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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110602

Dossier : A-338-10

Référence : 2011 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

WARREN MCDOUGALL

appelant

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

intimé

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 5 mai 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110602

Dossier : A-338-10

Référence : 2011 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

WARREN MCDOUGALL

appelant

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               L’appelant se pourvoit contre le jugement (publié sous la référence 2010 CF 747) rendu par la juge Tremblay‑Lamer (la juge de première instance) à l’effet de rejeter la demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, qu’il a présentée à l’encontre de la décision du sous‑commissaire principal du Service correctionnel du Canada (le SCC) rejetant son grief relatif (a) à la validité de l’ordre permanent no 770 (OP 770) établi par le directeur de l’Établissement Ferndale et (b) à la suppression des droits de visite de deux visiteurs de l’appelant.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

 

Contexte

[3]               La consommation de drogues illicites dans les pénitenciers fédéraux pose un problème préoccupant pour l’administration correctionnelle canadienne. Un rapport daté du mois d’octobre 2007 préparé par le Comité d’examen du Service correctionnel du Canada (le Comité d’examen) a été soumis au ministre de la Sécurité publique. Le rapport comprenait une évaluation indépendante de la contribution du SCC à la sécurité publique et proposait (ou recommandait) des moyens d’améliorer le système correctionnel fédéral actuel. Le rapport exprimait de sérieuses préoccupations à l’égard de l’usage de drogues illicites par des détenus des pénitenciers fédéraux, qu’il décrivait par ailleurs comme plus violents et plus insoumis qu’avant et plus indifférents aux répercussions. On peut notamment y lire, aux pages 27 et 28 :

Plusieurs facteurs peuvent contribuer à ce climat d’inconduite. Toutefois, le Comité croit connaître l’élément clé sous-jacent aux facteurs de risque : la consommation et le trafic de la drogue. Il n’est pas surprenant que la toxicomanie et le trafic de la drogue causent des problèmes dans les pénitenciers, car environ quatre délinquants sur cinq sont déjà lourdement toxicomanes dès leur admission au pénitencier et un délinquant sur deux a commis le crime à l’origine de sa peine sous l’influence de la drogue, de l’alcool ou d’une autre substance intoxicante. La population carcérale actuelle du SCC est composée de délinquants qui tentent d’exploiter toutes les faiblesses des systèmes de sécurité des pénitenciers dans le but d’y faire entrer de la drogue.

 

Un membre du Comité consultatif des citoyens du bureau de libération conditionnelle de Victoria en Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Lorsque des détenus me disent que, dans un établissement, ils

peuvent obtenir n’importe quelle drogue vendue dans la rue, et quand

j’entends les employés du SCC en milieu correctionnel parler de la violence

liée à la drogue, je me demande si on déploie réellement tous les efforts

possibles pour empêcher la drogue d’entrer dans les établissements.

 

Le Comité est convaincu du lien entre la drogue et l’augmentation des gangs criminalisés dans les pénitenciers du SCC, et que cette augmentation a une incidence sur la hausse de la violence puisque ces gangs tentent de continuer leurs activités criminelles …

[…]

 

Les membres du Comité sont d’avis que la présence de la drogue dans un pénitencier fédéral est inacceptable et, surtout, crée un milieu dangereux pour les employés et pour les délinquants, car la drogue entraîne des agressions sur des délinquants et des employés, la prolifération des maladies infectieuses comme le VIH/sida et l’hépatite, ainsi que la destruction de tout espoir de fournir un milieu sécuritaire où les délinquants peuvent se concentrer sur leur réadaptation.

 

Ce portrait peut sembler sombre, mais le Comité croit qu’il existe des solutions qui nécessiteront une attention soutenue.

 

 

 

[4]               De nombreux groupes d’intérêt ont indiqué au Comité d’examen qu’ils estimaient que les visiteurs constituaient l’une des principales sources de drogues dans les pénitenciers (Rapport, page 32), ce qui a amené celui‑ci à recommander que le contrôle et la supervision des visiteurs soient intensifiés et, notamment, que soit créée une base de données nationale de tous les visiteurs (Rapport, page 68).

 

[5]               Le SCC a donné suite au rapport et aux recommandations et lancé des initiatives d’amélioration de la sécurité, notamment des plans visant expressément l’élimination des drogues. Il a entre autres créé la base de données nationale des visiteurs, qui permet d’effectuer des recoupements entre les listes de visiteurs des différents établissements, afin de repérer les personnes rendant visite à de multiples détenus.

 

[6]               Dans le contexte de cette base de données, le directeur intérimaire de la Direction générale de la sécurité du SCC a diffusé, en vertu de l’article 4 de la directive du commissaire CD‑770 concernant la visite de détenus, le bulletin de sécurité no 2008-06 (le Bulletin) le 30 juin 2008, précisant la procédure à appliquer en matière d’autorisation de visite, laquelle exige que, pour tout nouveau visiteur, on vérifie s’il rend visite à d’autres détenus et qu’on lui refuse l’autorisation de visite s’il ne justifie pas de façon satisfaisante de la raison de ces visites.

