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Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20101217

Dossier : A-498-09

Référence : 2010 CAF 353

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

GENEX COMMUNICATIONS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 14 décembre 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE NADON

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20101217

Dossier : A-498-09

Référence : 2010 CAF 353

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

GENEX COMMUNICATIONS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

La question en litige

 

[1]               L’appelante se plaint d’une décision du juge Favreau (juge) de la Cour canadienne de l’impôt par laquelle il rejetait son appel avec dépens et maintenait la cotisation établie pour l’année 2003 par le ministre du Revenu national (ministre) en date du 19 octobre 2006  en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), 5e suppl. (Loi).

[2]               La question qui était la sienne, et qui est devenue en partie la nôtre, portait sur la notion de créance commerciale définie au paragraphe 80(1) de la Loi et sur l’impact fiscal d’une renonciation des actionnaires de la Corporation Showbizznet (Corporation) à réclamer les avances qu’ils avaient faites à la Corporation.

 

[3]               Je dis en partie puisque la conclusion du juge qu’il s’agissait d’une créance commerciale au sens de l’article 80 de la Loi n’est pas contestée en appel.

 

[4]               Habile, le nouveau procureur de l’appelant s’en prend plutôt au calcul du « montant remis » tel qu’il est défini au paragraphe 80(1) de la Loi. Il affirme que le juge a erré dans la détermination du quantum du « montant remis » lors du règlement du principal de la dette. Cette erreur, dit-il, l’a conduit au rejet de l’appel de sa cliente.

 

[5]               Pour bien saisir les arguments des parties, il convient de reproduire les dispositions législatives pertinentes et de résumer les faits à la source du litige.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[6]               L’article 80 de la Loi se lit :

 

80. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« créance commerciale »

commercial debt obligation

 

« créance commerciale » Créance émise par un débiteur et sur laquelle un montant au titre d’intérêts est déductible dans le calcul du revenu, du revenu imposable ou du revenu imposable gagné au Canada du débiteur compte non tenu des paragraphes 15.1(2) et 15.2(2), de l’alinéa 18(1)g), des paragraphes 18(2), (3.1) et (4) et de l’article 21, si ces intérêts :

 

a) soit ont été payés ou étaient payables par le débiteur en exécution d’une obligation légale;

b) soit avaient été payés ou payables par le débiteur en exécution d’une telle obligation.

Il est entendu que la créance commerciale constitue une obligation pour l’application de la définition de  « principal » au paragraphe 248(1).

 

« dette commerciale »

“commercial obligation”

 

a) Créance commerciale émise par un débiteur;

b) action privilégiée de renflouement émise par un débiteur.

Il est entendu que la dette commerciale constitue une obligation pour l’application de la définition de « principal » au paragraphe 248(1).

 

« montant remis »

“forgiven amount”

 

« montant remis » S’agissant du montant remis, à un moment donné, sur une dette commerciale émise par un débiteur, le montant déterminé selon la formule suivante :

 

A - B

 

:

A représente le moins élevé du montant pour lequel la dette a été émise ou du principal de la dette;

B le total des montants suivants :

a) le montant payé à ce moment en règlement du principal de la dette,

 

 

[…]

 

Réduction des pertes autres qu’en capital

 

(3) En cas de règlement d’une dette commerciale émise par un débiteur, le montant remis sur la dette au moment du règlement est appliqué en réduction, à ce moment, des pertes suivantes selon l’ordre établi ci-après :

 

a) la perte autre qu’une perte en capital du débiteur pour chaque année d’imposition qui s’est terminée avant ce moment, dans la mesure où le montant ainsi appliqué :

(i) d’une part, ne dépasse pas le montant (appelé « perte autre qu’en capital ordinaire » au paragraphe (4)) qui constituerait le solde de pertes applicable, à ce moment, quant à la dette et à la perte autre qu’une perte en capital du débiteur pour l’année s’il n’était pas tenu compte du passage « sa perte déductible au titre d’un placement d’entreprise » à l’élément E de la formule figurant à la définition de  « perte autre qu’une perte en capital » au paragraphe 111(8),

(ii) d’autre part, ne réduit pas, par l’effet du présent paragraphe, la perte autre qu’une perte en capital du débiteur pour une année d’imposition antérieure;

 

b) la perte agricole du débiteur pour chaque année d’imposition qui s’est terminée avant ce moment, dans la mesure où le montant ainsi appliqué :

