Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20100927

Dossier : A‑320‑09

Référence : 2010 CAF 244

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

VILLE DE BRANDON

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 3 juin 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20100927

Dossier : A‑320‑09

Référence : 2010 CAF 244

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

VILLE DE BRANDON

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               La ville de Brandon (la ville), la province du Manitoba et Maple Leaf Meats Inc. (Maple Leaf) ont convenu que cette dernière mettrait sur pied une usine de transformation de la viande de porc (l’usine) dans la ville. Or, la station existante de traitement des eaux usées de la municipalité ne serait pas en mesure de traiter toutes les eaux usées produites par l’usine. En conséquence, il a été convenu que la ville construirait une nouvelle station pour traiter les eaux provenant de l’usine, et ce, sans qu’il n’en coûte rien à Meaple Leaf. La ville prendrait initialement à son compte les frais d’exploitation (majorés de droits pour les coûts indirects et l’administration) et les factureraient par la suite à Maple Leaf selon un principe de recouvrement des coûts.

 

[2]               La ville a payé la taxe sur les produits et services (TPS) sur les matériaux et les services acquis dans le but de construire la station de traitement des eaux. Elle a demandé et obtenu des remboursements à titre d’organisme de services publics en vertu de l’article 259 de la Loi sur la Taxe d’accise, L.R.C. 1985 ch. E‑15 (la Loi), ce qui lui a permis de recouvrer 57,14 % de la TPS qu’elle avait payée. Le présent appel découle du fait que la ville a ultérieurement demandé des crédits de taxe sur les intrants (CTI) égaux à la différence entre la TPS payée sur ces matériaux et services et le montant des remboursements reçus, soit une différence d’environ 388 000 $. Le ministre a refusé la demande de CTI pour la raison que la TPS avait été payée sur des biens et des services qui avaient servi à fournir une fourniture exonérée, l’exploitation d’une station de traitement des eaux usées. La ville a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt, qui a confirmé l’imposition du ministre dans sa décision intitulée Ville de Brandon c. Sa Majesté la Reine, 2009 CCI 369, [2009] A.C.I. no 289 (les motifs). La question soulevée dans le présent appel consiste à savoir si l’exploitation ou le fonctionnement d’une station de traitement des eaux usées constituait une fourniture exonérée aux termes des articles 21 ou 22 de la partie VI de l’annexe V de la Loi.

 

[3]               Pour les motifs suivants, je rejetterais l’appel.

 

LES FAITS

[4]               En mars 1999, Maple Leaf, la province du Manitoba et la ville de Brandon ont conclu une lettre d’entente relativement à la construction de l’usine à Brandon. L’on savait à l’époque que la qualité et la quantité des eaux usées produites par l’usine excéderaient la capacité des stations existantes de la ville. Par conséquent, la ville et la province ont convenu de partager les coûts de la construction d’une nouvelle station d’épuration des eaux (la station) pour traiter les eaux déversées par l’usine. La part des coûts assumée par la ville s’élevait à environ sept millions de dollars.

 

[5]               Selon l’accord initial conclu par les parties, Maple Leaf exploiterait la station. La preuve présentée par la ville à la Cour de l’impôt était que les proposants d’un projet industriel tel que l’usine pouvaient soit construire et exploiter leurs propres stations de traitement des eaux usées, soit conclure un contrat avec un tiers pour que celui‑ci s’en occupe ou encore conclure une entente avec la ville, comme Maple Leaf l’a fait : cahier d’appel, pages 453 et 454. La ville et Maple Leaf ont conclu une entente datée du 31 mars 1999 intitulée [traduction] « Entente sur les services de traitement des eaux usées » (l’entente).

 

[6]               Il convient, pour les besoins du présent appel, d’énoncer les conditions principales de l’entente. La ville s’engageait à concevoir, construire et exploiter, conformément à la législation environnementale applicable, une station de traitement des eaux qui accepterait les effluents d’eaux usées de l’usine, à la condition que Maple Leaf s’assure que les effluents ne dépassent pas certains paramètres. La ville serait propriétaire de la station, la doterait en personnel, l’exploiterait et en recouvrirait les coûts de Maple Leaf selon un principe de recouvrement des coûts et par l’imposition de frais administratifs. Maple Leaf a convenu que les effluents qu’elle déverserait dans la station ne dépasseraient pas les paramètres déterminés par la ville. La ville avait le droit de permettre à d’autres usagers d’avoir accès à la station et, dans un tel cas, les coûts de l’exploitation ou du fonctionnement de l’usine devaient être payés de manière proportionnelle par ces autres usagers.