 

[7]               Par suite du Bulletin, le directeur de l’Établissement Ferndale a décidé de se doter d’un instrument de contrôle des visiteurs, et a établi l’OP 770 au mois d’août 2008. Les dispositions pertinentes de l’OP 770 pour le présent appel sont les articles 5 à 7, qui prévoient notamment ce qui suit :

[traduction]

5. Le Comité des visites est formé du gestionnaire des opérations (qui le préside), du gestionnaire correctionnel, d’agents de renseignements de sécurité, d’employés affectés aux V&C [visites et correspondance] et d’autres membres ad hoc.

 

6. Le Comité des visites examine les demandes des personnes qui souhaitent entrer dans l’établissement pour y visiter des détenus.

 

7. Le contrôle de sécurité des nouveaux visiteurs comprend une vérification portant sur tout autre détenu que l’intéressé pourrait visiter. Les procédures suivantes serviront à déterminer si un nouveau candidat aux visites figure sur la liste des visiteurs d’un autre détenu :

a) lorsqu’il reçoit une demande, l’agent affecté aux V&C vérifie comme d’habitude qu’elle est correctement et entièrement remplie [...]

d) s’il figure sur la liste des visiteurs d’un autre détenu, une lettre lui sera envoyée le priant d’expliquer pourquoi il demande à visiter tel ou tel détenu à l’Établissement Ferndale;

e) l’explication reçue par le préposé aux visites et à la correspondance sera examinée au cours d’une réunion du Comité des visites, avant la vérification auprès du CIPC;

f) si l’explication est acceptable, la procédure suivra son cours, et il y aura saisie des renseignements dans le SGD, vérification auprès du CIPC, etc.;

g) si l’explication n’est pas acceptable, le visiteur en sera informé par lettre. Ce renseignement sera également saisi dans le SGD et la mention « REFUSÉ » sera inscrite à l’égard des contacts du détenu. Cela nous permettra de déterminer si des personnes tentent à répétition de rendre visite à des détenus d’autres établissements. Le détenu sera lui aussi informé que le visiteur s’est vu refuser l’autorisation;

h) en cas d’inscription d’une personne sur la liste des visiteurs d’un autre détenu (avec mention « ANNULÉ ») figurant dans RADAR, la demande sera examinée de la façon habituelle parce que le visiteur n’est plus un visiteur actif de la liste des visiteurs de l’autre détenu.

 

 

[8]               À la suite de la recherche effectuée par l’Établissement Ferndale pour déterminer si des personnes visitaient plus d’un détenu dans les établissements de la région du Pacifique, le nom de deux visiteurs de l’appelant est ressorti. Une lettre a été envoyée à ces deux personnes le 27 août 2008, les priant d’expliquer par écrit qui elles visitaient et à quel établissement et d’indiquer si elles souhaitaient continuer à visiter ces détenus. La lettre les informait que leur autorisation de visite serait supprimée si elles ne fournissaient pas l’explication demandée dans un délai de quatre semaines, mais qu’elle pourrait être rétablie après présentation d’une nouvelle demande de visite.

 

[9]               Les deux visiteurs ont refusé ou négligé de répondre à cette lettre, ce qui fait que le 2 octobre 2008, une lettre leur a été envoyée pour les informer que leur autorisation de visite avait été supprimée mais qu’ils pouvaient communiquer avec le service des visites et de la correspondance pour obtenir des précisions. Aucun ne l’a fait. De plus, rien n’indique que l’un ou l’autre d’entre eux ait subséquemment présenté une nouvelle demande pour rendre visite à l’appelant.

 

[10]           L’appelant a été informé de la suppression de ces autorisations de visite le 23 décembre 2008 et a immédiatement déposé une plainte; il a alors eu la possibilité de rencontrer le Comité des visites pour discuter de la question. Il a ensuite déposé un grief contestant la légalité de l’OP 770 et la décision de supprimer les autorisations. L’essentiel de l’argument invoqué par l’appelant durant tout le processus de grief a été exposé ainsi dans l’énoncé du grief au premier palier (dossier d’appel, page 112) :

[traduction] Le CAV [Comité d’approbation des visiteurs] a affirmé que plusieurs visiteurs avaient répondu à la lettre et que lorsque les raisons qui y étaient données ont été examinées, il les avaient jugé satisfaisantes et avait maintenu les autorisations de visite. J’ai fait remarquer que ce processus était illégal puisque la loi n’impose pas aux visiteurs d’expliquer la nature ou la qualité de leur relation avec un détenu ni de justifier pourquoi ils lui rendent visite. C’est plutôt le directeur de l’établissement qui, pour être légalement habilité à limiter, suspendre ou refuser des visites, a l’obligation d’établir l’existence de motifs raisonnables de crainte concernant la sécurité de l’établissement. De plus, il est tenu d’informer le détenu et le visiteur de l’existence d’une préoccupation et de leur donner la possibilité de présenter des observations. Je n’ai jamais été informé de la tenue de cet examen. Je n’ai jamais été avisé en bonne et due forme de la décision ou des motifs qui la fondaient. Le comité des détenus n’a pas non plus été consulté au sujet de ce changement de politique.