(i) d’une part, ne dépasse pas le montant qui constitue le solde de pertes applicable, à ce moment, quant à la dette et à la perte agricole du débiteur pour l’année,

(ii) d’autre part, ne réduit pas, par l’effet du présent paragraphe, la perte agricole du débiteur pour une année d’imposition antérieure;

 

c) la perte agricole restreinte du débiteur pour chaque année d’imposition qui s’est terminée avant ce moment, dans la mesure où le montant ainsi appliqué :

(i) d’une part, ne dépasse pas le montant qui constitue le solde de pertes applicable, à ce moment, quant à la dette et à la perte agricole restreinte du débiteur pour l’année,

(ii) d’autre part, ne réduit pas, par l’effet du présent paragraphe, la perte agricole restreinte du débiteur pour une année d’imposition antérieure.

 

80. (1) In this section,

 

 

commercial debt obligation

« créance commerciale »

 

commercial debt obligation” issued by a debtor means a debt obligation issued by the debtor

 

(a) where interest was paid or payable by the debtor in respect of it pursuant to a legal obligation, or

(b) if interest had been paid or payable by the debtor in respect of it pursuant to a legal obligation,

an amount in respect of the interest was or would have been deductible in computing the debtor’s income, taxable income or taxable income earned in Canada, as the case may be, if this Act were read without reference to subsections 15.1(2) and 15.2(2), paragraph 18(1)(g), subsections 18(2), 18(3.1) and 18(4) and section 21;

 

 

 

“commercial obligation”

« dette commerciale »

 

“commercial obligation” issued by a debtor means

(a) a commercial debt obligation issued by the debtor, or

(b) a distress preferred share issued by the debtor;

 

 

 

forgiven amount

« montant remis »

 

forgiven amount” at any time in respect of a commercial obligation issued by a debtor is the amount determined by the formula

 

 

A - B

 

where

A is the lesser of the amount for which the obligation was issued and the principal amount of the obligation, and

B is the total of

(a) the amount, if any, paid at that time in satisfaction of the principal amount of the obligation,

 

 

Reductions of non-capital losses

 

(3) Where a commercial obligation issued by a debtor is settled at any time, the forgiven amount at that time in respect of the obligation shall be applied to reduce at that time, in the following order,

 

 

(a) the debtor’s non-capital loss for each taxation year that ended before that time to the extent that the amount so applied

(i) does not exceed the amount (in subsection 80(4) referred to as the debtor’s “ordinary non-capital loss at that time for the year”) that would be the relevant loss balance at that time for the obligation and in respect of the debtor’s non-capital loss for the year if the description of E in the definition “non-capital loss” in subsection 111(8) were read without reference to the expression “the taxpayer’s allowable business investment loss for the year”, and

(ii) does not, because of this subsection, reduce the debtor’s non-capital loss for a preceding taxation year;

 

 

 

 

(b) the debtor’s farm loss for each taxation year that ended before that time, to the extent that the amount so applied

(i) does not exceed the amount that is the relevant loss balance at that time for the obligation and in respect of the debtor’s farm loss for the year, and

(ii) does not, because of this subsection, reduce the debtor’s farm loss for a preceding taxation year; and

 

 

 

(c) the debtor’s restricted farm loss for each taxation year that ended before that time, to the extent that the amount so applied

(i) does not exceed the amount that is the relevant loss balance at that time for the obligation and in respect of the debtor’s restricted farm loss for the year, and

(ii) does not, because of this subsection, reduce the debtor’s restricted farm loss for a preceding taxation year.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

 

Les faits à l’origine du litige

 

[7]               Par contrat de vente daté du 23 août 2002, l’appelante a acheté la totalité des actions de la Corporation qui éprouvait alors de sérieuses difficultés financières. Les opérations de cette dernière étaient déficitaires et sous-capitalisées. Pour lui permettre de continuer ses activités, ses actionnaires lui consentaient des avances sur une base régulière. Suite à l’acquisition de la totalité des actions par l’appelante, la Corporation fut liquidée.

