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Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal


Date : 20110119

Dossier : A-488-10

Référence : 2011 CAF 18

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

appelant

et

JAVED AZIZ

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 janvier 2011.

Ordonnance rendue à Toronto (Ontario), le 19 janvier 2011.

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                              LA JUGE SHARLOW

 



Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110119

Dossier : A-488-10

Référence : 2011 CAF 18

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

appelant

et

JAVED AZIZ

intimé

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LA JUGE SHARLOW

[1]               L'intimé, Javed Aziz, était visé par une mesure d'expulsion. Il avait le droit d'interjeter appel devant la Section d'appel de l'immigration (la SAI), et il l'a fait, mais n'a pas eu gain de cause. Il a demandé et obtenu l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la SAI (IMM‑2019‑10), mais il a été expulsé avant que sa demande de contrôle judiciaire ne soit instruite le 8 décembre 2010. L'audience de sa demande de contrôle judiciaire a donné lieu à une ordonnance du 22 décembre 2010 par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision de la SAI et a exigé que l'appel de la mesure d'expulsion soit examiné à nouveau par un tribunal différemment constitué. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a interjeté appel de l'ordonnance de la Cour fédérale et demande maintenant un sursis de l'ordonnance de la Cour fédérale en attendant qu'il soit statué sur le présent appel. Pour les motifs qui suivent, la requête en sursis sera rejetée.

 

[2]               Le ministre allègue que l'ordonnance portée en appel est fondée sur une ou plusieurs interprétations de dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui sont erronées et que le juge a retenues sans donner au ministre la possibilité de lui présenter des observations. Le ministre se dit particulièrement préoccupé par les remarques du juge, dans les motifs de son ordonnance, selon lesquelles la SAI n'a pas examiné l'opportunité d'ordonner un sursis conditionnel de la mesure d'expulsion et selon lesquelles M. Aziz « doit être ramené au Canada immédiatement ». Pour situer ces commentaires dans leur contexte, je cite l'intégralité de l'ordonnance et des motifs (en omettant la reproduction, dans les motifs, des articles 66 et 68 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés) :

ORDONNANCE

 

[1]        La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 18 mars 2010 par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) est annulée, et l'appel interjeté par Javed Aziz à l'égard de la mesure d'expulsion du 26 février 2009 doit être examiné à nouveau par un tribunal différemment constitué. Aucune question de portée générale n'a été proposée.

 

Motifs

 

Javed Aziz, maintenant âgé de 21 ans, est né en Guyane et est devenu un résident permanent du Canada en octobre 1997 après que son père eut parrainé sa famille. Il avait huit ans à l'époque. Son père a abandonné sa famille peu après l'arrivée de celle‑ci au pays.

 

Une mesure d'expulsion a été prise contre M. Aziz après qu'une commissaire de la Section de l'immigration a conclu que M. Aziz était interdit de territoire en vertu de l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) (LIPR). Il a interjeté appel de la mesure d'expulsion auprès de la Section d'appel de l'immigration (SAI).

 

Monsieur Aziz a concédé que la mesure d'expulsion était valide sur le plan juridique. La commissaire de la SAI a indiqué au paragraphe 4 de ses motifs que la seule question en litige était celle de savoir s'il y avait des motifs d'ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales. Après avoir énoncé les facteurs fondés sur la décision Ribic repris par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, la commissaire a décidé de rejeter l'appel principalement au motif qu'elle n'était pas convaincue que M. Aziz « avait démontré qu'il était capable de réadaptation ».

 

L'alinéa 36(1)a) prévoit qu'un résident permanent est interdit de territoire pour grande criminalité s'il a été déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois a été infligé.

 

L'alinéa 67(1)c) permet à la SAI d'accueillir un appel d'une mesure d'expulsion, compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché par la décision, s'il y a des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales.

