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Date : 20101004

Dossier : A‑166‑10

Référence : 2010 CAF 254

 

En présence de monsieur le juge Stratas

 

ENTRE :

TERRY LONG

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue par téléconférence entre Ottawa (Ontario),

Castlegar (Colombie‑Britannique) et Vancouver (Colombie‑Britannique), le 29 septembre 2010.

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2010.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                LE JUGE STRATAS

 


Date : 20101004

Dossier : A‑166‑10

Référence : 2010 CAF 254

 

En présence de monsieur le juge Stratas

 

ENTRE :

TERRY LONG

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               L’appelant, M. Long, a interjeté appel devant notre Cour d’une ordonnance interlocutoire rendue par la Cour canadienne de l’impôt (2010 TCC 197). M. Long a maintenant demandé à la Cour diverses mesures. Il sollicite comme principale mesure que l’ordonnance interlocutoire de la Cour de l’impôt fasse l’objet d’un sursis ou d’une suspension jusqu’à ce que la Cour ait statué sur l’appel.

 

[2]               Pour obtenir pareille mesure, M. Long doit démontrer que son appel repose sur un moyen sérieux, qu’il subira un préjudice irréparable si l’ordonnance de la Cour de l’impôt n’est pas suspendue et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur (RJR‑MacDonald c Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311).

 

[3]               La Cour accordera le sursis. L’intimée a concédé que le moyen soulevé en appel était sérieux défendable, en ce sens que l’appel de M. Long n’était pas frivole en droit. Par ailleurs, tel qu’il sera précisé plus loin, l’intimée n’a pas sérieusement soulevé dans ses observations de controverse quant aux autres composantes du critère consacré par la jurisprudence RJR‑MacDonald.

 

A. Faits et procédures

 

[4]               Le ministre du Revenu national est d’avis que M. Long aurait dû inclure certains revenus d’entreprise dans son revenu aux fins de l’impôt. Le ministre a établi une cotisation en conséquence. M. Long conteste cette cotisation. Il a interjeté appel devant la Cour de l’impôt.

 

[5]               Il y a eu controverse entre les parties devant la Cour de l’impôt quant à la communication de documents et de renseignements pertinents. M. Long s’inquiète du fait que, s’il communique la liste des documents pertinents, les documents eux‑mêmes et d’autres renseignements à l’intimée, il pourrait lever le voile sur certaines activités criminelles. Il ajoute que l’intimée pourrait transmettre ces renseignements à des enquêteurs de l’Agence du revenu du Canada, à des procureurs du ministère de la Justice et/ou à des agents de la Gendarmerie royale du Canada. Le contraindre à la divulgation pourrait ainsi l’obliger à s’auto‑incriminer, en violation des droits qui lui sont garantis par la Charte.

 

[6]               M. Long a soulevé cette question devant la Cour de l’impôt. Entre autres mesures, il a demandé une ordonnance portant que seule l’intimée devait procéder à la communication dans le cadre de l’appel devant la Cour de l’impôt. La Cour de l’impôt a rejeté la requête de M. Long et lui a notamment ordonné, en application de l’article 81 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), d’établir et de signifier une liste de documents avant une certaine date. C’est de cette ordonnance que M. Long interjette appel devant notre Cour et dont il demande la suspension par la présente requête.

 

B.         Analyse

 

[7]               L’intimée a concédé dans le cadre de la présente requête que l’appel soulevait un moyen sérieux. Elle n’a pas soutenu que les faits de la présente affaire ne pouvaient faire jouer en droit, la question de l’auto‑incrimination; elle n’a pas, par exemple, avancé qu’une thèse quelconque privait sans aucun doute M. Long de la protection tirée de la Charte eu égard aux faits de l’espèce. Par conséquent, la présente requête porte essentiellement sur les questions de savoir si M. Long a subi un préjudice irréparable et si la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

 

[8]               M. Long a présenté des éléments de preuve relativement à ces questions. Il soutient que la communication révélerait l’existence d’activités criminelles, en demeurant vague sur la nature de celles‑ci. M. Long n’a pas tenté de produire ses éléments de preuve délicats sous la protection d’une ordonnance de confidentialité. La Cour ne peut ainsi apprécier les éléments présentés, aussi vagues fussent‑ils. 

