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Date : 20101221

Dossier : A-17-10

Référence : 2010 CAF 355

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CHARLOTTE RHÉAUME

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 15 décembre 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                              LE JUGE NADON

 


Date : 20101221

Dossier : A-17-10

Référence : 2010 CAF 355

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CHARLOTTE RHÉAUME

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

[1]               Il s’agit de l’appel d’une décision du juge Robert Mainville, j.c.a. (le Juge), alors juge à la Cour fédérale, rendue le 16 décembre 2009 (2009 CF 1273). Le Juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire de madame Rhéaume à l’encontre de la décision d’un arbitre de grief, qui avait rejeté, pour cause d’absence de compétence, le grief qu’elle avait déposé le 21 janvier 2002 en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P-35 (Loi).

[2]               L’appelante soutient que le Juge a commis de nombreuses erreurs de faits et de droit justifiant l’intervention de notre Cour.  Je ne suis pas d’accord.

 

Faits pertinents

[3]               La trame factuelle énoncée au jugement frappé d’appel nous apprend ce qui suit :

 

         En 2001, l’appelante était à l’emploi de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, maintenant  quant à la partie revenu, l’Agence du revenu du Canada (l’Agence ou l’employeur).  Elle occupait alors un poste d’agente des demandes de renseignements de niveau PM-2 et était membre de l’Alliance de la fonction publique du Canada.

 

         Suite à une réorganisation administrative, elle fut assignée à un nouveau poste aux services fiscaux en tant qu’agente d’examen de bureau, un autre poste de niveau PM-2. Ses nouvelles tâches étant très différentes,  l’appelante, tout en continuant de recevoir son salaire de PM-2, fut assignée temporairement à un plan de formation qui consistait à effectuer des tâches de niveau PM-1.

 

         S’estimant lésée par cette nouvelle assignation et, avec l’appui de son syndicat, l’appelante a déposé un grief le 21 janvier 2002. Son grief a franchi les trois paliers de la procédure de grief, pour être finalement rejeté le 2 février 2004 par une décision du sous-commissaire de la Direction générale des ressources humaines de l’Agence.

 

         Le syndicat a refusé de renvoyer le grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

 

[4]               Néanmoins, l’appelante a décidé de renvoyer elle-même son grief à la procédure d’arbitrage. Pour ce faire, elle a présenté trois renvois à l’arbitrage s’appuyant sur le paragraphe 92(1) et sur l’article 99 de la Loi.

 

[5]               Suite aux objections préliminaires de l’Agence, l’arbitre a rejeté le grief pour cause d’absence de compétence, d’où la demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et la demande subsidiaire de l’appelante afin d’être autorisée, hors délai, à demander le contrôle judiciaire de la décision définitive du 2 février 2004.

 

[6]               Quant au renvoi sous l’article 99 de la Loi, le Juge a entériné la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’appelante ne pouvait se prévaloir de ce recours exclusivement réservé aux employeurs et agents négociateurs. L’appelante n’en appelle pas de cette conclusion.

 

Questions en litige

[7]               Dans son avis d’appel, l’appelante ne fait pas moins d’une vingtaine de reproches au Juge. Elle propose sept questions en litige tournant toutes autour de trois thèmes :

1)         la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre, selon l’appelante, celle de la décision correcte;

2)         l’erreur de l’arbitre, entérinée par le Juge, que son grief était irrecevable sous les alinéas 92(1)a) b) et c) de la Loi;

3)         sa demande subsidiaire.

 

            a)         La norme de contrôle

[8]               Tel que prescrit par l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (au paragraphe 64), le Juge a procédé à l’analyse permettant d’arrêter la bonne norme de contrôle. Puis, il a écrit au paragraphe 42 :

 

[42]      Compte tenu de la nature du régime de relations de travail établi par la loi en cause et de la nature des questions de droit soulevées, je suis d'avis qu'il convient d'appliquer la norme de la décision raisonnable lors du contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. De toute façon, comme je le souligne plus loin, la décision de l’arbitre est non seulement raisonnable mais elle est aussi correcte dans tous ses aspects. Ainsi, bien que je sois d’avis que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique en l’occurrence, je parviendrais aux mêmes conclusions en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte. [Je souligne]

 

 

[9]               Cette conclusion du Juge rend inutile le choix entre l’une ou l’autre des thèses des parties puisqu’il s’est dit satisfait que la décision de l’arbitre passait à la fois le test de la rectitude et de la raisonnabilité.  Je n’ai donc pas l’intention de commenter davantage l’analyse de la norme de contrôle faite par le Juge. Notre Cour se penchera sur cette question un autre jour.

 

Législation pertinente

[10]           Pour mieux saisir les prétentions de l’appelante quant aux deux autres renvois, il y a lieu de reproduire les paragraphes 92(1) et 92(2) de la Loi.

 

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

 

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

 b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

 

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

 

 

 

(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

 

 

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

 

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

(2) Where a grievance that may be presented by an employee to adjudication is a grievance described in paragraph (1)(a), the employee is not entitled to refer the grievance to adjudication unless the bargaining agent for the bargaining unit, to which the collective agreement or arbitral award referred to in that paragraph applies, signifies in the prescribed manner its approval of the reference of the grievance to adjudication and its willingness to represent the employee in the adjudication proceedings.