 

La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie parce que la commissaire de la SAI n'a pas examiné un motif subsidiaire de prise de mesures spéciales, c'est‑à‑dire que le conseil de M. Aziz a précisé à l'audience que si l'appel n'était pas accueilli et que la mesure d'expulsion n'était pas annulée, [TRADUCTION] « subsidiairement, il devrait être sursis à la mesure d'expulsion et, évidemment, M. Aziz se conformera à toutes les conditions imposées par la Commission s'il est sursis à la mesure ». (Voir la transcription au dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 189.)

 

Le conseil du ministre s'est opposé à la demande subsidiaire de sursis (voir le DCT, à la page 191).

 

[...]

 

Les motifs de la commissaire ne comportent aucun examen de la demande subsidiaire de sursis ni aucune conclusion à ce sujet.

 

Mon collègue le juge Luc Martineau a souligné l'importance de la solution subsidiaire du sursis dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Awaleh, 2009 CF 1154, aux paragraphes 20 et 23 :

 

20        Un large pouvoir discrétionnaire est conféré à la SAI pour instruire les appels interjetés à l'encontre de mesures de renvoi. En vertu de l'alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi, la SAI peut faire droit à un appel ou surseoir à une mesure de renvoi sur preuve qu'il « y a — compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché — des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales ».

 

[...]

 

23        Finalement, il importe de rappeler que la décision contestée ne tranche pas l'appel interjeté par le défendeur à l'encontre de la mesure de renvoi. La SAI peut réexaminer le sursis en tout temps et en modifier les conditions ou rejeter l'appel porté à l'encontre de la mesure (voir l'article 68 de la Loi). Le rejet de l'appel aurait pour effet de confirmer la mesure de renvoi et résulterait en l'expulsion du défendeur hors du Canada.

 

Selon ce que je comprends, M. Aziz a été renvoyé en Guyane, où il se trouve actuellement. Compte tenu de la présente décision, il doit être ramené au Canada immédiatement.

 

Compte tenu de ce qui précède, je m'abstiens de commenter la décision de la SAI si ce n'est pour dire que la Cour est d'avis que la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur est incapable de réadaptation est déraisonnable puisque la commissaire ne disposait d'aucun élément de preuve substantiel (de nature médicale ou psychiatrique, ou de la part de son agent de probation) sur cette question.

 

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

 

 

[3]               La principale préoccupation du ministre tient à ce que l'ordonnance portée en appel pourrait être interprétée comme exigeant que le ministre ramène M. Aziz au Canada immédiatement. Je n'interprète pas l'ordonnance de cette façon. L'avocat de M. Aziz a concédé, et je suis d'accord, que l'ordonnance ne fait rien d'autre qu'annuler la décision de la SAI et exiger la tenue d'une nouvelle audience. Bien que le juge ait affirmé que, par suite de son ordonnance, M. Aziz serait ramené au Canada, cette affirmation apparaît seulement dans les motifs, et non dans l'ordonnance. Là encore, je conviens avec l'avocat de M. Aziz qu'il s'agit simplement de la façon dont le juge comprend l'article 52 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si l'article 52 exige que M. Aziz soit ramené au Canada pour une nouvelle audience de la SAI, mais il s'agit d'une question sur laquelle je ne suis pas tenue de me prononcer.

 

[4]               Lorsqu'elle détermine si une ordonnance devrait être suspendue, la Cour suit l'arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Selon cet arrêt, un sursis peut être accordé si l'appel soulève une question sérieuse à juger, si l'appelant subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé, et si la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l'appelant.

 

[5]               L'ordonnance visée par l'appel est régie par l'article 74 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. En règle générale, une telle ordonnance ne peut pas être portée en appel en l'absence d'une question grave de portée générale certifiée par le juge qui a rendu l'ordonnance. En l'espèce, il n'a pas été demandé au juge de certifier une question, et le juge ne l'a pas fait. Je ne puis conclure que le ministre a établi l'existence d'une question grave en appel à moins que l'on puisse à tout le moins soutenir que le ministre avait le droit de se pourvoir en appel sans une question certifiée.

