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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20110602

Dossier : A-342-09

Référence : 2011 CAF 188

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

NADEAU FERME AVICOLE LIMITÉE/

NADEAU POULTRY FARM LIMITED

appelante

et

GROUPE WESTCO INC. ET GROUPE DYNACO, COOPÉRATIVE

AGROALIMENTAIRE ET VOLAILLES ACADIA S.E.C. ET

VOLAILLES ACADIA INC./ACADIA POULTRY INC.

intimées

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

 

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20110602

Dossier : A-342-09

Référence : 2011 CAF 188

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

NADEAU FERME AVICOLE LIMITÉE/

NADEAU POULTRY FARM LIMITED

appelante

et

GROUPE WESTCO INC. ET GROUPE DYNACO, COOPÉRATIVE

AGROALIMENTAIRE ET VOLAILLES ACADIA S.E.C. ET

VOLAILLES ACADIA INC./ACADIA POULTRY INC.

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

TABLE DES MATIÈRES

PARAGRAPHE

 

 

1)         INTRODUCTION                                                                                                     1

                                                           

2)         LES PARTIES                                                                                                           4

 

3)         LE SYSTÈME DE GESTION DE L’OFFRE DANS LE SECTEUR DE LA VOLAILLE                                                                                                                       9

 

4)         LE LITIGE ENTRE LES PARTIES                                                                        15


5)         L’ARTICLE 75 DE LA LOI                                                                         20

 

6)         LA DÉCISION DONT APPEL                                                                                 21

 

7)         QUESTIONS EN LITIGE DANS L’APPEL                                                           42

 

8)         ANALYSE                                                                                                                  49

 

a)      Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Nadeau n’a pas établi qu’elle était incapable de se procurer des quantités suffisantes de poulets vivants en raison de l’insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs du produit sur le marché?  49

 

i)        Le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’office de commercialisation de la volaille du Québec n’interviendrait pas pour restreindre le commerce interprovincial du poulet si la volonté de Nadeau de se procurer des poulets de remplacement entraînait une augmentation importante de la quantité de poulet exportée du Québec.                                                                                     51

 

ii)      Le Tribunal a commis une erreur en concluant que la limitation sur l’offre globale, qui découle du système de gestion de l’offre, était la principale raison pour laquelle Nadeau n’était pas en mesure de se procurer des poulets vivants de façon suffisante après le refus de vendre des intimées.                    61

 

iii)    Le Tribunal a commis une erreur en concluant que Nadeau n’a pas établi que la concurrence entre les fournisseurs de poulets vivants était insuffisante quand elle a accepté que le système de gestion de l’offre de la volaille créait un cartel autorisé par l’État entre les producteurs de poulet.                                                 64

 

iv)    Le Tribunal a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si la concurrence était insuffisante entre les fournisseurs.   67

 

 

b)  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que les poulets vivants n’étaient pas disponibles en quantité amplement suffisante?                                                  71

 

c)  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Nadeau n’avait pas démontré que le refus de vendre des intimées avait vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans le marché?                                                                                          93

 

i)                    Le Tribunal a commis une erreur en limitant le marché pertinent, aux fins de l’alinéa 75(1)e), au marché « en aval ».                                                    95

 

ii)                  Le Tribunal a commis une erreur en ne désignant pas le marché du poulet refroidi à l’air comme un marché de produit distinct.                                   100

iii)                Le Tribunal a commis une erreur en n’évaluant pas correctement l’effet nuisible du refus de vendre des intimées sur la qualité et la disponibilité des produits.                                                                                                 108

 

iv)                Le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de l’effet de l’élimination d’un concurrent efficace.                                                   113

 

 

d)  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Nadeau était sensiblement gênée dans son entreprise du fait qu’elle était incapable de se procurer un produit de façon suffisante, où que ce soit sur un marché, aux conditions normales de commerce?        117

 

 

9)  CONCLUSION                                                                                                                119

 

1)      INTRODUCTION

[1]               Entre janvier et septembre 2008, les intimées ont chacune avisé l’appelante, dont l’entreprise se consacre à l’abattage des poulets, qu’elles cesseraient de l’approvisionner en poulet vivant dans les mois suivants. L’action collective des intimées, dans la mesure où elle était exécutée, priverait l’appelante d’environ 50 % de son approvisionnement en poulet vivant. L’appelante a intenté une poursuite privée en vertu de l’article 75 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 [ la Loi], qui prévoit que le refus de vendre est susceptible d’examen dans certaines circonstances. Le Tribunal de la concurrence (le Tribunal) a émis une ordonnance provisoire d’approvisionnement pour préserver le statu quo pendant qu’il examinait la plainte de l’appelante.

 

[2]               Le 8 juin 2009, dans une décision publiée sous l’intitulé Nadeau Ferme avicole Limitée c. Groupe Westco Inc. et al., 2009 Trib. conc. 6 [motifs ou motifs du Tribunal], le Tribunal a rejeté la plainte de l’appelante selon laquelle le refus de vendre des intimées violait l’article 75 de la Loi. Le Tribunal a conclu que l’appelante n’avait pas établi les éléments suivants :

1)                  elle était incapable de se procurer le produit de façon suffisante en raison de l’insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs de ce produit sur le marché;

 

2)                  le produit était disponible en quantité amplement suffisante;

3)                  le refus de vendre des intimées avait vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans le marché.

 

[3]               L’appelante interjette appel de la décision du Tribunal. Comme toutes les exigences énoncées à l’article 75 doivent être satisfaites avant que l’appelante puisse avoir gain de cause, l’appelante doit convaincre la Cour que le Tribunal a commis une erreur en arrivant à chacune de ces conclusions. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’elle n’y est pas arrivée et, par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

2)  LES PARTIES

[4]               L’appelante, Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited (Nadeau), est une filiale en propriété exclusive de Maple Lodge Holding Corporation (Maple Lodge), l’une des plus importantes entreprises canadiennes en transformation du poulet. Nadeau exploite une grande usine moderne de transformation du poulet située à Saint-François de Madawaska, dans le nord du Nouveau-Brunswick. Cette usine est la seule usine de transformation du poulet au Nouveau-Brunswick depuis 1992.

 

[5]               L’intimée Groupe Westco Inc. (Westco) est une entreprise fortement intégrée de production de poulet. Elle possède ou contrôle des contingents et des fermes de production d’œufs d’incubation ainsi que des contingents et des fermes de production de poulet. Directement ou indirectement, Westco possède ou contrôle environ 50 % des contingents de la production de poulet au Nouveau‑Brunswick.

 

[6]               L’intimée Groupe Dynaco, Coopérative Agroalimentaire (Dynaco) est une coopérative constituée au Québec qui détient des parts dans des installations de production de poulet du Nouveau-Brunswick. Dynaco possède 6,22 % des contingents de la production de poulet au Nouveau-Brunswick. Les intimées Volailles Acadia S.E.C. et Volailles Acadia Inc./Acadia Poultry Inc. (collectivement Acadia) sont des sociétés extraprovinciales enregistrées au Nouveau-Brunswick. Acadia possède ou contrôle 16 % des contingents de la production de poulet au Nouveau-Brunswick.

 

[7]               Les intimées sont des sociétés liées. Aux fins du présent appel, il suffit de savoir que Westco est membre de la coopérative Dynaco. Dynaco possède 30 % des actions d’Acadia et Westco en possède 25 %.

 

[8]               Une autre importante participante dans l’industrie de la production de la volaille est la Co‑op Fédérée, la plus importante entreprise canadienne de l’industrie du poulet. Dynaco est membre de la Co-op Fédérée, laquelle possède 60 % d’Olymel, une entreprise de transformation située au Québec et la principale concurrente de Nadeau au Québec et dans les provinces de l’Est. La Co-op Fédérée possède aussi 30 % d’Acadia.

 

 

 

3)  LE SYSTÈME DE GESTION DE L’OFFRE DANS LE SECTEUR DE LA VOLAILLE

[9]               La production de la volaille au Nouveau-Brunswick, comme dans le reste du Canada, est assujettie à un régime de gestion de l’offre élaboré établi par le gouvernement du Canada et administré par les offices de commercialisation provinciaux en ce qui a trait aux producteurs de la province. Le régime est complexe et exhaustif. Une description complète de l’exploitation de ce système se trouve aux paragraphes 9 à 18 et 254 à 269 des motifs du Tribunal. Aux fins de la présente décision, les caractéristiques pertinentes du régime sont les suivantes.

 

[10]           La quantité de volaille qu’un producteur peut produire et commercialiser est déterminée par un contingent établi par l’office de commercialisation provincial. Un producteur ne peut pas dépasser le contingent de production, lequel est établi à environ toutes les huit semaines dans le cadre d’un processus lié à la demande des consommateurs pour la volaille. Dans la plupart des provinces, une hausse du contingent total est répartie proportionnellement entre les producteurs établis.

 

[11]           Le prix minimal auquel les producteurs peuvent vendre les poulets vivants est aussi fixé par l’office de commercialisation provincial (le prix fixé par l’office). Le prix fixé par l’office de l’Ontario sert de prix de référence dans plusieurs autres provinces, y compris le Québec et le Nouveau-Brunswick. Le prix fixé par l’office du Nouveau-Brunswick est de 0,065 $ de plus par kilogramme de poids vif que le prix fixé par l’office ontarien alors que le prix fixé par l’office québécois est le même que celui de l’Ontario.

 

[12]           Le régime de commercialisation de la volaille permet les importations de volaille en provenance d’autres pays, mais les importations sont étroitement réglementées et, par conséquent, elles ne jouent aucun rôle dans le présent litige.