 

Les renvois sous le paragraphe 92(1) de la Loi

[11]           Le renvoi sous l’alinéa 92(1)c)  a trait au renvoi à l’arbitrage dans les cas d’une mesure disciplinaire entraînant, entre autres, le licenciement.

 

[12]           A cet égard, l’appelante soutient que les pièces jointes à son grief « indiquent la séquence des actions de l’employeur, lesquelles ont mené à une rétrogradation et à son congédiement déguisé [et] camouflé dans la situation de réaménagement des effectifs » (dossier d’appel, page 107). L’arbitre et le Juge ont donc eu tort de ne pas retenir son grief sous cet alinéa.

 

[13]           Cette prétention a été examinée par le Juge (voir paragraphe 46). Il affirme qu’une lecture attentive, de même qu’une interprétation large et libérale du grief ne peut permettre de tirer une telle conclusion :

 

… Le grief vise des questions liées à la réorganisation administrative, au manque de formation, à des assignations de tâches contestées, à des demandes de priorité pour d'autres postes, etc. Les redressements demandés sont du même type. Il ne s'agit pas d'un grief concernant un congédiement déguisé, et la décision de l'arbitre à cet égard est non seulement raisonnable [mais] aussi correcte.

 

[14]           Je ne décèle ici aucune erreur méritant l’intervention de notre Cour.

 

[15]           A l’audition devant cette Cour, il est clairement ressorti, tout comme l’avait noté l’arbitre au paragraphe 9 de ses motifs, que l’essence du grief de l’appelante concerne l’application de la Politique sur le réaménagement des effectifs, qui fait partie intégrante de la convention collective intervenue entre l’Agence et l’Alliance de la fonction publique du Canada, pour le groupe de l’exécution des programmes et des services administratifs dont madame Rhéaume faisait partie (cahier des Lois et Règlements de l’appelante, onglet 6, appendice E).

 

[16]           En réalité, le grief se rapporte à l’interprétation ou l’application, à l’endroit de l’appelante, d’une disposition d’une convention collective, le sujet de l’alinéa 92(1)a) précité. Or, tout grief sous cet alinéa doit être approuvé par l’agent négociateur. L’appelante admet ne pas avoir reçu cette approbation.  De plus, elle n’a pas déposé de renvoi à l’arbitrage sous cette disposition.  Le Juge n’a donc pas commis d’erreur en concluant que les conditions de l’alinéa 92(1)a) n’étaient pas satisfaites.

 

[17]           L’appelante a aussi allégué congédiement injustifié sous l’alinéa 92(1)b), lequel s’applique uniquement au fonctionnaire y désigné.

 

[18]           Elle ne m’a pas convaincue que le Juge avait eu tort de conclure que l’appelante n’était pas visée par cet alinéa. Elle ne m’a pas davantage convaincue qu’il avait eu tort de confirmer la décision de l’arbitre qui avait écrit au paragraphe 13 :

 

Dans le deuxième renvoi à l’arbitrage daté du 16 mars 2004, la fonctionnaire s’estimant lésée a ajouté à la section 15 du formulaire ce qui suit : « congédiement déguisé, rétrogradation et réaménagement des effectifs ». Il n’y a aucune référence à ces éléments dans le grief. Par le fait même, ces éléments ne peuvent être soulevés à l’étape de l’arbitrage. En les soulevant, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est alors trouvée à déposer un nouveau grief ou à modifier substantiellement le grief déjà déposé. Conformément aux principes établis dans l’arrêt Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109, l’arbitre doit s’en tenir au grief soumis initialement et ne peut accepter un grief dont l’essence est changée.

 

b)         La demande subsidiaire

[19]           La décision d’accorder ou non une prorogation de délai constitue l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Alerte aux principes qui doivent guider cet exercice, le Juge a conclu que la demande devait échouer pour les motifs énoncés aux paragraphes 50 à 59 de son jugement. Encore une fois, je n’y décèle aucune erreur.

 

Conclusion

[20]           L’appelante demande à la Cour d’exercer sa discrétion en n’adjugeant pas de dépens contre elle. Le procureur de l’intimé n’a pas le mandat de consentir à cette demande. Il a requis les frais à son mémoire.

 

[21]           Après avoir pris en compte les facteurs et autres pouvoirs discrétionnaires de la Cour en matière d’adjudication de dépens (voir la Règle 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106),  je conclus qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de l’appelante.

 

[22]           Je propose donc de rejeter cet appel avec dépens.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

«Je suis d’accord

Gilles Létourneau j.c.a.»

 

«Je suis d’accord

M. Nadon j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-17-10

 

INTITULÉ :                                                                           Charlotte Rhéaume c. Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   15 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 21 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charlotte Rhéaume

SE REPRÉSENTE ELLE-MÊME

 

Adrian Bieniasiewicz

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ministère de la Justice Canada

Treasury Board of Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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