirés des états financiers de Hunt River.

 

[16]           Le 7 juillet 2006, Mme Brophy a écrit à l'appelant pour l’informer que l’ADRC ajoutait à son revenu de l'année d'imposition 2003 la somme de 305 000 $.

 

[17]           L’appelant a déposé un avis d'opposition à la nouvelle cotisation et, le 21 décembre 2006, la Division des appels de l’ADRC l’a avisé que le ministre avait confirmé la nouvelle cotisation. L'avis de confirmation du ministre est rédigé en partie comme suit :

[traduction] L'avantage que Hunt River Camps/Air Northland Ltd. vous a conféré en 2003 s'élevait à 305 000 $. Ce montant a été inclus dans le calcul de votre revenu conformément au paragraphe 15(1).

 

 

[18]           En février 2007, l’appelant a interjeté appel de l’avis de confirmation du ministre en déposant un avis d'appel à la Cour de l'impôt; il soutenait que les 305 000 $ n'avaient pas été retirés du compte de Hunt River en 2003. Plus précisément, l'appelant a déclaré qu'un examen de la déclaration de revenus de 2002 de Hunt River avait permis de découvrir une erreur d'écritures, c'est-à-dire qu'un placement de 305 000 $ figurant dans les livres en regard d'un montant dû aux actionnaires/administrateurs, soit 311 251 $, n'existait pas. En conséquence, l’erreur a été corrigée au moyen d’une écriture dans le journal général et d’une écriture de régularisation visant à débiter le compte de placement de la somme de 305 000 $ et à ramener le solde à 0 $. De plus, une écriture de compensation a été effectuée pour imputer la somme de 305 000 $ au compte des actionnaires/administrateurs, réduisant ainsi le solde courant de 311 251 $ à 6 251 $. Cette somme représentait le solde dû aux actionnaires/administrateurs.

 

[19]           Le ministre a déposé une réponse à l'avis d'appel de l'appelant et, au paragraphe 11 de celle-ci, a énoncé, entre autres, les hypothèses suivantes :

[traduction]

b)      Pendant la période pertinente, [M. House] était l'actionnaire majoritaire et un dirigeant de [l'entreprise] […];

[…]

 

i)       Au cours des années d’imposition 2000, 2001 et 2002, [l'entreprise] détenait un placement à long terme d’un montant total de 305 000 $;

 

j)       Au cours de l'année d'imposition 2003, [l'entreprise] a transféré à un placement de 305 000 $ à [M. House];

 

[20]           Le procès a eu lieu à St. John’s (Terre‑Neuve), les 21 et 22 avril 2009, devant le juge en chef adjoint qui, le 22 avril 2009, a prononcé à l'audience les motifs rejetant l'appel de l'appelant sans frais.

 

[21]           Le 19 juin 2009, le juge en chef adjoint a signé un jugement par lequel il rejetait les appels de l'appelant à l'égard des nouvelles cotisations pour les années d'imposition 2003 et 2004. Comme je l'ai déjà indiqué, la seule question dont la Cour est saisie en appel de la décision en matière d’impôt est celle de savoir si le juge en chef adjoint a commis une erreur susceptible de révision en concluant que l'appelant avait reçu de Hunt River en 2003 la somme de 305 000 $ à titre d'avantage conféré à un actionnaire.

 

La décision de la Cour de l'impôt

[22]           À la fin de l'audience le 22 avril 2009, le juge en chef adjoint a prononcé ses motifs oralement, rejetant les appels de l'appelant. Après un bref examen des faits, le juge en chef adjoint s’est intéressé plus particulièrement aux hypothèses avancées par le ministre dans sa réponse aux appels de l'appelant à l'égard des nouvelles cotisations. Il a conclu cette partie de ses motifs en déclarant qu’il devait déterminer si l’appelant avait reçu 305 000 $ en 2003 de Hunt River et, dans l’affirmative, si cette somme avait été versée au titre d’un remboursement de prêt d'actionnaire ou d’un avantage conféré à un actionnaire.

 

[23]           Le juge en chef adjoint a alors déclaré qu'il incombait [traduction] « clairement » à l'appelant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le ministre avait commis une erreur dans l’énoncé de ses hypothèses, et il a ajouté que l'appelant était tenu de [traduction] « détruire » les hypothèses du ministre. Le juge en chef adjoint a ensuite fait observer que le régime fiscal canadien était un régime de déclaration volontaire et d’autocontrôle et que ce régime reposait sur le fait que les contribuables ont en leur possession les renseignements nécessaires pour faire une déclaration adéquate; il a ajouté que le régime d'autocontrôle était un privilège dont ne devaient pas abuser les contribuables. Il a ensuite mentionné plusieurs décisions dans lesquelles les tribunaux ont examiné ce qu'il a appelé le [traduction] « principe d'autocontrôle », notamment l'arrêt de la Cour dans Njenga c. R., 96 D.T.C. 6593, [1997] 2 C.T.C. 8 (C.A.F.) (Njenga), et les décisions de la Cour canadienne de l'impôt dans Redrupp c. R., 2004 D.T.C. 3320 (Redrupp), et Scragg c. R., 2008 D.T.C. 4511 (Scragg), à l’appui de la thèse selon laquelle les contribuables devraient fournir tous les documents permettant d'étayer leurs prétentions.

 

[24]           Le juge en chef adjoint a ensuite fait les observations suivantes, à la page 114 de la transcription de la preuve du 22 avril 2009 (transcription 2) (dossier d'appel, vol. 2, p. 391) :

 

[traduction] […] En l’espèce, je dois essentiellement déterminer si l'appelant s'est acquitté du fardeau de démontrer qu’il a reçu ou non les fonds, quand il les a reçus et ce qu'il en a fait, ce qu’il a reçu en échange des 305 000 $, si Hunt River lui devait de l'argent et s’il avait prêté de l'argent à Hunt River, et si quelqu’un a reçu de l'argent, et à quel titre : prêt d'actionnaire, remboursement d'un prêt d’actionnaire ou autrement, et si tout ça a été fait au cours d'une autre année que 2003?

