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Date : 20110601

Dossier : A-339-10

Référence : 2011 CAF 185

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

CHRISTIAN DUMONT

demandeur

et

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE POSTES,

SECTION LOCALE DE MONTRÉAL

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 25 mai 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1 juin 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                       LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20110601

Dossier : A-339-10

Référence : 2011 CAF 185

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

CHRISTIAN DUMONT

demandeur

et

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE POSTES,

SECTION LOCALE DE MONTRÉAL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) rendue le 25 août 2010 (2010 CCRI LD 2416). Le Conseil a rejeté la plainte du demandeur alléguant que le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, section locale de Montréal (Syndicat ou défendeur), avait manqué, envers lui, à son devoir de représentation juste et équitable, contrairement à l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (Code).

 

[2]               Le demandeur soulève deux motifs essentiels pour lesquels le Conseil n’aurait pas dû rejeter sa plainte :

 

a)                  le Syndicat n’était pas bien fondé de ne pas présenter de grief à la suite de son congédiement annoncé le 24 juillet 2009 (lettre de fin d’emploi pour cause d’incapacité mettant fin à l’emploi à compter du 28 août 2009, dossier du demandeur, onglet E, à la page 140);

b)                  le Syndicat n’a pas agi de façon juste et équitable en signant une entente avec l’employeur mettant ainsi fin aux réclamations du demandeur auprès de ce dernier. Le Syndicat savait que le demandeur s’objectait à cette entente, laquelle, dit-il, lui occasionnait des pertes financières importantes reliées à son fonds de pension et une aggravation de son état de santé.

 

[3]               N’eût été des conclusions de fait erronées qu’il a tirées, plaide-t-il, le Conseil n’aurait pas conclu comme il l’a fait. De plus, le demandeur allègue que le Conseil a violé les principes de justice naturelle en omettant de tenir une audience alors que la complexité, l’historique du dossier et le fait qu’il se représentait seul le justifiaient (mémoire du demandeur, aux paragraphes 54 et 56).

 

[4]               Pour disposer de la demande de contrôle judiciaire, il me faut nécessairement revoir la preuve et déterminer si, à la lumière de celle-ci, le Conseil a eu tort de rejeter la plainte du demandeur.

 

[5]               Mais avant d’exposer les faits pertinents à la position du demandeur, j’entends discuter immédiatement de la question de savoir si le Conseil devait tenir une audience. En effet, si le demandeur avait raison sur ce point, il ne serait pas nécessaire d’aborder les autres questions en litige. Je proposerais alors, sans plus, de retourner le dossier au Conseil pour audition.

 

1)         Le Conseil n’a pas manqué à l’équité procédurale en refusant la tenue d’une audience

 

 

[6]               L’article 16.1 du Code énonce :

 

Décision sans audience

16.1 Le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience.

 

Determination without oral hearing

16.1 The Board may decide any matter before it without holding an oral hearing.

 

[7]               La jurisprudence de notre Cour a maintes fois réaffirmé la discrétion que possède le Conseil pour disposer des dossiers sans la tenue d’une audience (Syndicat des services du grain (SIDM -Canada) c. Freisen, 2010 CAF 339, au paragraphe 22 [Grain] ; Raymond c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2003 CAF 418, au paragraphe 4 ; NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228, 2001 CAF 30, aux paragraphes 10 et 11).

[8]               Notre Cour a d’ailleurs spécifié que d’une manière générale et en l’absence de motifs impérieux, les questions de crédibilité ou la présence de preuve contradictoire ne constituent pas des « circonstances exceptionnelles » méritant une audience (Nadeau c. Métallurgistes unis d’Amérique, 2009 CAF 100, au paragraphe 6 ; Guan c. Purolator Courrier Ltée, 2010 CAF 103, au paragraphe 28).

