Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20110628

Dossier : A-367-09

Référence : 2011 CAF 216

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

JACYNTHE DESCHÊNES

appelante

et

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 21 mars 2011.

Jugement rendu à Ontario (Ontario), le 28 juin 2011.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE NOËL

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20110628

Dossier : A-367-09

Référence : 2011 CAF 216

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

 

JACYNTHE DESCHÊNES

appelante

et

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel d’un jugement du juge Martineau de la Cour fédérale (le « juge »), 2009 CF 799, rejetant la demande de révision judiciaire de l’appelante déposée à l’encontre d’une décision en date du 28 juin 2007 rendue par Me Jacques Bélanger (l’ « arbitre »), arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, 1985 ch. L-2 (le « Code »).

 

[2]               Plus particulièrement, l’arbitre rejetait deux plaintes déposées par l’appelante contre son employeur, l’intimée la Banque canadienne impériale de commerce (la « Banque »), suite à la cessation de son emploi le 26 janvier 1998. La première plainte de l’appelante est à l’effet qu’elle a été congédiée de façon injuste par la Banque, alors que par sa deuxième plainte, l’appelante réclame des commissions impayées, des heures supplémentaires, ainsi qu’une prime de rendement et des certificats d’option d’achat d’actions de son employeur auxquels elle prétend avoir droit.

 

Les faits

[3]               Un bref résumé des faits sera utile à une bonne compréhension des points en litige.

 

[4]               De septembre 1989 jusqu’au 25 janvier 1998, l’appelante était à l’emploi de la Banque. À compter de 1995, elle occupa le poste de spécialiste en placements.

 

[5]               La rémunération d’un/une spécialiste en placements était la suivante. Elle recevrait, en outre d’un salaire de base, des commissions payables en fonction du volume total des ventes qui lui étaient attribuables. En d’autres mots, un système de compensation incitatif constituait la pierre angulaire du système de rémunération. Plus particulièrement, la spécialiste en placements recevrait des commissions si elle atteignait des ventes brutes de 17 500 000 $, consistant en de « l’argent neuf » venant d’autres institutions financières.

 

[6]               Deux objectifs étaient visés par ce montant de ventes, soit le placement de 11 000 000 $ de ces argents provenant de l’extérieur en vendant des produits de la Banque « non-marché monétaire » et le placement de 6 500 000 $ de ces argents dans des produits de la Banque spécifiés dans un document intitulé Régime de rémunération lié aux résultats. La spécialiste en placements qui rencontrait ces objectifs se mériterait un boni de 12 000 $ et une majoration du pourcentage de paiements des commissions payables sur les ventes au dessus de 11 000 000 $. Dans certains cas, une prime de fin de l’année pouvait s’ajouter.

 

[7]               Un élément crucial régissant le travail de la spécialiste en placements était que cette dernière devait, après planification avec le client et l’obtention de son consentement au transfert de ses fonds à la Banque, faire en sorte que les fonds étaient bel et bien reçus par la Banque et investis tel que convenu avec le client. Cette tâche accomplie, la spécialiste en placements devait alors produire des rapports de ventes conformément aux directives apparaissant dans un document intitulé Sales Reporting and Measurements.

 

[8]               Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, la spécialiste en placements était soumise à des règles de déontologie énoncées dans un document intitulé Politiques et procédures de déontologie à l’intention des spécialistes en placements. Au paragraphe 27 de ses motifs, l’arbitre énonçait ce qui suit à l’égard des principes de déontologie s’appliquant à la spécialiste en placements :

27.     Dans le cadre de sa nouvelle responsabilité de spécialiste en placements, la plaignante était soumise à des règles de déontologie telles qu’il appert d’un document intitulé « Politiques et procédures de déontologie à l’intention des spécialistes en placements ». La plaignante a signé une déclaration en date du 6 avril 1997, ayant pris connaissance et accepté le contenu dudit document de déontologie. L’article 4 dudit document spécifie que le spécialiste en placements doit agir de bonne foi, honnêtement et équitablement avec les clients. Il doit aussi respecter le caractère confidentiel des opérations de l’acheteur et agir dans le meilleur intérêt de celui-ci. Enfin, il doit éviter de se retrouver en conflit d’intérêts avec le client et la CIBC. Le tout est plus amplement élaboré à l’annexe IV dudit document. De plus, cela explique au spécialiste en placements son rôle au niveau de la planification des placements, la tenue des comptes et nous retrouvons à son annexe II la liste des produits approuvés à l’intention des spécialistes.

 

[9]               Tel que je l’indiquais plus tôt, l’emploi de l’appelante auprès de la Banque s’est terminé le 26 janvier 1998. Les circonstances afférentes à cet événement sont les suivantes.

 

[10]           Le 11 décembre 1997, l’appelante prenait connaissance du fait que la Banque s’était engagée dans un processus visant à vérifier toutes ses transactions de 1997 et qu’au-delà de 80% de ces transactions étaient remises en question. Une vente de 1 200 000 $ apparaissant dans le rapport de ventes de l’appelante pour octobre 1997 (client : Samuel W.) constituait l’élément déclencheur de la vérification entreprise par la Banque. Selon le rapport de ventes de l’appelante, cette somme aurait été investie dans des obligations du gouvernement par son client. Vu l’importance de cet investissement et le fait que l’investissement ne pouvait être retrouvé par la Banque, la Direction de la Banque au siège social de Toronto décidait d’examiner de façon attentive tous les rapports de ventes de l’appelante pour l’année 1997.