 

[Non souligné dans l'original]

 

[25]           À ces questions, le juge en chef adjoint a répondu que l'appelant n'avait pas réussi à [traduction] « détruire » les hypothèses du ministre. Il a poursuivi en déclarant que la qualité de la preuve soumise ne lui permettait pas d'accueillir l'appel interjeté par l'appelant à l’égard de la décision du ministre d'inclure 305 000 $ dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 2003. Aux pages 116 et 117 de la transcription 2 (dossier d'appel, vol. 2, p. 391 et 392), le juge en chef adjoint a exprimé l'opinion suivante :

[traduction] […] L'obligation relative à la tenue et à la production de registres incombe à tous les contribuables, non pas seulement à quelques-uns, mais à tous les contribuables peu importe leur situation sociale, qu’ils soient riches, pauvres, instruits, non instruits, avertis, non avertis. M. Frederick Cole aurait dû le savoir mieux que quiconque. Il est comptable agréé. C’est son travail quotidien. Il aurait dû savoir quels types de documents seraient exigés. Tout ce que nous savons, et avec certitude, est que : premièrement, en 2003, Hunt River détenait un placement à long terme de 305 000 $; deuxièmement, après 2000 [il s’agit nettement d’une erreur typographique, il faut lire « après 2003 »], Hunt River ne détenait aucun placement à long terme de 305 000 $; troisièmement, Mme House avait des placements de divers montants, aucun de 305 000 $, entre novembre 2000 et novembre 2002, d'un montant total de 652 000 $. Il n'y avait aucun lien ni aucun document ni aucun autre élément concernant le montant de 305 000 $. Les explications fournies ne permettaient tout simplement pas à l'appelant de s'acquitter de son fardeau. Elles constituent au mieux une allégation. Compte tenu de la preuve soumise, je conclus que l'appelant a reçu, à titre d’actionnaire, un avantage de 305 000 $ en 2003, que le montant qu’il a reçu en 2003 n'était pas un remboursement de prêt d'actionnaire, et qu'il est possible qu’une erreur d'écritures ait été commise, mais cela n’est pas suffisant pour conclure, sans autre preuve permettant de réfuter les hypothèses, que l'appelant a reçu l'argent en 2003.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[26]           Le juge en chef adjoint a de plus estimé qu’en produisant des documents supplémentaires, l’appelant aurait pu s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait. En conséquence, il a rejeté l'appel de l'appelant.

 

La question en litige

[27]           Dans le présent appel, la Cour doit uniquement déterminer si le juge en chef adjoint a commis une erreur en concluant que l’appelant avait reçu en 2003 un avantage de 305 000 $ à titre d’actionnaire.

 

Analyse

[28]           La Cour est saisie de l’appel d'une décision de la Cour de l'impôt. En conséquence, les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte, tandis que les conclusions de fait tirées par le juge doivent être examinées selon la norme de l'erreur manifeste et déterminante (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8 et 10 (Housen)). Enfin, les questions mixtes de fait et de droit, c'est-à-dire celles qui comportent l'application d'une norme juridique à un ensemble de faits, doivent être examinées selon la norme de l'erreur manifeste et déterminante, à moins que la question mixte de fait et de droit ne contienne une question de droit isolable (voir Housen, par. 33 et 36).

 

[29]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que le juge en chef adjoint a commis une erreur en rejetant l'appel de l'appelant à l’égard de la nouvelle cotisation du ministre pour l'année d'imposition 2003 et, plus particulièrement, en concluant que l’appelant ne s’était pas acquitté de son fardeau de « démolir » les hypothèses du ministre selon lesquelles il avait reçu la somme de 305 000 $ au cours de cette année d'imposition.

 

[30]           Pour trancher la question dont elle est saisie, il importe que la Cour garde à l'esprit l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (Hickman), dans lequel la juge L’Heureux-Dubé a énoncé, aux paragraphes 92 à 95 de ses motifs, les principes qui régissent le fardeau de la preuve dans le domaine de la fiscalité :

1.                  Dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités.

2.                  Le contribuable a la charge initiale de « démolir » les présomptions sur lesquelles le ministre se fonde pour établir sa cotisation.

3.                  Le contribuable s’acquitte de cette charge initiale lorsqu'il présente une preuve prima facie.

4.                  Lorsque le contribuable a établi une preuve prima facie, le fardeau de la preuve passe alors au ministre qui doit réfuter cette preuve en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’exactitude de ses présomptions (en l'espèce, la présomption que Hunt River détenait à la fin de l'année d'imposition 2002 un placement à long terme de 305 000 $ qu'elle a transféré à l'appelant en 2003).

5.                  Si le ministre ne présente aucune preuve satisfaisante, le contribuable a gain de cause.

 

[31]           Plus précisément aux paragraphes 92 et 93 de ses motifs dans l'arrêt Hickman, la juge L’Heureux‑Dubé a expliqué en termes clairs la charge dont devait s'acquitter le contribuable à l’étape initiale :

92. Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 95, et que, à l’intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions : (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l’É.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

 

93 L’appelant s’acquitte de cette charge initiale de « démolir » l’exactitude des présomptions du ministre lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.R.N., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.). En l’espèce, l’appelante a produit une preuve qui respecte non seulement la norme prima facie, mais, selon moi, une norme encore plus sévère. À mon avis, l’appelante a « démoli » les présomptions suivantes : a) la présomption de l’existence de « deux entreprises », en produisant une preuve claire de l’existence d’une seule entreprise; b) la présomption qu’il n’y a « aucun revenu », en produisant une preuve claire de l’existence d’un revenu. Il est établi en droit qu’une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre : voir par exemple MacIsaac c. M.R.N., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. M.R.N., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.) […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[32]           À mon avis, au vu de la preuve dont il disposait, le juge en chef adjoint a commis une erreur de droit en concluant que l'appelant ne s'était pas acquitté de son fardeau de « démolir » les hypothèses formulées par le ministre aux alinéas 11(i) et (j) de sa réponse à l’avis d'appel de l'appelant, à savoir que Hunt River avait, à la fin de 2002, un placement de 305 000 $ qu'elle a transféré à l'appelant en 2003. Le juge en chef adjoint a confondu la charge initiale qui incombait à l’appelant de « démolir » les hypothèses du ministre par la présentation d’éléments de preuve qui, à première vue, étayaient sa thèse, et le fardeau général qui incombait aux parties de prouver que le placement avait été ou non payé à l'appelant en 2003.

 

[33]           La conclusion du juge en chef adjoint repose sur l’idée que l'appelant n’avait pas présenté une preuve de qualité suffisante [traduction] « qui lui aurait permis d'accueillir l'appel en ce qui concerne le montant de 305 000 $ » (transcription 2, page 114 / dossier d'appel, vol. 2, p. 389). Plus précisément, le juge en chef adjoint a critiqué l’appelant et son comptable, M. Cole, pour ne pas avoir produit de documents pertinents tels que des registres de procès‑verbaux, des grands livres généraux, des chèques, des factures, des relevés bancaires, etc. Comme il estimait que l’appelant était tenu en droit de produire des documents‑source (je traiterai de cette question en détail plus loin dans les présents motifs), le juge en chef adjoint n’a pas considéré le témoignage de M. Cole. Autrement dit, je suis d'avis que le juge en chef adjoint a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte d’un élément de preuve crucial.

