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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

 

Date : 20100923

Dossier : A-553-08

Référence : 2010 CAF 239

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

FRANÇOIS GRAVIL

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 21 septembre 2010.

Jugement rendu à Québec (Québec), le 23 septembre 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

 

 

 

Date : 20100923

Dossier : A-553-08

Référence : 2010 CAF 239

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

FRANÇOIS GRAVIL

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

 

[1]               Il s’agit de l’appel d’un jugement du juge Bédard (le juge) de la Cour canadienne de l’impôt (la CCI) [2008 CCI 505] suivant lequel l’appel de François Gravil à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5suppl.) (la Loi) pour ses années d’imposition 1999 et 2000 est rejeté avec dépens.

 

[2]               Par ces nouvelles cotisations, le ministre a ajouté aux revenus de l’appelant :

 

                                                                                        1999                            2000

 

Honoraires reçus de la société                                       47 000 $                        60 000 $

Les Produits Déli-Bon inc.

 

Sommes avancées et radiées par la                                                                  136 430 $

société Les Produits Déli-Bon inc.

 

Avantage reçu de la société                                                                             213 162 $

Les Produits Déli-Bon inc. relatif à

l’acquisition de ses actions

 

Avantage reçu de la société Les Produits                                                         110 918 $

Déli-Bon inc.

 

Ces montants ont fait l’objet de l’application de la pénalité du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[3]               Lors de l’audition devant la CCI, l’appelant a concédé que le ministre avait raison quant aux sommes de 47 000 $ en 1999; et de 60 000 $ et 136 430 $, en 2000.

 

[4]               Trois questions demeuraient cependant en litige : (1) l’ajout au revenu de l’appelant, pour l’année d’imposition 2000, des sommes de 213 162 $ et 110 918 $; (2) la prise en considération d’une somme de 75 000 $ dans le calcul d’une perte au titre d’un placement d’entreprise pour l’année 2000; et (3) l’imposition de la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi sur tous les revenus ajoutés par le ministre, incluant les sommes reconnues comme étant imposables par l’appelant au moment de l’audition.

 

[5]               Le juge a rejeté l’ensemble des arguments de monsieur Gravil. Les questions en litige devant notre Cour sont essentiellement des questions de fait. Cette Cour n’interviendra que s’il est démontré que le juge a commis une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation de la preuve. Je conclus que l’appelant n’a pas relevé son fardeau.

 

[6]               Il importe d’exposer quelques faits pertinents pour permettre, non seulement une bonne compréhension des questions en litige, mais aussi de la quotité des sommes en jeu.

 

[7]               Le 11 octobre 1999, l’appelant et Guy Picard, un consultant en matière de finance, achètent en parts égales, toutes les actions de la société Déli-Bon inc. (la société) auprès de laquelle François Gravil agissait jusque-là comme directeur des opérations. La société appartient alors à The Unimark Group Inc. (Unimark), une société du Texas qui en est l’unique actionnaire.

 

[8]               Le contrat d’achat pour une valeur de 1 423 932 $US précise que ces deux individus agissent « in trust for the company to be owned and operated by François Gravil and Guy Picard », soit selon l’appelant, la société Déli-Bon 2000 inc., immatriculée en février 2000, quelques mois après l’acquisition des actions de la société. Ce contrat et quelque intérêt des parties signataires ne peuvent être cédés sans leur consentement.

 

[9]               Les 13 et 21 octobre 1999, des versements de 320 000 $US et 380 000 $US sont faits à Unimark pour l’acquisition des actions de la société à même les fonds de Déli-Bon inc. Ces sommes sont traitées dans les livres de la société comme étant des avances aux actionnaires.

 

[10]           Lors de l’exercice financier se terminant le 2 octobre 2000, le solde du compte « dû par les actionnaires » n’est plus que de 75 000 $. Cette baisse s’explique par une écriture comptable faite au grand livre. On y constate que la société a viré un premier montant de 426 324 $ au poste « frais courus à titre d’honoraires » et un second de 221 836 $ au poste « honoraires de consultation », alors que les associés n’ont rendu aucun service à la société.