 

[8]               La vente des actions de la Corporation fut faite moyennant une contrepartie de 1$ et la prise en charge de toutes ses dettes par l’appelante. Ceci ressort des clauses 1 et 2 du contrat de vente que l’on retrouve au dossier d’appel, vol. 1, pages 57 et 58, et qui se lisent :

 

1.00     VENTE

 

                        1.01     Actions de catégorie «A»

Sujet au paiement de la contrepartie et aux modalités du Contrat, LES VENDEURS vendent à L’ACQUÉREUR, un total de trois millions deux cent quatre-vingt-neuf mille trois cent soixante-six (3 289 366) actions de catégorie «A» capital social de la Société représentant 100% de l’actionnariat de cette catégorie et la totalité du capital social, pour toutes catégories d’actions, étant entendu que la répartition, avant la présente vente était la suivante :

 

Production Gilles Parent inc.                    762 407 actions

Ghislain Parent                                         242 943 actions

Groupe financier Réal Parent                 2 087 668 actions

Réal Parent                                                76 948 actions

Martin Parent                                            83 580 actions

Productions Michel Morin                          35 820 actions

TOTAL                                                            3 289 366 actions

 

1.02          Renonciation

Les VENDEURS renoncent au remboursement des avances, incluant les intérêts cumulés, qu’ils ont fait à la Société et qui n’ont pas encore été repayées.

 

2.00          CONTREPARTIE

2.01     Prix de base

La présente vente est faite pour et en contrepartie de la somme totale de UN DOLLAR (1 $), que L’ACQUÉREUR s’oblige à payer à la signature des présentes.

 

2.02          Libération des cautions

L’ACQUÉREUR s’engage à faire tout en son pouvoir pour obtenir la libération des cautionnements consentis en faveur de la Société par les VENDEURS et les personnes qui leur sont liées dans les meilleurs délais suivant la signature des présentes et s’engage de plus à les indemniser de toute perte et de tout dommage pouvant résulter de ces cautionnements.

 

2.03          Remboursement aux institutions financières

L’ACQUÉREUR a remboursé ou remboursera dans les 30 jours de la signature des présentes les dettes contractées par la Société auprès de la Caisse populaire des Chutes Montmorency et de la Banque de Montréal.

 

 

[9]               Comme on peut le voir à la clause 1.02, les actionnaires de la Corporation renonçaient lors de la vente aux avances qu’ils avaient faites à cette dernière. On retrouve une admission de tous ces faits à l’Avis d’appel de l’appelante déposé en Cour canadienne de l’impôt, sous la section C) intitulée Faits Pertinents. L’item 2.4 se lit :

2.4              Lors de l’achat de la totalité des actions de Showbizz par Genex, pour une contrepartie de 1 $ et l’assumation de toutes les dettes par cette dernière, il fut convenu que les actionnaires de Showbizz renonçaient au remboursement de leurs avances;

[Je souligne]

(Voir le dossier d’appel, vol. 1, à la page 26).

 

[10]           J’ajoute que, lors de la vente, les avances des actionnaires ne furent pas converties en actions, mais plutôt simplement radiées, comme en fait foi l’item 2.6 de l’Avis d’appel de l’appelante :

2.6              Afin de simplifier la transaction, il fut convenu de ne pas convertir les avances en actions, mais plutôt simplement les radier.

 

 

[11]           À l’audition devant la Cour canadienne de l’impôt, le procureur qui représentait l’appelante à ce moment-là le confirme (voir volume 2 du dossier d’appel, à la page 61) en ces termes :

Me RENÉ DION : Monsieur le Juge, si on regarde nos procédures, jamais on n’a prétendu que les avances avaient été converties en capital-actions.

 

 

[12]           Ceci explique que les actionnaires ont pu après la vente prendre une perte en capital dans leurs déclarations de revenus respectives et que le ministre l’ait acceptée.

 

[13]           Selon le contrat de vente, l’appelante qui acquérait la Corporation s’engageait « à faire tout en son pouvoir pour obtenir la libération des cautionnements consentis en faveur de la [Corporation] par les actionnaires et les personnes qui leur sont liées dans les meilleurs délais de la signature des présentes et … de plus à les indemniser de toute perte et de tout dommage pouvant résulter de ces cautionnements » : voir la clause 2.02 du contrat de vente, supra.

 

[14]           En outre, selon la clause 2.03 du même contrat, supra, l’appelante remboursait ou devait rembourser « dans les 30 jours de la signature des présentes les dettes contractées par [la Corporation] auprès de la Caisse populaire des Chutes Montmorency et de la Banque de Montréal ».

 

[15]           Ceci m’amène maintenant à l’analyse des prétentions des parties et de la décision du juge.

 

Analyse des prétentions des parties et de la décision du juge

 

[16]           Le procureur de l’appelante soutient que le quantum du « montant remis » du paragraphe 80(1) de la Loi est négatif puisque les montants de la dette à long terme (251 667 $) et à court terme (110 000 $) totalisent 361 667 $ et dépassent le montant pour lequel la dette commerciale a été émise, lequel s’élève à 329 543 $.

