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Date : 20110630

Dossier : A-344-10

Référence : 2011 CAF 219

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

LA SUCCESSION DU DÉFUNT DONALD MILLS

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Entendu à Montréal (Québec), le 9 juin 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 juin 2011.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                  LE JUGE MAINVILLE

 

 


Date : 20110630

Dossier : A-344-10

Référence : 2011 CAF 219

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

LA SUCCESSION DU DÉFUNT DONALD MILLS

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par la succession du défunt Donald Mills (l’appelante) d’une décision de la Cour de l’impôt du Canada, 2010 CIC 443, datée du 26 août 2010, par laquelle la juge Sheridan (la juge) a rejeté les appels formulés par l’appelante à l’encontre des nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1999 à 2002 de M. Mills.

 

[2]               Plus particulièrement, la juge a conclu que le solde d’un billet à ordre d’un montant de 10 588 133 $ émis à l’intention de M. Mills par 100935 Canada Inc. ne constituait pas une « créance[] » de M. Mills aux termes du sous-alinéa 20(1)p)(i) de la Loi sur l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

 

[3]               La question à trancher dans le cadre du présent appel est celle de savoir si l’appelante peut demander une déduction conformément au sous-alinéa 20(1)p)(i).

 

Les faits

[4]               Monsieur Mills était, directement ou indirectement, l’unique actionnaire et administrateur de 3742878 Canada Inc. et de 100935 Canada Inc.

 

[5]               Le 1er mai 2000, il a vendu 21 500 000 actions ordinaires de 3742878 Canada Inc. pour la somme de 11 653 000 $ payée en émettant en faveur de l’appelante un billet à ordre ne portant pas intérêt (le billet à ordre) d’un montant équivalant au prix d’achat.

 

[6]               Au moment de la cession, l’appelante n’avait aucun lien de dépendance avec 100935 Canada Inc. Puisqu’il n’y avait aucun lien de dépendance dans le cadre de la cession, suivant l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi, un dividende de 11 222 515 $ (le prix d’achat, déduction faite du coût des actions) était réputé avoir été payé par 100935 Canada Inc. et reçu par M. Mills. Monsieur Mills a dûment déclaré ce dividende dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000, y compris le montant prévu à l’alinéa 12(1)j) de la Loi.

 

[7]               Les opérations effectuées par M. Mills faisaient partie d’une série d’opérations qu’il a réalisée dans le cadre de l’acquisition de Newbridge Network Corporation par Alcatel, une société française. La valeur des actions de M. Mills dans Newbridge, au moment pertinent, était d’environ 43 000 000 $.

 

[8]               Entre 2000 et 2002, après l’éclatement de la bulle du secteur de la technologie, la valeur des actifs de 100935 Canada Inc. a chuté considérablement.

 

[9]               En octobre 2002, M. Mills a exigé le paiement du billet. 100935 Canada Inc. a transféré certains actifs à M. Mills à titre de remboursement partiel, mais, à la fin de l’année d’imposition 2002, M. Mills a estimé que le solde dû relativement au billet était de 10 588 133 $.

 

[10]           Lorsqu’il a produit sa déclaration de revenus pour 2002, M. Mills a déclaré une déduction de 10 588 133 $ au titre d’une créance irrécouvrable conformément au sous-alinéa 20(1)p)(i) de la Loi. Le ministre a refusé la déduction.

 

Décision de la Cour de l’impôt

[11]           La seule question que le juge devait trancher était de savoir si la troisième condition prévue au sous-alinéa 20(1)p)(i) de la Loi avait été respectée. Pour qu’une créance soit déductible au titre de ce sous-alinéa, le contribuable doit démontrer que : (i) une créance lui est due; (ii) la créance est devenue irrécouvrable au cours de l’année; et (iii) la créance est incluse dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure.

 

[12]           Devant le juge, les parties ont convenu, comme elles l’ont fait devant nous, que les deux premières conditions ont été respectées. En d’autres termes, à la fin de l’année d’imposition 2002, un montant de 10 588 133 $ était dû à M. Mills et ce montant est devenu irrécouvrable au cours de l’année. Par conséquent, il ne restait plus qu’à déterminer si la créance était incluse dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure.

 

[13]           La juge a rejeté l’appel interjeté par l’appelante. Tout d’abord, elle a fait valoir que la décision de notre Cour dans Terrador Investments et autres c. La Reine, [1999] 3 C.T.C. 520 (C.A.F.), 243 N.R. 176 (C.A.F.) (Terrador), était applicable (par. 21 des motifs de la juge). Dans cette décision, deux contribuables avaient vendu leurs actifs et reçu des billets à ordre en retour. La Cour a conclu que les contribuables avaient volontairement choisi, conformément au paragraphe 93(1) de la Loi, de considérer une partie du produit de la disposition à titre de « dividende réputé reçu » (par. 13 des motifs de la juge). Par conséquent, lorsque le dividende réputé reçu a été inclus dans le revenu des contribuables, conformément à l’alinéa 12(1)k), il a été inclus à titre de « dividende payé ». Étant donné que la Loi prévoit que le dividende réputé a été payé et reçu, il ne peut s’agir en même temps d’une « créance douteuse » ou d’une « mauvaise créance ». Ce qui est réputé avoir été payé ne peut pas également être considéré comme étant dû (Terrador, par. 18, 19 et 20).