 

[13]           Bien que la production de volaille et le prix à payer pour la volaille soient fortement réglementés, l’abattage et la transformation ne le sont pas autant. Sauf quelques exceptions, les producteurs peuvent vendre leur production à l’entreprise de transformation de leur choix, même si cette entreprise est située dans une autre province. Les entreprises de transformation, comme Nadeau, peuvent verser un supplément aux producteurs dans le but d’obtenir leur produit. Nadeau l’a fait à plusieurs reprises (motifs, par. 37-40). Les entreprises de transformation québécoises versent régulièrement un supplément à leurs fournisseurs en plus du prix fixé par l’office québécois (motifs, par. 153).

 

[14]           Le système de gestion de l’offre dans le secteur de la volaille tente de maintenir un équilibre entre la production de volaille et la demande des consommateurs, mais il ne vise pas à réglementer les activités des entreprises de transformation. Par conséquent, les décisions de ces entreprises d’augmenter ou de réduire la capacité de transformation n’ont aucune incidence sur les contingents des producteurs de volaille. L’équilibre entre la demande des consommateurs et les contingents de production ne se reflète donc pas nécessairement dans la relation entre les contingents de production et la capacité de transformation. La capacité de transformation est suffisante, en ce sens que tous les contingents des producteurs sont traités par les entreprises de transformation. Cependant, les entreprises de transformation peuvent augmenter leur capacité plus rapidement que les contingents de production sont augmentés et les nouvelles entreprises de transformation peuvent entrer sur un marché où l’offre s’aligne déjà sur la demande.

 

4)  LE LITIGE ENTRE LES PARTIES

[15]           Westco est une entreprise hautement intégrée dans l’industrie de la volaille. Il ne lui manque qu’une usine de transformation pour qu’elle devienne une entreprise entièrement intégrée verticalement. En janvier 2007, Westco a avisé Nadeau qu’elle souhaitait investir dans son usine, ou l’acheter. Maple Lodge, la société mère de Nadeau, a avisé Westco qu’elle n’était pas intéressée à vendre l’usine de Saint-François. Maple Lodge était d’avis qu’une entente dans le cadre de laquelle Westco aurait une participation dans l’usine de Nadeau tout en conservant 100 % des biens de production entraînerait une divergence indésirable entre les intérêts des actionnaires.

 

[16]           Une fois que le conseil d’administration a examiné la situation, Maple Lodge a indiqué qu’elle envisagerait l’adoption d’une entente dans le cadre de laquelle Maple Lodge et Westco auraient chacune une participation dans les activités regroupées de Westco et Nadeau. Westco n’a pas répondu à cette proposition.

 

[17]           Entre-temps, Westco a entamé des discussions avec Olymel dans le but d’établir un partenariat lui permettant de mettre en œuvre sa stratégie d’intégration verticale. L’enchaînement des événements est énoncé dans les motifs aux paragraphes 46-47 et 49-50 :

Dans le cadre de leur partenariat, Westco et Olymel voulaient acquérir les actifs de [Nadeau] ou, à défaut d’entente, acheter une propriété en vue de construire, d’établir, de posséder et d’exploiter une nouvelle usine de transformation du poulet. Westco et Olymel ont ont élaboré un plan d’affaires en vue de l’acquisition de l’usine de Saint-François ou, dans l’éventualité de l’échec des négociations avec [Nadeau], la construction d’une nouvelle usine de transformation au Nouveau-Brunswick. Le partenariat entre Olymel et Westco porte le nom de Sunnymel, Société en commandite (« Sunnymel ») […]

 

M. Thomas Soucy, président-directeur général de Westco, a contacté M. Tavares [président-directeur général de Maple Lodge] à la mi-août 2007 pour lui dire qu’il voulait le rencontrer en compagnie de M. Réjean Nadeau, président-directeur général d’Olymel. Lors de la rencontre, M. Tavares a appris que Westco et Olymel voulaient acheter l’usine de Saint-François. Il s’est fait dire qu’advenant un refus de la part de [Nadeau], toute la production de poulet de Westco serait délocalisée au Québec et Sunnymel construirait sa propre usine au Nouveau-Brunswick.

[…]

 

Suivant [une rencontre subséquente], M. Tavares a informé M. Soucy que le conseil d’administration de Maple Lodge, bien qu’il eût préféré maintenir le statu quo, l’avait chargé, compte tenu des circonstances, de former une équipe de négociation.

 

Le 6 novembre 2007, les parties ont entamé les négociations en vue de la vente de l’usine de Saint-François. Le prix d’achat offert par Sunnymel représentait moins de 25 % de la valeur qu’attribuait [Nadeau] à l’usine de Saint-François. Les négociations ont donc échoué. Le 17 janvier 2008, Westco avisait [Nadeau] par écrit qu’à compter du 20 juillet 2008, elle cesserait d’approvisionner cette dernière en poulet vivant et délocaliserait sa production de poulet vers les installations d’Olymel au Québec en attendant la fin de la construction du nouvel abattoir de Sunnymel au Nouveau-Brunswick.

 

[18]           Après la rupture des négociations entre Westco et Nadeau, Dynaco a avisé Nadeau le 6 mars 2008 qu’elle cesserait de l’approvisionner à compter du 15 septembre 2008. Dans une lettre datée du 28 février 2008, Acadia a avisé Nadeau qu’elle cesserait de l’approvisionner à compter du 15 septembre 2008.

 

[19]           Nadeau a une version différente des faits. Elle prétend que Olymel et Westco ont comploté en vue de réduire la concurrence en obligeant un des plus importants concurrents d’Olymel à fermer ses portes. Elle fait état de certains éléments de preuve démontrant que Olymel et Westco étaient en contact bien avant de s’être adressées à Nadeau ou à Maple Lodge. Le Tribunal a décidé qu’il n’avait pas à déterminer la nature du comportement de Westco parce que, selon l’opinion qu’il avait au sujet des principes pertinents, une telle qualification ne changerait rien au résultat juridique (motifs, par. 292). Je suis d’accord avec la décision du Tribunal et je n’ai pas l’intention de faire une analyse plus large que ce qui est exigé au paragraphe 75(1) de la Loi.

 

5)  L’ARTICLE 75 DE LA LOI

[20]           À ce stade-ci, il peut être utile de reproduire l’article 75 de la Loi :

75. (1) Lorsque, à la demande du commissaire ou d’une personne autorisée en vertu de l’article 103.1, le Tribunal conclut :

 

a) qu’une personne est sensiblement gênée dans son entreprise ou ne peut exploiter une entreprise du fait qu’elle est incapable de se procurer un produit de façon suffisante, où que ce soit sur un marché, aux conditions de commerce normales;

 

b) que la personne mentionnée à l’alinéa a) est incapable de se procurer le produit de façon suffisante en raison de l’insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs de ce produit sur ce marché;

 

c) que la personne mentionnée à l’alinéa a) accepte et est en mesure de respecter les conditions de commerce normales imposées par le ou les fournisseurs de ce produit;

 

d) que le produit est disponible en quantité amplement suffisante;

 

e) que le refus de vendre a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché,

 

le Tribunal peut ordonner qu’un ou plusieurs fournisseurs de ce produit sur le marché en question acceptent cette personne comme client dans un délai déterminé aux conditions de commerce normales à moins que, au cours de ce délai, dans le cas d’un article, les droits de douane qui lui sont applicables ne soient supprimés, réduits ou remis de façon à mettre cette personne sur un pied d’égalité avec d’autres personnes qui sont capables de se procurer l’article en quantité suffisante au Canada.

 

75. (1) Where, on application by the Commissioner or a person granted leave under section 103.1, the Tribunal finds that

 

(a) a person is substantially affected in his business or is precluded from carrying on business due to his inability to obtain adequate supplies of a product anywhere in a market on usual trade terms,

 

 

 

(b) the person referred to in paragraph (a) is unable to obtain adequate supplies of the product because of insufficient competition among suppliers of the product in the market,

 

(c) the person referred to in paragraph (a) is willing and able to meet the usual trade terms of the supplier or suppliers of the product,

 

 

(d) the product is in ample supply, and

 

 

(e) the refusal to deal is having or is likely to have an adverse effect on competition in a market,

 

the Tribunal may order that one or more suppliers of the product in the market accept the person as a customer within a specified time on usual trade terms unless, within the specified time, in the case of an article, any customs duties on the article are removed, reduced or remitted and the effect of the removal, reduction or remission is to place the person on an equal footing with other persons who are able to obtain adequate supplies of the article in Canada.

 

6)  LA DÉCISION DONT APPEL

[21]           La décision du Tribunal est très longue, 484 paragraphes, et extrêmement détaillée. Aux fins de la présente partie de mes motifs, il n’est nécessaire que de résumer l’essentiel de la décision portant sur les éléments de l’article 75, sous réserve d’un contrôle plus détaillé lors de l’analyse des motifs d’appel soulevés par l’appelante.

 

[22]           Pour examiner la portée de l’alinéa 75(1)a), le Tribunal devait définir un certain nombre de termes utilisés par les économistes dans leur analyse sur les questions de concurrence. Il a défini la première expression, marché du produit pertinent, comme étant le marché du poulet vivant, sans mentionner aucune restriction de poids. Le Tribunal a conclu que Nadeau n’avait pas prouvé que les poulets vivants de la catégorie de poids précisée (1,71 à 2,4 kilogrammes) ne pouvaient pas être remplacés par des poulets d’une autre catégorie de poids.

 

[23]           Le Tribunal a défini le marché géographique pertinent comme étant le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, les régions du Québec situées dans un rayon de 500 kilomètres de l’usine de Nadeau et la Nouvelle-Écosse.

