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Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20110516

Dossiers : A-472-09

A-473-09

Référence : 2011 CAF 166

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-472-09

ENTRE :

CAISSE POPULAIRE DESJARDINS CHUTES MONTMORENCY

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 

A-473-09

ENTRE :

CAISSE POPULAIRE DESJARDINS DU BAS-RICHELIEU

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 9 mai 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 mai 2011.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 

 

 


Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20110516

Dossiers : A-472-09

A-473-09

Référence : 2011 CAF 166

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-472-09

ENTRE :

CAISSE POPULAIRE DESJARDINS CHUTES MONTMORENCY

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 

A-473-09

ENTRE :

CAISSE POPULAIRE DESJARDINS DU BAS-RICHELIEU

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en appel

 

[1]               Nous sommes saisis de deux appels d’une décision du juge Martineau de la Cour fédérale (juge) dans les dossiers T-1070-08 et T-1071-08. Bien que les montants en litige diffèrent dans les deux dossiers, la problématique juridique demeure la même. Pour des raisons de prématurité, les appelantes ont essuyé un refus de leur demande d’indemnisation faite au Programme de financement des petites entreprises du Canada (Programme) pour les pertes qu’elles ont subies lorsque les prêts qu’elles avaient consentis à des petites entreprises ne furent pas remboursés à échéance.

 

[2]               Les demandes d’indemnisation sont autorisées et régies par la Loi sur le financement des petites entreprises du Canada, L.C. 1998, ch. 36 (Loi), dont certains aspects de la mise en œuvre sont confiés au Règlement sur le financement des petites entreprises du Canada, DORS/99-141 (Règlement).

 

[3]               Essentiellement, comme l’énonce l’intimé au paragraphe 2 de son mémoire des faits et du droit, « le Programme encourage les institutions financières à prêter des fonds aux petites entreprises en couvrant certaines de leurs pertes résiduelles lorsque leurs prêts ne sont pas remboursés à échéance, à condition pour elles de minimiser ces pertes en exigeant que ces institutions réalisent au préalable toutes les assurances dont elles sont bénéficiaires ».

 

[4]               Les appelantes soumettent que le juge a erré dans le choix de la norme de contrôle applicable à la révision de la décision des autorités du Programme.

 

[5]               Elles s’attaquent aussi à l’interprétation qui fut donnée à l’alinéa 37(3)c) du Règlement. Le juge, disent-elles, aurait commis une erreur de droit quant à la portée de cet alinéa lorsqu’il a statué que les autorités du Programme avaient eu raison de conclure que l’alinéa s’appliquait à la police d’Assurance globale souscrite auprès de Desjardins Assurances générales.

 

[6]               Plus précisément, le juge aurait commis une erreur de droit en concluant que le Règlement crée une obligation de réaliser toute police d’assurance avant de se tourner vers le Programme pour obtenir une indemnisation des pertes résiduelles du prêteur.

 

[7]               Le juge se serait également mépris lorsqu’il a donné préséance à la Loi et au Règlement sur une des conditions du contrat d’Assurance globale qui requiert que l’assuré institue « toute autre procédure nécessaire pour réaliser ses garanties afin de réduire toute perte éventuelle couverte en vertu de ce contrat d’assurance » : voir la clause 5.3c) du contrat d’Assurance globale, dossier d’appel dans le dossier A-472-09, à la page 106 de l’onglet 13.

 

[8]               Enfin, le juge aurait erré en entérinant la décision des autorités du Programme selon laquelle la demande d’indemnisation qui leur était soumise était prématurée.

 

La législation pertinente

 

[9]               Je reproduis le paragraphe 5(1) de la Loi ainsi que le paragraphe 38(1) et les alinéas 37(3)a), b) et c) du Règlement dans cet ordre :

 

Responsabilité du ministre

 

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre est tenu d’indemniser les prêteurs de toute perte admissible — calculée conformément aux règlements — résultant d’un prêt conforme aux règles énoncées à la présente loi et à ses règlements.

 

 

PROCÉDURE À SUIVRE EN CAS DE RÉCLAMATION

 

38. (1) Le prêteur doit prendre les mesures applicables prévues au paragraphe 37(3) avant de présenter au ministre une réclamation pour la perte occasionnée par un prêt.

 

 

PROCÉDURE EN CAS DE DÉFAUT

 

37.

[…]

(3) Si le solde impayé du prêt n’est pas remboursé dans le délai précisé, le prêteur doit prendre celles des mesures suivantes qui réduiront au minimum la perte résultant du prêt ou permettront de recouvrer le montant maximal :

 

a) le recouvrement du principal et des intérêts impayés du prêt;

 

b) la réalisation intégrale de toute sûreté ou garantie ou de tout cautionnement;

 

c) la réalisation des polices d’assurance dont le prêteur est le bénéficiaire;

[…]

Liability of Minister

 

5. (1) Subject to subsection (2), the Minister is liable to pay a lender any eligible loss, calculated in accordance with the regulations, sustained by it as a result of a loan in respect of which the requirements set out in this Act and the regulations have been satisfied.