 

[14]           Ensuite, le juge a statué que les différences entre l’arrêt Terrador et l’affaire dont elle est saisie n’étaient pas pertinentes. Dans l’arrêt Terrador, les contribuables ont choisi de considérer le produit à titre de dividende réputé reçu conformément au paragraphe 93(1) de la Loi. En revanche, l’alinéa 84.1(1)b) n’est pas une disposition facultative, mais une disposition anti‑évitement obligatoire (par. 22 des motifs de la juge). La juge a souligné que le fait que la disposition était d’application obligatoire n’était pas pertinent (par. 24 des motifs du juge). À son avis, M. Mills aurait pu contourner l’application de l’alinéa 84.1(1)b), mais a décidé de ne pas le faire. S’il n’avait pas choisi de convertir son gain en capital en dividende réputé reçu, il aurait pu déclarer une perte en capital (par. 25 des motifs de la juge). Monsieur Mills a plutôt déclenché l’application de la disposition pour des motifs de planification fiscale (par. 22 des motifs de la juge). Ce choix a entraîné certains avantages et désavantages, et l’appelante devait en accepter les conséquences.

 

[15]           La juge a également souligné que, comme dans l’arrêt Terrador, le dividende réputé reçu n’était pas exactement équivalent au montant du billet à ordre (par. 26 et 27 des motifs de la juge). Après tout, l’alinéa 24.1(1)b) contient une formule servant à calculer le montant du dividende réputé reçu et la seule variable de cette formule est la contrepartie reçue. Quoi qu’il en soit, cette partie de l’analyse de la Cour dans l’arrêt Terrador n’était, selon la juge, qu’un complément à la conclusion essentielle portant qu’un montant qui est réputé avoir été payé ne peut pas simultanément être considéré comme étant dû, et vice-versa (par. 27 des motifs de la juge). Lorsque la disposition contenant la présomption est devenue applicable, le montant inclus dans le revenu du contribuable conformément à l’alinéa 12(1)i) a été considéré comme un dividende payé et ne pouvait donc pas également être une « créance » pouvant être déduite conformément à l’alinéa 20.1p)(i).

 

Question en litige

[16]           La seule question à trancher dans le cadre du présent appel est de savoir si le juge a eu raison de conclure que la déduction au titre d’une créance irrécouvrable devrait être refusée.

 

Analyse

A.        Norme de contrôle

[17]           La présente affaire concerne un appel d’une décision de première instance. Par conséquent, les normes de contrôle établies par la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), sont applicables. Les conclusions relatives à des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit ne peuvent être infirmées que si le juge a commis une « erreur manifeste et dominante ». Les conclusions relatives à des questions de droit pur peuvent être infirmées si elles sont erronées.

 

B.        La juge a-t-elle eu raison de conclure que la déduction au titre d’une créance irrécouvrable ne devrait pas être acceptée?

 

[18]           Comme je l’ai déjà mentionné, les parties ont convenu devant le juge, tout comme elles l’ont fait devant nous, que la seule question concernant l’applicabilité du sous-alinéa 20(1)p)(i) est de savoir si la créance était incluse dans le calcul du revenu de M. Mills pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure (par. 42 et 43 du mémoire des faits et du droit de l’appelante; par. 19 et 20 du mémoire des faits et du droit de l’intimée).

 

[19]           Je souscris entièrement à l’opinion de la juge et j’ai peu de chose à ajouter à son raisonnement sur ce point. Plus particulièrement, je suis d’accord avec elle, suivant l’arrêt Terrador, que compte tenu du fait que le dividende a été inclus dans le revenu de M. Mills pour 2000 à titre de dividende payé, ce montant ne pouvait pas, simultanément, constituer une créance irrécouvrable au sens du sous-alinéa 20(1)p)(i). Au paragraphe 28 de ses motifs, la juge a formulé le raisonnement suivant :

[28]  Il en découle que c’est, en application de l’alinéa 84.1(1)b), un dividende réputé avoir été entièrement versé, et non une « créance » comme l’exige le sous-alinéa 20(1)p)(i), qui a été inclus dans le revenu en 2000 au titre de l’alinéa 12(1)j) de Loi. Selon les propos du juge Décary, cité ci-dessus, « Ce qui est réputé avoir été payé ne peut pas également être considéré comme étant dû ».

 

[20]           L’appelante présente un certain nombre d’arguments, que j’exposerai brièvement dans les paragraphes qui suivent.

