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Federal Court of Appeal

    CANADA

Cour d'appel fédérale


Date : 20101202

Dossier : A-510-08

Référence : 2010 CAF 331

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

HAMID BARADARAN ET SHIVA KHODABAKHSH

 

appelants

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

intimé

et

VEGREVILLE HOTEL & INN LTD.

 

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er décembre 2010

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW           

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LA JUGE TRUDEL                        LE JUGE STRATAS                                                                                                                                                        

                                                                                                           


Federal Court of Appeal

    CANADA

Cour d'appel fédérale


Date : 20101202

Dossier : A-510-08

Référence : 2010 CAF 331

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

HAMID BARADARAN ET SHIVA KHODABAKHSH

 

appelants

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

intimé

et

VEGREVILLE HOTEL & INN LTD.

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Les appelants en l’instance, Hamid Baradaran et son épouse, Shiva Khodabakhsh, cherchent à faire infirmer en appel la décision de la juge Woods de la Cour canadienne de l’impôt (2008 CCI 503) statuant qu’entre le 1er mars et le 28 octobre 2006 ils ont travaillé en tant qu’entrepreneurs indépendants et non en tant qu’employés pour le Vegreville Garden Inn, à Vegreville (Alberta), hôtel possédé par l’intimée Vegreville Hotel & Inn Ltd. (VH).

[2]               Les appelants contestent certaines conclusions de fait de la juge Woods. L’intimée VH en défend le bien‑fondé de la décision, tandis que le ministre du Revenu national, intimé lui aussi, a comparu et soumis un mémoire des faits et du droit, mais n’a pas pris position sur le fonds.

 

[3]               Lorsqu’elle entend l’appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt prononcé après instruction, notre Cour doit déterminer s’il est entaché d’une erreur justifiant de l’annuler et de lui en substituer un autre, en appliquant les normes de révision établies par la Cour suprême du Canada (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragraphe 25).

 

[4]               La question de savoir si une personne est employée ou entrepreneur indépendant est une question mixte de fait et de droit. En conséquence, à moins qu’il ne soit établi que la décision est entachée d’un vice fatal découlant d’une erreur de droit isolable (qui n’a pas été allégué par les appelants en l’espèce), notre Cour ne peut intervenir que si la juge a commis une erreur manifeste et dominante (voir, par exemple, D.W. Thomas Holdings Inc. c. Ministre du Revenu national, 2009 CAF 371, paragraphe 3).

 

[5]               L’erreur est manifeste si elle est facile ;a repérer et à décrire, elle est dominante si elle est suffisamment importante pour influer sur l’issue de l’affaire. Cette norme de révision ne permet pas d’infirmer la décision de la juge Woods simplement parce que notre Cour aurait pu tirer une conclusion différente de la sienne. La Cour ne peut intervenir que si elle estime à bon droit que, compte tenu de la preuve dont disposait la juge Woods, celle‑ci ne pouvait raisonnablement tirer les conclusions de fait auxquelles elle est parvenue.

[6]               Il ressort clairement de l’argumentation des appelants, qui ne sont pas représentés par avocat, qu’ils savent que la norme de révision applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante.

 

[7]               Il s’agit à présent de déterminer s’il a été satisfait à cette norme exigeante. Avant d’examiner les arguments soumis par les appelants, je ferais remarquer que la juge Woods a accordé une grande importance au contrat écrit conclu par les parties, qui semble avoir rédigé sans avoir eu recours à un avocat. Elle ne cite pas ledit contrat dans ses motifs, mais il a été versé au dossier. J’en résume ci‑dessous les principales modalités :

 

a.         Le mot [traduction] « entrepreneurs » était employé pour décrire les appelants et le mot [traduction] « propriétaires », pour décrire Hamid Rahmanian et Rena Rahmanian, propriétaires de VH.

 

b.        Les frais de rénovation et les frais d’entretien importants de l’hôtel étaient à la charge des propriétaires.

 

c.         Les propriétaires avaient droit aux revenus générés par les appareils de loterie vidéo et à la totalité du loyer du restaurant.