 

[11]           Au cours de sa vérification, la Banque demandait à l’appelante de fournir des explications concernant de nombreuses erreurs apparaissant dans ses rapports de ventes. Au début de janvier 1998, vu la situation précaire de l’appelante, M. Gilbert Aura, son superviseur immédiat, lui conseillait de se concentrer sur son année 1997 afin qu’elle puisse expliquer de façon satisfaisante les erreurs découvertes par la Banque. En outre, M. Aura avisait l’appelante de délaisser pour l’instant toutes rencontres avec de nouveaux clients.

 

[12]           Le 26 janvier 1998, n’étant pas satisfaite des explications fournies par l’appelante, la Banque, par l’entremise de M. Aura, mettait fin à son emploi et lui demandait de rembourser les commissions que la Banque considérait lui avoir payées en trop, soit une somme de 24 000 $ brut ou 10 000 $ net. Trois jours plus tard, l’appelante remboursait la somme de 10 000 $ à la Banque.

 

[13]           Le 20 mars 1998, l’appelante déposait une plainte de congédiement injustifié en vertu de l’article 240 du Code et le 18 décembre 1998, elle demandait au Ministre du Travail de procéder à la nomination d’un arbitre. Le 8 février 1999, l’arbitre recevait le mandat d’agir à titre d’arbitre pour entendre la plainte de congédiement injustifié de l’appelante.

 

[14]           Le 3 juillet 1998, l’appelante déposait une réclamation pour commissions impayées et autres avantages et demandait, le 17 mars 1999, que cette réclamation soit aussi référée à l’arbitrage. En ce qui concerne cette réclamation, l’Inspecteur de Développement aux Ressources humaines Canada (l’ « inspecteur »), le 17 mars 1999, émettait une ordonnance de paiement au montant de 46 617,38 $ à l’encontre de la Banque qui, le même jour, déposait cette somme auprès du Receveur général du Canada.

 

[15]           Au mois de septembre 1999, les parties convenaient que l’arbitre soit saisi des deux plaintes de l’appelante.

 

Décision de l’arbitre

[16]           Le 26 juin 2007, après 90 jours d’audition durant lesquels 30 témoins ont été entendus, dont 26 à la demande de l’appelante, et le dépôt de 350 documents, l’arbitre rendait une décision de 251 pages (1673 paragraphes) soutenant la validité du congédiement de l’appelante et rejetant sa réclamation monétaire (Deschênes c. Banque canadienne impériale de commerce, 2007 DATC 215.

 

[17]           Après une courte introduction l’arbitre, aux paragraphes 9 à 61 de ses motifs, résumait les faits pertinents. Ensuite, du paragraphe 62 au paragraphe 351, il passait en revue la preuve mise de l’avant par l’employeur, soit les témoignages des personnes suivantes : Jacynthe Deschênes, Maura Levine, Elizabeth Marshall et Gilbert Aura. Puis, l’arbitre faisait le même exercice à l’égard de la preuve soumise par l’appelante, soit 26 témoignages, dont trois témoins qui témoignaient deux fois.

 

[18]           Par la suite, du paragraphe 721 au paragraphe 859, l’arbitre s’attardait au contre-interrogatoire de l’appelante. Subséquemment, aux paragraphes 860 à 1105 de ses motifs, il relatait la preuve déposée par l’appelante en réplique.

 

[19]           Ayant complété un examen approfondi et minutieux de la preuve présentée par les parties, l’arbitre, aux paragraphes 1106 à 1356 de ses motifs, faisait un sommaire détaillé de l’argumentation de l’appelante et de la Banque pour en venir à son analyse.

 

[20]           Du paragraphe 1357 au paragraphe 1438, l’arbitre se penchait sur la première plainte de l’appelante, soit celle portant sur son congédiement. Après une analyse détaillée de la preuve et des principes applicables, il concluait, au paragraphe 1438, que le lien de confiance entre la Banque et l’appelante avait été brisé de façon irrémédiable et que, par conséquent, la plainte de congédiement devait être rejetée.

 

[21]           À compter du paragraphe 1439 de ses motifs, l’arbitre considérait la deuxième plainte de l’appelante. Plus particulièrement, du paragraphe 1487 au paragraphe 1672, il examinait de façon détaillée toutes les ventes à l’égard desquelles l’appelante allégeait avoir droit à des commissions. Au paragraphe 1670, l’arbitre concluait que la Banque avait payé en trop à l’appelante la somme de 19 385,53 $. Ses propos sont les suivants :

1670.     La pièce E-33 rapporte le fait non contesté du paiement préalable de 33,835.24$ de commissions à la plaignante en novembre 1997. Les calculs après ajustements effectués en annexe de E-33 nous indiquent que des commissions de 9,185.65$ étaient dues à la plaignante. Si on additionne la somme de 5,264.06 à ces commissions, nous avons un nouveau total dû en commission de 14,449.71$. Si on soustrait de la somme payée à la plaignante de 33,835.24$ la somme de 14,449.71$ de commissions dues, cela nous donne une somme payée en trop à la plaignante de 19,385.53$. Si on enlève les impôts de 50% payable sur ce type de revenu, cela nous donne la somme de 9,692.77$ due par la plaignante à la CIBC. La CIBC avait effectué un calcul des plus justes en 1998 lorsqu'on a demandé à la plaignante de payer à la CIBC une somme de 10,000$ en commissions trop payées.

 

[22]           Au paragraphe 1671 de ses motifs, l’arbitre disposait de la réclamation de l’appelante concernant les heures supplémentaires et les certificats d’option d’achat d’actions de la Banque dans les termes suivants :

1671.    Concernant les autres demandes de la plaignante pour des heures supplémentaires et des certificats d'option d'achat d'actions de la CIBC, il n'y a rien qui m'a été déposé en preuve justifiant la légitimité de ces demandes. De plus, les certificats d'option d'achat d'actions concerne ce qu'on appelle le "Prix du Président" et demeure à la discrétion de l'employeur comme tout autre avantage semblable dans une entreprise.