 

[34]           J'examinerai maintenant la preuve soumise en l’espèce et commencerai par une observation préliminaire. Au moment du procès, l'appelant et son épouse étaient âgés et avaient de la difficulté à se souvenir avec précision des événements qui ont eu lieu entre 1999 et 2003. En conséquence, l’élément de preuve crucial en l'espèce était, à mon avis, le témoignage de leur comptable, M. Cole.

 

[35]           Je commencerai avec le témoignage de l’appelant. L’appelant a convenu qu'à un certain moment, Hunt River détenait effectivement un placement de 305 000 $. Bien qu’il n’ait pu se rappeler avec précision l'année au cours de laquelle ce placement avait été détenu, l'appelant a déclaré qu’il avait été transféré par Hunt River à son épouse, non pas à lui.

 

[36]           L’appelant a poursuivi en expliquant que son épouse [traduction] « tenait les livres » (transcription du 21 avril 2009 (transcription 1), p. 48 / dossier d'appel, vol. 2, p. 301), c'est-à-dire qu'elle tenait les livres et les transmettait ensuite à M. Cole. L’appelant a déclaré qu'il n'avait rien à voir avec [traduction] « […] ceux-ci, ces documents en tant que tels » et il a clairement indiqué que M. Cole s'occupait de tout.

 

[37]           L’appelant a expliqué que Hunt River a vendu trois chalets avant 2000, pour la somme de 500 000 $, et qu'elle a de plus vendu un avion, également avant 2000, pour la somme de 90 000 $. Le produit de la vente des chalets et de l'avion a entièrement été placé dans le compte de Hunt River à la Banque Royale. L’appelant a aussi expliqué qu'avant de quitter Goose Bay, il a vendu deux maisons pour la somme de 200 000 $, qu'il a également placée [traduction] « dans l'entreprise » (transcription 1, p. 76 / dossier d'appel, vol. 2, p. 308).

 

[38]           À une question précise sur le placement de 305 000 $, il a répondu que cette somme provenait du compte de Hunt River et avait été versée au compte de sa femme à la Labrador Credit Union. L’appelant a expliqué pourquoi les 305 000 $ avaient été versés au compte de sa femme à la Labrador Credit Union. Son explication se trouve à la page 26 de la transcription 1 (dossier d'appel, vol. 2, p. 296) :

[traduction]

R.         Eh bien, ce qui s'est produit est que nous étions – ma femme était cliente de la Labrador Credit Union à Goose Bay. Il s'agissait d'une nouvelle coopérative de crédit. Elle – je crois que c'est maintenant la Eagle River Credit Union, mais à l’époque, il s'agissait de la Labrador Credit Union. Et une entreprise ne pouvait pas devenir membre de cette institution. Alors, c’est ma femme qui en était membre et nous étions en plein déménagement. Et quoi qu'il en soit, on lui a offert un taux de rendement de 7½ % sur son argent, alors nous avons retiré l'argent de la Banque Royale, du compte de Hunt River, parce que nous en avions terminé avec cette entreprise, et nous l’avons placé à son nom à la Credit Union, où nous avons obtenu un taux de 7½ % sur notre placement.

 

[39]           Je passe maintenant au témoignage de Mme Theresa House, l'épouse de l'appelant.

 

[40]           Madame House a déclaré qu'elle était actionnaire de Hunt River, dont elle détenait une action. Elle a indiqué que les 305 000 $ avaient été retirés de Hunt River et lui avaient été donnés (transcription 1, p. 207 / dossier d'appel, vol. 2, p. 341). Elle a expliqué que l'argent avait été déposé à son compte à la Labrador Credit Union parce qu’[traduction] « […] on nous avait dit que nous aurions un très bon taux d’intérêt » (transcription 1, p. 210 / dossier d'appel, p. 342). Elle ne pouvait cependant pas se rappeler si elle avait encaissé les 305 000 $. À son avis, la somme a été encaissée vers 2000, lorsqu'elle a été déposée à son compte à la Labrador Credit Union. Elle a dit : [traduction] « mon mari m'a donné l'argent, mais je ne me rappelle pas l'avoir retiré de la banque » (transcription 1, p. 224 / dossier d'appel, p. 345). Elle a clairement indiqué que ni elle ni son mari n'avaient une bonne mémoire, et que la sienne était encore moins bonne que celle de son mari. Au moment du procès, Mme House avait presque 76 ans.

 

[41]           J'examinerai maintenant le témoignage de M. Cole qui est comptable agréé depuis 1980 et qui, depuis 1982, est le comptable de Hunt River.

 

[42]           Il a été interrogé sur la déclaration de revenus de Hunt River pour l'année 2003 et il a indiqué qu'il avait produit cette déclaration de revenus. Il a ajouté que l’ADRC avait demandé à Hunt River de produire des déclarations de revenus pour les années 2001, 2002 et 2003. Il a commencé par dire qu'il n’avait produit au départ que les déclarations pour 2001 et 2002. Ensuite, en ce qui concerne la déclaration de revenus pour 2003, il a fait les commentaires suivants (transcription 1, p. 92 / dossier d'appel, vol. 2, p. 312) :

[traduction]

Q.        - Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait?

R.         Eh bien, je – eh bien, l'entreprise était pratiquement inactive depuis qu'elle avait vendu la propriété appelée Boarder Beacon, et cette vente a eu lieu en 1999. Et essentiellement il y avait – il restait peu de choses dans l'entreprise. Il s'agissait plus ou moins d'une coquille. Alors, la première chose à faire est de prendre, vous savez, la dernière déclaration de revenus produite et de l'examiner. Et sur cette déclaration de revenus, il est indiqué qu'un montant était placé à la Banque Royale, et ce placement ne s'y trouvait plus.

 

[43]           On lui a ensuite montré un bilan préparé par Mme Brophy, qui indiquait que Hunt River détenait un placement à long terme de 305 000 $ à la fin de décembre 2002. M. Cole a déclaré qu'il avait fait des recherches pour savoir si ce placement existait ou non. Il est arrivé à la conclusion que le placement n'existait pas. C’est pourquoi il a imputé le montant de 305 000 $ au compte des actionnaires, c'est-à-dire qu'il a réduit la dette, qui s’élevait à 311 000 $, pour la ramener à 6 000 $ (transcription 1, p. 93 à 95 / dossier d'appel, vol. 2, p. 313).