 

 

 

CLAIMS PROCEDURE

 

38. (1) A lender must take all of the measures described in subsection 37(3) that are applicable before submitting a claim to the Minister for loss sustained as a result of a loan.

 

 

PROCEDURE ON DEFAULT

 

37.

(3) If the outstanding amount of the loan is not repaid within the period specified, the lender must take any of the following measures that will minimize the loss sustained by it in respect of the loan or that will maximize the amount recovered:

 

(a) collect the principal and interest outstanding on the loan;

 

(b) fully realize any security, guarantee or suretyship;

 

(c) realize on any insurance policy under which the lender is the beneficiary;

 

 

Analyse de la décision du juge et des prétentions des parties

 

[10]           Pour des raisons qui deviendront évidentes, il ne me sera pas nécessaire d’examiner chacun des motifs d’appel invoqués. Je débuterai par la question de la norme de contrôle.

 

La norme de contrôle applicable à la décision des autorités du Programme

 

[11]           Je concède que les termes utilisés par le juge, et surtout la séquence de leur utilisation que l’on retrouve aux paragraphes 9 à 13 de sa décision, nécessitent plus d’une lecture attentive. Ceci dit, il ressort qu’il a déterminé que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’interprétation de la Loi et du Règlement.

 

[12]           Sur ce point, les parties s’entendent. Ainsi, elles sont d’accord que de déterminer si le Programme constitue une garantie, comme le prétendent les appelantes, implique une question de droit. De même, elles se rejoignent sur la question de savoir si le Règlement a priorité ou non sur la clause 5.3c) du contrat d’Assurance globale : il s’agit d’une question de droit, également révisable selon la norme de la décision correcte.

 

[13]           Je précise que la clause 5.3c) du contrat d’Assurance globale et l’alinéa 37(3)b) du Règlement exigent chacun de l’assuré qu’il réalise ses garanties avant de pouvoir faire une réclamation à l’assureur et au Programme. En termes familiers, chacun se renvoie la balle : selon l’assureur, l’assuré doit réclamer du Programme d’abord et, selon le Programme, la réclamation doit d’abord être soumise par l’assuré à son assureur pour adjudication. Ces deux dispositions, i.e. la clause 5.3c) et l’alinéa 37(3), ont conduit dans le cas présent, comme dans l’affaire McGeough c. O’Donals Restaurant of Canada Ltd, 92 B.C.L.R. (2d) 288 (C.A.C.B.) où il s’agissait de déterminer quelle compagnie d’assurance devait payer en premier, à un raisonnement circulaire débouchant en l’espèce dans une impasse : chacun, soit le Programme et Desjardins Assurances générales, ont jugé que la demande d’indemnisation qui leur était faite était prématurée car elle devait d’abord être faite à l’autre!

 

[14]           Compte tenu de la conclusion à laquelle j’en viens quant à l’interprétation du paragraphe 37(3) et des alinéas 37(3)b) et c) du Règlement, il n’y a pas lieu d’épiloguer plus longuement sur la norme de contrôle.

 

 

 

Le juge a-t-il erré dans son interprétation de l’alinéa 37(3)c) du Règlement?

 

[15]           Le procureur des appelantes prétend que les polices d’assurance au bénéfice du prêteur auxquelles réfère l’alinéa 37(3)c) se limitent soit à une assurance qui couvre l’obligation personnelle de l’emprunteur au titre du prêt, telle une assurance prêt, vie ou invalidité, soit une assurance qui protège le bien hypothéqué, en cas de sinistre par exemple.

 

[16]           Je ne crois pas que les termes de l’alinéa 37(3)c), compte tenu de leur généralité (« realize on any insurance policy ») limitent l’application de la disposition à ces seuls contrats d’assurance bien que ce soient ces contrats qui soient les plus évidents et les plus fréquents.

 

[17]           Mais je suis bien d’accord avec le procureur des appelantes qu’il existe deux conditions essentielles qui doivent être respectées pour que l’alinéa s’applique. Il faut d’abord que la police soit réalisable, c’est-à-dire qu’une perte couverte par l’assurance ait été encourue. Le défaut de rencontrer l’une ou l’autre de ces deux exigences fait en sorte qu’il est impossible de réaliser la police. Et à l’impossible nul n’est tenu. De plus, il faut que la police soit au bénéfice du prêteur.

 

[18]           En l’instance, la police d’Assurance globale est au bénéfice des appelantes en leur qualité de prêteur. Il s’agit d’une police qui couvre les biens contre le vol, les détournements, les dommages causés par l’incendie, la contrefaçon et la falsification, les pertes subies par l’assuré à titre de créancier hypothécaire ou de créancier pour des prêts consentis à une entreprise par contrats de vente à tempérament, de vente conditionnelle ou garantis par hypothèque mobilière.

 

[19]           Il n’est pas contesté que cette police d’Assurance globale n’a pas été contractée dans le cadre du prêt. Mais je suis d’accord avec l’intimé qu’elle est pertinente en l’espèce. Il en veut pour preuve le fait que l’assuré a fait des démarches pour se prévaloir de la protection de cette police et que Desjardins Assurances générales n’a pas écarté la demande de l’assuré, l’ayant plutôt jugée simplement prématurée tel que déjà mentionné.