 

d.        Les bénéfices tirés de l’exploitation de l’hôtel, pour le reste, seraient partagés, les appelants touchant 10 % des bénéfices de 50 000 $ et moins, 15 % des bénéfices de 50 000 à 100 000 $, 20 % des bénéfices de 100 000 à 200 000 $ et 30 % des bénéfices de plus de 200 000 $, le solde allant aux propriétaires.

 

e.         En plus de leur participation aux bénéfices, les appelants étaient payés 3 000 $ par mois et étaient logés gratuitement en contrepartie des responsabilités dont ils s’acquittaient dans l’hôtel et le bar-salon et de leurs 200 heures de présence par semaine à la réception. Si un tiers s’occupait de la réception, les frais étaient à la charge des appelants.

 

f.          Les parties pouvaient résilier le contrat sur avis de 60 jours.

 

[8]               Les appelants n’ont eu droit à aucun pourcentage des bénéfices en application du contrat, parce que l’hôtel a subi une perte d’exploitation d’environ 35 000 $ pour l’exercice prenant fin le 31 août 2006.

 

[9]               La juge Woods a considéré le contrat comme un facteur très important en l’espèce et jugé qu’aucune de ses clauses ne permettait aux appelants de conclure qu’ils étaient employés de VH. Qui plus est, elle a vu dans le contrat la preuve que les deux parties avaient convenu, lors de sa conclusion, que les appelants seraient des entrepreneurs indépendants, non des employés. Elle a également relevé que les appelants avaient fait enregistrer un nom commercial pour l’application de la TPS et qu’aucune retenue à la source n’avait été prélevée sur la rémunération qui leur avait été versée. À mon avis, elle pouvait raisonnablement statuer que la preuve relative à ces points favorisait la conclusion que les appelants étaient des entrepreneurs indépendants.

[10]           Comme l’exige la jurisprudence, la juge Woods a ensuite examiné si l’entente, telle qu’elle avait été exécutée, indiquait que la relation entre les appelants et VH était une véritable relation d’entreprise. Dans cette partie de son analyse, elle a pris en compte les facteurs classiques formulés dans Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.) (bien qu’aucune des parties n’ait cité cet arrêt et qu’il n’ait pas non plus été cité dans les motifs du jugement). Les motifs d’appel se rapportent à son examen de ces facteurs.

 

[11]           Les appelants soulignent avec raison que, pour trancher la question de savoir qui contrôlait effectivement l’exploitation de l’hôtel, la juge Woods a généralement privilégié le témoignage de M. Baradaran plutôt que celui de M. Rahmanian, qui témoignait pour le compte de VH. La juge a indiqué que M. Baradaran avait témoigné que M. Rahmanian était en mesure de dicter la façon dont l’hôtel serait exploité, mais cela ne l’a pas empêchée de conclure que M. Baradaran contrôlait dans les fait l’opération hôtelière. Les appelants prétendent que cette conclusion est arbitraire et que la juge Woods n’a pas pris en compte qu’ils ont toujours agi sous les ordres et la supervision directe de M. Rahmanian et avec son autorisation, en raison de la présence de cybercaméras sur les lieux.

 

[12]           Il appert du dossier que la preuve soumise à la juge Woods au sujet du contrôle de l’entreprise hôtelière était contradictoire. Bien qu’elle ait relevé des faiblesses dans le témoignage de M. Rahmanian et qu’elle fût consciente des éléments de preuve invoqués par M. Baradaran concernant le degré de contrôle et de surveillance effectivement exercé par M. Rahmanian, la juge a estimé que la participation de celui‑ci correspondait à l’intervention nécessaire pour protéger l’investissement financier de VH. Elle a jugé que l’ensemble de la preuve indiquait que les appelants avaient le pouvoir d’exploiter l’hôtel à leur guise, exception faite de ces questions financières. Compte tenu de la preuve soumise, elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion, à mon avis, laquelle étayait son autre conclusion, selon laquelle les appelants étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[13]           Les appelants font valoir que la juge Woods n’a pas pris en considération le fait que VH fournissait la totalité des outils de travail et qu’eux n’en fournissaient aucun, exception faite de l’utilisation occasionnelle de leur propre automobile pour une tâche liée à l’exploitation de l’hôtel.