[…]

Je demande que l’OP 770 soit annulée parce qu’elle n’est pas conforme aux règles de droit régissant les droits de visite.

 

Je demande le rétablissement de l’autorisation de visite de mes visiteurs […]

 

 

 

[11]           Au troisième palier du processus, le sous‑commissaire principal a rejeté le grief de l’appelant pour les motifs suivants (dossier d’appel, page 1144) :

[traduction]

Compte tenu de renseignements indiquant que les visiteurs rendant visite à plus d’un (1) détenu peuvent présenter un risque pour l’Établissement, il n’est pas déraisonnable que des visiteurs soient tenus d’apporter une justification suffisante quant aux raisons pour lesquelles ils souhaitent visiter tel ou tel détenu.

 

Pour ce qui est de votre argument voulant que la politique relative aux personnes rendant visite à plus d’un (1) détenu ne s’applique qu’aux nouveaux visiteurs, la Division des programmes de réinsertion sociale, à l’administration centrale, a conclu, après avoir été consultée, que la politique s’appliquait à tous les visiteurs. Le bulletin de sécurité a été élaboré à la suite de recommandations du Comité d’examen du Service correctionnel du Canada (SCC) portant sur la création d’une base de données nationale des visiteurs des établissements fédéraux. La politique a pour objet de contenir les risques pour la sécurité associés aux personnes qui souhaitent exercer des privilèges de visite à l’égard de plus d’un (1) détenu. C’est pourquoi elle ne s’applique pas uniquement aux nouveaux visiteurs mais à tous les visiteurs des établissements du SCC.

 

S’agissant du cas particulier de vos deux visiteurs, les renseignements personnels détenus par le SCC sont protégés en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le SCC ne peut fournir plus de renseignements concernant les autorisations de visite de vos visiteurs, mais ceux‑ci peuvent communiquer avec l’Établissement pour discuter des préoccupations soulevées.

 

Comme la sécurité est le facteur primordial de toutes les décisions prises par les établissements du SCC, et comme rien n’indique que le fait de demander aux personnes visitant plus d’un (1) détenu d’expliquer les raisons de leur visite contrevienne à une loi ou une politique, cette partie de votre grief est rejetée.

 

 

 

Les motifs de la juge de première instance

 

[12]           La juge de première instance a conclu à la légalité de l’OP 770 et à sa conformité au paragraphe 71(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), lequel énonce que, « [d]ans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier », les détenus ont le droit d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations avec des personnes de l’extérieur du pénitencier, notamment par des visites. La juge a estimé que l’OP 770 constituait une telle limite raisonnable.

 

[13]           Au sujet du cas particulier des deux visiteurs de l’appelant dont les autorisations avaient été supprimées, la juge de première instance a conclu que bien qu’il faille examiner de telles suppressions au cas par cas en se conformant à l’obligation d’agir avec équité, l’OP 770 obéissait à cette règle car il n’imposait pas de limite générale aux visites, mais offrait plutôt aux visiteurs dont les autorisations étaient remises en question la possibilité d’expliquer les raisons de leur visite et établissait un processus d’évaluation de ces raisons.

 

[14]           La juge de première instance a également rejeté l’argument de l’appelant selon lequel l’OP 770 avait été adopté en violation du droit des détenus d’être consultés, indiquant que l’article 74 de la Loi exclut le droit des détenus d’être consultés à l’égard des questions de sécurité.

 

[15]           Elle n’a pas non plus retenu l’argument de l’appelant selon lequel l’OP 770 était sans effet, statuant qu’il n’appartenait pas aux tribunaux de se prononcer sur la sagesse de la législation déléguée ou d’en apprécier la validité en fonction de leurs préférences en matière de politique.

 

[16]           Enfin, elle a jugé que la suppression de l’autorisation de visite de deux visiteurs de l’appelant était raisonnable étant donné que les visiteurs en question n’avaient pas répondu aux questions qui leur avaient été posées en application de l’OP 770.

 

La position des parties

[17]           Les motifs d’appel invoqués par l’appelant contestent à peu près tous les aspects de la décision de la juge de première instance.  Dans son avis d’appel et dans l’argumentation orale qu’il a soumise à la Cour, il a toutefois mis l’accent sur les questions qu’il avait soulevées dans son grief et dont les motifs de la juge ne traitaient pas directement.