 

[11]           Le ministre attribue à l’appelant la moitié de ces montants virés par la société, c’est-à-dire 213 162 $ et 110 918 $. Tel que le remarque le juge, l’appelant soutient que le ministre n’était pas justifié d’ajouter ces montants à son revenu parce que la société Déli-Bon 2000 inc. était l’acquéreur des actions. Par conséquent, les deux premiers versements remis à Unimark pour le paiement des actions de la société devaient être considérés comme des avances consenties par la société à Déli-Bon 2000 inc., et non comme des avances consenties aux associés Picard et Gravil. La thèse de l’appelant reposait sur un argument principal : Déli-Bon 2000 inc. avait tacitement ratifié les gestes posés dans son intérêt avant sa constitution. J’y reviendrai plus loin.

 

[12]           Le 15 juin 2000, messieurs Gravil et Picard mettent fin à leur association. Leur décision prend la forme d’un contrat par lequel l’appelant :

 

transfère et renonce irrévocablement (à) tous droits, titres et intérêts en la totalité des actions détenues par lui dans les Produits Déli-Bon inc. ou dans les Produits Déli-Bon 2000 inc. le tout en faveur de monsieur Guy Picard.

 

(décision, p. 5 au para. 6)

 

 

[13]           Puis, le même jour, l’appelant signe un document reconnaissant avoir reçu de Guy Picard la somme de 75 000 $ pour bonne et valable considération. En même temps, l’appelant remet sa démission à titre de « président des compagnies, de directeur des opérations, de consultant financier et ou employé de Les Produits Déli-Bon inc., et ou Les Produits Déli-Bon 2000 inc. ».

 

[14]           Le 3 octobre 2000, Unimark intente une action au Texas contre la société Déli-Bon 2000 inc., l’appelant et Guy Picard, afin de récupérer le solde impayé du prix de vente des actions de la société. Le 12 octobre 2001, Déli-Bon inc. fait cession de ses biens.

 

 

Les questions en litige

A.         L’ajout des sommes de 213 162 $ et 110 918 $ aux revenus de l’appelant pour l’année 2000 à titre d’avantages à l’actionnaire

 

[15]           Tel que mentionné plus haut, l’appelant soutient que la société a avancé les sommes nécessaires à l’acquisition de ses actions à Déli-Bon 2000 inc., puisque celle-ci a tacitement ratifié les actes passés en son nom avant sa constitution formelle, dont le contrat d’acquisition des actions de la société du 11 octobre 1999.

 

[16]           L’appelant n’a ici d’autre choix que de parler de ratification tacite. Le juge a en effet constaté que l’appelant n’avait pas été en mesure de déposer en preuve le procès-verbal de la société Déli-Bon 2000 inc. établissant qu’elle avait expressément ratifié la transaction du 11 octobre 1999 (décision au para. 17i).

 

 

[17]           Il n’est pas contesté que la ratification peut être expresse ou tacite. Une ratification expresse est une confirmation formellement exprimée par la compagnie nouvellement constituée qu’elle se considère liée par les actes posés dans son intérêt avant sa constitution et qu’elle a l’intention d’honorer les obligations contractées en son nom. Une ratification tacite, par ailleurs, est celle qui, sans être formellement exprimée, peut être déduite de faits, d’attitudes ou d’actes de la compagnie qui ne peuvent s’expliquer autrement que par une volonté de celle-ci d’être liée par le contrat (Maurice et Paul Martel, La compagnie au Québec : Les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2005, aux pp. 4-5 et 4-6, Raymond Crête et Stéphane Rousseau, Droit des sociétés par actions : principes fondamentaux, Montréal, Les Éditions Thémis, 2002, à l’article 412, Bureau international d’échange commercial (B.I.E.C.) ltée c. Boutin, J.E. 90-1344 (C.S.) au para. 31, Place de la Concorde inc., c. Geday, 2009 QCCS 6435, aux para. 35-36, Durepos c. Pakua Shipi Construction inc., J.E. 2006-1566 (C.Q.), aux para. 56-57) [j’ai souligné].

 

[18]           En l’absence d’une preuve de ratification expresse, le juge a soigneusement examiné la preuve de l’appelant, à la recherche d’indices permettant de conclure à la ratification par Déli-Bon 2000 inc. de la transaction originale, mais en vain.