 

[7]               L’entente prévoyait également que Maple Leaf pouvait céder ses droits dans l’entente à certaines conditions. Dans l’éventualité de la vente de l’usine par Maple Leaf avant sa mise en exploitation, Maple Leaf s’engageait à rembourser à la ville le coût total de la construction de la station. Dans l’éventualité de la vente de l’usine par Maple Leaf dans les dix ans suivants sa mise en exploitation, Maple Leaf serait libérée de toutes ses obligations aux termes de l’entente à la condition que la ville approuve l’acquéreur. En cas de la non‑approbation de l’acquéreur par la ville, Maple Leaf demeurerait tenue de payer à la ville une partie des coûts de la construction de la station si l’acquéreur n’exploitait pas l’usine pour le reste de la période de dix ans suivant sa mise en exploitation.

 

[8]               En tout temps au cours de l’entente, Maple Leaf pourrait choisir de prendre en charge l’exploitation ou le fonctionnement de la station à la condition qu’elle puisse raisonnablement établir qu’elle pourra exploiter la station de manière plus économique ou efficace que la ville tout en respectant les mêmes normes.

 

[9]               La ville envoyait des factures mensuelles à Maple Leaf pour les montants que celle‑ci lui devait aux termes de l’entente. Elle facturait à Maple Leaf la TPS sur les frais d’administration, mais non sur les coûts d’exploitation ou de fonctionnement de la station : cahier d’appel, pages 525 et 526.

 

LA DÉCISION FAISANT OBJET DE L’APPEL

[10]           Le juge de la Cour de l’impôt a indiqué que la question à trancher consistait à savoir si la TPS payée par la ville se rapportait à ses activités commerciales, lesquelles excluent, par définition, la réalisation de fournitures exonérées. Les fournitures exonérées sont définies à l’annexe V de la Loi, celles visées en l’espèce étant définies aux articles 21 et 22 de la partie VI de l’annexe V :

 

21. La fourniture d’un service municipal si, à la fois :

 

a) la fourniture est effectuée :

(i) soit par un gouvernement ou une municipalité au profit d’un acquéreur qui est le propriétaire ou l’occupant d’un immeuble situé dans une région géographique donnée,

 

(ii) soit pour le compte d’un gouvernement ou d’une municipalité au profit d’un acquéreur, autre que le gouvernement ou la municipalité, qui est le propriétaire ou l’occupant d’un immeuble situé dans une région géographique donnée;

 

b) il s’agit d’un service, selon le cas :

(i) que le propriétaire ou l’occupant ne peut refuser,

(ii) qui est fourni du fait que le propriétaire ou l’occupant a manqué à une obligation imposée par une loi;

 

 

c) il ne s’agit pas d’un service d’essai ou d’inspection d’un bien pour vérifier s’il est conforme à certaines normes de qualité ou s’il se prête à un certain mode de consommation, d’utilisation ou de fourniture, ou pour le confirmer.

 

22. La fourniture d’un service, effectuée par une municipalité ou par une administration qui exploite un réseau de distribution d’eau ou un système d’égouts ou de drainage et que le ministre désigne comme municipalité pour l’application du présent article, qui consiste à installer, à réparer ou à entretenir un tel réseau ou système ou à en interrompre le fonctionnement.

[Non souligné dans l’original.]

21. A supply of a municipal service, if

 

(a) the supply is

(i) made by a government or municipality to a recipient that is an owner or occupant of real property situated in a particular geographic area, or

 

(ii) made on behalf of a government or municipality to a recipient that is an owner or occupant of real property situated in a particular geographic area and that is not the government or municipality;

 

 

(b) the service is

(i) one which the owner or occupant has no option but to receive, or

(ii) supplied because of a failure by the owner or occupant to comply with an obligation imposed under a law; and

 

(c) the service is not one of testing or inspecting any property for the purpose of verifying or certifying that the property meets particular standards of quality or is suitable for consumption, use or supply in a particular manner.