 

[18]           L’appelant invoque en particulier le paragraphe 91(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement), prévoyant qu’une visite ne peut être refusée que a) si un membre du personnel a des motifs raisonnables de croire qu’elle risque de compromettre la sécurité du pénitencier ou d’une personne ou de donner lieu à la préparation ou à la commission d’un acte criminel et b) que l’application de restrictions à la visite ne permettrait pas d’enrayer ce risque. Selon l’appelant, l’OP 770 et la suppression des autorisations de visite qui en a résulté sont incompatibles avec ces dispositions.

 

[19]           L’appelant souligne aussi qu’on ne lui a pas fourni une occasion suffisante de présenter des observations au sujet de la suppression des autorisations de visite, et il y voit une autre violation de son droit à l’équité procédurale.

 

[20]           L’intimé, quant à lui, appuie à tous égards les motifs de la juge de première instance.

 

Les questions en appel

[21]           Je formulerais ainsi les questions soulevées par l’appel :

a.       La juge de première instance a‑t‑elle conclu à tort que le directeur de l’Établissement Ferndale était habilité à adopter l’OP 770?

b.      Pour autant que l’OP 770 ait été validement adopté, la suppression de l’autorisation de visite contrevenait‑elle au paragraphe 91(1) du Règlement (i) du fait qu’il n’existait aucun motif raisonnable de suppression (ii) ou du fait qu’il était possible de prendre des mesures moins restrictives pour enrayer le risque de trafic de stupéfiants pendant les visites des visiteurs en cause?

c.       Le SCC a‑t‑il porté atteinte aux droits de l’appelant en ne lui fournissant pas la possibilité de présenter des observations au sujet de la suppression des autorisations de visite?

 

Norme de contrôle

[22]           Lorsque notre Cour instruit l’appel d’une décision en matière de contrôle judiciaire, elle doit déterminer si le juge de première instance a retenu et appliqué la bonne norme de contrôle et, si tel n’est pas le cas, examiner la décision contestée en fonction de la norme de contrôle qui aurait dû être appliquée. La décision du juge de première instance relative à la norme applicable est une question de droit dont l’examen en appel s’effectue suivant la norme de la décision correcte : Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, paragraphe 43; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, paragraphe 35; Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, [2006] 3 R.C.F. 610, paragraphes 13 et 14; Yu c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 42, paragraphe 19.

 

[23]           Les motifs de la juge de première instance ne font pas état d’un examen de la norme de contrôle applicable, mais il en appert qu’elle a appliqué la norme de la décision correcte aux questions de savoir si l’OP était licite et si son adoption avait donné lieu à la violation d’une obligation d’équité, et celle de la raisonnabilité à la décision maintenant la suppression des autorisations de visite des deux visiteurs de l’appelant, rendue au troisième palier d’examen du grief.

 

[24]           En matière de décision sur un grief de détenu, la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit, lesquelles comprennent l’interprétation de la Loi, de ses règlements et des directives du commissaire, ainsi qu’aux questions d’équité procédurale. La norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de droit et de fait, à moins qu’il soit possible d’en isoler une question de droit, auquel cas la norme de la décision correcte peut s’y appliquer : Sweet c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 51, 332 N.R. 87, paragraphes 15 et 16; Yu c. Canada (Procureur général), précité, paragraphe 21.

 

[25]           La première question à examiner en l’instance est celle du pouvoir légal du directeur d’adopter l’OP 770; il s’agit d’une question de droit. La deuxième porte sur la compatibilité avec le paragraphe 91(1) du Règlement de la décision de supprimer les autorisations de visite, qui soulève elle‑même des questions mixtes de fait et de droit mettant notamment en cause l’existence de motifs raisonnables de prendre cette décision et la possibilité de recourir à des mesures moins restrictives. La troisième question, enfin, se rapporte à l’équité procédurale.

 

[26]           La première et la troisième question appellent par conséquent l’application de la norme de la décision correcte, tandis que la deuxième commande celle de la décision raisonnable, à moins qu’il existe une question de droit isolable.

 

La juge de première instance a‑t‑elle conclu à tort que le directeur de l’Établissement Ferndale était habilité à adopter l’OP 770?

 

[27]           Comme il en a été fait mention, l’OP 770 prévoit que le contrôle de sécurité des visiteurs comprend la vérification de l’existence de visites à d’autres détenus et que, si elle révèle de telles visites, le visiteur est prié d’en expliquer les raisons. Le Comité des visites de l’établissement examine ensuite l’explication pour déterminer si elle est acceptable. Si elle n’est pas jugée acceptable, l’autorisation de visite est refusée et un avis de cette décision est transmis au visiteur et au détenu concernés.