 

[17]           Selon la formule A-B du paragraphe 80(1), pour déterminer le montant du « montant remis », il faut de A, le montant du principal de la dette commerciale (329 543 $), soustraire B, soit le total des montants énumérés aux alinéas a) à l) de la définition de « montant remis », en l’occurrence les 361 667 $ qui seraient, selon le procureur de l’appelante, le montant payé par sa cliente en contrepartie de la renonciation par les actionnaires à leurs avances.

 

[18]           Le procureur de l’appelante s’en prend au paragraphe 11 de la décision du juge où, dit-il, le juge statue erronément que les montants énumérés sous l’élément B ne sont pas applicables en l’espèce. À ce paragraphe, le juge écrit :

[11]     Aux fins de l’application de l’article 80 de la Loi, le « montant remis » sur une dette commerciale est déterminé selon une formule A-B, où A représente le moins élevé du montant pour lequel la dette a été émise ou du principal de la dette, soit 329 543 $, et où B représente le total des montants énumérés aux alinéas a) à l) de la définition de « montant remis » du paragraphe 80(1) de la Loi. Comme les montants énumérés sous l’élément B ne sont pas applicables au présent cas, le montant remis des avances correspond au principal des avances.

 

[Je souligne]

 

 

[19]           Les prétentions de l’appelante se heurtent à deux difficultés insurmontables.

 

[20]           Premièrement, au-delà de l’engagement de principe de l’appelante à rembourser les institutions financières des sommes dues par la Corporation, aucune preuve ne fut faite en Cour canadienne de l’impôt que des paiements leur furent versés et quant aux modalités de ces paiements.

 

[21]           Monsieur Réal Parent était planificateur financier et un des membres fondateurs de la Corporation. Interrogé sur la dette à long et à court terme de la Corporation, il l’associe aux emprunts faits et arrangements pris avec les institutions financières, dont la Banque de Montréal qu’il mentionne expressément : voir au dossier d’appel, vol. 2, son témoignage aux pages 36 à 38.

 

[22]           Plus tard, toujours interrogé par le procureur de l’appelante, il dira qu’il ignore et ne se souvient pas de ce qu’il est advenu de la dette à long terme. « J’imagine que la dette a été prise par Genex là. » : ibidem, aux pages 52 à 54.

 

[23]           À ce moment-là, le procureur de l’appelante est intervenu pour dire que M. Patrice Demers, président de l’appelante, était présent et qu’il allait l’interroger pour faire la lumière sur le sujet de la dette à long terme qui apparaissait aux états financiers du 23 août 2002 de la Corporation. Or, il n’a jamais fait témoigner M. Demers de sorte qu’il n’existe aucune preuve que l’engagement d’assumer la dette de la Corporation ait débouché sur des quelconques paiements pouvant être comptabilisés au titre de la contrepartie de la renonciation des actionnaires à leurs avances.

 

[24]           En outre, et il s’agit là de la deuxième difficulté, la procureure de l’intimée s’objecte à la position prise par l’appelante selon laquelle, je le rappelle, le « montant remis » tel que défini au paragraphe 80(1) de la Loi serait négatif au terme de la soustraction de B à A.

 

[25]           Elle invoque que l’argument de l’appelante est un argument nouveau soulevé pour la première fois en appel et qu’il porte à sa cliente un préjudice irréparable. Il s’agit selon elle d’un changement d’orientation du litige puisque le quantum du « montant remis » ne fut aucunement discuté en première instance et n’était pas en litige. Je crois qu’elle a raison.

 

[26]           Il ressort clairement de la correspondance échangée avec l’Agence du revenu du Canada (Agence), des actes de procédure en première instance et de la décision du juge que le débat portait sur la question de savoir si les avances des actionnaires constituaient une créance commerciale.

 

[27]           Dans une lettre du 7 septembre 2006 adressée à l’Agence, l’appelante affirme que les avances consenties par les actionnaires à la Corporation ne se qualifient pas en tant que créances commerciales parce qu’aucun intérêt ne fut payé et qu’il n’existait aucune obligation légale d’en verser : voir dossier d’appel, vol. 1, à la page 24, l’item 4 sous l’Historique des procédures et à la page 29, l’item 2.5.