 

22. A supply of a service, made by a municipality or by an organization that operates a water distribution, sewerage or drainage system and that is designated by the Minister to be a municipality for the purposes of this section, of installing, repairing, maintaining or interrupting the operation of a water distribution, sewerage or drainage system.

 

[My emphasis.]

 

 

[11]           Le juge de la Cour de l’impôt a commencé son analyse en examinant l’application de l’article 21. Il a estimé que, même si l’expression « services municipaux » n’était pas définie, il était clair qu’il s’agissait de services fournis par une municipalité au propriétaire ou à l’occupant d’un immeuble situé dans une région géographique donnée. La seule question était celle de savoir si les services étaient des services que le propriétaire ou l’occupant ne pouvait pas refuser.

 

[12]           La ville a fait valoir que, puisqu’il était loisible à Maple Leaf de choisir de traiter ses propres eaux usées ou de conclure une entente avec elle, les services fournis par la ville n’étaient pas des services que Maple Leaf ne pouvait refuser. Le ministre soutenait que la position de la ville se fondait sur la supposition que les services en cause  doivent être fournis par la ville. Selon lui, il suffisait que Maple Leaf ait l’obligation de faire traiter ses eaux usées (cela a été concédé) et que la ville fournisse les services de traitement des eaux.

 

[13]           Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’argument du ministre. Il a conclu que la position du ministre reposait sur la supposition qu’il existait une catégorie de services considérés comme des services municipaux dont l’identification comme telle ne dépendait pas de l’identité de l’entité qui fournit ces services. Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’idée qu’il existe une telle catégorie de services. À son avis, le traitement des eaux usées ne constituait pas intrinsèquement un service municipal. Il a conclu que, puisqu’il était loisible à Maple Leaf de choisir un fournisseur privé de services de traitement des eaux usées, ces services ne constituaient pas des services que Maple Leaf ne pouvait refuser.

 

[14]           Dans une note de bas de page, le juge de la Cour de l’impôt a également rejeté l’argument du ministre selon lequel aux termes de l’entente, Maple Leaf devait recevoir de la ville les services de traitement des eaux. À son avis, l’entente n’était pas pertinente parce que la question soulevée relativement à l’article 21 n’était pas celle de savoir si le propriétaire ou l’occupant de l’immeuble avait contracté l’obligation de recevoir des services, mais celle de savoir si l’obligation existait indépendamment de toute entente.

 

[15]           Le juge de la Cour de l’impôt s’est alors penché sur l’article 22. L’argument de la ville devant le juge de la Cour de l’impôt était que la fourniture effectuée par la ville était l’exploitation de la station de traitement des eaux usées. La fourniture exonérée décrite à l’article 22 concerne un système d’égouts, qui consiste en un réseau de conduites servant à la collecte des eaux usées et ne comprend pas le traitement des eaux usées.

 

[16]           Le juge de la Cour de l’impôt a cité la définition de système d’égouts figurant dans le Règlement sur les ouvrages de purification de l’eau, les systèmes d’égouts et l’évacuation des eaux usées, Règl. du Man. 331/88 R, que voici :

« système d’égouts » Égouts, accessoires, stations de pompage, ouvrages de traitement ainsi que toutes les installations physiques du réseau, à l’exclusion des prolongements aux réseaux de collecte. 

 

 

[17]           De l’avis du juge de la Cour de l’impôt, la définition donnée dans ce règlement « reflète le sens contemporain de l’expression « système d’égouts », de sorte que le traitement des eaux usées fait partie d’un système d’égouts.

 

[18]           Le juge de la Cour de l’impôt a alors cherché à savoir si l’exploitation de la station répondait au sens d’« installer, […] réparer ou […] entretenir un [réseau de distribution d’eau ou un système d’égout ou de drainage] ou […] en interrompre le fonctionnement ». Après avoir exposé les positions des parties, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’argument de la ville selon lequel l’« entretien » d’un système d’égouts ne viserait pas l’« exploitation » d’un tel système. Tout en concédant que l’exploitation d’un système ne pouvait, à strictement parler, s’entendre au sens d’installer, réparer ou entretenir un tel système ou à en interrompre le fonctionnement, il était d’avis que cette exploitation pouvait s’entendre selon les « acceptions plus larges » du verbe « maintain » [« entretenir »] telles que « cause to continue » [[traduction] « faire durer »] ou « support by work » [[traduction] « entretenir au moyen du travail »], de sorte que l’article 22 pouvait être interprété comme couvrant tous les aspects de l’exploitation ou d’un réseau de distribution d’eau ou d’un système d’égouts.