 

[28]           Il faut d’abord déterminer si une disposition législative ou réglementaire autorisait le directeur de l’établissement Ferndale à adopter et appliquer l’OP 770. La juge de première instance a estimé que c’était le cas. Je souscris à cette conclusion, bien que j’y arrive pour des raisons différentes.

 

[29]           Notre Cour a réexposé, dans Friends of the Canadian Wheat Board c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 101, [2011] A.C.F. no 297, paragraphe 35, la démarche à suivre pour l’examen de ces questions, citant en l’approuvant le passage suivant de l’arrêt Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 214, [2010] 3 R.C.F. 374, paragraphe 46 :

La première étape d’une analyse de la validité consiste à identifier la portée et l’objet du pouvoir conféré par la loi en vertu duquel le décret contesté a été publié. Un tel exercice exige que le paragraphe 18(1) soit examiné dans le contexte de la Loi dans son ensemble. La deuxième étape consiste à déterminer si le pouvoir conféré par la loi permet cette législation par délégation particulière (Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595 (C.A.), par. 14).

 

 

[30]           La Loi énonce au paragraphe 71(1) le principe général selon lequel les détenus ont le droit d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec leur famille, leurs amis ou d’autres personnes de l’extérieur, mais prévoit que ce droit s’exerce sous réserve de limites raisonnables fixées par règlement dans le but d’assurer la sécurité des personnes et celle de l’établissement :

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier.

[Je souligne.]

71. (1) In order to promote relationships between inmates and the community, an inmate is entitled to have reasonable contact, including visits and correspondence, with family, friends and other persons from outside the penitentiary, subject to such reasonable limits as are prescribed for protecting the security of the penitentiary or the safety of persons.

[Emphasis added]

 

 

 

[31]           Ces limites raisonnables peuvent être établies par règlement du gouverneur en conseil ou par directive du commissaire pris en vertu des articles 97 et 98 de la Loi. Cela découle de la définition de « texte d’application » énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, laquelle englobe les directives du commissaire puisque celles‑ci sont des décrets ou règles pris dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime de la Loi : Canada (Procureur général) c. Mercier, 2010 CAF 167, 320 D.L.R. (4th) 429, paragraphe 58.

 

[32]           Aux termes de l’article 4 du Règlement, le directeur du pénitencier (« institutional head » dans la version anglaise, sans équivalent dans la française : paragraphe 2(1) de la Loi) est, sous l’autorité du commissaire, responsable de la prise en charge, la garde et la surveillance des détenus ainsi que de la gestion, l’organisation et la sécurité du pénitencier. La sécurité du pénitencier comprend certainement la lutte contre les drogues illicites, comme le prévoit notamment la directive 585 du commissaire relative à une stratégie nationale antidrogue (la DC 585), laquelle investit les directeurs d’établissement du pouvoir supplémentaire d’élaborer et appliquer diverses mesures et procédures dans ce but. Voici le texte des articles 1, 4, 5 et 12 de la DC 585 :

1. Dans l’accomplissement de sa Mission, le Service correctionnel du Canada ne tolérera ni la consommation d’alcool ou de drogues ni le trafic de drogues dans les établissements fédéraux. Un milieu pénitentiaire sûr, libre de toute drogue, est une condition fondamentale pour que les détenus puissent réintégrer la société à titre de citoyens respectueux des lois.

 

4. Le directeur de l’établissement doit veiller à ce que la stratégie antidrogue soit mise en application en conformité avec la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et le règlement connexe, ainsi qu’avec les politiques, les normes et les lignes directrices du Service correctionnel du Canada.

 

5. Tous les établissements doivent élaborer et mettre en application des stratégies antidrogues adaptées à leur nature, de façon à établir un équilibre entre la détection, la dissuasion et le traitement.

 

12. Selon les circonstances propres à chaque détenu et l’organisation des établissements, ceux-ci doivent tous établir des procédures pour évaluer le risque de consommation et de trafic de drogues et pour examiner la possibilité d’imposer des mesures administratives. Cette tâche peut être confiée au Comité de l’unité, au Comité de sélection des visiteurs ou au Comité des programmes.

[Non souligné dans le texte original]

1. The Correctional Service of Canada, in achieving its Mission, will not tolerate drug or alcohol use or the trafficking of drugs in federal institutions. A safe, drug-free institutional environment is a fundamental condition for the success of the reintegration of inmates into society as law-abiding citizens.

 

4. The Institutional Head is responsible for ensuring that the institution applies the Drug Strategy in accordance with the Corrections and Conditional Release Act and related regulations, the Correctional Service of Canada policies, standards and guidelines.

 

5. Each institution shall develop and implement drug strategies to balance detection, deterrence and treatment that are reflective of the nature of the institution.