 

[28]           L’Avis d’appel de l’appelante, produit en Cour canadienne de l’impôt, réitère la position qu’elle avait soumise à l’Agence : ibidem, à la page 26. Elle y énonce les points en litige comme suit :

D)                POINTS EN LITIGE

1.                  Est-ce que les avances de 329 543 $ des actionnaires à la société Showbizznet se qualifient sous l’alinéa 80(1)b) de la Loi comme étant une « créance commerciale »;

2.                  Est-ce que la renonciation des actionnaires à réclamer les avances consenties au montant de 329 543 $ à la société Showbizznet peut être qualifiée de gain résultant d’un montant remis en règlement d’une dette commerciale;

3.                  En conséquence, est-ce que l’Agence est fondée de réduire de 329 543 $ le solde du compte des pertes autres qu’en capital de la société Genex pour l’exercice financier se terminant le 31 août 2003 et ainsi émettre un avis de nouvelle cotisation en conséquence.

 

 

[29]           Lors des préliminaires en Cour canadienne de l’impôt, le juge a ainsi résumé le débat dont il était saisi :

La seule question c’est : est-ce que c’est une créance commerciale? Est-ce que ces avances constituent des créances commerciales ou non, aux fins de l’article 80?

 

 

(Voir dossier d’appel, vol. 2, à la page 8).

 

[30]           Les parties ont convenu que telle était la question. Le procureur de l’appelante a d’ailleurs reconnu que le débat était « assez circonscrit » et qu’il serait difficile de remplir les deux jours demandés pour l’audition : ibidem, à la page 9. De fait, celle-ci n’a duré que la matinée.

 

[31]           Enfin, les paragraphes 15 à 17 des motifs de la décision du juge confirment la nature et la portée limitée du débat devant lui :

Analyse

 

[15]     L’avocat de l’appelante soutient que les avances consenties par les actionnaires à Showbizznet ne constituent pas une créance commerciale du fait que les actionnaires n’avaient aucune obligation légale de verser des intérêts sur ces avances et qu’aucun intérêt n’a effectivement été payé sur ces avances et finalement que l’intention de Showbizznet et de ses actionnaires était de convertir ces avances en actions de catégorie « A » du capitalactions de Showbizznet. Par conséquent, l’article 80 de la Loi ne peut s’appliquer à l’égard du montant remis sur ces avances.

 

[16]     L’avocate de l’intimée pour sa part prétend que même si les avances ne portaient pas d’intérêts, ces avances constituent néanmoins une créance commerciale au sens de la définition du paragraphe 80(1) de la Loi parce que Showbizznet aurait pu réclamer une déduction pour les intérêts en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi si des intérêts avaient été payés ou payables par Showbizznet en vertu d’une obligation légale. L’avocate de l’intimée réfère de plus à la version anglaise de la définition de « créance commerciale » pour interpréter l’alinéa b) de ladite définition qui, selon elle, vise les créances qui ne portent pas d’intérêts donc les créances pour lesquelles il n’y a aucune obligation légale de payer des intérêts.

 

[17]     La principale question à résoudre consiste à déterminer si la définition de « créance commerciale » comprend les avances ne comportant aucune obligation légale de payer des intérêts.

 

 

 

[32]           La procureure de l’intimée nous renvoie aux arrêts Naguib c. Canada, 2004 CAF 40; Crête c. Canada, 94 D.T.C. 5122 (CAF); et SMX Shopping Centre Ltd. c. Canada, 2003 CAF 479 pour la proposition qu’un nouvel argument ne peut être soulevé en appel lorsque la partie adverse subirait un préjudice du fait qu’elle n’a pas eu l’opportunité de présenter une preuve pour réfuter ce nouvel argument.

 

[33]           Je ne crois pas que puisse être mise en doute la proposition de l’intimée. Dans un arrêt du mois de novembre dernier, Keus v. Her Majesty the Queen, 2010 FCA 303, notre Cour, sous la plume de notre collègue Madame la juge Dawson, faisait siens les propos suivants du juge Binnie dans l’arrêt Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., [2002] 1 R.C.S. 678, au paragraphe 32 :

 

[32]     À moins que les parties n'aient traité de façon exhaustive une question de fait au procès en présentant leur preuve, et de préférence au cours des plaidoiries devant le juge, il y a toujours un risque très réel que le dossier d'appel ne comporte pas tous les faits pertinents ou l'opinion du juge de première instance sur quelque question de fait cruciale, ou encore que n'ait jamais été obtenue une explication qui aurait pu être donnée par une partie ou par un ou plusieurs de ses témoins en déposant. Comme l'a dit le juge Duff dans l'arrêt Lamb c. Kincaid (1907), 38 R.C.S. 516, p. 539 :

 

[TRADUCTION] Selon moi, un tribunal d'appel ne devrait pas recevoir un tel argument soulevé pour la première fois en appel, à moins qu'il ne soit clair que, même si la question avait été soulevée en temps opportun, elle n'aurait pas été éclaircie davantage.