 

[23]           Finalement, au paragraphe 1673 de ses motifs, l’arbitre rejetait les deux plaintes de l’appelante. En outre, il annulait l’ordre de paiement imposé par l’inspecteur en date du 17 mars 1999 et il ordonnait le remboursement à la Banque des argents consignés auprès du Receveur général du Canada.

 

 

Décision de la Cour fédérale

[24]           Le juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelante. Ses motifs à l’appui de cette conclusion peuvent se résumer comme suit.

 

[25]           S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), le juge s’est dit d’avis que la norme applicable était celle de la décision raisonnable (paragraphes 12 et 13).

 

[26]           Après avoir déterminé la norme applicable, le juge s’est penché sur la plainte de congédiement de l’appelante. À son avis, la décision de l’arbitre était raisonnable (paragraphe 18).

 

[27]           Après constatation du principe selon lequel un bris du lien de confiance entre un employeur et son employé pouvait justifier le congédiement de l’employé, le juge indiquait que des circonstances, autres que la fraude, pouvaient mener à un bris du lien de confiance, telle la négligence grave. Selon le juge, chaque cas était un cas d’espèce et il incombait à l’arbitre de déterminer, compte tenu des circonstances devant lui, quelle conclusion était appropriée (paragraphe 19).

 

[28]           Puis, au paragraphe 24 de ses motifs, le juge faisait état de la conclusion de l’arbitre selon laquelle les nombreuses erreurs découvertes par la Banque dans les rapports de ventes de l’appelante pour l’année 1997, nonobstant l’absence d’une preuve de fraude de la part de cette dernière, constituaient, dans les circonstances de l’espèce, de l’insouciance, de l’évitement et de la déresponsabilisation de la part de l’appelante. En outre, le juge notait qu’en raison de cette conclusion, l’arbitre avait conclu que le lien de confiance entre la Banque et l’appelante était irrémédiablement brisé.

 

[29]           Suite à cette constatation, le juge examinait les motifs de l’arbitre à l’appui de sa conclusion. Il notait qu’il ne pouvait faire de doute que l’arbitre avait pleinement considéré l’ensemble de la preuve présentée par les parties. Il notait aussi qu’à l’égard de cette preuve, l’arbitre avait mené une analyse approfondie et détaillée. Il notait en outre que la conclusion de l’arbitre à l’effet que le lien de confiance avait été irrémédiablement brisé s’appuyait en grande partie sur le fait que les rapports de ventes de l’appelante pour l’année 1997 contenaient de multiples erreurs, soit des rapports erronés, non-fondés, exagérés ou soumis hors les délais prescrits par la Banque, ces retards n’ayant aucunement été justifiés par l’appelante.

 

[30]           Enfin, le juge concluait que l’analyse de l’arbitre « … ne révèle sur ce point crucial aucune conclusion déraisonnable » (paragraphe 26).

 

[31]           Puis, aux paragraphes 27 à 36 de ses motifs, le juge examinait attentativement la démarche de l’arbitre, qu’il qualifiait de minutieuse et exhaustive. Au paragraphe 35 de ses motifs, le juge s’exprimait comme suit :

[35]     Ce résumé sommaire de la démarche entreprise par l’arbitre nous révèle l’envergure de son analyse et la considération attentive qu’il porte à la preuve soumise de part et d’autre. Par conséquent, la conclusion de l’arbitre selon laquelle il y a eu, avec justesse, rupture du lien de confiance est amplement motivée et ne peut en aucun cas être jugée déraisonnable et ce, même si cette Cour pourrait parvenir à une conclusion différente selon la preuve rapportée par l’arbitre. Bref, il suffit que l’appréciation des faits par l’arbitre s’appuie rationnellement sur la preuve soumise. En l’espèce et l’examen complet et motivé qu’il en fait dans la sentence contestée ne convainc que l’arbitre n’a commis aucune erreur révisable.

 

[32]           Aux paragraphes 36 et 37 de ses motifs, le juge se disait d’avis que l’arbitre avait bien compris et appliqué la jurisprudence pertinente au bris du lien de confiance entre un employeur et son employé. En outre, le juge faisait état de la jurisprudence selon laquelle ce lien de confiance était particulièrement important dans les affaires bancaires/financières. Aux paragraphes 36 et 37, il écrivait :

[36]     Ce qui nous amène au deuxième motif de révision soumis par la demanderesse, soit l’interprétation erronée par l’arbitre des principes jurisprudentiels applicables dans le domaine bancaire permettant de confirmer un congédiement pour cause de rupture du lien de confiance en l’absence d’une progression des sanctions. Sur ce point, l’arbitre cite avec justesse les décisions Banque de Montréal (Saint-Hubert) c. Saint-Michel, 1999 D.A.T.C. no 480;  Forget c. Banque Laurentienne du Canada, [2001] D.A.T.C. no 39 et Banque Nationale du Canada c. Diane Lepire, 2004 CF 1555 (BNC c. Lepire), citée dans la sentence contestée soulignant toutes l’importance du lien de confiance et la gravité d’un manquement aux règles de conduite concernant une personne œuvrant dans une institution financière.

 

[37]     Il n’y a pas lieu d’intervenir sur ce point, la conclusion de l’arbitre me semble encore une fois raisonnable compte tenu de l’état du droit sur cette question. Il importe de souligner les paragraphes 1126 et 1127 de la décision contestée où l’arbitre reprend la preuve quant à « l’existence d’un système d’honneur où l’on exigeait un grand lien de confiance entre le spécialiste en placements, les directeurs de comptes et l’équipe de Toronto », et donc « la nécessité pour le spécialiste en placements de démontrer une grande intégrité ».