 

[9]               L’intimée n’a pas contre‑interrogé M. Long à l’égard de ces éléments de preuve, ni présenté ses propres preuves pour les réfuter. L’intimée ayant concédé qu’il était soutenable que la communication se traduirait par l’auto‑incrimination de l’intéressé, on pourrait en déduire qu’elle a également concédé qu’il y a véritablement lieu de s’inquiéter de la révélation d’activités criminelles. La principale thèse de l’intimée concerne [traduction] « l’absence de toute preuve d’un préjudice irréparable ». Cette thèse est manifestement mal-fondée : M. Long a bel et bien présenté des éléments de preuve, quoique ceux‑ci soient vagues.

 

[10]           La Cour de l’impôt était disposée à reconnaître que M. Long s’inquiétait véritablement de la révélation d’activités criminelles. Compte tenu des preuves produites et de la décision rendue par la Cour de l’impôt, notre Cour est également disposée à reconnaître, aux seules fins de la présente requête, que M. Long s’inquiète véritablement de la révélation d’activités criminelles. Compte tenu en outre des preuves présentées par M. Long, si vague fussent-elles, et de la concession de l’intimée portant que les arguments fondés sur l’auto‑incrimination ne sont pas frivoles, notre Cour reconnaît aussi que la révélation d’activités criminelles pourrait avoir de graves conséquences pour M. Long.

 

[11]           Dans ses motifs de décision, la Cour de l’impôt a dit estimer que les inquiétudes nourries par M. Long au sujet de la communication et de la diffusion des renseignements le concernant ne se matérialiseraient probablement parce que l’intimée est soumise à l’obligation générale de préservation de la confidentialité de tous les documents qui lui sont communiqués (au paragraphe 27) :

[traduction] [M. Long] craint que les renseignements qu’il fournit soient utilisés contre lui dans une instance pénale. Il découle toutefois du principe d’engagement implicite de confidentialité que [l’Agence du revenu du Canada] ne se servira pas à des fins accessoires des documents produits lors de la communication préalable.

 

 

(Quant à la portée de l’engagement implicite, se reporter de manière générale à l’arrêt Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, [2008] 1 R.C.S. 157.)

 

[12]           La conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle l’intimée est soumise à l’obligation générale de confidentialité devrait normalement dissiper entièrement l’inquiétude de M. Long de voir les documents communiqués à l’intimée se retrouver dans d’autres mains. Toutefois, il ressort manifestement des plaidoiries des parties lors l’instruction de la requête par notre Cour qu’une grande incertitude existait quant à la portée de cette obligation. En effet, malgré la déclaration de la Cour de l’impôt, l’intimée estimait qu’il était peut‑être possible qu’elle utilise un jour les documents communiqués par M. Long, ou que d’autres le fassent. L’intimée n’était pas disposée à dissiper cette possibilité de quelque manière que ce soit.

 

[13]           Souvent, lorsqu’il y a incertitude quant à la nature ou à la portée de l’obligation de confidentialité à l’égard de documents à communiquer lors d’une procédure contentieuse, les parties demandent par requête à la Cour de préciser la teneur de cette obligation. En l’espèce, les parties ne l’ont pas fait.

 

[14]           Dans le cadre de la présente requête, la Cour n’a pas à se prononcer sur l’existence ou non d’une obligation de confidentialité d’une portée aussi large que ce que soutient la Cour de l’impôt, ni sur la question de savoir si l’intimée peut utiliser des documents communiqués au préalable en certaines circonstances ou à certaines fins. Cette question pourra être pertinente pour décider du bien‑fondé de l’appel porté devant notre Cour. Avant toutefois que la Cour n’instruise et ne statue sur l’appel au fond, nous ne disposons que de la thèse de l’intimée quant à la portée de son obligation de confidentialité. Selon l’intimée, cette portée est plus restreinte que ne l’a indiqué la Cour de l’impôt. L’inquiétude de M. Long, par conséquent, semble justifiée : il se peut que les documents et renseignements de nature délicate communiqués par lui soient utilisés d’une manière qui lui causera un préjudice irréparable.

 

[15]           Pour ce qui est de la prépondérance des inconvénients, l’intimée a fait valoir que M. Long était l’artisan de son propre malheur – il a interjeté appel de la cotisation établie contre lui, et cette procédure a rendu possible des communications préjudiciables. Cela est vrai. La loi accorde toutefois à M. Long le droit de contester les cotisations dont il fait l’objet. Quant à savoir qui a créé la possibilité de causer un préjudice, l’intimée peut dans une certaine mesure être jugée responsable. Face aux inquiétudes exprimées par M. Long, l’intimée n’a pas tenté de limiter ses actions, non plus que de préciser son obligation de confidentialité; elle a plutôt laissé ouverte la possibilité d’une utilisation indirecte des renseignements communiqués, contrairement à la déclaration faite par la Cour de l’impôt reproduite au paragraphe 11 ci‑dessus. Ceci n’est pas une critique adressée à l’intimée, et il se peut bien qu’en dernière analyse la Cour lui donne raison. La thèse de l’intimée, toutefois, appelle le maintien du statu quo en attendant l’issue de l’appel.