 

12. Depending on the circumstances relating to the particular inmate and on the organization of the institution, every institution shall establish a procedure for assessing risk related to drug use and trafficking, as well as procedures for reviewing the imposition of administrative measures. This responsibility may rest with the Unit Board, the Visitors Screening Board or the Program Board.

[Emphasis added]

 

 

[33]           De plus, la directive 770 du commissaire relative aux visites énonce que le directeur doit préciser la procédure à suivre et les conditions à remplir pour les visites, et il doit aussi, en application de son article 4, déterminer s’il y a lieu d’accorder l’autorisation de visite :

 

4. Toute personne désirant rendre visite à un détenu doit remplir une formule de demande d’admission et de renseignements aux fins du contrôle de sécurité. Une vérification des fichiers du Centre d’information de la police canadienne doit être menée et, par la suite, une mise à jour doit être effectuée au moins tous les deux (2) ans pour les visiteurs actifs. Compte tenu de cette vérification et à la suite d’un examen des restrictions possibles, le directeur de l’établissement doit déterminer si l’autorisation de visite sera accordée. Dans des circonstances particulières, le directeur peut décider de dispenser le visiteur du contrôle de sécurité.

 

[Non souligné dans le texte original]

4. All inmates’ visitors shall complete an application and information form for the purpose of security screening. A verification of the Canadian Police Information Centre files shall then be conducted and subsequently updated at least every two (2) years for all active visitors. On the basis of this security check and following a review of possible restrictions, the Institutional Head shall decide whether or not visitor clearance will be granted.  Under special circumstances, at the discretion of the Institutional Head, the security screening may be waived.

 

 

 

[Emphasis added]

 

 

[34]           Il est donc évident que le directeur de l’établissement Ferndale était investi par les dispositions législatives et réglementaires susmentionnées du pouvoir d’adopter et appliquer l’OP 770 comme instrument de contrôle des visiteurs.

 

[35]           On ne peut conclure, en outre, que l’OP 770 est en conflit avec le paragraphe 91(1) du Règlement – que nous examinerons plus loin – puisqu’il prévoit simplement une demande d’explications concernant les raisons de visites à plus d’un détenu et établit la façon de procéder pour déterminer si les explications sont acceptables. Par conséquent, si incompatibilité il y a, elle découle de l’application de l’OP 770, non de son adoption ou de son texte.

 

[36]           Qui plus est, comme l’a indiqué la juge de première instance, la décision d’adopter l’OP 770 se rapportant à la sécurité, il n’y avait ni nécessité ni obligation de permettre la participation des détenus, car l’article 74 de la Loi exclut cette participation dans le cas de telles décisions.

 

La suppression de l’autorisation de visite contrevenait‑elle au paragraphe 91(1) du Règlement?

 

[37]           Compte tenu de la conclusion que le directeur était habilité à adopter et appliquer l’OP 770, il faut maintenant examiner si l’application de cet ordre permanent aux visiteurs de l’appelant a contrevenu au paragraphe 91(1) du Règlement, lequel est ainsi conçu :

 (1) Sous réserve de l’article 93, le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut autoriser l’interdiction ou la suspension d’une visite au détenu lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire :

 

a) d’une part, que le détenu ou le visiteur risque, au cours de la visite :

(i) soit de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

(ii) soit de préparer ou de commettre un acte criminel;

b) d’autre part, que l’imposition de restrictions à la visite ne permettrait pas d’enrayer le risque.

 (1) Subject to section 93, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize the refusal or suspension of a visit to an inmate where the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

(a) that, during the course of the visit, the inmate or visitor would

(i) jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person, or

(ii) plan or commit a criminal offence; and

(b) that restrictions on the manner in which the visit takes place would not be adequate to control the risk.

 

[38]           Selon l’appelant, l’alinéa 91(1)a) du Règlement impose un lourd fardeau au directeur du pénitencier, qui doit établir l’existence d’un risque pour la sécurité ou d’un risque d’acte criminel avant d’interdire ou suspendre une visite. Il soutient donc que même si l’on pouvait demander à un visiteur de justifier de la nature ou de la qualité de sa relation avec un détenu ou d’expliquer ses raisons de lui rendre visite, le refus de donner suite à la demande ne saurait en soi constituer un motif raisonnable de croire à l’existence d’un risque pour la sécurité au sens de l’alinéa 91(1)a). Suivant cet argument, le SCC n’aurait le droit que de poser des questions sans pouvoir interdire de visite ceux qui n’y répondent pas. Ce raisonnement ne me convainc pas.

 

[39]           D’abord, il fait abstraction du premier principe de fonctionnement énoncé à l’alinéa 4a) de la Loi, selon lequel « la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel ». La protection de la société englobe la lutte contre l’introduction de drogues illicites dans les pénitenciers.