 

[24]           Le Tribunal a traité de façon assez détaillée de la définition de « conditions de commerce normales », en se demandant si le prix était inclus parmi les « conditions de commerce normales ». Il a fait remarquer que les « conditions de commerce normales » sont définies au paragraphe 75(3) de la Loi comme étant les « conditions relatives au paiement, aux quantités unitaires d’achat et aux exigences raisonnables d’ordre technique ou d’entretien ». Le Tribunal a conclu que les conditions de commerce normales ne sont pas les conditions précises arrêtées par les parties avant le refus de vendre, mais plutôt les conditions qui sont considérées comme normales dans la perspective de tous les transformateurs qui sont en concurrence dans le marché pertinent.

 

[25]           Le Tribunal a ajouté que les « conditions relatives au paiement » incluaient le prix, dans le sens d’une fourchette de prix.

 

[26]           Après avoir défini les termes pertinents, le Tribunal a examiné la question de savoir si Nadeau avait prouvé que son entreprise serait sensiblement gênée du fait qu’elle serait incapable de se procurer des poulets vivants de façon suffisante aux conditions de commerce normales dans le marché géographique pertinent. Aux fins de la présente analyse, le Tribunal s’est demandé si Nadeau pouvait remplacer les poulets vivants qu’elle recevait des intimées par des poulets vivants du Québec aux conditions de commerce normales. Le Tribunal a conclu que Nadeau devrait verser aux producteurs québécois un supplément pour les inciter à faire affaire avec elle et que les suppléments qu’elle verserait n’appartiendraient pas à la fourchette de prix constituant les conditions de commerce normales.

 

[27]           Le Tribunal s’est alors demandé si cette incapacité de se procurer des poulets vivants aux conditions de commerce normales gênerait sensiblement Nadeau dans son entreprise. Il a utilisé les revenus comme indicateur du rendement de l’entreprise. Le Tribunal a conclu que remplacer les poulets vivants que Nadeau reçoit des intimées par des poulets vivants provenant du Québec entraînerait une réduction importante des revenus relativement aux revenus de la période de référence. Selon le Tribunal, cela signifiait que Nadeau serait sensiblement gênée dans son entreprise si elle devait remplacer l’approvisionnement en poulet vivant des intimées par des poulets vivants provenant du Québec.

 

[28]           Par conséquent, le Tribunal a conclu que Nadeau avait satisfait aux conditions énoncées à l’alinéa 75(1)a) de la Loi.

 

[29]           Le Tribunal a ensuite examiné l’alinéa 75(1)b) de la Loi, plus précisément la question de savoir si l’incapacité de Nadeau de se procurer des poulets vivants provenant du Québec de façon suffisante aux conditions de commerce normales était due à l’insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs sur le marché géographique pertinent.

 

[30]           Le Tribunal a accepté que, aux fins de la présente analyse, le marché du produit et le marché géographique pertinents sont les mêmes que ceux qui ont été examinés dans le cadre de l’analyse de l’alinéa 75(1)a).

 

[31]           Pour répondre à la question de « l’insuffisance de la concurrence », le Tribunal a fait référence à une de ses décisions antérieures qui portait sur le refus de vendre, Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Xerox Canada Inc. (1990), 33 C.P.R. (3d) 83, [1990] C.L.D. 1146 [Xerox], dans laquelle le Tribunal a affirmé qu’un marché composé de nombreux fournisseurs agissant indépendamment les uns des autres ne serait pas considéré comme un marché où la concurrence est insuffisante. Le Tribunal a aussi examiné l’incidence du système de gestion de l’offre de la volaille sur la concurrence entre les fournisseurs de poulets vivants. Il a conclu que Nadeau n’avait pas établi que la concurrence était insuffisante entre les fournisseurs sur le marché pertinent à cause du nombre de fournisseurs et de l’absence de preuve que les fournisseurs n’agissaient pas indépendamment les uns des autres.

 

[32]           Le Tribunal a ajouté que, même s’il avait conclu que la concurrence était insuffisante entre les fournisseurs, il serait néanmoins arrivé à la conclusion que Nadeau ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombe sous le régime de l’alinéa 75(1)b). Le Tribunal a exprimé son raisonnement sur ce point au paragraphe 247 de ses motifs :

La preuve ne nous permet pas en effet d’établir que l’état de la concurrence sur le marché est la principale raison pour laquelle la demanderesse est incapable de se procurer des poulets de façon suffisante. Une preuve abondante indique que la limitation de l’offre globale, qui découle du système de gestion de l’offre, est la principale raison pour laquelle la demanderesse n’est pas en mesure de se procurer des poulets vivants de façon suffisante.

 

[33]           Le Tribunal s’est ensuite penché sur la question de savoir si Nadeau respectait les conditions énoncées à l’alinéa 75(1)c) de la Loi; il n’a eu aucune difficulté à conclure que Nadeau acceptait et était en mesure de respecter les conditions de commerce normales imposées par les fournisseurs de poulets vivants.

 

[34]           L’autre question que le Tribunal a examinée était celle de savoir si le produit, les poulets vivants, était disponible en quantité amplement suffisante sur le marché géographique pertinent, tel que requis par l’alinéa 75(1)d) de la Loi. Le Tribunal s’est d’abord demandé ce que voulait dire « quantité amplement suffisante ». Il a conclu que cette expression vise les situations où les fournisseurs n’ont pas à choisir entre servir de nouveaux clients et continuer à offrir à leurs clients existants les quantités qu’ils leur fournissent historiquement. Le Tribunal a ensuite examiné le fonctionnement du système de gestion de l’offre dans le secteur de la volaille et a conclu que les contingents de production et la distribution au prorata des contingents rajustés pour la volaille signifiaient que les producteurs ne pouvaient pas augmenter leur production pour approvisionner de nouveaux marchés ou des marchés en croissance. Les producteurs étaient donc restreints dans leur capacité à servir de nouveaux clients tout en continuant à servir des clients existants à des niveaux historiques. Par conséquent, le produit n’était pas disponible en quantité amplement suffisante.

 

[35]           Le dernier élément de l’analyse, l’alinéa 75(1)e), consiste à savoir si le refus de vendre aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché. Le Tribunal a d’abord reconnu que le marché dont il est question à l’alinéa 75(1)e) n’est pas le marché défini aux fins d’application des alinéas 75(1)a) et b). Il s’agit du maché « en aval ».

[36]           Le Tribunal devait définir le marché pertinent du produit et le marché géographique pertinent, relativement au marché en aval cette fois-ci. Il a conclu que le marché pertinent du produit englobe le poulet transformé, y compris le poulet surtransformé. Le poulet transformé est du poulet qui a été dépecé, désossé ou cuit alors que du poulet surtransformé est défini par un témoin comme comprenant « à peu près tout ce qui arrive au poulet après qu’il a été tué, voire dépecé » (motifs, par. 300).

 

[37]           Après avoir examiné un certain nombre de facteurs, le Tribunal a défini le marché géographique pertinent comme étant le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, le Québec et l’Ontario.

 

[38]           En ce qui concerne le sens de l’expression « effet de nuire à la concurrence dans un marché », le Tribunal a accepté, au paragraphe 366 de ses motifs, la conclusion tirée dans une décision antérieure, B-Filer Inc. et al. c La Banque de Nouvelle-Écosse, 2006 Trib. conc. 42, au par. 208, selon laquelle :

[P]our que le refus de vendre ait un effet nuisible sur un marché, ce refus doit avoir eu pour effet de préserver ou de rehausser le pouvoir de marché des autres participants ou de créer un pouvoir de marché pour l’un d’eux.

 

 

[39]           Le Tribunal a fait remarquer que ni Westco ni aucune des intimées n’ont une part de marché dans le marché en aval et que par conséquent, ils ne peuvent pas avoir un pouvoir de marché sur ce marché. Le pouvoir de marché est « [interprété] généralement comme signifiant la capacité de fixer des prix plus élevés que les niveaux concurrentiels pendant une longue période », Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. NutraSweet Co. (l990), 32 C.P.R. (3d) 1, par. 28, [1990] C.L.D. 1078. Cependant, la société Sunnymel formée d’Olymel et de Westco participerait au marché en aval. Pour cette raison, le Tribunal a conclu que les effets nuisibles du refus de vendre pourraient être analysés en évaluant l’incidence sur le pouvoir de marché de la société.

 

[40]           Après avoir examiné un certain nombre d’indicateurs du pouvoir de marché, le Tribunal a conclu qu’aucun des participants sur le marché pertinent n’a actuellement un pouvoir de marché. L’examen de ces mêmes facteurs a amené le Tribunal à conclure que le refus des intimées de vendre à Nadeau n’aurait pas pour effet de créer, préserver ou rehausser le pouvoir de marché des participants sur le marché pertinent. Le Tribunal a constaté que le refus de vendre ne changerait pas la quantité totale de poulet disponible dans le marché en aval; il n’y aurait donc pas vraiment d’incidence sur les consommateurs. Dans l’éventualité où des entreprises de surtransformation subiraient une certaine forme de désavantage concurrentiel à cause de l’incapacité de Nadeau de les approvisionner, le Tribunal ne pouvait pas conclure que cela constituerait un effet nuisible sur la concurrence du marché pertinent dans son ensemble.

 

[41]           Comme Nadeau n’a pas satisfait à trois des cinq conditions énoncées au paragraphe 75(1), le Tribunal a rejeté sa demande visant à obtenir une ordonnance obligeant les intimées à continuer de l’approvisionner en poulet vivant.