 

[9]               Enfin, notre Cour n’a pas considéré le fait que la partie demanderesse ne soit pas représentée par un procureur comme ayant une quelconque influence sur le pouvoir discrétionnaire du Conseil en vertu de l’article 16.1 du Code (Bomongo c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2010 CAF 126, aux paragraphes 14 à 17).

 

[10]           Aucun des arguments du demandeur ne me convainc que le Conseil a eu tort de ne pas faire exception à sa pratique usuelle qui est de ne pas tenir d’audience pour trancher une affaire lorsque la documentation au dossier lui suffit pour prendre une décision. Je propose donc de rejeter cet argument et passe à la narration des faits pertinents aux autres questions en litige.

 

2)         Les faits pertinents et la décision du Conseil

A)        Les faits pertinents

 

[11]           M. Dumont a travaillé comme facteur pour la Société canadienne des postes pendant près de 28 ans. Au moment du litige avec son employeur, il était affecté à la succursale Delorimier à Montréal.

[12]           Au cours de l’année 2000, le demandeur et deux de ses collègues ont dénoncé à l’employeur le système de « vente de MP au noir », une pratique prohibée mais qui gagnait de plus en plus d’adeptes dans leur succursale. Il s’agissait d’un système mis en place par certains facteurs pour se libérer d’une partie de leur charge de travail sur l’itinéraire qui leur était assigné et par lequel ils en sous-traitaient l’exécution à d’autres facteurs contre rémunération au comptant, généralement 20 dollars.

 

[13]           Devant ce qu’il considérait l’inaction de son employeur, le demandeur a publiquement dénoncé cette pratique, entre autres en participant à différents reportages diffusés dans les médias. Il aurait aussi interpellé certains collègues de travail. Toute cette affaire a fait en sorte qu’en 2003, le demandeur s’est vu imposer des sanctions par l’employeur sous la forme d’avis de suspension allant de 5 à 10 jours sans rémunération.

 

[14]           En son nom, le Syndicat a logé plusieurs griefs dont l’arbitre Guy E. Dulude dispose, comme suit, dans une sentence arbitrale en date du 13 juillet 2005 (dossier du demandeur, onglet B, aux pages 97 et 98) :

 

[282]  ACCUEILLE, concernant M. Christian Dumont, les griefs 350-00-8120 et 8119 à l’encontre d’un avis disciplinaire du 6 juin 2003 lui ayant imposé une suspension de cinq (5) jours ouvrables mais non servie, déclare cette mesure mal fondée, en prononce l’annulation et en ordonne le retrait de son dossier.

 

[283]  ACCUEILLE en partie son grief portant le numéro 350-00-8403 à l’encontre d’un avis disciplinaire du 28 août 2003 prononçant une suspension de cinq (5) jours ouvrables avec pertes salariales :  déclare cette mesure excessive selon la preuve offerte et lui substitue une réprimande écrite, avec pleine compensation pour les pertes de salaire et de bénéfices encourues;

 

[284]  ACCUEILLE enfin les griefs 350-00-8439, 8421, 8442, 8463 et 8465 de ce dernier à l’encontre d’une suspension de dix (10) jours ouvrables comportant pertes salariales par suite de sa participation à différents reportages diffusés dans les médias ainsi qu’aux propos tenus, déclare cette mesure non fondée, en ordonne le retrait de son dossier des divers avis s’y rapportant et ordonne à l’employeur de lui verser pleine compensation pour les pertes salariales ou autres encourues;

 

 

[15]           De plus, l’arbitre Dulude y prévoit une réserve de juridiction « sur tout éventuel litige relatif à l’établissement des quantums » ainsi qu’à l’application de sa sentence arbitrale (ibidem, à la page 98).

 

[16]           Au moment où cette sentence arbitrale est rendue, le demandeur est déjà en arrêt de travail depuis septembre 2003, la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST) lui ayant accordé une indemnité de remplacement du revenu pour lésion professionnelle suite à un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse (affidavit du demandeur, dossier du demandeur, onglet 3, page 33, au paragraphe 6).