 

[44]           Cette conclusion a incité M. Cole à indiquer à l’ADRC que Hunt River n’avait fait aucune transaction en 2002, que [traduction] « […] les montants produits pour l'année 2002 étaient des montants reportés de 2001 » (transcription 1, p. 97 / dossier d'appel, vol. 2, p. 314) et que [traduction] « […] l'entreprise n'exerçait plus ses activités depuis 1999 » (ibid.).

 

[45]           Interrogé par le juge en chef adjoint, M. Cole a répondu que la somme de 305 000 $ avait au départ été déposée dans un compte au nom de Hunt River à la Banque Royale, ajoutant que pour l'année d'imposition 2003, il avait [traduction] « […] découvert que ce placement n'était plus au nom de l'entreprise » (transcription 1, p. 110 / dossier d'appel, vol. 2, p. 317) et qu'il avait [traduction] « […] réduit le compte des actionnaires en conséquence » (ibid.). Il a alors expliqué qu'au cours de ses recherches, il avait examiné les registres de Hunt River de 1998‑1999 au 31 décembre 2003, et constaté que le placement de 305 000 $ n'existait plus, ce qui expliquait pourquoi il avait réduit le compte des actionnaires de la somme de 305 000 $. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait réduit le compte des actionnaires de 305 000 $, il a répondu ce qui suit (transcription 1, p. 111 / dossier d'appel, vol. 2, p. 317) :

[traduction]

R.         Eh bien, le – lorsque j'ai tenté de trouver le certificat de placement, je ne pouvais le trouver à la Banque Royale, et apparemment, il était au nom de Mme House à la Credit Union, alors ce que j'ai – je le lui ai imputé.

 

[46]           En contre‑interrogatoire, on a posé des questions précises à M. Cole concernant le placement de 305 000 $ qui, selon l’ADRC, avait été transféré à l’appelant en 2003. Premièrement, M. Cole n’était pas d'accord avec la déclaration de l'avocat de l'intimé, à savoir qu’[traduction] « [a]u cours des années d'imposition 2000, 2001 et 2002, Hunt détenait un placement à long terme totalisant 305 000 $ » (transcription 1, p. 117 / dossier d'appel, vol. 2, page 319). Il a indiqué que le placement avait été encaissé en 2000, et il a répété que le placement de 305 000 $ avait été retiré par Mme House, ajoutant qu'il avait découvert ce renseignement en 2006 au moment de produire la déclaration de revenus de Hunt River pour l'année d'imposition 2003.

 

[47]           Interrogé de nouveau par le juge en chef adjoint, M. Cole a expliqué qu'il était convaincu que les 305 000 $ avaient été versés à l'épouse de l'appelant, et que cette dernière avait acheté [traduction] « d’autres CPG à la Labrador Credit Union » (transcription 1, p. 154 / dossier d'appel, vol. 2, p. 328).

 

[48]           Le seul témoin appelé par l'intimée était Mme Brophy, qui a expliqué le fondement de la nouvelle cotisation du ministre pour l'année d'imposition 2003 de l'appelant. À la page 164 de la transcription 1, (dossier d'appel, vol. 2, p. 330), on lui a demandé pourquoi elle avait estimé que l’appelant avait reçu un avantage de 305 000 $. Sa réponse était la suivante :

[traduction]

R.         Au cours de mon examen, j’ai parlé à M. House et à son représentant, M. Cole, en discutant, ce dernier m'a informée que le bien était détenu soit par l’une des sociétés, soit par l’un des particuliers. Il n'était pas certain à ce moment-là. J'ai donc demandé des renseignements pour déterminer l’endroit exact où se trouvait le placement, qui étaient les actionnaires, et qu’on me fournisse les grands livres généraux et les dépôts bancaires. Il y a en fait dans le recueil des pièces justificatives la première lettre dans laquelle j'ai demandé des renseignements au sujet de cette opération.

 

[49]           Mme Brophy a ajouté ce qui suit aux pages 165 et 166 de la transcription 1 (dossier d'appel, vol. 2, p. 331 :

[traduction]

R.         Je lui ai parlé [à M. Cole] à deux reprises. Je lui ai d'abord parlé, je crois que c'était en octobre 2004, et le dossier avait été reporté pour une courte période, M. House ayant invoqué des raisons médicales. J'ai donc parlé à M. House à ce moment-là et je lui ai parlé de nouveau – ou je m'excuse, j'ai parlé à M. Cole à ce moment-là et je lui ai parlé également vers le 13 ou le 14 avril 2005 je crois, et nous avons de nouveau parlé du placement de 305 000 $. Essentiellement, M. Cole a encore déclaré que le placement existait, mais à ce moment‑là, il ne savait pas qui le détenait, si c’était ECJ Eagle Incorporated, Hunt River Camps, ou si c’était l'un des particuliers.

Q.        D'accord.

R.         Et effectivement après cela, peu après cela, probablement en mai, j'ai découvert qu’un autre état financier, le bilan, avait été produit, la cotisation initiale pour l'année d'imposition 2003 qui indiquait que le montant de 305 000 $ ne figurait plus au bilan de Hunt River Camps.

 

[50]           Mme Brophy a de plus expliqué qu'elle n'avait reçu aucun [traduction] « document‑source » de la part de M. Cole ou de l’appelant. Plus tard dans son témoignage, en réponse à une question posée par le juge en chef adjoint, elle a déclaré que ni l'appelant ni M. Cole ne l'avaient informée, dans le cadre de sa vérification, que la somme de 305 000 $ avait été retirée en 2000. Les questions et réponses suivantes apparaissent aux pages 187 et 188 de la transcription 1 (dossier d'appel, vol. 2, p. 336) :

[traduction]

Q.        Ah, oui. D'accord. D'accord, eh bien M. Cole a expliqué cela en votre absence.

R.         Oh, d'accord.

Q.        Il a expliqué que la somme de 305 000 $ ne devrait pas figurer au 31 décembre 2003. Elle aurait dû disparaître le 31 décembre 2000, parce que le 31 décembre – le 31 décembre 2000, les 305 000 $ avaient déjà quitté Hunt, Hunt River.

R.         Eh bien, nous n'avons reçu aucun renseignement à ce sujet –

Q.        Non, non. Je le sais bien, mais c'est – c'était l'explication qu'il a fournie.

R.         D'accord.

 

[51]           À ce sujet, l'avocat de l'intimée l’a interrogée et elle a de nouveau répondu qu'on ne l’avait pas informé, au cours de sa vérification, que la somme de 305 000 $ avait été retirée du compte de Hunt River en 2000 (transcription 1, p. 188 à 190 / dossier d'appel, vol. 2, pages 336 et 337), ajoutant qu'elle ne savait pas non plus, au moment de la vérification, que l'inscription datant du 31 décembre 2003, montrant un placement de 305 000 $, était erronée (transcription 1, p. 193 et 194 / dossier d'appel, vol. 2, p. 338).