 

[40]           Ensuite, et cela est tout aussi important à mon avis, le raisonnement introduit indûment dans l’administration des pénitenciers fédéraux et le processus décisionnel concernant les visites aux détenus la notion de « motifs raisonnables de croire » applicable dans le contexte des fouilles, des perquisitions et saisies et de la détention.  Le degré de protection procédurale à accorder dans le contexte de fouilles, de perquisitions et saisies et de détention ne s’applique pas nécessairement dans un contexte de droit administratif. Pour déterminer les exigences auxquelles doit se conformer le décideur qui refuse une autorisation de visite, il faut plutôt tenir compte du contexte et de l’objectif poursuivi par cette décision.

 

[41]           En l’espèce, après une analyse approfondie, le Comité d’examen a constaté que le trafic de stupéfiants dans les pénitenciers figure au nombre des graves problèmes auxquels sont confrontées les autorités carcérales et qu’il appert que ce trafic est lié en grande partie aux visites faites aux détenus. L’une des solutions proposées pour résoudre ce problème est la mise sur pied d’une base de données nationale des visiteurs permettant de repérer les visiteurs qui voient de nombreux détenus, étant donné que de telles visites font prima facie soupçonner que la sécurité des établissements pourrait être compromise. Comme je l’ai déjà indiqué, la politique du SCC d’exiger des visiteurs voyant de multiples détenus qu’ils exposent les raisons de ces visites multiples repose sur un ample fondement législatif et réglementaire. En l’absence de réponse des visiteurs en cause, et dans le contexte du choix des mesures administratives (par opposition aux mesures disciplinaires) qu’il convient d’appliquer pour gérer les visites aux détenus, il est normal que le refus d’un visiteur d’expliquer la nature des relations qu’il entretient avec de nombreux détenus et le but des visites qu’il leur fait donne au SCC des motifs raisonnables de croire que les soupçons prima facie sont fondés.

 

[42]           L’absence d’explication de la part d’un visiteur constitue en conséquence une indication objectivement vérifiable pouvant étayer la croyance raisonnable, au sens de l’alinéa 90(1)a) du Règlement, que le visiteur risque de compromettre la sécurité du pénitencier pendant la visite. Il en est ainsi parce que l’objet de la demande ainsi que le processus décisionnel ont trait à une action administrative visant à sécuriser l’accès à un pénitencier et non, comme l’appelant nous invite à le croire, à une question se rapportant aux fouilles, aux saisies ou perquisitions ou à la détention ou intéressant autrement un droit constitutionnel.

 

[43]           Il faut donc se garder de confondre la notion de raisonnabilité propre au droit administratif et à laquelle se rapporte le paragraphe 91(1) du Règlement, avec la notion tout à fait étrangère des « motifs raisonnables de croire » qui s’applique en contexte de fouilles, de perquisitions et saisie et de détention. La notion de raisonnabilité est omniprésente en droit administratif, et c’est elle qui doit présider à l’examen des décisions administratives des autorités carcérales en matière de visite dans des pénitenciers fédéraux.

 

[44]           Pour des raisons analogues, l’argumentation de l’appelant fondée sur l’alinéa 90(1)b) du Règlement ne me convainc pas non plus. Selon l’appelant, l’autorisation de visite ne peut être supprimée, car il est possible d’appliquer lors des visites d’autres mesures propres à dissiper les préoccupations relatives au trafic de stupéfiants, comme des fouilles des visiteurs et des détenus à l’aide d’appareils ou de chiens détecteurs de drogues, des fouilles‑palpation ou des fouilles à nu. Il affirme que, puisque ses visiteurs ont refusé d’expliquer les raisons de leur visite, lui‑même et eux pourraient faire l’objet de fouilles plus intensives lors des visites, répondant ainsi aux préoccupations du SCC au sujet du trafic de stupéfiants tout en permettant les visites.

 

[45]           Cette position de l’appelant ne cadre pas avec le principe de fonctionnement énoncé à l’alinéa 4d) de la Loi. Ce principe énonce que les mesures prises par le SCC pour la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible. Or, la fouille physique, en raison de sa nature intrusive, est généralement strictement réglementée. Il est beaucoup moins intrusif de demander des explications au sujet de la nature et du but des visites et, à mon humble avis, cela constitue une méthode simple, raisonnable, non intrusive et appropriée de contrôle et de vérification des visiteurs. Je souscris à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la démarche retenue par le SCC est raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances et qu’elle est conforme aux dispositions législatives et réglementaires.

 

[46]           L’appelant veut essentiellement que la Cour impose sa propre méthode de contrôle des visites dans les établissements fédéraux. Comme l’a indiqué avec justesse la juge de première instance, ce n’est tout simplement pas là un motif de contrôle judiciaire.

 

Le SCC a‑t‑il porté atteinte aux droits de l’appelant en ne lui fournissant pas la possibilité de présenter des observations au sujet de la suppression des autorisations de visite?