 

[33]           Finalement, à son paragraphe 40, le juge indiquait que les erreurs commises par l’appelante durant une longue période, erreurs que l’appelante n’avait pas justifiées, ne pouvaient se qualifier autrement que par leur gravité. Ceci menait le juge à conclure que la conclusion de l’arbitre était raisonnable et qu’il n’y avait pas lieu pour lui d’intervenir.

 

[34]           Par la suite, le juge examinait la deuxième plainte de l’appelante, soit celle concernant sa réclamation monétaire pour commissions non payées et autres bénéfices auxquels elle prétendait avoir droit en raison des règles administratives de la Banque en vigueur à l’époque. Le juge commençait son analyse en faisant état de l’argument de l’appelante selon lequel l’arbitre avait omis de statuer sur 16 dossiers. Selon le juge, cet argument de l’appelante était sans fondement puisqu’il ne pouvait faire de doute que l’arbitre avait examiné « … l’ensemble des dossiers prétendument omis » (paragraphe 44).

 

[35]           Quant aux arguments de l’appelante fondés sur le document qu’elle a préparé et produit sous la cote E-39, soit CORE Products Audit Fiscal 1997, un document concernant les placements admissibles à l'obtention par la spécialiste en placements de bonis et d'une prime sur les commissions si elle atteignait une somme de 6 500 000 $ de ces placements, le juge concluait que ce document avait été préparé pour l’audience devant l’arbitre et que ce dernier n’était nullement lié par les chiffres y apparaissant. Le juge ajoutait que l’arbitre avait sans aucun doute tenu compte de ce document lorsqu’il avait analysé les transactions sur lesquelles s’appuyait l’appelante au soutien de sa réclamation. Au paragraphe 47 de ses motifs, le juge écrivait ce qui suit :

[47]     Bref, après avoir évalué chacun des dossiers sur la base desquels la réclamation monétaire de la demanderesse était fondée, l’arbitre a conclu au rejet de la réclamation, soit en raison du manque de preuve pour supporter la réclamation ou parce que la transaction ne constituait pas une vente éligible à la commission ou encore parce qu’il fut indiqué que la demanderesse avait déjà bénéficié de la commission réclamée.

 

[36]           À son paragraphe 48, après constatation du rejet par l’arbitre de toutes les réclamations à l’égard desquelles il était d’avis que l’appelante n’avait pas fourni une preuve documentaire confirmant « … que la vente pour laquelle une commission était réclamée avait été effectuée et donnait droit à cette commission », le juge traitait de l’argument de l’appelante selon lequel l’arbitre avait enfreint une règle d’équité procédurale « … en exigeant de sa part une preuve documentaire de ses réclamations qu’elle n’était pas en mesure de fournir, les documents étant en possession de la défenderesse ». Selon le juge, l’arbitre nommé en vertu du Code était maître de la preuve et de la procédure et, par conséquent, pouvait exiger un commencement de preuve par écrit avant de permettre une preuve testimoniale visant à prouver la justesse des réclamations. Au paragraphe 50 de ses motifs, le juge reproduisait le paragraphe 1488 des motifs de l’arbitre, où l’arbitre s’exprimait comme suit :

[1488]     Je dois préciser au départ que concernant cette plainte monétaire, la plaignante a fardeau de prouver que des commissions lui sont dues. La preuve testimoniale n'est pas suffisante pour prouver ses ventes, elle doit déposer des documents provenant de la CIBC qui pourraient constituer un commencement de preuve par écrit.

 

[37]           Finalement, au paragraphe 57 de ses motifs, le juge traitait de l’argument de l’appelante selon lequel certains propos de l’arbitre donnaient naissance à une crainte raisonnable de partialité. Le juge s’exprimait comme suit :

[57]     À l’audience, la demanderesse a également mis en doute la neutralité de l’arbitre. Cette accusation très grave n’est pas alléguée ni développée dans les procédures antérieures. Essentiellement, la demanderesse reproche les commentaires désobligeants formulés à son endroit par l’arbitre dans la décision contestée, comme le fait qu’elle était dans "la chaleur de son foyer", la "demanderesse et ses excuses" et son "attitude rocambolesque" autour de son congédiement. Ceci étant dit, une allégation de partialité est très sérieuse d’un côté comme de l’autre et on ne doit pas la traiter à la légère. La question est de savoir si cela crée objectivement chez une personne bien informée une apparence raisonnable de partialité. Ici je ne crois pas que ce soit le cas si l’on considère l’ensemble de la décision qui fait quelque 500 pages. Peut-être y a-t-il eu certains commentaires malheureux mais ceci est non suffisant en l’espèce pour susciter une crainte raisonnable de partialité.

 

[38]           Au paragraphe 58 de ses motifs, le juge rejetait, avec dépens, la demande de révision judiciaire de l’appelante.

 

Les points en litige

[39]           L’appel soulève les questions suivantes :

1.                  Le juge a-t-il erré en concluant que la décision de l’arbitre à l’égard de la plainte de congédiement injustifié était raisonnable?

2.                  Le juge a-t-il erré en concluant que la décision de l’arbitre rejetant la réclamation monétaire de l’appelante était raisonnable?

3.                  Le juge a-t-il erré en rejetant les allégations de l’appelante selon lesquelles la conduite de l’arbitre durant le cours de l’audience donnait naissance à une crainte raisonnable de partialité?

 

Analyse

[40]           Comme je l’indiquais plus tôt, le juge, s’appuyant sur la décision de la Cour suprême dans Dunsmuir, a conclu que la norme applicable en l’instance était celle de la décision raisonnable. À mon avis, compte tenu des clauses privatives que l’on retrouve au Code et l’expertise de l’arbitre nommé en vertu du Code, et compte tenu du fait que les questions devant l’arbitre étaient principalement des questions de fait, il ne peut faire de doute que le juge n’a pas erré en concluant comme il l’a fait. Par conséquent, les questions devant nous, autre que celle portant sur la crainte raisonnable de partialité, sont assujetties à la norme de la raisonnabilité.