 

[52]           C’est essentiellement la preuve dont le juge en chef adjoint disposait lorsqu'il a rendu la décision en matière d’impôt.

 

[53]           Le juge en chef adjoint a traité cette preuve de la façon suivante. Comme je l'ai indiqué plus tôt, il a conclu que l'appelant ne s'était pas acquitté de son fardeau de « démolir » les hypothèses du ministre. Il est arrivé à cette conclusion parce qu'à son avis, la preuve n’était pas de qualité suffisante; en effet, l’appelant et M. Cole avaient omis de présenter des documents tels que des chèques annulés, des relevés de dépôt, des documents relatifs à un régime enregistré d'épargne-retraite, etc. Plus particulièrement, en ce qui a trait au témoignage de M. Cole, il a déclaré que celui-ci, un comptable agréé, [traduction] « […] aurait dû savoir quels types de documents seraient exigés » (transcription 2, p. 116 / dossier d'appel, vol. 2, p. 391), et a ajouté [traduction] « […] il est possible qu’une erreur d'écritures ait été commise, mais cela n’est pas suffisant pour conclure, sans autre preuve [c.‑à‑d. des documents‑source] permettant de réfuter les hypothèses, que l'appelant a reçu l'argent en 2003 (transcription 2, p. 117 / dossier d'appel, vol. 2, p. 392). En d'autres mots, le juge en chef adjoint a estimé que le témoignage de M. Cole ne permettait pas en soi, sans documents‑source pour le corroborer, de « démolir » les hypothèses du ministre.

 

[54]           À cet effet, le juge en chef adjoint s’est entre autres appuyé sur la déclaration du juge Bowie dans l’affaire Scragg, selon laquelle « des allégations sans preuve ne sont pas suffisant[e]s » et sur l'arrêt Njenga, dans lequel la Cour a statué que tous les contribuables avaient l'obligation de tenir et de produire les registres voulus.

 

[55]           Avant d'expliquer pourquoi je conclus que le juge en chef adjoint a commis une erreur, je dois signaler qu'il n'a tiré aucune conclusion défavorable sur la crédibilité de M. Cole, ni sur celle de l'appelant ou de son épouse. J'aimerais ajouter, comme je l'ai indiqué plus tôt, que le témoignage de l'appelant et celui de son épouse étaient quelque peu déroutants en raison de la difficulté qu'ils avaient de toute évidence tous les deux à se souvenir d'événements qui avaient eu lieu près de dix ans plus tôt. En ce qui a trait au témoignage de M. Cole, il a déclaré sous serment qu'il avait commis une erreur en remplissant la déclaration de revenus de Hunt River pour l'année 2003 et qu'il avait pris des mesures pour corriger cette erreur, expliquant pourquoi une correction était nécessaire dans les circonstances. M. Cole a aussi indiqué clairement qu'il n'avait absolument aucun doute que le placement de 305 000 $ n'était plus dans le compte de Hunt River à la fin de 2002 et que le placement avait été retiré vers 2000 lorsque la décision a été prise de transférer les fonds du compte de Hunt River à la Banque Royale au compte de Mme House à la Labrador Credit Union. De plus, l'intimée n'a d'aucune manière contredit ou réfuté le témoignage de M. Cole.

 

[56]           Pour déterminer si un contribuable doit présenter les types de documents que le juge en chef adjoint estimait nécessaires, il est important de garder l'esprit les observations de la juge L’Heureux-Dubé dans l'arrêt Hickman, où elle déclare, au paragraphe 87, « [d]e plus, lorsque la LIR [la Loi de l'impôt sur le revenu] n’exige aucun document d’appui, le témoignage crédible d’un contribuable suffit, malgré l’absence de documents », puis, au paragraphe 88, que « […] la LIR n’exige pas que le revenu soit montré dans les états financiers et, par conséquent, aucun doute quant à la crédibilité n’ayant été soulevé, la preuve produite par l’appelante est nettement suffisante ».

 

[57]           À mon avis, le juge en chef adjoint a commis deux erreurs de droit. Premièrement, il a confondu la charge initiale qui incombait à l'appelant de « démolir » les hypothèses du ministre avec le fardeau général qui incombait aux parties de présenter leur preuve respective. Deuxièmement, il a commis une erreur en ne tenant pas compte du témoignage de M. Cole. S'il avait tenu compte du témoignage de M. Cole, comme il aurait dû le faire, il aurait nécessairement conclu, à mon avis, que l’appelant avait présenté une preuve prima facie « démolissant » les hypothèses du ministre. Dans l'arrêt Amiante Spec Inc. c. Canada, 2009 CAF 239, 2009 ACF n603 (QL), la Cour a expliqué comme suit, au paragraphe 23, ce qu'était une preuve prima facie :

[23] Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

 

[58]           J'examinerai maintenant la première erreur du juge en chef adjoint. Bien que ce dernier semble avoir su qu’il incombait à l'appelant de « démolir » les hypothèses du ministre, il n'a pas, selon moi, appliqué ce fardeau, mais plutôt le fardeau général incombant aux parties.

 

[59]           Après avoir mentionné, au début de ses motifs, que l'appelant devait démontrer que le ministre avait commis une erreur à l'égard de l'une ou de plusieurs hypothèses, et que l’appelant [traduction] « [devait] détruire l'hypothèse ou les hypothèses au moment de la présentation de sa preuve », il a poursuivi en déclarant qu’en l’espèce, il devait [traduction] « essentiellement déterminer si l'appelant s'est acquitté du fardeau de démontrer qu’il a reçu ou non les fonds, quand il les a reçus et ce qu'il en a fait, ce qu’il a reçu en échange des 305 000 $, etc. » (transcription 2, p. 114 / dossiers d'appel, vol. 2, p. 391). Il a alors conclu, après avoir examiné la preuve et la jurisprudence, que l’appelant ne s'était pas [traduction] « acquitté du fardeau de détruire les hypothèses sur lesquelles l'intimée s’était fondée ». Sa conclusion reposait sur ce qu’il considérait être une preuve de piètre qualité. Enfin, il a déclaré qu'il tenait pour avéré que l'appelant avait reçu 305 000 $ en 2003. S’agissant du point de vue adopté par le juge en chef adjoint relativement au fardeau applicable, il importe de se rappeler qu’à part les hypothèses sur lesquelles il s’est appuyé, le ministre n'a produit absolument aucune preuve tendant à démontrer que l'appelant avait reçu 305 000 $ en 2003.