 

[47]           L’alinéa 91(2)b) du Règlement et l’alinéa 18b) de la DC 770 énoncent qu’il faut informer promptement le détenu et le visiteur des motifs pour lesquels une visite est interdite ou suspendue et leur fournir la possibilité de présenter des observations à ce sujet. Voici le texte de l’alinéa 91(2)b) du Règlement :

91.  (2) Lorsque l’interdiction ou la suspension a été autorisée en vertu du paragraphe (1) :

 

b) le directeur du pénitencier ou l’agent doit informer promptement le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

 

91.  (2) Where a refusal or suspension is authorized under subsection (1),

 

 

(b) the institutional head or staff member shall promptly inform the inmate and the visitor of the reasons for the refusal or suspension and shall give the inmate and the visitor an opportunity to make representations with respect thereto.

 

 

[48]           En outre, les articles 8 et 9 de l’OP 770 énoncent que le Comité des visites doit permettre au détenu concerné de présenter des observations et doit communiquer ses décisions aux parties intéressées dans les quatorze jours suivant la date où il les rend.

 

[49]           En l’espèce, l’appelant a été informé le 23 décembre 2008 que l’autorisation de visite de ses deux visiteurs avait été supprimée le 2 octobre 2008. Bien que l’avis n’ait pas été donné aussi promptement qu’il l’aurait fallu en application de l’alinéa 91(2)b), et certainement pas dans les quatorze jours suivant la décision comme le prévoit l’OP 770, l’appelant a néanmoins été informé des motifs de la décision le 6 janvier 2009, et a eu la possibilité de discuter de la question avec le Comité des visites de l’établissement le 20 février suivant. De plus, il s’est prévalu de la procédure de grief pour contester la légalité de l’OP 770 et la suppression de l’autorisation et, dans le cadre de ce processus, il a soumis au SCC d’amples observations et arguments à l’appui de ses prétentions.

 

[50]           La Cour suprême du Canada a indiqué aux paragraphes 21 et suivants de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que la notion d’équité procédurale est éminemment variable et que son contenu est tributaire du contexte légal, institutionnel et social de chaque cas, principe qui a été réitéré maintes fois par la suite. En l’espèce, l’appelant a été informé de la décision et des motifs qui la fondaient, et il a amplement eu la possibilité de la contester devant le Comité des visites ainsi que dans le cadre de la procédure de règlement des griefs des détenus. Dans ces circonstances, je ne peux conclure que le droit de l’appelant de présenter des observations a subi une atteinte telle qu’elle vicie la décision de supprimer les autorisations de visite ou invalide la décision de maintenir la suppression, rendue au troisième palier de la procédure de grief.

 

[51]           Pour ce qui est de l’avis tardif informant l’appelant de la suppression des autorisations de visite, la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire, en vertu des paragraphes 18.1(5) et 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales, de rejeter une demande de contrôle judiciaire fondée sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice   : Comité de la bande indienne d’Adams Lake c. Dennis, 2011 CAF 37, [2011] A.C.F. no 150 (QL), par. 26-37; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (QL), 172 N.R. 308, par. 9-10 (C.A.F.). Cela dit, l’on ne saurait voir dans ces propos une approbation du caractère tardif de l’avis. Sauf circonstances particulières, le SCC doit respecter l’obligation d’agir promptement.

 

[52]           Enfin, je constate que, bien que l’appelant ait signalé dans des observations au SCC que ses visiteurs avaient déjà obtenu au préalable une autorisation de visite, il n’a présenté aucune preuve convaincante des raisons des visites effectuées par ces derniers à plus d’un détenu. Il n’a pas soumis à ce sujet de lettre ou d’affidavit des visiteurs concernés lors de sa rencontre avec le Comité des visites ou au cours du processus de règlement du grief. Puisque la décision du SCC en date du 2 octobre 2008 concernait la question des visites à plusieurs détenus, il incombait aux parties intéressées de présenter une preuve convaincante sur cette question. Dans ce contexte, je ne puis considérer que la juge de première instance a conclu à tort au caractère raisonnable de la décision de maintenir la suppression de l’autorisation de visite rendue au troisième palier de la procédure de grief.

 

 

 

Conclusion

[53]           Je rejetterais l’appel. La juge de première instance n’a pas jugé bon d’adjuger de dépens, et je ferais de même pour l’appel.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

      M. Nadon, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord

     Carolyne Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                A-338-10

 

INTITULÉ :                                                               WARREN MCDOUGALL c.                                                                                                  CANADA (PROCUREUR                                                                                                                  GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 5 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE NADON

                                                                                    LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                                                                                   

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 2 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren McDougall

 

POUR L’APPELANT

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Charmaine de los Reyes

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

POUR L’APPELANT

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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