 

[17]           Le 13 avril 2009, l’arbitre Dulude dépose une seconde sentence arbitrale disposant, comme suit, des chefs de réclamation en dommages du demandeur (sentence arbitrale du 13 avril 2009, dossier du demandeur, onglet C, pages 135 et 136, au paragraphe 117) :

 

ACCUEILLE les recours du plaignant Christian Dumont pour condamnation de l’Employeur à des dommages pour atteinte à sa réputation et

CONDAMNE la Société de l’indemniser à ce titre pour une somme de trente-cinq mille dollars (35 000,00$);

 

ACCUEILLE les recours et demande d’amendement du plaignant pour des condamnations additionnelles de trente-cinq mille dollars (35 000,00$) et de dix mille dollars (10 000,00$) à titre de dommages exemplaires et punitifs en raison de comportements subséquents et persistents de l’Employeur portant atteinte à sa dignité, son honneur et sa réputation;

 

ORDONNE en conséquence à l’Employeur de verser à M. Christian Dumont les indemnités ci-dessus totalisant 80 000,00$, ce dans un délai ne devant pas excéder les quinze (15) jours de la présente sentence, avec intérêts sur ladite somme selon les taux prescrits à l’article 28 de la Loi du ministère du revenu.

 

RÉSERVE au plaignant ainsi qu’à la partie syndicale en son nom le droit de soumettre, le cas échéant, une demande d’amendement pour une réclamation additionnelle de vingt mille dollars (20 000,00$) à titre de dommages punitifs pour incident postérieur;

 

ET RÉSERVE JURIDICTION conformément aux prescriptions de l’article 80.99 de la convention collective sur tout différend relatif à la solution complète du litige.

 

[Je souligne.]

 

[18]           Cette sentence arbitrale résultant d’une audition ex parte, l’employeur ayant fait défaut de s’y présenter, sera suivie de multiples procédures engagées entre l’employeur et le Syndicat, celles de ce dernier ayant pour objectif principal l’exécution diligente de la décision de l’arbitre.

 

[19]           La tâche du Syndicat était d’autant plus difficile que l’employeur, bien qu’absent devant l’arbitre, combattait maintenant tous azimuts les efforts du Syndicat pour récupérer les 80 000,00$ octroyés au demandeur dans la sentence arbitrale. L’affidavit du représentant du défendeur (dossier du défendeur, cahier numéro 1, onglet B, aux pages 8 et suivantes) liste les nombreuses démarches du Syndicat entre les 13 avril et 29 juin 2009, entre autres, l’obtention d’un bref de saisie-exécution de l’employeur, la contestation (a) de deux requêtes en révision judiciaire commencées par la Société canadienne des postes devant la Cour supérieure du Québec (15 décembre 2008 et 12 mai 2009); (b) d’une requête en annulation de la saisie au motif d’insaisissabilité des biens de la Couronne et (c) d’une requête en sursis d’exécution de la sentence arbitrale. Pendant tout ce temps, le Syndicat représentait également le demandeur devant la Commission des lésions professionnelles.

 

[20]           Devant la tournure des événements, le Syndicat s’inquiétait de ce que le demandeur ne puisse recevoir rapidement ses 80 000,00$. Il a donc décidé, parallèlement aux démarches judiciaires en cours, de négocier avec l’employeur afin de régler le dossier hors cour.

 

[21]           Pour ce faire, le Syndicat a, le 27 mai 2009, présenté au demandeur un premier protocole d’entente (dossier du défendeur, cahier numéro 2, onglet 13, à la page 251 et suivantes) que celui-ci a refusé.

 

[22]           Les procédures judiciaires ont donc continué, quoique difficilement, incluant plusieurs remises. Le 10 juin 2009, l’employeur et le Syndicat se sont entendus sur un deuxième protocole. Cette entente incluait notamment le paiement de la somme de 80 000,00$ visée par la décision de l’arbitre Dulude et l’abandon des procédures judiciaires engagées devant la Cour supérieure (ibidem, onglet 18, à la page 321 et suivantes). Quelques jours plus tard, cette entente était présentée au demandeur qui la refusait une fois de plus, affirmant qu’il préférait aller en cour même s’il risquait un règlement moins avantageux.