 

[20]           Avec respect, je ne crois pas que l’on puisse reprocher au juge une méprise sur cet aspect de l’alinéa 37(3)c) du Règlement.

 

Le Programme est-il une garantie de remboursement des prêts consentis par les prêteurs ou une caution de ceux-ci?

 

 

[21]           Il m’apparaît indubitable que le Programme n’est ni une garantie, ni une caution du prêt. Cela transpire abondamment du fait que le Programme ne prévoit pas le remboursement du prêt, mais plutôt une indemnisation partielle des pertes occasionnées par l’octroi du prêt, avec des plafonds absolus de responsabilité par tranche de principal : voir les articles 6 à 9 de la Loi.

 

[22]           De plus, une fois le montant des pertes établi, le Programme exige de l’institution financière prêteuse qu’elle mitige ses pertes, ce qui ne serait pas le cas si le Programme était une garantie de remboursement du prêt. Il devrait alors assumer toutes les pertes, ce qui est incompatible avec l’obligation de minimiser imposée au prêteur. Pour faciliter l’exercice de cette obligation de minimiser les pertes, il est prévu que le Programme doit rembourser, en partie seulement et avec un plafond, certains des frais encourus par l’institution financière prêteuse pour recouvrer ou tenter de recouvrer le prêt ou réaliser une assurance : voir le paragraphe 38(7) du Règlement. Le remboursement par le Programme des frais de recouvrement encourus par le prêteur dans la poursuite d’autres garants n’a pas de sens si le Programme est lui-même un garant responsable du remboursement du prêt.

 

[23]           Faire du Programme une garantie du prêt comme le requièrent les appelantes rendrait caduc l’alinéa 37(3)b) du Règlement et conduirait à un non-sens. De fait, cet alinéa exige, pour réduire les pertes résultant du prêt, que le prêteur réalise toute garantie en sa faveur avant de pouvoir bénéficier du Programme. Il s’agit d’une condition préalable, obligatoire, à l’octroi d’une demande d’indemnisation par le Programme.

 

[24]           Or, si le Programme est une garantie de remboursement des prêts, cela voudrait dire qu’alors que la Loi et le Règlement exigent du prêteur, qui après tout est responsable du prêt, de diminuer ses pertes, le Programme devient, à ce chapitre, le premier agent, voire un agent privilégié de cette diminution. Cependant, il est clair que ce n’était pas là l’intention du législateur en adoptant l’alinéa 37(3)b).

 

[25]           En somme, bien qu’attrayante à première vue, la prétention des appelantes ne résiste pas à une analyse inspirée du fondement, des conditions et des objectifs de la Loi et du Règlement.

 

 

Le paragraphe 37(3) de la Loi a-t-il préséance sur la clause 5.3c) du contrat d’Assurance globale?

 

 

[26]           Cette question ne se pose que si le Programme est une garantie. Étant donné la conclusion à laquelle j’en suis arrivé, il n’est pas nécessaire d’y répondre.

 

Le juge a-t-il erré en entérinant la conclusion des autorités du Programme que la demande des appelantes adressée au Programme était prématurée?

 

 

[27]           Au moment où il a rendu sa décision, le juge était satisfait selon la preuve au dossier que Desjardins Assurances générales n’avait pas « formellement notifié les demanderesses de tout refus d’indemniser ces dernières en vertu de la clause de limitation de garantie contenue à la police d’assurance globale » : voir le paragraphe 30 de sa décision. Le procureur des appelantes a reconnu à l’audience que leur réclamation faite à Desjardins Assurances générales était en suspens. Avec notre décision que le Programme n’est pas un garant, plus rien n’empêche l’adjudication au mérite par Desjardins Assurances générales de la réclamation des appelantes. Cependant, la demande adressée au Programme y demeure en suspens.

 

Conclusion

 

[28]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel dans ce dossier et dans le dossier A-473 avec dépens, limités toutefois à un seul jeu pour l’audition. Copie des présents motifs sera déposée dans le dossier A-473 au soutien du jugement formel à y intervenir.

 

[29]           Nous sommes gré aux procureurs des deux parties pour la qualité de leurs plaidoiries.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-472-09

 

 

INTITULÉ :                                                   CAISSE POPULAIRE DESJARDINS CHUTES

                                                                        MONTMORENCY c. PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                                        DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 mai 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE TRUDEL

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claude Ouellet

Me Antoine P. Beaudoin

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Vincent Veilleux

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEIN MONAST s.e.n.c.r.l.

Québec (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-473-09

 

 

INTITULÉ :                                                   CAISSE POPULAIRE DESJARDINS DU BAS-

                                                                        RICHELIEU c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU

                                                                        CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 mai 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE TRUDEL

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claude Ouellet

Me Antoine P. Beaudoin

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Vincent Veilleux

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEIN MONAST s.e.n.c.r.l.

Québec (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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