 

[41]           J’ajouterais que notre rôle comme cour d’appel en révision d’une décision d’un juge portant sur un contrôle judiciaire est celui que notre Cour a défini dans Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23 (Telfer), au paragraphe 18, où notre collègue le juge Evans écrivait ce qui suit :

[18]     Bien qu’il y ait eu confusion dans le passé, la jurisprudence actuelle permet d’affirmer que lorsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la juridiction d’appel consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Le rôle de la juridiction d’appel ne se limite pas à se demander si la juridiction inférieure a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant la norme de contrôle appropriée.

[Non souligné dans l’original]

 

[42]           Avant de traiter des arguments de l’appelante, il est important de se rappeler les principes énoncés par la Cour suprême dans Dunsmuir, ces principes devant régir notre approche dans une affaire comme celle devant nous. Plus particulièrement, au paragraphe 47 de ses motifs, la Cour suprême s’exprimait comme suit à l’égard de la norme de la décision raisonnable.

[47]     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[43]           À mon avis, nonobstant l’utilisation de mots pouvant laisser le lecteur perplexe, à savoir que le caractère raisonnable d’une décision pouvait être déterminé par « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ce que Dunsmuir exige du décideur est qu’il rende une décision dont les motifs expliquent de façon compréhensible pourquoi il ou elle en arrive à une conclusion donnée et que cette décision en soit une qui soit « possible », compte tenu des faits de l’instance et du droit applicable.

 

[44]           Je m’adresse maintenant à la première question devant nous.

 

1.         Le juge a-t-il erré en concluant que la décision de l’arbitre à l’égard de la plainte de congédiement injustifié était raisonnable?

 

[45]           Le juge a conclu que la décision de l’arbitre était raisonnable. À mon avis, il n’a aucunement erré en concluant ainsi. L’arbitre a expliqué de façon satisfaisante pourquoi il a conclu que la plainte de congédiement injustifié devait être rejetée et qui plus est, sa conclusion en est une amplement appuyée par la preuve et le droit applicable.

 

[46]           L’analyse de l’arbitre à cet égard se retrouve aux paragraphes 1393 à 1438, soit 45 paragraphes. L’essence de l’analyse de l’arbitre est que le Banque était tout à fait justifiée de congédier l’appelante puisqu’elle avait perdu confiance en elle en raison des nombreuses erreurs découvertes dans ses rapports de ventes pour l’année 1997 (décision de l’arbitre, paragraphe 1405). Des erreurs telles celles décelées dans les rapports de ventes de l’appelante sont particulièrement inquiétantes dans le secteur bancaire/financier (décision de l’arbitre, paragraphe 1427). Par conséquent, la Banque est en droit de s’attendre à ce que ses employés soient non seulement de bonne foi et honnêtes, mais que leur conduite soit à tous égards irréprochable. Ces expectatives se retrouvent dans le document Politiques et procédures de déontologie auquel l’appelante était soumise.

 

[47]           Selon l’arbitre, il ne pouvait faire de doute que la conduite de l’appelante, compte tenu des erreurs trouvées dans ses rapports de ventes, n’avait su satisfaire la politique de la Banque gérant, entre autres, les exigences de compétence. Ces erreurs, selon l’arbitre, avaient eu pour effet de briser le lien de confiance entre la Banque et l’appelante et, par conséquent, justifiaient son congédiement. Aux paragraphes 1434 et 1437 de ses motifs, l’arbitre écrivait ce qui suit :

1434.     Il s'ensuivit l'enquête que l'on connait et la découverte de nombreuse erreurs qui s'étendent sur l'année complète. La CIBC a raison de prétendre que cette découverte de tant d'erreurs sur toute l'année 1997 aggrave la situation par rapport à la plaignante. Ces erreurs ne sont pas de simples erreurs administratives en ce qu'elles font ressortir plusieurs manquements de la plaignante qui n'arrive pas à respecter les délais, qui produit des rapports de ventes en double, qui ne vérifie pas si l'argent est vraiment investi dans le produit réclamé avant de faire son rapport de ventes, qui fait de nombreuses erreurs de code, de classe, de numéro de compte et de montant dans ses rapports de ventes. Il en résulte le fait qu'elle peut obtenir en double une commission ou qu'elle obtient des commissions auxquelles elle n'a pas droit ou sur un montant plus élevé que la vente réelle.

 

 

1437.     D'une façon ou d'une autre, le lien de confiance était irrémédiablement brisé. Je tiens à répéter par contre, que la preuve ne soutient pas le fait que la plaignante ait intentionnellement produit de faux rapports de ventes dans le but de gagner des commissions indues. La preuve nous démontre une excellente vendeuse de la CIBC qui peinait à rencontrer toutes les exigences de l'emploi mais qui, malheureusement, dans ce contexte et dans une fierté et une ambition excessives, n'a pas été assez franche pour avouer son dépassement à l'époque.