 

[23]           Le 25 juin 2009, l’employeur faisait parvenir au demandeur un chèque au montant de 84 800,00$, incluant les intérêts, pour s’acquitter de sa sentence arbitrale (ibidem, onglet 21, aux pages 334 à 336).

 

[24]           Le Syndicat a poursuivi ses négociations avec l’employeur. Ils en sont venus à un troisième protocole. Cette fois, le Syndicat l’a signé le 15 juillet 2009 (ibidem, onglet 23, aux pages 344 et 345), et en a informé M. Dumont le 21 juillet suivant (ibidem, onglet 23, aux pages 342 et 343).

 

[25]           Quelques jours plus tard, le 24 juillet 2009, le demandeur recevait une lettre de son employeur à l’effet qu’il était renvoyé pour cause d’incapacité (dossier du demandeur, onglet E, aux pages 140 et 141).

 

[26]           Le 12 août 2009, le demandeur requérait du Syndicat qu’il dépose un grief en son nom considérant son congédiement illégal parce que, dit-il (dossier du demandeur, onglet F, à la page 142) :

 

-           L’incapacité relève d’agissements et d’harcèlements à mon endroit de la part de Postes Canada. Ils n’ont qu’à rectifier leur comportement afin que je puisse rentrer au travail.

 

-           Cette décision de la part de Postes Canada est en représailles pour les gains de cause obtenus devant l’arbitre Me Guy E. Dulude.

 

-                     La lettre fait allusion à des déclarations faites lors d’une audience de CLP à laquelle je n’étais pas un témoin officiel, toutes remarques étant de nature informelle et portant sur une demande de remise. Alors, il s’agit de commentaires de ma part qui ont été pris hors contexte.

-                     Il y aura une multitude de points à faire valoir lors de rencontres pré-arbitrage ainsi que lors de l’arbitrage même.

 

 

[27]           Le 25 août suivant, le Syndicat avisait le demandeur qu’il ne donnerait pas suite à sa demande (lettre du 25 août 2009, dossier du demandeur, onglet G, à la page 143). Une analyse approfondie « des motifs invoqués par l’employeur » amenait le Syndicat à conclure qu’il n’existait « aucun pronostic favorable » au retour à l’emploi du demandeur. Deux opinions juridiques obtenues par le Syndicat (dossier du défendeur, volume 2, onglet 24, à la page 349 et suivantes et onglet 27, aux pages 367 et 368), les 29 juillet et 24 août 2009, concluaient à l’absence de chance de succès du grief envisagé.

 

[28]           De là, la plainte du demandeur sous l’article 37 du Code, la décision négative du Conseil et la demande de contrôle judiciaire devant notre Cour.

 

B)                La décision du Conseil

 

[29]           Quant à l’obligation de représentation juste et équitable, le Conseil a conclu que le Syndicat :

… a analysé la situation et que, après mûre réflexion, il a décidé de clore le dossier après avoir obtenu la meilleure entente possible dans l’intérêt du plaignant (motifs du Conseil, à la page 10).

 

[30]           Cette conclusion du Conseil vient après qu’il ait constaté que le Syndicat « a tout fait afin de régler le litige en faveur du plaignant, mais que ce dernier semblait carrément résolu à ce qu’il y ait une confrontation entre les parties plutôt qu’à résoudre le conflit » (ibidem).

 

[31]           Quant au refus du Syndicat de déposer un grief suite au congédiement du demandeur, le Conseil a conclu qu’

 

(a)ucune preuve présentée ne démontre que le Syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (ibidem, à la page 11).