 

7)  QUESTIONS EN LITIGE DANS L’APPEL

[42]           Pour avoir gain de cause, Nadeau doit convaincre la Cour que toutes les conditions énoncées au paragraphe 75(1) ont été remplies. Comme le Tribunal a conclu que Nadeau avait prouvé avoir satisfait aux exigences des alinéas 75(1)a) et c), le présent appel porte sur la décision du Tribunal quant aux alinéas 75(1)b), d) et e) de la Loi.

 

[43]           Il y a deux limites au pouvoir de la Cour d’examiner les conclusions du Tribunal : le droit d’appel restreint à l’égard des conclusions de fait du Tribunal et la norme de contrôle.

 

[44]           L’article 13 de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. 1985, ch. 19 (2e suppl.), impose une limite au droit d’appel de Nadeau :

13. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les décisions ou ordonnances du Tribunal, que celles-ci soient définitives, interlocutoires ou provisoires, sont susceptibles d'appel devant la Cour d'appel fédérale tout comme s'il s'agissait de jugements de la Cour fédérale.

 

(2) Un appel sur une question de fait n’a lieu qu’avec l’autorisation de la Cour d’appel fédérale.

 

13. (1) Subject to subsection (2), an appeal lies to the Federal Court of Appeal from any decision or order, whether final, interlocutory or interim, of the Tribunal as if it were a judgment of the Federal Court.

 

 

 

(2) An appeal on a question of fact lies under subsection (1) only with the leave of the Federal Court of Appeal.

 

[45]           Une partie peut interjeter appel d’une conclusion du Tribunal sur une question de fait qu’avec autorisation de notre Cour. Comme aucune demande d’autorisation n’a été déposée, Nadeau ne peut pas contester les conclusions de fait du Tribunal. Nadeau a un droit d’appel illimité sur des questions de droit, sous réserve de la question de la norme de contrôle applicable, mais elle n’a aucun droit d’appel relativement à des questions de fait.

 

[46]           Il reste la question des appels portant sur des questions mixtes de fait et de droit. La distinction entre les questions de fait, les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit a été établie dans l’arrêt de la Cour suprême Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 35, 71 C.P.R. (3d) 417 :

En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions mixtes de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique.

 

[47]           Pour interjeter appel d’une question mixte de fait et de droit, Nadeau doit accepter les faits tels que constatés par le Tribunal. Elle ne peut pas, sous le couvert d’une contestation portant sur une question mixte de fait et de droit, revoir les conclusions factuelles tirées par le Tribunal.

 

[48]           Par conséquent, la question de la norme de contrôle applicable à une question de fait n’est pas soulevée en l’espèce puisque l’autorisation n’a pas été accordée pour interjeter appel d’une question de fait. Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et la jurisprudence de notre Cour penche aussi dans ce sens (voir Canada (Commissaire de la concurrence) c. Supérieur Propane Inc., 2001 CAF 104, par. 39-72, [2001] 3 C.F.185 (C.A.F.), par. 59-92). Les parties ont aussi convenu que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

 

8)  ANALYSE

a)  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Nadeau n’a pas établi qu’elle était incapable de se procurer des quantités suffisantes de poulets vivants en raison de l’insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs du produit sur le marché?

 

[49]           Nadeau soulève quatre questions, qu’elle décrit comme des erreurs de droit, au sujet des conclusions du Tribunal relatives à l’alinéa 75(1)b). J’aborderai ces quatre questions, mais pas dans l’ordre dans lequel elles ont été soulevées par Nadeau :

                     i.      Le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’office de commercialisation de la volaille du Québec n’interviendrait pas pour restreindre le commerce interprovincial du poulet si la volonté de Nadeau de se procurer des poulets de remplacement entraînait une augmentation importante de la quantité de poulet exportée du Québec;

 

                   ii.      Le Tribunal a commis une erreur en concluant que la limitation sur l’offre globale, qui découle du système de gestion de l’offre, était la principale raison pour laquelle Nadeau n’était pas en mesure de se procurer des poulets vivants de façon suffisante après le refus de vendre des intimées;

 

                  iii.      Le Tribunal a commis une erreur en concluant que Nadeau n’a pas établi que la concurrence entre les fournisseurs de poulets vivants était insuffisante quand elle a accepté que le système de gestion de l’offre de la volaille créait un cartel autorisé par l’État entre les producteurs de poulet;

 

                 iv.      Le Tribunal a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si la concurrence était insuffisante entre les fournisseurs.

 

[50]           J’examinerai maintenant chacune de ces questions.

i)  Le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’office de commercialisation de la volaille du Québec n’interviendrait pas pour restreindre le commerce interprovincial du poulet si la volonté de Nadeau de se procurer des poulets de remplacement entraînait une augmentation importante de la quantité de poulet exportée du Québec.

 

[51]           Le Tribunal a entendu le témoignage du Dr Ware, un économiste dont Nadeau a retenu les services, selon lequel l’office de commercialisation de la volaille du Québec interviendrait pour restreindre le commerce interprovincial du poulet si Nadeau réussissait à convaincre un nombre important de producteurs québécois à acheminer leur produit vers son usine. Le Tribunal expose l’essentiel du témoignage du Dr Ware à cet égard (motifs, par. 115) :

M. Ware a toutefois exprimé l’opinion que les organismes gouvernementaux du Québec

interviendraient probablement si la demanderesse remplaçait les poulets des défenderesses par des poulets élevés dans cette province. Selon lui, l’accroissement du commerce interprovincial qui résulterait de ce remplacement se répercuterait directement sur le VAG (« volume d’approvisionnement garanti ») du Québec. Or, en vertu du système d’attribution de VAG, l’office de commercialisation de la volaille du Québec répond aux demandes de transformateurs de l’extérieur du Québec avant d’allouer aux transformateurs de la province des volumes d’approvisionnement en poulet vivant, de sorte que l’augmentation du volume de poulet vendu aux transformateurs d’autres provinces se traduit par une réduction du volume disponible pour les transformateurs du Québec. M. Ware doute que les organismes gouvernementaux de cette province autorisent le maintien à long terme d’un niveau élevé de commerce interprovincial (environ 14 %).

 

 

[52]           Le Tribunal a ensuite examiné la preuve à l’appui de l’hypothèse du Dr Ware et l’a rejetée (motifs, par. 118) :

Nous sommes d’avis qu’il n’existe aucune restriction réglementaire au commerce interprovincial et que, malgré les préoccupations soulevées par les associations de transformateurs à ce sujet, la preuve ne permet pas de conclure suivant la prépondérance des probabilités que l’accroissement du commerce entre le Québec et le Nouveau-Brunswick entraînerait une intervention draconienne d’organismes gouvernementaux du Québec.  

 

[53]           Ayant conclu que rien n’empêchait le commerce interprovincial du poulet vivant, et que cela ne risquait pas de changer, le Tribunal a affirmé que le Québec faisait partie du marché géographique pertinent.

 

[54]           En appel, Nadeau prétend que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant comme il l’a fait. Selon Nadeau, notre Cour doit prendre connaissance d’office d’un règlement adopté par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, après que la décision du Tribunal ait été rendue, qui imposait un moratoire sur les ventes de poulets vivants aux acheteurs des autres provinces. Toujours selon Nadeau, cela démontre que le Tribunal a commis une erreur de droit en incluant le Québec dans le marché géographique aux fins des alinéas 75(1)a) et b).

 

[55]           Le problème avec cet argument est qu’il repose sur le sens à attribuer au témoignage du Dr Ware, lequel portait sur le contexte réglementaire. Il donnait son opinion à l’égard d’une réponse réglementaire possible dans l’éventualité où certains événements se produiraient. En fait, il donnait son opinion sur le déroulement probable des événements dans le futur. Dans Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, p. 478, 18 D.L.R. (4th) 481 [Operation Dismantle], la juge Wilson a décrit une telle preuve comme une preuve de « faits intangibles » :

Ce qui importe aux fins de l’application du principe est, à mon avis, les faits « apportant une preuve ». Ceux-ci peuvent être réels ou intangibles. Les faits réels peuvent être prouvés par preuve directe. Par contre, les faits intangibles peuvent être prouvés par déduction à partir de faits réels ou par témoignage d’experts. Les faits intangibles font fréquemment l’objet d’opinion. La question de la cause probable d’un certain résultat est une bonne illustration, voisine des questions en litige.

 

[56]           Le témoignage du Dr Ware n’a soulevé aucune question de droit, même si les modifications apportées au contexte réglementaire entraînaient la modification du règlement ou d’un autre texte ayant force de loi. Les efforts de Nadeau visant à remettre en question les conclusions du Tribunal sur la réponse du Québec à l’augmentation des exportations de poulets vivants constituent une contestation d’une conclusion de fait, laquelle ne peut faire l’objet du présent appel. Bien que notre Cour puisse prendre connaissance d’office des modifications à la loi d’une province, et bien qu’une cour ne devrait pas faire abstraction de la réalité dans laquelle sa décision sera appliquée, il serait injuste pour les intimées que notre Cour prenne simplement connaissance d’office d’une ou plusieurs modifications réglementaires sans donner aux intimées l’occasion de situer ces modifications dans leur contexte en présentant leur propre preuve,et ce, d’autant plus que les règlements que Nadeau nous a présentés semblent tirer leur origine d’un litige entre les offices de commercialisation du Québec et de l’Ontario, qui n’était pas du tout le fondement de l’opinion du Dr Ware. En résumé, je refuse de prendre connaissance d’office des modifications apportées au régime réglementaire québécois parce qu’elles constituent une contestation sur une des conclusions de fait du Tribunal et qu’il serait injuste pour les intimées de le faire.