 

[19]           À l’appui de sa position, le juge de la Cour de l’impôt a cité un extrait des notes techniques de mai 1990 du ministère des Finances :

L’article 22 exonère les frais de distribution d’eau ou de tout‑à‑l’égout, y compris les droits d’installation ou de branchement. Toutefois, lorsqu’une municipalité facture des frais distincts à un propriétaire pour réparer ou entretenir une section d’une canalisation en place réservée à l’usage exclusif du propriétaire, la TPS est applicable.

 

 

[20]           Le juge de la Cour de l’impôt a interprété ce passage comme exonérant les frais de distribution d’eau et de tout‑à‑l’égout habituellement facturés aux propriétaires par les municipalités, ce qui, par ailleurs, semblait indiquer que l’article 22 vise l’exploitation des systèmes d’égouts. Étant donné que les notes techniques ont été soumises au Parlement, le juge de la Cour de l’impôt était d’avis qu’il convenait de leur accorder plus de poids qu’à un document rédigé par l’Agence de revenu du Canada qui semblait indiquer le contraire.

 

[21]           Le juge de la Cour de l’impôt a fondé en outre sa conclusion sur le libellé initial de l’article 22 dont la portée aurait été trop étroite si la position de la ville devait être retenue. Finalement, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’appel de la ville.

 

ANALYSE

Norme de contrôle applicable

[22]           Le présent appel concerne la décision rendue par un juge à la suite d’un procès. En  conséquence, la norme de contrôle est définie par l’arrêt de la Cour Suprême Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Ainsi, les questions de droit doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte tandis que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit doivent l’être selon la norme de la décision raisonnable. L’interprétation des articles 21 et 22 de la partie VI de l’annexe V de la Loi est une question de droit, alors que  l’application de cette interprétation aux faits de l’espèce est une question mixte de fait et de droit.

 

L’article 21

[23]           Comme nous l’avons vu, le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il n’existait pas une catégorie de services qui constitue des services municipaux indépendamment de l’entité qui fournit ces services. Par conséquent, les services d’égouts et de distribution d’eau ne constituent pas intrinsèquement des services municipaux.

 

[24]           Le fait que les services de traitement des eaux usées en cause auraient pu ne pas être des services municipaux s’ils avaient été fournis par une autre entité qu’une municipalité ne signifie pas qu’il ne s’agit pas de services municipaux s’ils sont fournis par la ville. L’expression « services municipaux » est suffisamment large pour comprendre les services d’égouts et de distribution d’eau lorsqu’ils sont fournis par la ville. En conséquence, il fallait se demander si Maple Leaf ne pouvait refuser ces services. 

 

[25]           L’expression « ne peut refuser » utilisée à l’article 21 est quelque peu curieuse, mais on doit comprendre qu’il s’agit d’une fourniture que le bénéficiaire est obligé de recevoir. Cette obligation ne peut avoir que deux sources : la législation applicable ou le contrat en vigueur entre la ville et Maple Leaf. Sur cette question, le juge de la Cour de l’impôt a résumé la preuve qui lui était présentée comme suit :

14     M. Snure [l’ingénieur de la ville] a expliqué qu’au départ, Maple Leaf devait être propriétaire de l’usine de traitement des eaux usées et qu’elle devait en assurer l’exploitation. Maple Leaf a finalement décidé que le traitement des eaux usées ne faisait pas partie de sa mission et il a été convenu que la ville construirait l’usine, l’exploiterait et en serait propriétaire.

 

15     Rien ne permet de penser que Maple Leaf n’aurait pas pu décider de mettre sur pied son propre système de traitement des eaux usées ou de choisir de signer un contrat avec une entreprise privée pour le traitement de ses eaux usées.