 

[6]               Le ministre soutient qu'en l'espèce, aucune question certifiée n'était requise. Il s'appuie sur certaines affaires en matière d'immigration dans lesquelles la Cour a permis qu'un appel soit instruit malgré l'absence d'une question certifiée. Par exemple, dans Forde c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 1997 CanLII 12083, [1997] A.C.F. no 310 (QL) (C.A.F.), la Cour a instruit un appel d'une ordonnance par laquelle la Cour fédérale avait suspendu l'exécution d'une mesure d'expulsion en attendant le dénouement d'une autre affaire d'immigration. La Cour a conclu qu'aucune question certifiée n'était requise parce que la question en litige était celle de savoir si l'ordonnance de sursis relevait de la compétence de la Cour fédérale en vertu de l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Dans Canada (Solliciteur général) c. Subhaschandran, 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255, la Cour a instruit un appel d'une ordonnance de la Cour fédérale qu'elle a interprétée comme le refus d'un juge d'accueillir ou de rejeter une requête en sursis d'expulsion. La Cour a également statué qu'aucune question certifiée n'est requise pour interjeter appel d'une ordonnance statuant sur une requête en récusation fondée sur une allégation de partialité, parce qu'une telle allégation remet en cause la compétence d'un juge pour trancher l'affaire : voir Narvey c. M.C.I., 1999 CanLII 7421, [1999] A.C.F. no 25 (QL) (C.A.F.), Re Zündel, 2004 CAF 394.

 

[7]               À mon avis, aucune de ces décisions n'aide le ministre. En l'espèce, le juge de la Cour fédérale avait compétence pour rendre une ordonnance statuant sur la demande de contrôle judiciaire de M. Aziz, et il l'a fait. Il n'a pas refusé de statuer sur la demande. Il n'a pas prétendu rendre une ordonnance sur le fondement d'un pouvoir conféré par une autre loi que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Il n'y a aucune allégation de partialité réelle ou de crainte de partialité, ni aucun fait sur lequel pourrait reposer une telle allégation.

 

[8]               Aux fins de la présente requête, je tiens pour acquis, sans me prononcer, que le juge a peut‑être manqué à une règle d'équité procédurale parce qu'il ne disposait pas d'observations du ministre lorsqu'il a interprété l'article 52, ou lorsqu'il a conclu que la SAI était tenue d'examiner l'opportunité d'accorder un sursis conditionnel de la mesure d'expulsion. Cependant, je ne suis pas convaincue qu'une telle erreur, si elle est survenue, aurait privé le juge de sa compétence pour annuler la décision de la SAI et pour ordonner la tenue d'une nouvelle audience. À mon avis, le ministre n'a pas de motif raisonnable de soutenir que le présent appel peut être instruit sans une question certifiée. Je conclus que le ministre n'a pas établi que l'appel soulève une question grave.

 

[9]               Cela dit, je suis d'avis que le défaut du juge de donner au ministre la possibilité de présenter des observations sur ces deux questions (en supposant qu'il y ait eu un tel défaut) est une question qui donne peut‑être au ministre un motif de demander un réexamen ou une modification de l'ordonnance visée par le présent appel, y compris un réexamen de la question de savoir si la présente affaire justifie la certification d'une question. Par conséquent, je prononcerai une ordonnance rejetant la requête en sursis du ministre, mais cela sans porter atteinte au droit du ministre de présenter une requête devant la Cour fédérale pour demander une réparation convenable et, dépendant du sort de cette requête, de présenter une nouvelle requête en sursis à la Cour si les circonstances le justifient.

 

[10]           L'intimé a sollicité des dépens. À mon avis, il n'y a aucune circonstance spéciale justifiant une telle adjudication.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-488-10

 

(REQUÊTE SOLLICITANT LE SURSIS DE L'ORDONNANCE DU 22 DÉCEMBRE 2010 RENDUE PAR LE JUGE LEMIEUX, DOSSIER NO IMM‑2019‑10)

 

INTITULÉ :                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. JAVED AZIZ

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         Le 18 janvier 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brad Gotkin

Daniel Engel

POUR L'APPELANT

 

 

Dov Maierovitz

POUR L'INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR L'APPELANT

 

 

Gertler, Etienne LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉ

 

 

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