 

[14]           Lorsqu’il s’agit d’établir la qualité d’employé ou d’entrepreneur indépendant, le facteur de la propriété des outils peut avoir tantôt un poids substantiel et tantôt un poids négligeable. L’évaluation du poids à attribuer à ce facteur dans un cas donné est une question de fait. Le dossier indique clairement que l’hôtel et tout ce qu’il renfermait était la propriété de VH, mais rien n’autorise à penser qu’il faudrait à une personne dont les services seraient retenus pour gérer un hôtel à titre d’entrepreneur indépendant d’autres outils que l’hôtel lui‑même et son contenu. En l’espèce, la juge Woods pouvait à bon droit accorder un poids minimal à la propriété des outils. Elle a conclu que les appelants étaient des entrepreneurs indépendants même s’ils n’ont fourni aucun outil. J’estime qu’elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion factuelle compte tenu de la preuve présentée.

 

[15]           Les appelants soutiennent que la juge Woods a mal appliqué les facteurs de la chance de profit et du risque de perte. Selon eux, elle n’a pas tenu compte du fait que le contrat leur donnait le droit de prendre part aux bénéfices mais que cela ne s’était jamais produit parce l’hôtel n’avait pas généré de bénéfices pendant la période pertinente. Cependant, ils ont touché les 3000 $ mensuels prévus au contrat malgré le fait que l’hôtel était exploité à perte. Il est vrai que la juge n’a pas mentionné qu’il n’y avait eu aucun bénéfice à partager, mais cela ne constituait pas une erreur parce que ce fait n’était pas en soi pertinent pour établir si les appelants étaient employés ou entrepreneurs. Pour ce qui est des autres points, la juge Woods a estimé que le droit de participation aux bénéfices était un facteur neutre parce que des employés peuvent jouir du même droit. Elle a également signalé que le contrat faisait naître un risque de perte parce que les appelants assumaient les coûts de main‑d’œuvre lorsque leurs tâches étaient effectuées par des tiers, ce qui étayait selon elle la conclusion que les appelants étaient des entrepreneurs indépendants. Encore une foi, elle pouvait raisonnablement tirer ces conclusions factuelles compte tenu de la preuve.

 

[16]           À mon avis, il s’agit en l’espèce d’une affaire à l’issue serrée, au sens une preuve considérable favorisait la position des appelants et celle de l’intimée VH. Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué, notre Cour ne peut infirmer une décision simplement parce qu’elle pourrait rendre une décision différente. Puisque nous avons conclu que la juge Woods pouvait raisonnablement tirer toutes les conclusions de fait qu’elle a formulées, nous n’avons d’autre choix que de rejeter l’appel.

 


[17]           Pour ces motifs, en dépit de l’argumentation solide de M. Baradaran, je rejetterais l’appel, sans frais dans les circonstances.

                                                                                                                         « K. Sharlow »

  j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            David W. Stratas j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          A-510-08

 

 

INTITULÉ :                                                         HAMID BARADARAN, ET AL c.

                                                                              LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

                                                                              VEGREVILLE HOTEL & INN LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 Le 1er décembre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                           LA JUGE TRUDEL

                                                                              LE JUGE STRATAS

 

 

DATE DES MOTIFS :                                        Le 2 décembre 2010

 

 

 

comparutions :

 

Hamid Baradaran

Shiva Khodabakhsh

 

POUR LES APPELANTS

(non représentés par avocat)

David Everett

POUR L’INTIMÉ

(Le ministre du Revenu national)

 

Ronald Eichler

POUR L’INTIMÉE

(Vegreville Hotel & Inn Ltd.)

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

S/O

 

POUR LES APPELANTS

(non représentés par avocat)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

(Le ministre du Revenu national)

 

Eichler Caldwell

Vancouver (C.‑B.)

POUR L’INTIMÉE

(Vegreville Hotel & Inn Ltd.)

 

 

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