 

[26]           Les parties ont toutes deux fait valoir que la législation provinciale sur l’environnement requérait que les effluents déversés par l’usine soient traités conformément aux normes provinciales. Selon le témoignage de M. Snure, Maple Leaf disposait de trois choix à cet égard : elle pouvait traiter les eaux usées elle‑même, conclure un contrat avec un tiers pour qu’il s’en occupe ou conclure une entente avec la ville. Le juge de la Cour de l’impôt a accepté ce témoignage et le ministre n’a pas semblé s’y opposer. En conséquence, je procéderai sur ce fondement, sous réserve de l’observation suivante.

 

[27]           Les droits et les obligations de Maple Leaf aux termes de la législation provinciale et municipale constituent une question de droit, et non de fait. L’effet juridique de la législation intérieure n’est pas une question de preuve : c’est à la Cour qu’il appartient d’interpréter la législation. En l’espèce, M. Snure a été appelé à témoigner à titre de témoin de fait. Même s’il avait été appelé à titre de témoin expert, son témoignage sur l’effet juridique de la législation intérieure n’aurait pas été admissible : voir Eco‑Zone Engineering Ltd. c. Grand Falls (Town), 2000 NFCA 21, [2000] N.J. 377, aux paragraphes 15 et 16.

 

[28]           Quoiqu’il en soit, le ministre semble avoir reconnu que Maple Leaf disposait d’un choix quant à la façon dont ses eaux usées seraient traitées. Cela ressort du fait qu’il a fait valoir devant la Cour de l’impôt et notre Cour que, puisque le traitement des eaux usées était requis aux termes de la législation provinciale, Maple Leaf ne pouvait refuser les services de traitement des eaux et que la fourniture était donc exonérée, indépendamment de l’identité du fournisseur des services. L’argument du ministre se fonde sur la distinction établie à l’article 21 entre une fourniture et un service. L’extrait pertinent de l’article 21 est reproduit ci‑dessous par souci de commodité :

21. La fourniture d’un service municipal si, à la fois :

 

 

a) la fourniture est effectuée :

 

(i) soit par un gouvernement ou une municipalité au profit d’un acquéreur qui est le propriétaire ou l’occupant d’un immeuble situé dans une région géographique donnée,

 

[…]

 

b) il s’agit d’un service, selon le cas :

 

(i) que le propriétaire ou l’occupant ne peut refuser,

 

[…]

21. A supply of a municipal service, if

 

 

(a) the supply is

 

(i) made by a government or municipality to a recipient that is an owner or occupant of real property situated in a particular geographic area, or

 

 

(b) the service is

 

(i) one which the owner or occupant has no option but to receive, or

 

 

[29]           La position du ministre est que l’article 21 requiert seulement que la fourniture soit effectuée par la municipalité, pas le service. Il s’agit là d’une interprétation erronée de l’article 21. La fourniture est la fourniture d’un service municipal. Comme cet article se trouve à la partie VI de l’annexe V (organismes du secteur public), il est invraisemblable que le législateur ait envisagé que la personne effectuant la fourniture d’un service municipal ne soit pas un organisme municipal ou un autre organisme désigné comme tel.

 

[30]           En définitive, la Cour de l’impôt a à bon droit conclu que Maple Leaf n’était pas dans une situation où elle « ne pou[vait] refuser » les services de traitement des eaux de la ville.

 

[31]           Le deuxième élément de l’analyse au regard de l’article 21 consiste à voir si, aux termes de l’entente, Maple Leaf ne pouvait refuser les services de traitement des eaux usées de la ville. Comme nous le notions plus haut, le juge de la Cour de l’impôt a réglé sommairement ce point en statuant que la question ne concernait pas les obligations de Maple Leaf aux termes de l’entente, mais que cette question consistait plutôt à savoir si, avant de conclure l’entente avec la ville, il était loisible à Maple Leaf de choisir le fournisseur de services de traitement des eaux usées : voir les motifs, note 16 de bas de page.