 

[57]           Nadeau a cité, à l’appui de sa position, de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Dans Cusson c. Robidoux, [1977] 1 R.C.S. 650, p. 656, 10 N.R. 592 [Cusson], la Cour suprême a conclu ce qui suit :

Comme M. le juge Duff le reconnaît dans l’affaire [Boulevard Heights c. Veilleux (1915), 52 R.C.S. 185] (à la p.192), une cour d’appel doit juger selon la situation qui existe au moment où elle se prononce, non pas nécessairement selon ce qu’était la situation lorsque le juge du procès a statué.

 

[58]           La position adoptée dans Cusson a été confirmée dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, p. 805 (répertorié sous Allan Singer Ltd. c. Québec (Procureur général)), 90 N.R. 48 [Devine]. Nadeau a fourni à la Cour un certain nombre d’autres arrêts en ce sens.

 

[59]           Les arrêts invoqués par Nadeau portent sur une question différente de celle soulevée par la preuve relative aux modifications qui ont subséquemment été apportées au contexte réglementaire du Québec. Ils portent sur les conséquences d’une modification de la loi à appliquer dans une affaire où la loi a été modifiée entre le moment du procès et l’audition de l’appel. Dans Cusson, la question portait sur l’application rétroactive d’une modification apportée aux délais de prescription. Dans Devine, elle portait sur l’importance qu’il convient d’accorder à une exemption constitutionnelle. Dans les deux arrêts, et dans plusieurs autres arrêts à cet effet invoqués par Nadeau, la question portait sur la loi que doit appliquer la Cour à l’égard des faits qui lui ont été présentés. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[60]           Par conséquent, cet argument est rejeté.

 

ii)  Le Tribunal a commis une erreur en concluant que la limitation sur l’offre globale, qui découle du système de gestion de l’offre, était la principale raison pour laquelle Nadeau n’était pas en mesure de se procurer des poulets vivants de façon suffisante après le refus de vendre des intimées.

 

[61]           Au début de l’analyse relative à l’alinéa 75(1)b), le Tribunal a souligné que la disposition avait deux volets. Un demandeur doit d’abord démontrer que la concurrence est insuffisante sur le marché et ensuite, qu’il est incapable de se procurer le produit de façon suffisante en raison de cette insuffisance de concurrence. Le deuxième volet met en cause une conclusion touchant le lien de causalité, soit une question de fait : voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 70 et 159, [2002] 2 R.C.S. 235; Operation Dismantle, précité, par. 79; Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458, par. 16, 140 D.L.R. (4th) 235.

 

[62]           Dans le présent pourvoi, le Tribunal a conclu que Nadeau n’a pas établi que la concurrence était insuffisante, mais il a ajouté que même s’il avait conclu que Nadeau avait réussi à le démontrer, il était convaincu que la « preuve abondante indiqu[ait] que la limitation de l’offre globale, qui découle du système de gestion de l’offre, [était] la principale raison pour laquelle la demanderesse n’[était] pas en mesure de se procurer des poulets vivants de façon suffisante » (motifs, par. 247). En d’autres termes, la conclusion du Tribunal sur l’insuffisance de la concurrence a été dépassée par ses conclusions touchant la cause de l’incapacité de Nadeau de se procurer le produit de façon suffisante.

[63]            Nadeau cherche à contester la décision du Tribunal sur la cause de son incapacité à se procurer le produit de façon suffisante en présentant de nouvelles observations sur les faits : voir mémoire des faits et du droit de l’appelante, par. 55-57. Cependant, comme l’appelante n’a pas obtenu l’autorisation d’interjeter appel d’une question de fait, elle est liée par la décision du Tribunal en ce qui concerne la cause de son incapacité de se procurer du poulet de façon suffisante. Ce motif d’appel est rejeté.

 

iii)  Le Tribunal a commis une erreur en concluant que Nadeau n’a pas établi que la concurrence entre les fournisseurs de poulets vivants était insuffisante quand elle a accepté que le système de gestion de l’offre de la volaille créait un cartel autorisé par l’État entre les producteurs de poulet.

 

[64]           Nadeau prétend également que le Tribunal a commis une erreur en ne donnant pas effet à sa propre déclaration selon laquelle le programme de gestion de l’offre de la volaille constituait un cartel autorisé par l’État entre les producteurs de poulet. Selon Nadeau, les cartels sont de nature anticoncurrentielle, qu’ils soient petits ou grands. Le Tribunal aurait dû appliquer sa propre déclaration sur la nature du système de gestion de l’offre de la volaille à sa conclusion et conclure que la concurrence était insuffisante entre les producteurs de volaille.

 

[65]            Ce motif d’appel est sans fondement. La mention du cartel dans les motifs du Tribunal était simplement un rapport au sujet d’une déclaration faite par des tiers que le Tribunal n’a pas endossée. Plus précisément, le Tribunal a écrit ce qui suit au paragraphe 10 de ses motifs :

D’ailleurs, certains ont décrit le système [de gestion de l’offre de la volaille] comme étant, en fait, un cartel autorisé par l’État.

 

 

[66]           L’assertion selon laquelle le Tribunal a adopté cette déclaration comme si elle était la sienne est sans fondement.

iv)  Le Tribunal a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si la concurrence était insuffisante entre les fournisseurs.

 

 

[67]           Nadeau prétend que le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant que le nombre de producteurs sur le marché et l’absence de preuve qu’ils n’agissaient pas indépendamment les uns des autres, était le critère applicable pour savoir si la concurrence était insuffisante selon l’alinéa 75(1)b) de la Loi. Selon Nadeau, il faut comparer les conditions selon lesquelles il est possible d’obtenir des poulets vivants d’autres sources aux conditions selon lesquelles il était possible d’obtenir des poulets des parties qui refusent de vendre. Nadeau fonde cet argument sur la définition de la concurrence, tirée du dictionnaire, adoptée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans McMillan (J. & A.) Ltd. c. McMillan Press Ltd. (1989), 99 N.B.R. (2d) 181, par. 16, 27 C.P.R. (3d) 390, soit « la tentative de deux parties ou plus qui agissent indépendamment afin d’obtenir la clientèle d’une troisième partie en offrant les conditions les plus favorables ».

 

[68]           Nadeau cite, à l’appui de son argument, des passages tirés des décisions du Tribunal dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Chrysler Canada Ltée, 27 C.P.R. (3d) 1, [1989] D.T.C.C. n° 49 [Chrysler Canada], et Xerox, précité. Selon Nadeau, dans Chrysler Canada, le Tribunal a conclu que la concurrence était insuffisante parce que les autres sources d’approvisionnement étaient des sources inférieures, essentiellement parce que leurs prix étaient plus élevés que le prix auparavant exigé par Chrysler Canada. De même, Nadeau soutient que dans Xerox, le Tribunal a décidé que la concurrence était insuffisante parce que les autres sources d’approvisionnement n’étaient ni suffisantes, ni rentables d’un point de vue économique.

 

[69]           Quel que soit le bien-fondé de l’argument de Nadeau sur ce point, il a aussi été supplanté par la conclusion du Tribunal selon laquelle le système de gestion de l’offre était la cause de l’incapacité de Nadeau de se procurer des poulets vivants de façon suffisante. L’insuffisance de la concurrence dans un marché n’est pertinente que dans la mesure où il est prouvé qu’elle est la cause de l’incapacité de Nadeau de se procurer le produit de façon suffisante. En l’espèce, le Tribunal a conclu que l’insuffisance de la concurrence entre les producteurs n’était pas la cause des problèmes d’approvisionnement de Nadeau.

 

[70]           Par conséquent, je conclus que l’appel interjeté par Nadeau à l’encontre de la décision du Tribunal concernant l’application de l’alinéa 75(1)b) aux faits de l’affaire est rejeté.

 

b)  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que les poulets vivants n’étaient pas disponibles en quantité amplement suffisante?

 

[71]           Le Tribunal a entamé son analyse des exigences énoncées à l’alinéa 75(1)d) en établissant une distinction entre « de façon suffisante », l’expression utilisée aux alinéas 75(1)a) et b), et « quantité amplement suffisante », l’expression utilisée à l’alinéa 75(1)d). Il a renvoyé à divers dictionnaires, en français et en anglais, et a conclu que l’expression « de façon suffisante » signifiait essentiellement qu’il s’agissait d’un « approvisionnement suffisant », d’un approvisionnement juste assez suffisant alors qu’une « quantité amplement suffisante » signifie que « le produit est disponible en quantité abondante ou au point qu’elle soit considérée comme excessive » (motifs, par. 276).

 

[72]           Le Tribunal a ensuite examiné cette définition à la lumière des objets et des buts de la Loi, qui consiste à promouvoir et à préserver la concurrence. Il a conclu que la quantité n’est pas amplement suffisante « lorsque les fournisseurs en général sont empêchés de développer leur entreprise ou même d’en modifier la nature, ou forcés de rationner les produits entre les clients actuels et les clients potentiels du fait que la quantité est limitée ». Il a ajouté qu’un produit était disponible en quantité amplement suffisante si « sa disponibilité ne pose pas problème lorsqu’un fournisseur veut développer son entreprise en cherchant de nouveaux clients ou de nouveaux réseaux commerciaux […] » (motifs, par. 280).

 

[73]           Le Tribunal a fait référence aux transcriptions des audiences du comité parlementaire à l’appui de sa position selon laquelle le produit n’était pas disponible en quantité amplement suffisante en raison d’une pénurie du produit à la suite d’une grève, d’une rareté de matières premières, ou parce que les fournisseurs en amont cessent leurs activités. Le Tribunal s’est fondé sur l’échange suivant (motifs, par. 281) :

M. Frank : Monsieur le président, monsieur le ministre, malheureusement, je n’ai

pas le cerveau juridique dont jouissent la plupart des membres du comité

apparemment, et cela m’inquiète jusqu’à un certain point, car si ce bill est adopté,

j’aimerais bien savoir justement ce qui se passera réellement.