 

[60]           Avec respect, je ne peux conclure que le juge en chef adjoint a appliqué le bon fardeau de preuve en ce qui a trait aux hypothèses du ministre. J'estime plutôt qu’il s’attendait, non pas à ce que l’appelant présente une preuve « démolissant » les hypothèses du ministre, mais à ce qu’il lui présente une preuve positive qu’il n’avait pas reçu 305 000 $ en 2003. Comme la juge L’Heureux-Dubé l'a déclaré, au paragraphe 92 de l'arrêt Hickman, le fardeau du contribuable consiste à « […] 'démolir' les présomptions […] qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus ».

 

[61]           Comme je l'ai déjà dit, il incombait à l'appelant de présenter une preuve prima facie visant à « démolir » les hypothèses du ministre. En d'autres mots, il incombait à l'appelant de démontrer que les hypothèses du ministre étaient inexactes, non d'établir qu'il n'avait pas reçu 305 000 $ en 2003. Selon ma compréhension des motifs du juge en chef adjoint, celui‑ci croyait que l'appelant était tenu de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'avait pas reçu 305 000 $ en 2003. À mon avis, cela explique pourquoi le témoignage de vive voix de M. Cole ne l'a pas convaincu et pourquoi il a exigé que des documents‑source soient produits afin d’établir que l'appelant n'avait pas reçu 305 000 $ en 2003. Cela explique plus particulièrement pourquoi il a complètement écarté le témoignage de M. Cole selon lequel ses erreurs avaient incité le ministre à présumer que le montant de 305 000 $ avait été transféré à l'appelant en 2003.

 

[62]           Si le juge en chef adjoint avait interprété et appliqué correctement le bon fardeau, il ne se serait pas attendu à ce qu’on lui présente une preuve positive que l'appelant n'avait pas reçu 305 000 $ en 2003, mais plutôt une preuve établissant que les hypothèses du ministre étaient inexactes. En présentant une preuve qui expliquait pourquoi les hypothèses ministre ne pouvaient pas être exactes – parce que les déclarations de revenus sur lesquelles reposaient les hypothèses du ministre contenaient des erreurs et que ces erreurs avaient été corrigées – l’appelant a présenté une preuve qui, à moins d'être rejetée ou réfutée, pouvait permettre de « démolir », à première vue, les hypothèses du ministre.

 

[63]           Je suis donc d'avis que le juge en chef adjoint a commis une erreur de droit en interprétant mal la nature du fardeau de preuve applicable et en n’appliquant pas le bon fardeau.

 

[64]           Je passe maintenant à la deuxième erreur du juge en chef adjoint. À mon avis, celui‑ci a commis une erreur de droit en faisant abstraction du témoignage de M. Cole. Cette erreur repose sur l’idée erronée que le témoignage de M. Cole ne pouvait pas, sans l'appui de documents‑source, aider l'appelant à établir le bien‑fondé de sa demande.

 

[65]           Le juge en chef adjoint mentionne très brièvement le témoignage de M. Cole à la page 116 de la transcription 2 (dossier d'appel, vol. 2, p. 391). Dans cette partie de ses motifs, que j'ai déjà reproduite au paragraphe 25 des présents motifs, il explique simplement que M. Cole, en qualité de comptable agréé, [traduction] « […] aurait dû [...] savoir mieux que quiconque » que les documents‑source auraient dû être produits, ajoutant qu’[traduction] « […] il est possible qu’une erreur d'écritures ait été commise, mais cela n’est pas suffisant pour conclure, sans autre preuve permettant de réfuter les hypothèses, que l'appelant a reçu l'argent en 2003 ».

 

[66]           Voilà comment le juge en chef adjoint a analysé le témoignage de M. Cole. À mon avis, il est manifeste qu’il n’a aucunement tenu compte de ce témoignage parce qu’il estimait que des documents‑source auraient dû être produits. Cette idée est, selon moi, erronée. Comme je l'ai dit au paragraphe 57 des présents motifs, la juge L’Heureux‑Dubé, a clairement indiqué au paragraphe 87 de l'arrêt Hickman, qu'un témoignage crédible n'a besoin d’aucun document d'appui pour établir un point.

 

[67]           En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la LIR), l'appelant n'était pas tenu de produire de documents‑source, et le juge en chef adjoint n'a tiré aucune conclusion défavorable sur la crédibilité de M. Cole. Comme le juge en chef adjoint croyait erronément que des documents‑source devaient nécessairement être produits, il n’a pas tenu compte du témoignage de M. Cole. Après avoir déclaré que le témoignage de l'appelant et celui de son épouse manquaient de précision, le juge en chef adjoint s'est penché sur le témoignage de M. Cole. Au lieu de chercher à déterminer si le témoignage de M. Cole était crédible et, plus particulièrement, s’il permettait d’expliquer en quoi les chiffres apparaissant dans les déclarations de revenus de 2001, 2002 et 2003 étaient erronés et si, par suite de ce témoignage, les hypothèses du ministre avaient été « démolies », le juge en chef adjoint a simplement déclaré que M. Cole aurait dû savoir que des documents‑source devaient être produits. Il n'y a aucune appréciation du témoignage de M. Cole. Le juge en chef adjoint en a fait abstraction parce qu’aucun document‑source n'avait été produit. À mon humble avis, il a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du témoignage de M. Cole.

 

[68]           Bien que le témoignage de M. Cole, combiné à ceux de l'appelant et de son épouse, soit loin d'être parfait, il est à mon avis suffisant pour démontrer, à première vue, que Hunt River ne détenait aucun placement à long terme à la fin de 2002 et qu’un tel placement, n’avait pu être transféré à l'appelant en 2003. Comme je l'ai déjà indiqué, le juge en chef adjoint n'a tiré aucune conclusion défavorable sur la crédibilité de M. Cole, et l'intimée n'a ni contesté ni discrédité son témoignage. Comme rien ne permettait de contester l'explication de M. Cole concernant les erreurs dans les déclarations de revenus de 2001, 2002 et 2003, de même que son explication quant au fait qu’il n'y avait plus de fonds à la fin de 2002, le juge en chef adjoint n'avait aucune raison de ne pas accepter le témoignage de M. Cole.

 

[69]           Devant le témoignage de M. Cole, l'intimée était tenue, à mon avis, de présenter une preuve réfutant la preuve prima facie de l'appelant et établissant, selon la prépondérance des probabilités, que ses hypothèses étaient justes, c'est-à-dire que le montant de 305 000 $ avait été transféré au compte de l'appelant en 2003. Comme le ministre n’a présenté aucune preuve mettant en doute le témoignage de M. Cole, la preuve prima facie de l'appelant n'a pas été réfutée. C’est pourquoi, dans ces circonstances, le juge en chef adjoint aurait dû conclure en faveur de l’appelant.