 

[32]           Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas justifié cette conclusion, laquelle ne va pas de soi. À mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher cette question, car il ressort clairement des termes de l’entente que celle‑ci ne requérait pas que Maple Leaf reçoive de la ville les services de traitement des eaux. Aux termes de l’entente, la ville devait fournir ces services et donner à Maple Leaf le droit de les utiliser. Rien dans l’entente ne requérait que Maple Leaf fournisse à la ville une quantité quelconque d’effluents à quelque moment que ce soit. Les dispositions relatives à la résiliation de l’entente ont trait à la vente ou la fermeture de l’usine et non sur le défaut de fournir des effluents à la station. Maple Leaf avait peut‑être l’obligation de continuer à assumer les frais d’exploitation de la station, mais elle n’avait pas l’obligation d’accepter les services de traitement des eaux offerts par la ville. D’un point de vue pratique, il aurait été insensé de la part de Maple Leaf de ne pas utiliser ces services, mais le fait demeure que la ville n’a pas décidé d’inclure dans le contrat qu’elle a conclu avec Maple Leaf une clause exigeant de celle‑ci qu’elle utilise la station.

 

[33]           Par conséquent, le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure qu’il ne découlait pas de l’article 21 que l’exploitation de la station constituait une fourniture exonérée.

 

[34]           Qu’en est‑il maintenant de l’application de l’article 22? La ville ne conteste pas la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle le « système d’égouts » comprend l’exploitation d’une station de traitement des eaux usées. Par conséquent, la seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si la fourniture de services de traitement des eaux usées doit être considérée comme consistant  « à installer, à réparer ou à entretenir un […] système [d’égouts] ou à en interrompre le fonctionnement ».

 

[35]           Après avoir cité diverses définitions de dictionnaires du terme « maintain » [« entretenir»], le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les verbes « installer », « réparer », « entretenir » et « interrompre » ne semblaient pas comprendre l’« exploitation » ou le « fonctionnement » : voir les motifs au paragraphe 45. Il a toutefois conclu que, si l’on interprétait l’article 22 comme un tout en tenant compte des acceptions plus larges du verbe « maintain », on peut aussi interpréter l’article 22 en considérant qu’il couvre tous les aspects de l’exploitation d’un réseau de distribution d’eau ou d’un système d’égouts municipaux.

 

[36]           Il importe de porter attention à la structure grammaticale des parties opérantes de l’article 22, dans sa version anglaise. Je reproduis ci‑dessous l’article en en retranchant les éléments superflus, pour rendre la chose plus claire :

22. A supply of a service, made by a municipality […],  of installing, repairing, maintaining or interrupting the operation of a water distribution, sewerage or drainage system.

 

 

[37]           La phrase contient quatre verbes – « installing, repairing, maintaining, interrupting » – qui sont tous transitifs, c’est‑à‑dire qu’ils demandent un complément d’objet direct. Le complément d’objet d’« installing » et de « repairing » est « a system ». Pour les besoins de la discussion, supposons que « maintaining » ait le même complément d’objet direct. Le terme « system » est modifié par les termes « water distribution, sewerage or drainage ». Le complément d’objet direct d’« interrupting » est le syntagme « the operation of a […] system ». Selon la grammaire, l’on doit s’attendre à ce qu’une série de verbes soit suivie d’un même complément d’objet direct, si bien que la présence d’un second complément d’objet direct surprend. En conséquence, la structure de la phrase est défectueuse, car elle contient une liste de verbes qui ont des compléments d’objet direct différents. On aurait pu corriger la défectuosité en ajoutant des virgules avant et après les mots « interrupting the operation of », de façon à ce que le syntagme verbal « interrupting the operation of » se rapporte à « a […] system », comme les trois verbes précédents. Si tel était le cas, la phrase serait rédigée ainsi :

A supply of a service made by a municipality, of installing, repairing, maintaining, or interrupting the operation of, a water distribution, sewerage or drainage system.

 

 

[38]           Si on voulait que « maintaining » ait le même complément d’objet que « interrupting », soit « the operation of a […] system », la structure de la phrase est défectueuse pour une autre raison : elle requiert une conjonction entre « installing, repairing » d’une part, et « maintaining and interrupting » d’autre part. Si la phrase était construite convenablement, elle serait rédigée ainsi :

A supply of a service made by a municipality, of installing, repairing, and maintaining or interrupting the operation of, a water distribution, sewerage or drainage system.

 

 

[39]           En conséquence, peu importe la façon dont on interprète la phrase, elle est viciée sur le plan grammatical et ambiguë.