 

[16]           En outre, concernant la question de la prépondérance des inconvénients, l’intimée n’a produit aucune preuve ni présenté aucune observation quant à la nécessité que les choses progressent rapidement devant la Cour de l’impôt. Elle n’a fait valoir aucun élément de preuve dont il ressort que la suspension de la décision de la Cour de l’impôt donnerait lieu au moindre préjudice particulier. Il ne fait d’ailleurs pas de doute que jusqu’à ce que l’appel déféré à notre Cour soit instruit et tranché, la procédure devant la Cour de l’impôt va s’empêtrer dans ces questions de communication et pourrait ne pas progresser de manière rapide ou ordonnée. Enfin, si le sursis n’était pas accordé, l’appel de M. Long devant notre Cour deviendrait théorique. Par conséquent, compte tenu de tous ces facteurs discrétionnaires, la Cour conclut que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de M. Long.

 

[17]           Enfin, l’intimée a soutenu qu’on ne devrait pas accorder le sursis parce que M. Long n’a pas respecté une ordonnance fixant l’échéancier rendue par la Cour de l’impôt.

 

[18]           Il est vrai que M. Long n’a jamais respecté l’ordonnance fixant l’échéancier. Cela serait normalement très troublant. M. Long explique toutefois ses retards par le fait qu’il craignait que respecter l’ordonnance ne l’oblige à révéler ses renseignements de nature délicate et rendrait son appel théorique. Il a agi en fonction de cette réserve. Peu après que la Cour de l’impôt eut rendu son ordonnance fixant l’échéancier, M. Long a présenté à cette cour une requête en modification de l’ordonnance, et il a déposé son avis d’appel devant notre Cour. À peu près au même moment, M. Long a demandé à l’intimée ce qu’elle pensait d’un sursis en attendant l’issue de l’appel devant notre Cour. À mon avis, il ressort de ces démarches que M. Long n’entendait pas faire fi de l’ordonnance fixant l’échéancier rendue par la Cour de l’impôt. Il voulait simplement faire en sorte que notre Cour statue sur son appel avant qu’il ne subisse un préjudice. Au vu des faits de la présente affaire, le défaut de M. Long de respecter l’ordonnance fixant l’échéancier ne doit pas le priver de son droit d’obtenir un sursis.

 

[19]           Par conséquent, M. Long satisfait aux trois éléments du critère énoncé consacré par la jurisprudence RJR‑MacDonald. Il est sursis à la décision de la Cour de l’impôt jusqu’à ce que l’appel de M. Long soit tranché. M. Long a droit à ses dépens.

 

C.        Établissement du calendrier

 

[20]           L’appelant a également sollicité une ordonnance établissant pour la présente instance le calendrier selon une procédure accélérée. L’intimée consent à la reddition d’une telle ordonnance.

 

[21]           M. Long n’a pas beaucoup fait progresser son appel devant notre Cour. La discipline que peut apporter une ordonnance fixant l’échéancier est ainsi requise. En outre, le sursis accordé par la Cour doit être le plus court possible. La Cour établira par conséquent le calendrier des diverses étapes de la procédure dans le présent appel.

 

[22]           On a débattu les délais fixés dans l’ordonnance de notre Cour pendant les plaidoiries, et les deux parties y ont consenti. Les délais fixés sont un peu plus courts que ceux normalement prévus par les Règles des Cours fédérales. N’oubliant pas le rythme plutôt lent soutenu jusqu’à présent par M. Long devant notre Cour, celle‑ci l’avertit, comme elle l’a fait lors des plaidoiries au cours de l’instruction de la requête, que tout défaut de respecter les délais prescrits par la Cour pourrait, sans autre avis, entraîner le rejet de son appel.

 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑166‑10

 

INTITULÉ :                                                  TERRY LONG c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE AVEC COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Terry Long

David Lindsay

 

Pour l’appelant

 

Elizabeth McDonald

David Everett

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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