 

[32]           Au surplus, le Conseil ajoute que :

… la documentation produite révèle que le plaignant a bénéficié d’une représentation au-delà de ce que l’on pourrait qualifier de conforme à la norme… (ibidem)

 

Analyse

            3)         La norme de contrôle

 

[33]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux déterminations du Conseil quant à l’interprétation des dispositions du Code est celle de la décision raisonnable (Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 au paragraphe 48; Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 54 et 55 [Dunsmuir]; Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct Inc., 2008 CSC 32, au paragraphe 21; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 25; Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, aux paragraphes 33 et 34; Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 223, aux paragraphes 36 et 50). Elles ont raison.

 

[34]           Plus particulièrement, notre Cour a déterminé qu’une grande déférence doit être offerte aux déterminations du Conseil quant à l’interprétation du Code et l’obligation de représentation juste et équitable d’un syndicat en vertu de l’article 37 du Code (Grain précité, au paragraphe 31; McAuley v. Chalk River Technicians and Technologists Union, 2011 FCA 156, au paragraphe 13).

 

4)         Le Conseil n’a pas erré en concluant que le Syndicat avait agi de façon juste et équitable en signant le protocole du 15 juillet 2009

 

 

[35]           En tant qu’agent négociateur exclusif de l’employé, tout syndicat possède l’autorité exclusive de représenter ses membres pour tous recours se rapportant à leurs droits en vertu de la convention collective. Ce droit exclusif est néanmoins sujet à l’obligation du syndicat de représenter ses membres de manière équitable, telle qu’énoncée à l’article 37 du Code :

 

Représentation

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

 

Duty of fair representation

37. A trade union or representative of a trade union that is the bargaining agent for a bargaining unit shall not act in a manner that is arbitrary, discriminatory or in bad faith in the representation of any of the employees in the unit with respect to their rights under the collective agreement that is applicable to them.

 

[36]           Dans la présente instance, la question n’était pas de savoir si le Syndicat pouvait, ou non, signer un règlement sans le consentement du demandeur. La question qui se posait était celle de savoir si le Syndicat avait agi de manière juste et équitable dans ses négociations avec l’employeur et s’il avait accepté un règlement dans le meilleur intérêt du demandeur. C’est donc l’ensemble du comportement du Syndicat qu’il convenait d’examiner, comme l’a fait le Conseil.

 

[37]           Le demandeur a plaidé que le protocole du 15 juillet lui était préjudiciable en ce qu’il ne prévoit pas sa mise à la retraite, au contraire du second protocole proposé mais rejeté par lui. Plus particulièrement sa retraite y était anticipée sans compensation monétaire pour la perte actuarielle en résultant.

 

[38]           En effet, ce second protocole prévoyait, en sus du versement par l’employeur de sommes totalisant environ 115 000,00$ et de sa renonciation à récupérer les sommes reçues et à recevoir de la CSST par le demandeur, que ce dernier s’engageait, sans plus, « à prendre sa retraite de façon irrévocable au plus tard le 30 juin 2009 » (dossier du défendeur, cahier numéro 2, onglet 18, à la page 322).

 

[39]           Le demandeur attribue à la mauvaise foi du Syndicat l’absence, au protocole intervenu sans son accord,  d’une clause prévoyant sa retraite anticipée sans perte actuarielle. Il en infère que le Syndicat savait que le demandeur serait sous peu congédié et lui reproche son inaction.

 

[40]           Cette affirmation n’est pas soutenue par la preuve. D’une part, la décision de renvoi était l’attribut exclusif du droit de gérance de l’employeur. Par ailleurs, le dossier démontre plutôt que le Syndicat n’a été informé de la décision de l’employeur que par la réception d’une copie conforme de la lettre de renvoi du 24 juillet 2009 acheminée au demandeur (dossier du demandeur, onglet E, à la page 140). Au surplus, le Syndicat avait négocié le troisième protocole sachant que le demandeur s’y objecterait. Le Syndicat ne pouvait transiger sur la date de retraite du demandeur expliquant ainsi pourquoi cette clause ne s’y retrouve pas.