 

[21]           Tout d’abord, elle soutient que l’alinéa 84.1(1)b) « crée une fiction légale » en vertu de laquelle la Loi considère un dividende comme étant payé même si ce dividende n’a pas nécessairement été payé, comme en l’espèce. Ce qui pousse l’appelante à affirmer que [traduction] « bien que le revenu est réputé avoir été payé aux fins de la Loi, légalement, une créance est toujours due à l’appelante » (par. 50 du mémoire des faits et du droit de l’appelante). Dans R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S 838, p. 845, la Cour suprême du Canada a formulé les observations suivantes concernant les dispositions déterminatives :

[…] Une disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu’une chose n’est pas ce qu’elle est censée être, mais décrète qu’à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu’elle n’est pas ou ne semble pas être. Par cet artifice, une disposition déterminative donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu’on leur reconnaît habituellement et qu’il conserve là où on l’utilise; elle étend la portée de ce mot ou de cette expression comme le mot « comprend » dans certaines définitions; cependant, en toute logique, le verbe « comprend » n’est pas adéquat et sonne faux parce que la disposition crée une fiction.

 

[Je souligne.]

 

[22]           Je ne peux que souscrire à l’opinion de l’appelante, qui affirme que l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi crée une fiction légale. C’est exactement le but de cette disposition. Une fiction légale valide sur le plan constitutionnel est une fiction légale applicable. Par conséquent, même si M. Mills n’a pas en fait reçu le dividende, suivant la disposition, on considère que le dividende lui a été payé. Faire valoir que la disposition créée une fiction ne fait rien pour avancer la cause de l’appelante.

 

[23]           Ensuite, l’appelante soutient qu’elle a le droit légal de réclamer à 100935 Canada Inc. devant un tribunal civil ou de faillite le remboursement du solde qui lui est dû sur le billet. Bien que cet énoncé soit vrai, c’est-à-dire que la créance est toujours, en fait, due et peut être perçue au moyen des mécanismes courants, l’alinéa 84.1(1)b) crée une présomption selon laquelle dans le calcul du revenu de l’appelante aux fins de l’impôt, le produit résultant de la disposition des actions doit être considéré comme un dividende réputé avoir été payé par 100935 Canada Inc. et réputé avoir été reçu par M. Mills. Le fait que, à d’autres fins, le billet sera considéré comme étant dû ne change rien aux incidences de la disposition déterminative.

 

[24]           L’appelante prétend que dans la décision Cloverdale Paint Inc. c. R., 2006 CCI 628, (2007) 2 D.T.C. 2024, la Cour de l’impôt a conclu, dans le contexte d’une disposition similaire de la Loi – soit le paragraphe 20(1) – qu’une créance réputée incluse dans le revenu du contribuable pouvait être déduite. Selon moi, cette décision n’est pas convaincante pour deux raisons. Tout d’abord, elle n’est pas conforme à l’arrêt Terrador. Deuxièmement, ce qui est réputé être inclus dans le revenu de l’appelante au titre de l’alinéa 84.1(1)b) est un dividende et non une créance.

 

[25]           L’appelante fait ensuite valoir qu’un montant peut à la fois être réputé payé et reçu et être toujours considéré comme une « créance » aux fins du sous-alinéa 20(1)p)(i). Cette prétention, en tout respect, n’est pas conforme à l’opinion de la Cour dans l’arrêt Terrador.

 

[26]           L’appelante soutient également que l’arrêt Terrador n’est pas applicable à la présente espèce. Elle affirme que, contrairement à l’arrêt Terrador, l’application de l’alinéa 84.1(1)b) n’était pas volontaire, que le billet était l’unique contrepartie payée pour les actions et que M. Mills a payé des impôts sur ce dividende réputé reçu.

 

[27]           À mon avis, aucun de ces arguments n’est convaincant. Je souscris à l’analyse du juge à l’égard de l’argument fondé sur le caractère volontaire portant que bien que l’application de l’alinéa 84.1(1)b) ne soit pas volontaire, M. Mills aurait pu facilement éviter de déclencher l’application de cette disposition. Je suis également d’accord avec le juge pour dire que le type et le montant de la contrepartie ne sont pas des éléments pertinents.

 

[28]           Enfin, le fait que M. Mills a payé des impôts sur cette opération, contrairement aux contribuables dans l’arrêt Terrador, n’est pas pertinent. Les opérations dans les deux cas n’étaient pas les mêmes et ont donc été traitées différemment en vertu de la Loi. Des traitements fiscaux différents dans ces deux contextes différents entraînent des montants exigibles différents aux fins de l’impôt.


Dispositif

[29]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel sans frais.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-344-10

 

 

INTITULÉ :                                                               SUCESSION DE FEU DONALD MILLS c.

                                                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 9 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE PELLETIER

                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 30 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wilfrid Lefebvre

Vincent Dionne

 

POUR L’APPELANTE

 

Natalie Goulard

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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