 

[48]           En outre, pour justifier ses conclusions, l’arbitre s’appuie sur divers éléments de la preuve qui était devant lui. Par exemple, aux paragraphes 1421 à 1423, il explique l’erreur principale commise par l’appelante, soit celle touchant la vente de 1 200 000 $ au client Samuel W. Plus particulièrement, l’arbitre explique qu’en octobre 1997, l’appelante avait rapporté cette vente malgré le fait que cette vente n’avait jamais eu lieu. Voici comment l’arbitre traite de cette question :

1421.     Ce qui attire l'attention des réviseurs de Toronto en début novembre 1997 concerne huit (8) ventes de son rapport d'octobre remises en question. Mais surtout cette vente de 1,2 millions rapportée code 50 (obligations du gouvernement du Canada) pour le client Samuel W. La plaignante témoigne à l'effet qu'elle a fait son rapport de ventes d'octobre à la dernière minute vers 8 ou 9 heures chez elle, le soir du 31 octobre même si la pièce E-15B indique le 27 octobre. Nous savons qu'il n'y a jamais eu de vente d'obligations du Canada pour 1,2 millions concernant ce client. Il ressort de la preuve aussi le fait qu'il n'y a eu aucune vente pour ce client en 1997, ses argents ayant été transférés chez Wood Gundy durant l'été 1997. Il ressort aussi de la preuve le fait que la plaignante connaissait très bien ce client, qu'elle l'avait elle-même amené à transférer ses argents à la CIBC en 1996. Elle l'a rencontré plusieurs fois, souvent chez lui avec GRACE LUTFY, agente chez Wood Gundy. Comment la plaignante a-t-elle pu faire une erreur semblable pour un montant substantiel concernant un client qu'elle connaissait si bien?

 

1422.     Tous les témoins se sont entendus sur le fait que lorsqu'un spécialiste en placements fait une pareille vente de 1 million, il s'agit d'un événement extraordinaire qui ne passe pas inaperçu. Les règles mises en place exigent d'ailleurs que le directeur soit mis au courant d'une telle vente lorsqu'elle a cours. La plaignante n'a pas avisé GILBERT AURA de cette prétendue vente de 1,2 millions qu'elle a classé code 50. Ce rapport d'une vente qui n'a jamais eu lieu venant d'une employée qui a été évaluée parmi les meilleurs spécialistes en placements de la CIBC est inquiétant pour l'employeur lorsqu'il se rend compte de la situation en novembre 1997.

 

1423.     J'avoue que je me questionne toujours sur ce geste de la plaignante qu'elle a commis le soir du 31 octobre dans le calme de son foyer. Nous savons qu'elle a été induite en erreur par un document qui ne rapporte pas les bons chiffres et qu'il s'agit plutôt d'une vente de 10,000.00$ mais pas dans des obligations du Canada, dans des "mining bonds". Cela ne l'excuse pas d'avoir faussement rapporté une vente dans des obligations du Canada. Par contre, l'ensemble de la preuve ne suggère pas que la plaignante ait eu une intention malhonnête lorsqu'elle a fait ce rapport de ventes. Elle savait que ces rapports étaient révisés à Toronto et elle croyait que le pire qu'il puisse arriver est qu'on lui refuserait cette vente. Mais cela démontre encore la grande insouciance que la plaignante illustrait par rapport à ses rapports de ventes et le peu d'application qu'elle démontrait concernant cette partie importante de son travail.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[49]           À ses paragraphes 1424 et 1425, l’arbitre fait le point quant aux tentatives de l’appelante de se déresponsabiliser en ce qui a trait aux erreurs qu’elle a commises. L’arbitre conclut, au paragraphe 1426, que l’attitude « rocambolesque » de l’appelante à l’égard de son congédiement est typique de l’attitude « d’insouciance, d’évitement et déresponsabilisation qu’elle a démontré avant d’être congédiée le 26 janvier 1998 ».

 

[50]           À mon avis, l’analyse de l’arbitre explique de façon claire et compréhensive le fondement de sa décision. En effet, il ne peut faire de doute quant à la détermination de l’arbitre, soit que la Banque était pleinement justifiée de congédier l’appelante en raison des erreurs multiples contenues dans ses rapports de ventes pour l’année 1997, ces erreurs ayant eu pour effet de miner la confiance de la Banque en l’appelante. Compte tenu de la jurisprudence arbitrale (voir : Banque de Montréal (St. Hubert) c. St. Michel, 1999 D.A.T.C. No. 480; Forget c. Banque Laurentienne du Canada, 2001 D.A.T.C. No. 39; et Banque Nationale du Canada c. Diane Lepire, 2004 CF 1555 (BNC c. Lepire) selon laquelle le lien de confiance entre un employeur et son employé dans le secteur bancaire/financier est d’une grande importance, la conclusion de l’arbitre, eu égard aux circonstances particulières de l’instance, m’apparaît entièrement raisonnable.

 

[51]           Les arguments mis de l’avant par l’appelante pour attaquer la décision de l’arbitre ne me convainquent nullement que nous devrions intervenir. J’aborde maintenant ces arguments.

 

[52]           Premièrement, l’appelante prétend que la Banque l’a congédiée pour fraude, mais que subséquemment, cette dernière a tenté de changer les motifs du congédiement, le tout contrairement à la jurisprudence (Mémoire de l’appelante, paragraphes 5 et 30). Cet argument résulte d’une mauvaise compréhension de la lettre de la Banque l’informant de son congédiement.

 

[53]           Jean-Pierre Paiement, conseiller en relations avec les employés auprès de la Banque, a témoigné que le modèle de lettre utilisé, soit la lettre no. 14, est une lettre utilisée pour congédiement pour fautes professionnelles, y incluant la fraude. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’imposer de mesures disciplinaires progressives puisque, du point de vue de la Banque, il y a faute intentionnelle et, par conséquent, bris du lien de confiance.

 

[54]           Il est à noter que la lettre mettant fin à l’emploi de l’appelante en date du 26 janvier 1998, sous la signature de M. Aura, n’utilise pas le mot « fraude » comme motif de congédiement. Le premier paragraphe de la lettre (Dossier d’appel, Vol. I, page 65) se lit comme suit :

Pour faire suite à notre rencontre d’aujourd’hui, nous confirmons que, compte tenu des résultats de notre enquête récente (et pour les motifs que nous vous avons exposés lors de notre rencontre), il est mis fin à votre emploi à la CIBC pour motif valable, immédiatement et sans paiement.