 

[70]           En résumé, je suis convaincu que le témoignage de M. Cole était suffisant pour « démolir » les hypothèses du ministre et que si le juge en chef adjoint en avait tenu compte, il aurait conclu que l'appelant avait présenté une preuve prima facie qui « démolissait » les hypothèses du ministre.

 

[71]           J'ai indiqué plus tôt que je me pencherais sur l'opinion du juge en chef adjoint selon laquelle des documents‑source étaient nécessaires pour que l'appelant ait gain de cause en appel. Comme je l'ai déjà dit, le juge en chef adjoint s'est appuyé sur les décisions Njenga, de notre Cour, et Scragg et Redrupp, de la Cour de l'impôt, qu'il a résumées comme suit (transcription 2, p. 113 / dossier d'appel, vol. 2, p. 391) :

[traduction] […] Ces décisions indiquent clairement que le contribuable est tenu de produire des documents à l'appui de ses prétentions. Elles permettent essentiellement d'affirmer ce qui suit : premièrement, des reçus écrits par la personne elle-même et des allégations sans preuve. Il s'agit de l'arrêt Njenga de la Cour d'appel fédérale. Deuxièmement, à partir des soldes de fin d'exercice qui apparaissent sur les bilans, il est impossible de prouver qui a avancé des fonds à la société ou la source de ces fonds. Il s'agit de la décision Scragg. Les contribuables sont les seuls responsables du problème devant lequel ils peuvent se trouver s'ils n'ont pas les documents pertinents. Il s'agit de la décision Njenga, Section de première instance. Et finalement, « la meilleure preuve est ce qui est exigé, non pas des tableaux ou des résumés, mais des documents‑source originaux », selon la décision Redrupp.

 

[72]           Le juge en chef adjoint semble avoir fait de l'exigence jurisprudentielle, selon laquelle le contribuable peut être tenu de fournir des documents justificatifs afin d’établir le bien-fondé de ses prétentions, un principe juridique voulant que le contribuable soit toujours tenu de produire des documents à l’appui de sa demande. À mon humble avis, aucun principe n’exige qu’un témoignage de vive voix doive nécessairement être étayé par des documents‑source. La question de savoir si des documents justificatifs sont nécessaires sera fonction des circonstances particulières de l’affaire. Cependant, que des documents soient exigés ou non, le juge doit néanmoins apprécier le témoignage et décider s'il est crédible. L’obligation de produire des documents dépendra souvent de cette appréciation.

 

[73]           J'ai examiné avec soin les décisions Njenga, de notre Cour, et Scragg et Redrupp, de la Cour de l'impôt, et je n’y ai rien vu qui puisse étayer l'opinion du juge en chef adjoint selon laquelle un témoignage, en lui-même, ne peut suffire à établir ce qui devrait être établi.

 

[74]           J'examinerai tout d'abord l’arrêt Njenga. Dans cette affaire, la contribuable alléguait qu'elle pouvait entre autres déduire de son revenu des frais de garde d'enfants, conformément à l'article 63 de la LIR. En concluant que la contribuable aurait dû produire des documents à l'appui de ses dépenses, le juge de la Cour de l'impôt, dans Njenga c. Canada, [1995] A.C.I. no 927 (QL), a indiqué clairement qu'il ne pouvait s'appuyer sur son témoignage selon lequel ces frais avaient été engagés et il a dit ce qui suit, au paragraphe 19 :

19 Toutefois, le point principal qui ressort du procès est la conduite de l'appelante tout au long des années en litige. Pour pouvoir admettre que l'appelante ait au cours des années en litige laissé ses enfants - dont certains n'étaient âgés que de trois ans - aux soins d'une personne au sujet de laquelle elle connaissait si peu de choses et qu'elle surveillait de façon si nonchalante, il faudrait que j'aie plus confiance en ses affirmations que je ne suis capable de le faire. Il n'y a pas d'adresse, pas de numéro d'assurance sociale, pas de détails sur les travaux domestiques, pas d'horaire établi, pas de relevé des heures de travail, pas de rapport présenté par Mme Kabogo avant le paiement, pas de chèque, pas de reçus réguliers, et ainsi de suite. Les seuls éléments de preuve que je possède à ce sujet sont ses affirmations.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[75]           En d'autres mots, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que la contribuable n'était pas crédible et qu’il ne pouvait donc accepter sa demande de déduction de dépenses à moins qu'elle ne fournisse des documents à l'appui de sa déclaration selon laquelle elle les avait engagées. C'est dans ce contexte que les observations du juge McDonald, s'exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Njenga, aux paragraphes 3 et 4 de ses motifs, doivent être interprétées :

3.         Le système fiscal est fondé sur l'autocontrôle. Il est d'intérêt public que la charge de prouver le fondement des déductions et des réclamations repose sur le contribuable. Le juge de la Cour de l'impôt a statué que les personnes comme la requérante doivent être en mesure de produire toutes les informations et justifications permettant d'appuyer les réclamations qu'elles font. Nous sommes d'accord avec cette conclusion. Mme Njenga, à titre de contribuable, a la responsabilité de justifier ses affaires personnelles d'une manière raisonnable. Des reçus écrits par elle-même et des allégations sans preuve ne sont pas suffisants.

 

4.         Le problème du manque de justification est encore aggravé par le fait que le juge du procès, à qui il revient d'apprécier la crédibilité, a conclu que la requérante ne répondait pas aux exigences sur ce point.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[76]           Dans la décision Scragg, le ministre avait refusé la demande du contribuable visant à déduire de son revenu les intérêts payés sur prêt qu’il avait contracté au cours des années d'imposition 1999 à 2001. Le contribuable a soutenu qu’il avait affecté les fonds empruntés aux fonds de roulement de plusieurs de ses sociétés, que lesdites sociétés lui avaient procuré un revenu à la fois sous forme de profits et sous forme d'honoraires de consultant en gestion, et que les intérêts devaient donc être déductibles en application du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la LIR. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le contribuable ne s'était pas acquitté de son fardeau de prouver qu'il avait affecté à une utilisation admissible les fonds empruntés. En tirant cette conclusion, le juge de la Cour de l'impôt a indiqué que le contribuable n'avait pu produire les livres et documents comptables des diverses sociétés auxquelles il avait prêté les fonds empruntés. Au paragraphe 7 de ses motifs, le juge de la Cour de l'impôt a fait les observations suivantes :

7. Le témoignage de M. Scragg était à la fois confus et embrouillant. Il a indiqué à maintes reprises que SDC et 286603, ainsi que trois autres sociétés qui ont déjà exercé des activités dans l’industrie du divertissement, étaient des sociétés qui lui appartenaient, sans jamais dire clairement comment les actions étaient en fait réparties ou s’il détenait des actions assorties d’un droit de recevoir des dividendes. Il a dit que le dépôt du 7 août 1996 faisait partie de la somme empruntée, mais il n’a pu préciser ce qu’il avait fait de la somme restante de 76 596,59 $, affirmant simplement qu’il avait employé une somme d’environ 32 970 $ pour rembourser, à titre de caution, un prêt bancaire consenti à l’une de ses sociétés de production de films. Ici, comme sur d'autres points, il a été vague quant au montant exact de cette obligation dont il s'est acquitté.