 

 

[34]           Comme le dit si bien notre collègue, il en va de l’équité du procès et de l’appel.

 

[35]           Mais le procureur de l’appelante soutient que la question du quantum du « montant remis » selon le paragraphe 80(1) de la Loi était implicite dans celle soumise au juge. Il trouve refuge dans l’arrêt La Reine c. Costco Wholesale Canada Ltd., 2010 CAF 9 de notre Cour où nous avons ordonné une nouvelle audition, avec possibilité pour le juge saisi de cette nouvelle audition d’admettre tout autre élément de preuve qu’il jugerait à propos de recevoir. Il demande, si nous n’acceptons pas ses arguments au mérite quant au quantum du « montant remis », que l’affaire soit retournée en Cour canadienne de l’impôt pour une nouvelle audition.

 

[36]           Avec respect, je suis d’avis que l’arrêt Costco ne s’applique pas en l’espèce. Dans cette affaire, la Couronne soutenait en appel que la Cour canadienne de l’impôt avait omis de tenir compte de la définition élargie du terme « bien » qui figure au paragraphe 123(1) de la Loi et qui vise notamment un droit quelconque.

 

[37]           Il est vrai que dans les actes de procédure de la Couronne il n’était pas fait référence à la définition de « bien », mais celle-ci avait été portée à la connaissance du juge dans le cadre de l’argumentation. Or, dans le cas qui nous occupe, on ne retrouve, à quelque étape que ce soit des procédures, rien qui indique qu’expressément ou implicitement le quantum du « montant remis » était contesté et que l’attention du juge fut attirée sur ce point. Au contraire.

 

[38]           En outre, dans l’affaire Costco, le juge a tiré un certain nombre de conclusions nécessitant que la définition élargie de « bien » soit prise en compte, ce qu’il n’avait pas fait. Parlant pour la Cour, le juge Noël a conclu au paragraphe 8 des motifs qu’il « serait inapproprié de permettre que cette affaire soit tranchée sans que cette définition soit considérée ». Ne disposant pas d’un dossier factuel complet, la Cour a jugé qu’il était préférable de retourner l’affaire au juge de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[39]           Dans notre cas, la situation factuelle est bien différente. Le juge n’était appelé à se prononcer que sur la question de savoir si la définition de créance commerciale englobait des avances faites sans obligation légale que des intérêts soient versés et sans que des intérêts n’aient été payés. Si les avances n’en étaient pas une, la cotisation du ministre perdait son fondement juridique et devait être annulée. Si, au contraire, elles rencontraient les critères de la définition, la cotisation était maintenue et l’appel rejeté. Pour en arriver à décider cette question, le juge n’avait pas à prendre des conclusions quant à la détermination du quantum du « montant remis ». C’est la raison d’ailleurs pour laquelle il n’en a pas prise et s’est gardé de statuer au-delà de ce qui lui était demandé par les parties et convenu entre celles-ci.

 

[40]           Je suis satisfait que des éléments de preuve pertinents se rapportant à ce nouvel argument et qu’il appartenait à l’appelante de produire n’apparaissent pas au dossier, notamment :

 

1)                  une preuve établissant la répartition de la contrepartie entre les actions et la radiation des avances;

 

2)                  une preuve permettant de conclure que l’appelante a payé un montant aux actionnaires de la Corporation en contrepartie de leur renonciation aux avances de 329 543 $;

 

3)                  une preuve quant aux gestes posés par l’appelante, s’il en est, quant à la libération des cautions; et

 

4)                  tel que déjà mentionné, une preuve relative aux remboursements des emprunts aux institutions financières et leurs modalités de paiement.

 

[41]           Je suis également satisfait qu’à son préjudice, l’intimée a été privée de la possibilité de présenter une preuve réfutant ce nouvel argument.

 

Conclusion

 

[42]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-498-09

 

 

INTITULÉ :                                                   Genex Communications Inc. c.

                                                                        SA Majesté la Reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Richard Généreux

POUR L’APPELANTE

 

Me Nathalie Labbé

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Richard Généreux

Drummondville (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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