 

À titre de clarification dans un domaine en particulier avec lequel on pourra

comparer d’autres problèmes semblables dans le domaine des engrais chimiques

au cours de l’hiver, on s’est inquiétés passablement du manque de produits à

vendre par les détaillants. À titre d’exemple précis, une société qui fournissait ses

produits à des détaillants a fait faillite et les détaillants, naturellement, ne

pouvaient obtenir ce produit à moins d’essayer de l’acquérir d’autres fabricants.

 

À ce moment-là en particulier, les autres fabricants ont estimé qu’ils devaient

protéger leurs concessionnaires et s’assurer qu’ils ne manquaient pas de produits.

Par conséquent, ils ont refusé de vendre à ces concessionnaires qui,

malheureusement, devenaient des ex-clients de cette autre société. J’aimerais

savoir si ces dispositions actuelles changeraient quelque peu cette situation?

Autrement dit, serait-il nécessaire pour ces fabricants de vendre à des

concessionnaires des produits qu’ils ne leur fournissaient pas auparavant?

 

M. Gray : Non, parce que dans la situation dont vous venez de parler, il semble

que le produit en question n’était pas en quantité suffisante, et afin que la

commission puisse émettre un règlement dans lequel on puisse exiger d’un

fabricant qu’il fournisse ce produit à quelqu’un, il faudrait d’abord déterminer que

            ce produit était en quantité suffisante.

 

[74]           En commentant cet échange, le Tribunal a fait deux observations : premièrement, que cet échange appuyait la thèse selon laquelle la disposition devait s’appliquer seulement lorsqu’il existe une preuve que le produit est disponible en quantité amplement suffisante sur le marché; et, deuxièmement, que le fournisseur ne serait pas tenu de rationner un approvisionnement limité de manière telle que ses clients existants ne pourraient obtenir les mêmes quantités qu’ils ont obtenues dans le passé.

 

[75]           En arrivant à sa conclusion définitive sur la définition de « quantité amplement suffisante », le Tribunal a fait référence à une décision qu’il a rendue antérieurement sur le même sujet, Quinlan’s of Huntsville Inc. c. Fred Deeley Imports Ltd., 2004 Trib. conc. 28 [Quinlan’s]. Dans cette affaire, Quinlan’s, un concessionnaire de longue date de motocyclettes Harley Davidson, a été avisé que son entente de concession ne serait pas renouvelée. Quinlan’s a invoqué les dispositions de la Loi relatives aux poursuites privées et a demandé une ordonnance provisoire d’approvisionnement contre Fred Deeley Imports Ltd. (Deeley), le distributeur de motocyclettes Harley Davidson au Canada.

 

[76]           La preuve dont disposait le Tribunal révélait que Deeley obtenait ses motocyclettes Harley Davidson d’une usine située aux États-Unis, le seul fournisseur de motocyclettes Harley Davidson dans le monde. Au moment de la demande, Deeley avait un nombre confirmé d’unités qu’elle pouvait obtenir, qu’elle avait entièrement attribué aux membres de son réseau de concessionnaires. Par conséquent, les motocyclettes qu’elle devrait fournir à Quinlan’s aux termes de l’ordonnance qu’aurait pu rendre le Tribunal devraient provenir du nombre d’unités déjà attribué aux autres concessionnaires. Le Tribunal a formulé la question dont il était saisi de la façon suivante (Quinlan’s, précité, par. 17) :

À partir de ces faits, se pose donc la question de savoir s’il est possible, eu égard aux présentes circonstances — toutes les motocyclettes 2005 ayant déjà été attribuées aux concessionnaires, ceux-ci ayant été informés de cette attribution et ayant choisi des modèles particuliers —, de conclure que les motocyclettes H-D de modèle 2005 sont disponibles en quantité amplement suffisante.

 

[77]           Le Tribunal était d’avis que l’article 75 de la Loi était censé viser des situations « où le produit est disponible immédiatement et libre de toute charge, en ce sens qu’il n’a pas été vendu ni promis à un autre acheteur » (Quinlan’s, précité, par. 19). Compte tenu de la preuve dont il disposait, le Tribunal a conclu que le seul moment où les motocyclettes Harley Davidson étaient disponibles en quantité amplement suffisante remontait à l’époque précédant la date où Deeley a transmis sa commande à l’usine. Le Tribunal a ensuite conclu que, bien qu’il ait été prouvé que les motocyclettes Harley Davidson étaient disponibles en quantité amplement suffisante à certains moments de l’année, elles ne l’étaient pas au moment où la demande de Quinlan’s a été déposée.

 

[78]           En l’espèce, le Tribunal a conclu qu’il devrait définir l’expression « quantité amplement suffisante » d’une manière qui soit conforme à sa décision dans Quinlan’s. Il a décidé que l’expression visait les « situations où le produit est disponible en quantité amplement suffisante, dans le cas où les fournisseurs n’ont pas à choisir entre servir de nouveaux clients ou continuer à offrir à leurs clients existants les quantités qu’ils leur fournissent historiquement » (motifs, par. 283).

 

[79]           Le Tribunal a ensuite appliqué cette définition aux faits du marché des poulets vivants. Le Tribunal a indiqué que le système de gestion de l’offre de la volaille est conçu pour répondre à la demande des consommateurs pour des produits avicoles. Il y a des mécanismes qui prévoient le rajustement du niveau de l’offre pour réagir aux fluctuations de la demande des consommateurs, mais ces mécanismes ne permettent pas une réaction rapide aux fluctuations du marché. De plus, ces mécanismes fonctionnent au niveau « macro » et les augmentations de contingents sont attribués à la province et ensuite, au prorata, aux producteurs existants. Cela n’aide guère les producteurs qui veulent augmenter leur production pour répondre à la demande accrue des transformateurs. À la lumière de tous ces facteurs, le Tribunal a indiqué qu’on ne peut affirmer que le produit, des poulets vivants, est disponible en quantité amplement suffisante, en ce sens qu’il est « disponible en temps utile pour les personnes qui désirent accroître ou développer les activités de leur entreprise » (motifs, par. 288).

 

[80]           Enfin, le Tribunal a examiné l’argument de Nadeau selon lequel les intimées ne devraient pas pouvoir tirer profit de leur inconduite, qui visait à forcer la vente de l’usine Nadeau à un prix intempestif. Le Tribunal a affirmé qu’il n’avait pas à tenir compte des intentions des intimées puisqu’il a conclu que les poulets vivants n’étaient pas disponibles en quantité amplement suffisante.

 

[81]           Nadeau prétend que le Tribunal a mal interprété la Loi. Selon elle, la question de « quantité amplement suffisante » s’applique uniquement dans les cas où l’approvisionnement est restreint par des facteurs indépendants de la volonté du fournisseur. C’est ce qu’il faut conclure, car un fournisseur qui refuse de vendre à un client doit avoir un autre marché pour le produit qu’il refuse de vendre à la plaignante.

 

[82]           Nadeau fait valoir que les intimées ne devraient pas pouvoir acheminer leur produit d’un transformateur à un autre et, ce faisant, créer une insuffisance de l’approvisionnement envers le premier transformateur, ce qui les protège contre les poursuites en vertu de l’article 75 de la Loi. Nadeau soutient que le complot entre les intimées et Olymel en vue de ruiner son entreprise est vraiment anticoncurrentiel et devrait être traité comme tel.

 

[83]           Nadeau ajoute que les faits de l’espèce ne sont pas comparables à ceux de Quinlan’s. En l’espèce, les intimées n’avaient aucun autre client préexistant, en ce sens qu’ils avaient historiquement vendu toute leur production du Nouveau-Brunswick à Nadeau. Personne d’autre n’avait priorité sur le produit vendu à Nadeau. Par conséquent, le produit était disponible immédiatement, et ce, en quantité amplement suffisante.

 

[84]           En résumé, l’argument de Nadeau est fondé sur le fait que, entre elle et les intimées, il y a une quantité amplement suffisante de poulet. Le détournement de l’approvisionnement par les intimées n’entraîne pas la réduction de l’approvisionnement. La quantité de poulet transformé n’a pas changé. La production de poulet permet toujours de répondre à la demande des consommateurs. Le produit est donc disponible en quantité amplement suffisante.

 

[85]           La question de savoir si un produit est disponible en quantité amplement suffisante est une question mixte de fait et de droit. La définition de « quantité amplement suffisante » est une question de droit; il s’agit d’interpréter l’expression « en quantité amplement suffisante » qui se trouve à l’alinéa 75(1)d) de la Loi.

 

[86]           La jurisprudence qui porte sur le sens à donner à l’expression « quantité amplement suffisante » n’est pas abondante. La question a été examinée de façon explicite dans Quinlan’s et a été abordée dans Chrysler Canada et Xerox, précités. Dans ces deux dernières décisions, il est question d’un fournisseur unique. Dans chaque affaire, on a tenu pour acquis, sans autre élément de preuve, que le produit était disponible en quantité amplement suffisante. Cela découle probablement du fait que dans chaque affaire, rien n’indiquait que le fournisseur n’avait pas les moyens d’approvisionner la plaignante et le reste du marché pour les produits en question. Quinlan’s était une autre affaire où il n’y avait qu’un seul fournisseur puisque Deeley était le distributeur exclusif de motocyclettes Harley Davidson au Canada.