 

[40]           Est‑il possible de dissiper cette ambiguïté en citant la version française du texte? En fait, la version française est non ambiguë du point de vue de sa structure. Je la reproduis également pour qu’on puisse s’y référer facilement :

22. La fourniture d’un service, effectuée par une municipalité ou par une administration qui exploite un réseau de distribution d’eau ou un système d’égouts ou de drainage et que le ministre désigne comme municipalité pour l’application du présent article, qui consiste à installer, à réparer ou à entretenir un tel réseau ou système ou à en interrompre le fonctionnement.

 

 

[41]           Il ressort clairement de la version française que le service fourni par la municipalité consiste à installer, à réparer ou à entretenir un réseau de distribution d’eau ou un système d’égouts ou à en interrompre le fonctionnement. Le terme « entretenir » se rapporte au réseau ou au système et non au fonctionnement d’un tel réseau ou système.

 

[42]           Par conséquent, que signifient les mots « maintaining […] a […] system » ou, selon la version française, « entretenir un tel réseau ou système »?  Comme nous le notions plus haut, selon le juge de la Cour de l’impôt, les mots « installing, repairing, maintaining », pris individuellement, ne visaient pas le fonctionnement d’un système d’égouts, mais lorsque ces mots étaient interprétés dans le contexte de l’article 22, et compte tenu du sens large du mot « maintaining », il était possible d’interpréter l’article 22 comme se rapportant à tous les aspects de l’exploitation d’un réseau de distribution d’eau ou d’un système d’égouts municipaux. Il est parvenu à cette conclusion sans examiner la version française du texte. Lorsque l’on consulte l’ouvrage de référence bien connu Le Petit Robert, la définition première d’« entretenir » est la suivante :

Tenir dans le même état, faire durer, faire persévérer.

 

L’exemple donné est « entretenir un feu ».

 

[43]           La quatrième définition donnée pour « entretenir » est :

Maintenir en bon état (en prenant toutes les mesures appropriées)

 

L’un des exemples donnés est « entretenir une installation industrielle ».

 

[44]           J’en conclus que le verbe « entretenir », utilisé dans la version française du texte de l’article 22, renforce l’interprétation donnée par le juge de la Cour de l’impôt. La version française établit une distinction entre « entretenir » au sens d’« assurer la marche » et « entretenir » au sens de « maintenir en bon état ». Le sens premier du verbe est suffisamment large pour inclure, et inclut de fait selon moi, le fonctionnement d’une chose ou d’un système.

 

[45]           Lorsqu’on interprète des lois bilingues, on doit chercher à trouver le sens commun des deux textes : voir R. c. S.A.C., 2008 CSC 47, [2008] 2 R.C.S. 675, au paragraphe 14. Lorsque la version d’un texte est ambiguë alors que l’autre version est claire et non équivoque, le sens commun est celui de la version qui est claire et non équivoque : R. c. S.A.C., au paragraphe 15. En l’espèce, la version française est claire et non équivoque quant au complément d’objet du verbe « entretenir ». Concernant le sens des verbes « to maintain » et « entretenir », les deux versions se recoupent, le verbe français mettant en relief un sens qui, bien qu’il soit présent en anglais, n’est pas le sens premier. Le sens qui se retrouve dans les deux textes est le sens commun. En conséquence, je conclurais, comme l’a fait le juge de la Cour de l’impôt, que l’article 22 a une portée suffisamment large pour inclure le « fonctionnement » d’une station de traitement des eaux usées par la ville.

 

CONCLUSION

[46]           Par conséquent, je suis d’avis que le juge de la Cour de l’impôt a conclu à bon droit que l’article 22 de la partie VI de l’annexe V de la Loi couvrait les activités de la ville relatives à l’exploitation de la station de traitement des eaux usées desservant l’usine de Maple Leaf. Par conséquent, l’exploitation ne constituait pas une activité commerciale ouvrant droit à des CIT. Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

     Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     David Stratas j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑320‑09

 

INTITULÉ :                                                   VILLE DE BRANDON et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver  (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 27 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kimberley L. Cook

Terry G. Barnett

 

POUR L’APPELANTE

 

Lynn Burch

Christa Akey

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.