 

[41]           Il est évident que les droits à la retraite du demandeur ne sont pas ceux auxquels il pouvait s’attendre puisque son congédiement est survenu environ deux ans avant qu’il ne complète normalement ses années de service auprès de son employeur. Le demandeur ne voulait pas, entre autres, régler son dossier sans être compensé pour la perte ainsi encourue, soit « le 10% de la contribution à mon fonds de pension » (affidavit du demandeur, dossier du demandeur, onglet 3, page 36, au paragraphe 55). Le souci du demandeur est fort compréhensible, mais il ne pouvait toucher des droits à la retraite non encore accumulés. Ceci dit, c’est l’ensemble des efforts du Syndicat que le Conseil a, à juste titre, examiné.

 

[42]           Replacé dans son contexte, alors que le litige qui opposait les parties perdurait depuis plusieurs années et que même les 80 000,00$ octroyés au demandeur par l’arbitre étaient en péril, le Conseil n’a pas eu tort de conclure, tel que mentionné précédemment, que le Syndicat avait agi de façon juste et équitable et obtenu la « meilleure entente possible dans l’intérêt du demandeur » (motifs du Conseil, à la page 10).

[43]           Je propose donc de rejeter ce premier motif d’attaque de la décision du Conseil.

 

5)         Le Conseil n’a pas erré en concluant que le Syndicat n’a pas manqué à son obligation de représentation juste et équitable en ne déposant pas de grief suite au renvoi du demandeur.

 

[44]           Le demandeur est d’avis que le Syndicat, en refusant de déposer un grief, voulait en fait se débarrasser de lui puisque le protocole venait tout juste d’être conclu. Il est totalement en désaccord avec la décision du Syndicat, jugeant plutôt que son renvoi était illégal puisqu’il était toujours en période d’invalidité au moment de son congédiement, le résultat d’une lésion professionnelle reconnue par la CSST (mémoire du demandeur, au paragraphe 42). À l’audition, sa procureure a renforcé cet argument en référant à l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001 [LATMP] lequel énonce :

 

32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.

 

Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.

32. No employer may dismiss, suspend or transfer a worker or practice discrimination or take reprisals against him, or impose any other sanction upon him because he has suffered an employment injury or exercised his rights under this Act.

 

 

 

A worker who believes that he has been the victim of a sanction or action described in the first paragraph may, as he elects, resort to the grievance procedure set down in the collective agreement applicable to him or submit a complaint to the Commission in accordance with section 253.

 

[45]           Or, cet article n’est pas ici en jeu. Il a été décidé que le texte de l’article 32 de la LATMP ne s’applique pas aux entreprises fédérales (Bell Canada c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 749, aux paragraphes 290 et 291; Purolator Courrier Ltée c. Syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier, [2002] R.J.Q. 310, [2002] J.Q. no 163 (C.A.), aux paragraphes 18 à 20 et 36; Cie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Vincent, [2002] J.Q. no 195 (C.A.), au paragraphe 8; Nutribec ltée c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [2002] R.J.Q. 2593, [2002] J.Q. no 4577 (C.A.), au paragraphe 6).

 

[46]           Cependant la preuve documentaire au dossier confirmait les faits suivants : le demandeur était absent du travail depuis le 3 septembre 2003 et aucun retour au travail n’était prévu dans un avenir prévisible. Son médecin traitant avait émis un rapport final en date du 5 février 2007 consolidant sa lésion à cette date avec une atteinte permanente ainsi que des limitations fonctionnelles faisant en sorte qu’il ne pouvait retourner au travail.

 

[47]           Le 11 juin 2008, la CSST avait rendu une décision selon laquelle le demandeur ne pouvait reprendre le travail chez l’employeur et avait examiné la possibilité pour lui d’un autre emploi, ailleurs sur le marché du travail. Le Dr Louis Côté, dont les services avaient été retenus par le Syndicat, avait conclu à une atteinte permanente ainsi qu’à une incapacité à effectuer un retour au travail chez l’employeur.