 

[87]           La présente affaire diffère de la jurisprudence, en ce sens qu’elle porte sur le refus d’approvisionner un produit de base (en ce sens que des poulets vivants peuvent être remplacés par d’autres poulets vivants (sous réserve de certains paramètres de poids qui ne sont pas pertinents ici) dans un marché où interviennent de multiples fournisseurs. Lorsqu’il existe plusieurs sources d’approvisionnement, on pourrait s’attendre à ce qu’un client visé par le refus de vendre d’un fournisseur puisse obtenir un approvisionnement de remplacement d’autres fournisseurs à des prix concurrentiels parce que les autres fournisseurs ont le produit en inventaire ou peuvent augmenter la production pour répondre à la demande. Cette capacité à augmenter la production pour répondre à la demande semble être un indicateur d’un marché où le produit est disponible en quantité amplement suffisante.

[88]           Je suis d’accord avec la conclusion du Tribunal sur la question de la quantité amplement suffisante, mais je formulerais le critère en fonction de ce qui constitue une quantité amplement suffisante plutôt qu’en fonction de ce qui ne constitue pas une quantité amplement suffisante. Je dirais qu’un produit est disponible en quantité amplement suffisante quand les producteurs de ce produit ont la capacité d’augmenter la production en temps utile pour répondre aux augmentations de la demande. Lorsqu’il y a une incapacité à augmenter la production pour répondre aux augmentations de la demande, il en résulte une pénurie du produit, qui oblige les fournisseurs à choisir entre offrir à leurs clients existants les quantités qu’ils leur fournissent historiquement et servir de nouveaux clients. La pénurie d’un produit entraîne également une hausse du prix, ce qui, comme l’a indiqué le Tribunal, était susceptible de se produire (du moins dans le marché des poulets vivants) si le refus de vendre des intimées était autorisé.

 

[89]           À mon avis, le Tribunal n’a pas commis une erreur de droit en définissant l’expression « quantité amplement suffisante » comme il l’a fait, bien que je reformulerais le critère en termes positifs.

 

[90]           Au moment d’appliquer la définition de « quantité amplement suffisante » aux faits de l’espèce, le Tribunal a conclu que, dans le contexte du système de gestion de l’offre de la volaille, les producteurs ne peuvent pas augmenter leur production pour répondre à la nouvelle demande des transformateurs. Les contingents sont fixés en fonction de la demande des consommateurs, non de la demande des transformateurs, de sorte que le contingentement est essentiellement insensible aux changements de la demande des transformateurs.

 

[91]           Les producteurs peuvent seulement répondre aux augmentations de la demande des transformateurs en acheminant leur production d’un transformateur à un autre en échange d’un supplément. Un marché où l’on ne peut répondre à l’augmentation de la demande d’un produit qu’en acheminant une quantité du produit d’un client à un autre n’est pas un marché où le produit en question est disponible en quantité amplement suffisante. La conclusion du Tribunal sur ce point est raisonnable.

 

[92]           Par conséquent, je suis d’avis de rejeter ce moyen d’appel.

 

c)  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Nadeau n’avait pas démontré que le refus de vendre des intimées avait vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans le marché?

 

[93]           En examinant cet élément du paragraphe 75(1), le Tribunal s’est penché sur plusieurs questions, dont seules quelques-unes étaient contestées par Nadeau devant notre Cour. Les questions soulevées par Nadeau sont les suivantes :

(i)      Le Tribunal a commis une erreur en limitant le marché pertinent, aux fins de l’alinéa 75(1)e), au marché « en aval »;

 

(ii)    Le Tribunal a commis une erreur en ne désignant pas le marché du poulet refroidi à l’air comme un marché de produit distinct;

 

(iii)   Le Tribunal a commis une erreur en n’évaluant pas correctement l’effet nuisible du refus de vendre des intimées sur la qualité et la disponibilité des produits;

 

(iv)  Le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de l’effet de l’élimination d’un concurrent efficace.

 

[94]           Je vais maintenant examiner chacune de ces questions à tour de rôle.

 

i)  Le Tribunal a commis une erreur en limitant le marché pertinent, aux fins de l’alinéa 75(1)e), au marché « en aval ».

 

[95]           Le Tribunal a d’abord défini le marché en question à l’alinéa 75(1)e) comme étant le marché « en aval », c’est-à-dire le marché sur lequel Nadeau vend son produit. Nadeau conteste cette définition et prétend que la Loi permet au Tribunal d’examiner les effets nuisibles dans « un » marché ce qui, selon Nadeau, signifie tout marché, y compris celui où Nadeau achète le poulet vivant. Elle affirme que la preuve établit que le refus de vendre des intimées entraînera une hausse des suppléments de prix versés aux producteurs québécois dans le but de les convaincre de vendre à Nadeau, de sorte qu’il y aura une hausse des prix dans le marché « en amont ». Cela, dit-elle, constitue une preuve d’un effet nuisible à la concurrence dans « un » marché.

 

[96]           À mon avis, cette analyse est viciée. L’alinéa 75(1)e) est l’un des éléments auxquels il faut satisfaire avant d’avoir droit à une ordonnance d’approvisionnement. L’alinéa 75(1)a) dispose que le plaignant doit prouver qu’il est incapable de se procurer un produit de façon suffisante aux conditions de commerce normales en raison de l’insuffisance de la concurrence. L’alinéa 75(1)b) oblige le plaignant à prouver que l’insuffisance de la concurrence est la raison de son incapacité de se procurer un produit de façon suffisante. Comme les alinéas 75(1)a) et b) portent sur les problèmes d’approvisionnement du plaignant, ils doivent se rapporter au marché en amont – le marché où le plaignant est l’acheteur.

 

[97]           Il y aurait redondance si la loi exigeait, comme condition à l’octroi d’une ordonnance d’approvisionnement, que le plaignant démontre une autre distorsion du marché en amont du poulet vivant – un marché qui est, hypothétiquement, déjà caractérisé par une insuffisance de la concurrence. À mon avis, le renvoi dans la loi à « un » marché est un renvoi à tout marché pertinent du produit ou à tout marché géographique pertinent où le plaignant vend son produit. Par conséquent, je suis d’avis que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en ne tenant compte que du marché « en aval » dans cette partie de l’analyse.

 

[98]           Cette conclusion est compatible avec le fait que l’alinéa 75(1)e) a été introduit dans le paragraphe 75(1) au même moment que le droit d’intenter une poursuite privée. J’estime que le plaignant est tenu de démontrer l’existence d’un effet nuisible dans un marché dans le but d’éviter les poursuites privées fondées sur un préjudice qui a été causé à un seul participant au marché sans qu’il y ait eu une incidence sur les marchés pertinents en soi. B.A. Facey et D.H. Assaf, les auteurs de Competition & Antitrust Law, 3e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2006) p. 336, ont exprimé une opinion semblable, en se fondant sur des documents publiés par le Bureau de la concurrence :

[traduction] Initialement, l’article 75 ne contenait aucune exigence relative à la concurrence selon laquelle le refus de vendre « a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché ». Cet élément a été ajouté dans le cadre de la modification visant à permettre les poursuites privées afin d’éliminer les demandes spécieuses et de répondre aux préoccupations légitimes des personnes concernées en ce qui a trait aux risques de poursuites stratégiques intentées par des parties privées.

 

[99]           La Loi sur la concurrence a pour objet de protéger les consommateurs, et de protéger les participants au marché seulement dans la mesure où l’on peut démontrer que la protection du consommateur en résulte.

 

ii)  Le Tribunal a commis une erreur en ne désignant pas le marché du poulet refroidi à l’air comme un marché de produit distinct.

 

[100]       Dans les observations qu’elle a présentées au Tribunal, Nadeau a identifié le marché du produit pertinent aux fins du paragraphe 75(1) (affidavit de Roger Ware, établi sous serment le 22 septembre 2008, par. 10, volume d’appel confidentiel, vol. 4, p. 1437 [je souligne]) :

[Traduction] Il y a possiblement trois marchés de produit en cause en l’espèce. Si nous commençons avec les acheteurs de poulet transformé et que nous suivons la chaîne de production, ils sont :

 

-  le marché du poulet transformé;

-  le marché de l’achat de poulet vivant;

-  le marché de la vente de poulet.

 

[101]       L’expert de Nadeau, Dr Ware, a apporté une réserve en disant que [traduction] « le procédé de refroidissement à l’air, adopté par Nadeau et Olymel pour produire le poulet transformé, a peut-être créé un marché distinct pour un produit de qualité supérieure et plus dispendieux » (affidavit du Dr Ware, précité, par. 11).

 

[102]       Lors de son témoignage principal, Dr Ware a mentionné que les économistes antitrust ont établi une définition précise des marchés de produit et que certains sous-produits du marché du poulet transformé pourraient répondre à cette définition. Dr Ware a donné deux exemples de sous-produits, le poulet refroidi à l’air et le poulet inférieur à un certain poids. Il est toutefois arrivé à la conclusion suivante : [traduction] « […] nous étions loin de disposer de suffisamment d’information pour effectuer cette distinction » (transcription confidentielle, vol. 2, p. 672).

 

[103]       Le Tribunal a accepté le témoignage du Dr Ware tel qu’il a été présenté et a conclu que la preuve au dossier ne permettait pas de conclure que le poulet refroidi à l’air appartenait à un marché de produit distinct (motifs, par. 298).

 

[104]       Devant notre Cour, Nadeau a affirmé que le Tribunal a commis une erreur en n’arrivant pas à la conclusion que le poulet refroidi à l’air appartenait à un marché de produit distinct aux fins de l’alinéa 75(1)e) de la Loi. Elle prétend que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des autres éléments de preuve selon lesquels le poulet refroidi à l’air constitue un marché de produit distinct.