 

[55]           Par conséquent, j’ai l’assurance que la position de la Banque a été constante, soit qu’elle avait perdu confiance en l’appelante en raison des erreurs multiples et sérieuses commises par elle au cours de l’année 1997.

 

[56]           Deuxièmement, l’appelante prétend que les actions de la Banque ont contribué de façon significative aux erreurs commises par elle. Plus particulièrement, elle fait référence aux directives concernant les rapports de ventes (Dossier d’appel, Vol. 1, p. 100) auxquelles elle était soumise. À son avis, la majorité des erreurs qui lui ont été imputées résulte du fait qu’elle a rigoureusement suivi ces règles et que les clients prenaient souvent des mois avant de décider comment ils voulaient investir leurs argents (Mémoire de l’appelante, paragraphe 18).

 

[57]           À mon avis, ces excuses sont sans mérite. Les directives émises par M. Aura ne sont pas ambigües en ce qu’elles prévoient que la spécialiste en placement ne devait pas rapporter une vente « … tant que la conversion en produits long-terme n’est pas effectuée ou que le client ait décidé de rester en marché monétaire ». Ces directives ne peuvent justifier la grande partie, sinon la totalité, des erreurs de l’appelante, y incluant les situations où elle a rapporté la même vente à deux reprises (Décision de l’arbitre, paragraphe 1360).

 

[58]           Il est possible que certains clients aient pris plusieurs mois avant de prendre une décision définitive quant à leurs investissements, mais ce fait n’excuse nullement, à mon avis, la spécialiste en placements qui ne devait rapporter la vente que lorsque celle-ci avait été finalisée et avec les montants exacts. L’arbitre, au paragraphe 1408 de ses motifs, fait la constatation suivante face à l’attitude de l’appelante relativement aux erreurs découvertes par la Banque :

1408.     … On a aussi constaté une attitude d'évitement et de négation où la plaignante se déresponsabilisait en transférant la faute sur le dos des adjoints ou des directeurs de comptes. Cette attitude particulière de la plaignante a inquiété les directeurs et a constitué un des motifs pour lesquels on a décidé de la congédier.

 

[59]           À mon avis, eu égard à la preuve, cette conclusion de l’arbitre est entièrement raisonnable.

 

[60]           En troisième lieu, l’appelante prétend que les politiques internes de la Banque étaient ambigües et qu’elles avaient contribué à ses erreurs (Mémoire de l’appelante, paragraphes 19 et 46). Avec respect, la preuve ne soutient nullement cet argument. Le régime de rémunération de la Banque concernant les paiements et les commissions est très détaillé et fournit plusieurs exemples expliquant comment la commission doit être calculée (Dossier d’appel, Vol. I, pages 73 à 83). En outre, suivant communication du régime de rémunération aux spécialistes en placements, la Banque a répondu à plusieurs questions soulevées par les spécialises en placements (Dossier d’appel, Vol. I, pages 84 à 90). Ce document suggère, à mon avis, que la Banque a tenté d’instaurer un régime de rémunération intelligible et qu’elle a tenté de répondre aux questions soulevées par ceux qui y seraient soumis. Par conséquent, je n’ai point de doute, dans les circonstances, que si l’appelante avait des questions concernant le régime de rémunération, elle aurait pu les faire parvenir à la Banque qui aurait tenté de clarifier la situation.

 

[61]           Je ne puis donc voir comment la Banque peut être tenue responsable des erreurs commises par l’appelante.

 

[62]           Selon Dunsmuir, le juge devait s’assurer que l’arbitre avait rendu une décision raisonnable basée sur les faits mis en preuve. Son rôle ne lui permettait pas de substituer son appréciation de la preuve à celle de l’arbitre. Comme le souligne l’intimée au paragraphe 37 de son mémoire :

37.       Le raisonnement de l’Arbitre a été analysé en long et en large par le juge de première instance qui a conclu que sa décision ne pouvait en aucun cas être jugée déraisonnable, et ce, malgré de la décision de l’Arbitre à l’effet que la preuve ne soutenait le fait que la plaignant ait intentionnellement de faux rapports de ventes. :…

 

[63]           Quant aux arguments de l’appelante à l’effet que l’arbitre n’aurait pas considéré tous les facteurs atténuants et éléments de preuve qu’elle a déposés et qu’il n’aurait pas pris en compte l’ensemble des témoignages des deux parties, je suis d’avis que, compte tenu de l’ampleur de la décision de l’arbitre et la minutie avec laquelle il a examiné toute la preuve, ces arguments sont sans fondement.

 

[64]           Par conséquent, le juge n’a commis aucune erreur en concluant que la décision de l’arbitre à l’égard de la plainte de congédiement injustifié était raisonnable.

 

2.         Le juge a-t-il erré en concluant que la décision de l’arbitre rejetant la réclamation monétaire de l’appelante était raisonnable?

 

[65]           Devant nous, l’appelante prétend, comme elle l’avait fait devant le juge, que l’arbitre a omis de statuer sur un certain nombre de dossiers et que, n’eut été cette erreur, il aurait conclu qu’elle avait atteint le volume nécessaire de produits vendus lui donnant droit à une rémunération supplémentaire de 40 000 $. Au paragraphe 44 de ses motifs, le juge a traité de cette question de la façon suivante :

[44]     La demanderesse soutient que l’arbitre a omis de statuer sur 16 dossiers. À ce titre, la demanderesse nous réfère au relevé CORE Products Audit Fiscal 1997, produit devant l’arbitre sous la cote E-39, lequel concerne les placements éligibles à l'obtention par le spécialiste en placements des bonis et d'une prime sur les commissions, s'il atteint une somme de 6,5 millions de ces placements. Cette pièce a été spécifiquement préparée pour l’audience devant l’arbitre par le témoin Élizabeth Marshall. L’arbitre en a tenu compte et y a référé abondamment selon les représentations des parties mais a procédé à sa propre analyse de chacun des dossiers qu’il a revu un à un (sentence contestée, au para. 1495). La sentence contestée fait état de l’ensemble des dossiers prétendument omis et il n’y a donc pas lieu d’intervenir sur ce point. En effet, l’arbitre a sans contesté tenu compte de l’ensemble de la preuve documentaire soumise.