 

[48]           Les deux opinions juridiques que le Syndicat avait obtenues avant de décider de ne pas loger de grief prenaient appui sur cette trame factuelle. On ne saurait prétendre, tel que le demandeur tente de le faire, que le Syndicat a agi à la légère sans tenir compte de sa situation.

 

[49]           Lors de l’audition, en réponse à une question du banc, la procureure du demandeur a précisé que son client voyait son congédiement comme étant le prolongement des gestes de harcèlement de l’employeur à son endroit. N’aurait-on pas dû, comme le requérait le demandeur, loger un grief à cet effet dans l’espoir d’obtenir des dommages supplémentaires?

 

[50]           Avec égards, je ne le crois pas. Ce n’est pas parce que le demandeur voyait son dossier à travers le prisme du harcèlement que le Syndicat devait nécessairement en faire autant. Le Syndicat se devait d’évaluer la demande de M. Dumont à la lumière de l’ensemble des faits au dossier et rien dans la preuve n’indique que ce n’est pas ce qu’il a fait. Tel qu’on le lit à la décision du Conseil, celui-ci ne doit pas examiner le bien-fondé de la décision du Syndicat, mais seulement le processus suivi par ce dernier pour en arriver à celle-ci (motifs du Conseil, à la page 9).

 

[51]           Il est de jurisprudence constante que le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au Syndicat et que le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage, le syndicat jouissant d’une discrétion appréciable (Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, au paragraphe 38).

 

[52]           Manifestement, le demandeur est en désaccord avec la décision du Syndicat. Je suis d’accord avec l’énoncé suivant d’une formation du Conseil canadien des relations industrielles :

Ce n’est pas parce qu’un membre est mécontent des conclusions d’une enquête effectuée par le syndicat ou que ces conclusions rejoignent celles de l’employeur que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste. L’analyse du Conseil ne porte que sur le processus par lequel le syndicat en est arrivé à sa décision. Par conséquent, un plaignant doit démontrer de manière convaincante que le syndicat a agi de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. En l’absence d’éléments de preuve démontrant de la négligence grave, le Conseil n’interviendra pas dans la relation entre un syndicat et ses membres (Misiura (Re), [2000] CCRI no 63, au paragraphe 20).

 

[53]           En l’instance, le Conseil a conclu que le demandeur n’avait pas fait cette démonstration. Après une analyse rigoureuse du dossier, je ne trouve pas d’erreur dans la conclusion du Conseil. Je propose donc d’également rejeter ce motif d’attaque.

 

6)         La décision du Conseil n’est pas fondée sur des conclusions de fait erronées

 

[54]           Ayant ainsi conclu, je ne juge pas utile de commenter longuement sur l’argument du demandeur selon lequel le Conseil aurait rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées.

 

[55]           Je me limiterai à dire que la preuve au dossier permettait amplement au Conseil de conclure comme il l’a fait. Il y avait sur certaines questions de la preuve contradictoire. C’était le rôle du Conseil de départager cette preuve et d’y accorder le poids voulu en regard de l’ensemble de la preuve. Le Conseil n’avait pas à mentionner tous les éléments de preuve qu’il avait reçus avant de tirer ses conclusions.

 

Conclusion

 

[56]           Certes j’éprouve de la sympathie pour le demandeur et les événements difficiles qu’il a vécus, mais je suis d’avis que la décision du Conseil et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[57]           En conséquence, je propose de rejeter la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

Robert M. Mainville j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-339-10

 

INTITULÉ :                                                   CHRISTIAN DUMONT c. SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE POSTES, SECTION LOCALE DE MONTRÉAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   25 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                                          1 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Audrée Desrochers

POUR LE DEMANDEUR

 

Marie-Christine Dufour

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allali Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Proudrier Bradet

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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