 

[105]       Nadeau a ensuite cité la décision de notre Cour dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1995] 3 C.F. 557, 185 N.R. 321 inf. [1997] 1 R.C.S. 748, 209 N.R. 20, pour affirmer que certains facteurs auraient dû être pris en considération pour déterminer si les produits appartenaient à des marchés distincts. Nadeau a examiné les faits à la lumière de ces facteurs et a conclu que le Tribunal aurait dû conclure que le poulet refroidi à l’air constituait un marché de produit distinct.

 

[106]       L’approche adoptée par Nadeau est à tout le moins curieuse. Son propre expert était d’avis que l’information ne permettait pas à un économiste antitrust de déterminer si le poulet refroidi à l’air constituait un marché de produit distinct. Dr Ware connaissait sans doute la preuve sur laquelle Nadeau fonde son argument à cet égard. Nadeau demande à notre Cour d’arriver à une conclusion différente que celle de son propre expert.

 

[107]       Le Tribunal a entendu Dr Ware ainsi que toute la preuve à laquelle Nadeau fait maintenant référence. Il a conclu que Dr Ware avait raison et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le poulet refroidi à l’air constituait un marché de produit distinct. Comme il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, je ne vois pas comment la décision du Tribunal à cet égard pourrait être considérée comme déraisonnable. Ce motif d’appel est rejeté.

 

iii)  Le Tribunal a commis une erreur en n’évaluant pas correctement l’effet nuisible du refus de vendre des intimées sur la qualité et la disponibilité des produits.

 

[108]       Nadeau prétend que le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte des témoignages d’un certain nombre de ses clients selon lesquels la disparition de Nadeau entraînerait une baisse de la qualité et de la disponibilité des produits dans le marché. Nadeau a ensuite examiné des extraits de ces témoignages dans le but d’illustrer ce point.

 

[109]       J’estime que ce raisonnement équivaut à une contestation des conclusions de fait du Tribunal, domaine où la Cour ne peut intervenir. Le Tribunal a soigneusement énoncé des affirmations faites par des témoins cités par Nadeau et a souligné leurs commentaires relativement à la qualité et à la disponibilité des produits. En fin de compte, le Tribunal n’a pas accordé à la preuve le poids que Nadeau souhaitait, pour les motifs énoncés aux paragraphes 455-461. Nadeau cherche à convaincre la Cour à réévaluer la preuve dans l’espoir qu’elle arrivera à une conclusion différente de celle du Tribunal. Il ne s’agit que d’un appel sur une question de fait à l’égard duquel l’autorisation n’a pas été accordée.

 

[110]       Quoi qu’il en soit, l’argument repose sur la prémisse que, sans ordonnance d’approvisionnement, Nadeau cessera d’exister. Le Tribunal n’est pas arrivé à cette conclusion. Il a conclu que Nadeau serait incapable de se procurer des poulets vivants de façon suffisante aux conditions du commerce normales, de sorte qu’elle devrait verser un supplément supérieur à celui qu’elle versait déjà pour pouvoir s’approvisionner auprès des producteurs de poulets vivants du Québec. Cela entraînerait probablement une perte de revenus importante, mais cela ne signifie pas que Nadeau ne serait pas rentable ou qu’elle serait nécessairement déficitaire. Par conséquent, la prémisse qui sous-tend cet argument n’est pas établie.

 

[111]       Le Tribunal n’a pas accepté l’hypothèse selon laquelle Nadeau disparaîtrait du marché si aucune ordonnance d’approvisionnement n’était rendue, comme il l’a indiqué au paragraphe 458 de ses motifs :

[B]on nombre de plaintes des clients visent des scénarios limités, à savoir la possibilité que la [Nadeau] ferme ses portes ou qu’elle soit acquise par Olymel. De nombreux autres scénarios sont envisageables. Par exemple, [Nadeau] pourrait remplacer une partie seulement des poulets des défenderesses par des poulets du Québec. Elle pourrait continuer à exercer ses activités comme d’habitude, ou à une échelle plus petite […]

 

[112]       Pour ces deux raisons, ce motif d’appel est rejeté.

 

iv)  Le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de l’effet de l’élimination d’un concurrent efficace.

 

[113]       Cet argument a déjà été examiné dans la partie précédente. Le Tribunal n’a pas accepté la proposition selon laquelle le refus de vendre des intimées entraînerait nécessairement la fermeture de l’usine Nadeau. Comme l’a indiqué le Tribunal, « […] nous estimons qu’il est peu probable que [Nadeau] ferme ses portes » (motifs, par. 467).

[114]       Cela dit, cet argument vise à convaincre la Cour de réexaminer et de réévaluer la preuve dans l’espoir qu’elle arrivera à une conclusion différente de celle du Tribunal. L’effet de la fermeture de l’usine Nadeau est une pure question de fait, peut-être un « fait intangible ». Il n’y a aucun aspect juridique dans cette question. Nadeau ne peut pas éviter ce problème en disant que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de tous les faits pertinents. La question n’est pas de savoir si le Tribunal a examiné toute la preuve; elle porte plutôt sur les conclusions tirées par le Tribunal à partir de cette preuve. Les conclusions de fait du Tribunal ne peuvent pas être contestées dans le cadre du présent appel.

 

[115]       Il vaut toutefois la peine de rappeler que la prémisse qui sous-tend cet argument n’a pas été acceptée par le Tribunal.

 

[116]       Je suis donc d’avis que la conclusion du Tribunal selon laquelle le refus d’approvisionner des intimées n’aurait pas eu pour effet de nuire à la concurrence dans un marché est raisonnable. Nadeau ne m’a pas convaincu qu’il existe une raison pour laquelle notre Cour pourrait modifier la décision du Tribunal.

 

d)  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Nadeau était sensiblement gênée dans son entreprise du fait qu’elle était incapable de se procurer un produit de façon suffisante, où que ce soit sur un marché, aux conditions normales de commerce normales?

 

[117]       Cette question a été soulevée par les intimées dans leur mémoire des faits et du droit. Ces dernières n’ont pas formé d’appel incident puisqu’elles ne cherchent pas à faire modifier la décision du Tribunal relativement à la demande de Nadeau. Cependant, elles sont d’avis que si Nadeau réussit à nous convaincre d’annuler les conclusions du Tribunal, relativement aux alinéas 75(1)b), d) et e), elles veulent alors tenter de nous convaincre que le Tribunal a commis une erreur en tirant ses conclusions relatives à l’alinéa 75(1)a). Comme les cinq éléments du paragraphe 75(1) doivent être présents avant qu’une ordonnance d’approvisionnement puisse être rendue, nous devrions rejeter l’appel si les intimées obtenaient gain de cause sur cette question, et ce, même si Nadeau avait obtenu gain de cause en ce qui concerne les motifs d’appel qu’elle avait invoqués.

 

[118]       Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé en ce qui concerne les alinéas 75(1)b), d) et e), il n’est pas nécessaire que j’examine cette question.

 

9)  CONCLUSION

[119]       Pour avoir gain de cause, Nadeau doit nous convaincre que le Tribunal a commis une erreur susceptible d’examen dans sa façon de traiter chacun des alinéas 75(1)b), d) et e) de la Loi. Le paragraphe 75(1) exige que chacune des conditions soit remplie avant que le Tribunal puisse rendre une ordonnance d’approvisionnement. Je ne suis pas convaincu que le Tribunal a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion déraisonnable en ce qui a trait à l’un ou l’autre des éléments qu’il a pris en considération pour décider que Nadeau n’avait pas établi :

a)      qu’elle est incapable de se procurer des poulets vivants de façon suffisante aux conditions de commerce normales en raison de l’insuffisance de la concurrence;

 

b)      que les poulets vivants étaient disponibles en quantité amplement suffisante pendant les périodes pertinentes;

 

c)      que le refus de vendre des intimées a eu pour effet de nuire à la concurrence dans un marché.

 

 

 

 

[120]       Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

J.D. Denis Pelletier

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

     M. Nadon j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord

     Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-342-09

 

APPEL INTERJETÉ CONTRE UNE ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE, DATÉE DU 8 JUIN 2009, N° DE DOSSIER Ct-2008-004.

 

INTITULÉ :                                                                           Nadeau Ferme Avicole Limitée/Nadeau Poultry Farm Limited et Groupe Westco Inc. et Groupe Dunaco, Coopérative Agroalimentaire et Volailles Acadia S.E.C. et Volailles Acadia Inc./Acadia Poultry Inc.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 18 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 2 juin 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Leah Price

Andrea M. Marsland

 

Ron E. Folkes

POUR L’APPELANTE

 

 

POUR L’APPELANTE

 

Denis Gascon

Eric Lefebvre

Martha A. Healey

Alexandre Bourbonnais

 

 

 

 

 

 

Olivier Tousignant

 

 

 

Valérie Belle-Isle

 

POUR L’INTIMÉE

Groupe Westco Inc.

 

 

 

 

 

 

 

 

POUR L’INTIMÉE

Groupe Dynaco, Coopérative Agroalimentaire

 

POUR LES INTIMÉES

Volailles s Acadia S.E.C. et Volailles Acadia Inc./Acadia Poultry Inc.

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fogler, Rubinoff LLP

Toronto (Ontario)

 

Folkes Legal Professional Corporation

Brampton (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

 

POUR L’APPELANTE

 

Ogilvy Renault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

 

Joli-Coeur, Lacasse, S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

 

 

Lavery, De Billy,S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

 

POUR L’INTIMÉE

Groupe Westco Inc.

 

 

POUR L’INTIMÉE

Groupe Dynaco, Coopérative Agroalimentaire

 

POUR LES INTIMÉES

Volailles s Acadia s.e.c. et Volailles Acadia Inc./Acadia Poultry Inc.

 

 

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