 

[19]           Le juge a noté que « ni l’appelant ni monsieur Picard n’ont dit clairement qu’il y avait eu ratification… ou à quel moment elle aurait été faite par la société Déli-Bon 2000 inc. » (décision au para. 18). Il a aussi conclu qu’il n’y avait pas eu ratification puisque « l’essentiel de la preuve documentaire [indiquait] le contraire » (ibidem).

 

 

[20]           L’appelant ne m’a donc pas convaincue que le juge avait eu tort de rejeter sa thèse. La conclusion du juge découle d’une détermination de fait que supporte la preuve.

 

B.         La perte de 75 000 $ au titre d’un placement d’entreprise pour l’année 2000

 

[21]           Le juge a conclu que le montant de 75 000 $ versé à l’appelant par Guy Picard en juin 2000 constituait la contrepartie de la vente à celui-ci des actions de l’appelant dans la société. Devant la CCI, l’appelant avait soutenu que la remise de cette somme était étrangère à la vente des actions dont il avait gratuitement fait cession à son associé. Il s’agissait plutôt du remboursement par François Picard d’une somme qui lui avait été remise au comptant par l’appelant à l’été 1999, pour l’achat en commun d’un terrain au nord de la Réserve indienne de Wendake (dossier d’appel, cahier II à la p. 48 et s.).

 

[22]           Le juge n’a pas prêté foi au témoignage de l’appelant, le qualifiant d’« invraisemblable » (décision au para. 16). Le juge a examiné l’ensemble de la preuve sur cette question et sa conclusion y trouve appui. Je ne trouve donc aucune erreur justifiant l’intervention de notre Cour.

 

C.        La pénalité du paragraphe 163(2) de la Loi

 

[23]           L’appelant conteste les pénalités qui lui ont été imposées par le ministre arguant que ce dernier a omis de le « consulter avant de rendre sa décision, ce qui aurait mis en évidence [son] manque d’instruction… et sa totale inexpérience dans les questions fiscales soulevées et la comptabilité d’entreprise » (avis d’appel, dossier d’appel, cahier I, onglet 1 à la p. 4). Devant la CCI, l’appelant a soutenu qu’il avait omis de déclarer les sommes de 47 000$, 60 000$ et 136 432$ parce que son comptable lui avait affirmé, pour différentes raisons, que ces montants n’étaient pas imposables.

 

[24]           Le juge n’a pas cru l’appelant. Qui plus est, il a tiré une inférence négative du fait que l’appelant avait choisi de ne pas appeler son comptable à la barre afin de corroborer sa version des faits. En bout de course, le juge a qualifié d’invraisemblables les propos que l’appelant attribuait à son comptable (décision au para. 20).

 

[25]           Quant à la pénalité rattachée à l’omission relative aux sommes de 213 162$ et de 110 918$, le juge s’est dit convaincu par la preuve du ministre que l’appelant « avait sciemment » omis de les déclarer. Il a donc maintenu la pénalité. S’il est vrai que le juge n’a pas étayé sa conclusion comme il l’avait fait en regard de la pénalité se rattachant aux autres montants discutés plus haut, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’elle était justifiée eu égard à la trame factuelle du présent dossier et à la preuve administrée devant le juge, laquelle laissait voir la participation active de l’appelant aux opérations de défalcation des fonds de la société.

 

Conclusion

[26]           Tel que nous l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 :

 

 

18.        Le juge de première instance est celui qui est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait, parce qu'il a l'occasion d'examiner la preuve en profondeur, d'entendre les témoignages de vive voix et de se familiariser avec l'affaire dans son ensemble. Étant donné que le rôle principal du juge de première instance est d'apprécier et de soupeser d'abondantes quantités d'éléments de preuve, son expertise dans ce domaine et sa connaissance intime du dossier doivent être respectées.

 

[27]           Je suis d’avis que le juge n’a commis aucune erreur manifeste ou dominante dans son appréciation de la preuve. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

«Je suis d’accord.

            Marc Noël, j.c.a.»

 

«Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a.»

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-553-08

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE BÉDARD DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT EN DATE DU 7 OCTOBRE 2008, DOSSIER 2006-1130(IT)G.

 

 

INTITULÉ :                                                                           FRANÇOIS GRAVIL c.

                                                                                                SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 21 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 23 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roger Breton

POUR L’APPELANT

 

Michel Lamarre

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Provençal, Breton, Murray

Québec (Québec)

 

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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