 

[77]           C'est dans ce contexte que le juge de la Cour de l'impôt s'est appuyé sur l'arrêt Njenga, renvoyant plus particulièrement au paragraphe 3 des motifs du juge McDonald. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu ses motifs par les observations suivantes :

10. Je ne voudrais pas donner l’impression que M. Scragg n’a pas été un témoin honnête. Je ne doute nullement qu’il croyait très sincèrement avoir affecté l’argent emprunté à une utilisation admissible dans une ou plusieurs de ses sociétés. Tout au cours de son témoignage, il est toutefois apparu clairement qu’il n’avait pas un souvenir très net de la manière précise dont l'argent en question avait été employé, que ce soit au tout début ou durant toute la période de près de quatre ans entre l’emprunt initial et son remboursement. La qualité de la preuve que j’ai devant moi concernant l’emploi des fonds empruntés ne suffit tout simplement pas à justifier la déduction des intérêts qui ont été payés.

 

[78]           Dans Redrupp, le contribuable avait déduit des sommes importantes à titre de dépenses d'entreprise, de frais financiers et de pertes agricoles. Il avait également réclamé une provision à valoir sur le revenu et une déduction se rapportant à une créance douteuse. Le juge de la Cour de l'impôt a commencé son analyse en déclarant ce qui suit, au paragraphe 14 :

14. L'appelant fait face à des questions de crédibilité, de caractère raisonnable et de bon sens. Les montants en litige sont élevés et ils ne sont pas établis. La meilleure preuve serait une facture du créancier, un chèque oblitéré, un reçu ou une autre preuve de paiement. Or, la meilleure preuve n'a pas été soumise à la Cour.

 

[79]           Après s'être reporté aux observations formulées par le juge McDonald au paragraphe 3 de l'arrêt Njenga, le juge de la Cour de l'impôt a déclaré ce qui suit, au paragraphe 16 :

16. Je n'autoriserai pas la déduction des montants en litige en me fondant uniquement sur les tableaux et sur le témoignage oral de l'appelant. Certains montants en particulier commandent une vérification.

 

[80]           Ces décisions appuient la proposition voulant que, selon les circonstances de l'affaire, un contribuable puisse être tenu de présenter, outre son témoignage de vive voix, des documents justificatifs. Dans Njenga et Scragg, la cour n’était pas convaincue de la crédibilité des contribuables. Dans Redrupp, le juge de la Cour de l'impôt a estimé que la nature des demandes faites par le contribuable faisait en sorte qu’elles devaient être étayées par des documents.

 

[81]           En l'espèce, aucune conclusion de crédibilité n'a été tirée à l'égard du témoignage de M. Cole. Il importe également de signaler qu’en l’espèce, contrairement aux affaires Njenga, Scragg et Redrupp, l’appelant ne cherche pas à déduire des débours ou des dépenses, mais il tente plutôt de démontrer que les hypothèses du ministre selon lesquelles il a reçu 305 000 $ en 2003 étaient erronées. Plus précisément, le témoignage de M. Cole visait à expliquer pourquoi, à la fin de 2002, il n’y avait aucun placement de 305 000 $ dans le compte de Hunt River, et partant, que ce montant n'avait pas été versé en 2003 à l'appelant ou à son épouse. De plus, dans les décisions Njenga, Scragg et Redrupp, les juges de la Cour de l'impôt ont examiné de près les témoignages de vive voix présentés par les contribuables et se sont prononcés clairement sur la qualité de ces témoignages, ce que n’a pas fait le juge en chef adjoint en l’espèce.

 

[82]           Je conclus donc que la jurisprudence sur laquelle s'est fondé le juge en chef adjoint n'étaye pas son opinion selon laquelle le témoignage de vive voix de M. Cole pouvait être ignoré simplement parce qu'il n'avait pas produit de documents à l’appui.

 

[83]           Pour tous ces motifs, la conclusion de fait tirée par le juge en chef adjoint – que l'appelant a reçu en 2003 un avantage de 305 000 $ à titre d’actionnaire – constitue une erreur manifeste et dominante.

 

[84]           Étant donné que je conclus que l’appelant a présenté une preuve prima facie « démolissant » les hypothèses du ministre, à savoir que Hunt River détenait un placement de 305 000 $ à la fin de 2002 et qu'elle a transféré ce placement à l'appelant en 2003, et que le ministre n'a pas réfuté la preuve de l'appelant, il n'est pas nécessaire que je détermine si la somme de 305 000 $ a, en droit, été transférée à l'appelant ou à son épouse.

 

Décision

[85]           Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel de la décision en matière d’impôt avec dépens, j'annulerais le jugement du juge en chef adjoint et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j'accueillerais l'appel de la nouvelle cotisation établie par le ministre pour l'année d'imposition 2003 et je renverrais l'affaire au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen conformément aux présents motifs.

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            John M. Evans, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Carolyn Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


cour d'appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-261-09

 

 

Intitulé :                                                                           CLYDE HOUSE c. S.M.L.R.

 

Lieu de l'audience :                                                     St. John's (Terre-Neuve)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                                   LE 1er JUIN 2011

 

Motifs du jugement de la cour :                       LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EVANS

                                                                                                LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 11 AOÛT 2011

 

 

Comparutions :

 

Wayne White

Pour l'appelant

 

Martin Hickey

Pour l’intimée

 

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Cole Law Offices

St. John's (Terre-Neuve)

 

Pour l'appelant

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

 

 


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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-262-09

 

 

Intitulé :                                                                           CLYDE HOUSE c. S.M.L.R.

 

Lieu de l'audience :                                                     St. John's (Terre-Neuve)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                                   LE 1er JUIN 2011

 

Motifs du jugement de la cour :                       LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EVANS

                                                                                                LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 11 AOÛT 2011

 

 

Comparutions :

 

Wayne White

Pour l'appelant

 

Martin Hickey

Pour l’intimée

 

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Cole Law Offices

St. John's (Terre-Neuve)

 

Pour l'appelant

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

 

 

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