 

[66]           L’appelante ne m’a pas convaincu que l’arbitre a, comme elle le prétend, omis de statuer sur certains dossiers. Je suis en accord complet avec les propos du juge à son paragraphe 44. À la lecture de la décision de l’arbitre, il ne peut faire de doute, avec égard pour l’opinion contraire, que l’arbitre a fait une analyse exhaustive de tous les dossiers de vente de l’appelante. Après cette étude, l’arbitre a déterminé que certains dossiers de vente de l’appelante devaient être rejetés, et ce pour trois raisons : soit dans certains cas parce que la preuve était insuffisante pour appuyer la réclamation, dans d’autres cas parce que la transaction n’était pas une vente admissible à l’obtention d’une commission ou dans d’autres cas parce que les commissions lui avaient déjà été payées par la Banque.

 

[67]           Je ne puis donc accepter la prétention de l’appelante que l’arbitre a refusé ou omis de statuer sur certains de ses dossiers.

 

[68]           L’appelante soutient aussi que l’arbitre a enfreint une règle d’équité procédurale lorsqu’il a exigé une preuve documentaire de sa part avant de considérer son témoignage relativement à certaines réclamations à l’égard desquelles elle prétendait ne pouvoir fournir de preuve documentaire, les documents pertinents étant, à son avis, en la possession de la Banque.

 

[69]           Le juge a conclu que l’arbitre, étant maître de la preuve et de la procédure, pouvait s’inspirer des règles du droit civil en requérant de l’appelante qu’elle fournisse un commencement de preuve par écrit. Au paragraphe 52 de ses motifs, le juge s’exprimait comme suit :

[52]     … Je suis d’avis que l’arbitre pouvait raisonnablement exiger un commencement de preuve par écrit prouvant les réclamations faites, particulièrement dans les circonstances où la justesse de ces réclamations devaient [sic] être révisées [sic] à la lumière des nombreuses erreurs attribuées à la demanderesse au sein de ses rapports de vente. De plus, l’arbitre n’a enfreint aucune règle d’équité procédurale. Étant maître de la procédure et de la preuve soumise, il lui était loisible d’exiger un certain formalisme et de tirer les conclusions résultant de l’absence de preuve.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[70]           Cette conclusion du juge est irréprochable.

 

[71]           Je suis donc d’avis que la décision de l’arbitre concernant la réclamation monétaire de l’appelante pour des commissions impayées est raisonnable et qu’elle rencontre les critères de la raisonnabilité énoncés dans Dunsmuir. Par conséquent, je conclus que le juge n’a nullement erré.

 

[72]           En ce qui concerne la réclamation de l’appelante pour des heures supplémentaires et des certificats d’option d’achat d’actions de la Banque que l’arbitre a rejeté au motif qu’il n’y avait pas de preuve devant lui « justifiant la légitimité de ses demandes » (Décision de l’arbitre, paragraphe 571), l’appelante n’a su me convaincre que le juge a erré en concluant qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir sur ce point.

 

3          Le juge a-t-il erré en rejetant les allégations de l’appelante selon lesquelles la conduite de l’arbitre durant le cours de l’audience donnait naissance à une crainte raisonnable de partialité?

 

[73]           L’appelante s’en prend à la neutralité de l’arbitre (Mémoire de l’appelante, paragraphes 66 à 75). En bref, elle se fonde sur certains passages de la décision de l’arbitre, qu’elle considère désobligeants à son égard, pour soutenir sa prétention que la conduite de l’arbitre donnait naissance à une crainte raisonnable de partialité. Dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 à la page 394, la Cour suprême du Canada énonçait le test que devaient appliquer les tribunaux pour déterminer si la conduite d’un décideur soulevait une crainte raisonnable de partialité. Ce test, sous la plume du juge de Grandpré (même si le juge de Grandpré était dissident dans cette affaire, le test qu’il a formulé a été repris subséquemment par la Cour suprême), est le suivant :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

[74]           Au paragraphe 57 de ses motifs, le juge fait état des propos de l’arbitre qui, selon l’appelante, permettent de douter de la neutralité de l’arbitre. Même si le juge a considéré que certains de ces propos étaient possiblement « malheureux », il s’est dit d’avis qu’une personne bien informée ne conclurait pas qu’il en résulte une crainte raisonnable de partialité.

 

[75]           À mon avis, le juge n’a pas eu tort de conclure comme il l’a fait. Autres que les propos de l’arbitre rapportés par le juge, il n’y a aucune preuve devant nous pouvant mener une personne sensée et raisonnable à conclure que la conduite de l’arbitre pouvait donner naissance à une crainte raisonnable de partialité. Par conséquent, je suis d’avis que le juge n’a aucunement erré en rejetant la prétention de l’appelante sur ce point.

 

Disposition

[76]           Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-367-09

 

INTITULÉ :                                                                           JACYNTHE DESCHÊNES c. BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Qc)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 21 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 28 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Jacynthe Deschênes

L’APPELANTE SE REPRÉSENTANT ELLE-MÊME

 

Me Jacques Rousse

Me Rachel Solyom

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault, s.r.l.

Montréal (Qc)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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