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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100910

Dossiers : A-407-09

A-406-09

 

Référence : 2010 CAF 228

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-407-09

ENTRE :

MAURICE BOIVIN, ES QUALITÉ DE LIQUIDATEUR

DE LA SUCCESSION DE FEUE GABRIELLE GAUTHIER

appelant

et

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

intimée

 

 

A-406-09

ENTRE :

VINCENT BOIVIN

appelant

et

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100910

Dossiers : A-407-09

A-406-09

 

Référence : 2010 CAF 228

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-407-09

ENTRE :

MAURICE BOIVIN, ES QUALITÉ DE LIQUIDATEUR

DE LA SUCCESSION DE FEUE GABRIELLE GAUTHIER

appelant

et

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

intimée

 

 

A-406-09

ENTRE :

VINCENT BOIVIN

appelant

et

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’appels dirigés à l’encontre de deux jugements rendus par le juge Paris de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la CCI) confirmant, dans un seul jeu de motifs, le bien-fondé de cotisations émises par le ministre du Revenu national (le ministre) en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1, (5e suppl.) (la Loi).

 

[2]               Les deux appels ont été réunis suite à une ordonnance rendue par le juge Nadon en date du 24 novembre 2009. Conformément à cette ordonnance, les présents motifs seront déposés dans le dossier principal (A-407-09) et copie d’iceux sera versée dans le dossier connexe (A-406-09) pour y tenir lieu de motifs.

 

[3]               Les cotisations qui font l’objet du litige furent établies suite au transfert de 203 075,54 $ de Maurice Boivin à la succession de sa conjointe feue Gabrielle Gauthier (la succession), ainsi qu’au transfert subséquent de l’ordre de 40 000 $ de la succession en faveur de Vincent Boivin, fils de Maurice Boivin. Le ministre a établi une cotisation à l’égard de la succession au motif que le transfert effectué par Maurice Boivin à la succession l’a été sans contrepartie à une époque où ce dernier avait une dette fiscale de l’ordre de 160 257,91 $. Quant à la cotisation à l’égard de Vincent Boivin, elle a été établie au motif que le transfert a été effectué sans contrepartie à une époque où la succession avait, en vertu de l’article 160 de la Loi, une dette fiscale du fait du transfert fait par Maurice Boivin à la succession.

 

[4]               Le seul point en litige selon le mémoire de faits et de droit déposé par les appelants porte sur l’insaisissabilité des sommes qui furent transmises par Maurice Boivin à la succession et par la succession à Vincent Boivin. La procureure des appelants a tenté lors de l’audience de soulever plusieurs autres questions d’un tout autre ordre. Le procureur de l’intimée s’étant objecté à ces arguments tardifs et non annoncés, il n’y a pas lieu d’en traiter.

 

[5]               Les appelants prétendent que les sommes qui leur furent transmises étaient insaisissables selon le droit du Québec puisqu’issues de la vente d’un immeuble légué à Maurice Boivin sous stipulation d’insaisissabilité, laquelle stipulation s’étendait selon les termes du testament aux biens « acquis en remploi » de l’immeuble légué (Dossier d’appel, page 220).

 

[6]               Les dispositions du Code civil du Québec, L.R.Q., c. C-1991 (C.c.Q.) et du Code de procédure civile, L.R.Q,. c. C-25 (C.p.c.) sur lesquelles les appelants fondent leur argument sont les suivantes :

 

2649. La stipulation d'insaisissabilité est sans effet, à moins qu'elle ne soit faite dans un acte à titre gratuit et qu'elle ne soit temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime; néanmoins, le bien demeure saisissable dans la mesure prévue au Code de procédure civile (chapitre C-25).

 

Elle n'est opposable aux tiers que si elle est publiée au registre approprié.

 

2649. A stipulation of unseizability is without effect, unless it is made in an act by gratuitous title and is temporary and justified by a serious and legitimate interest. Nevertheless, the property remains liable to seizure to the extent provided in the Code of Civil Procedure (chapter C-25).

 

It may be set up against third persons only if it is published in the appropriate register.

 

 

553. Sont insaisissables:

 

[…]

 

 

3. Les biens donnés ou légués sous condition d'insaisissabilité; néanmoins, ces biens peuvent être saisis à la poursuite des créanciers postérieurs à la donation ou à l'ouverture du legs, avec la permission du juge et pour la portion qu'il détermine;

 

 

4. Les aliments accordés en justice, de même que les sommes données ou léguées à titre d'aliments, encore que le titre qui les a constituées ne les ait pas déclarées insaisissables;

 

[…]

 

553. The following are exempt from seizure:

 

 

(3) Property declared by a donor or testator to be exempt from seizure, which may however be seized by creditors posterior to the gift or to the opening of the legacy, with the permission of the judge and to the extent that he determines;

 

 

(4) Judicially awarded support and sums given or bequeathed as support, even if not declared to be exempt from seizure by the instrument evidencing the gift or bequest;

 

 

 

[7]               Le juge de la CCI a rejeté les appels se fondant principalement sur la décision de la Cour suprême dans l’affaire Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351 (Poulin). Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que la saisissabilité était la règle et l’insaisissabilité l’exception de sorte que les dispositions législatives décrétant l’insaisissabilité devaient être interprétées restrictivement. En l’occurrence le juge de la CCI a conclu que le pouvoir prévu à l’article 2649 du C.c.Q. de stipuler l’insaisissabilité d’un bien ne s’étend pas à un bien acquis en remploi du bien légué.

 

[8]               Au soutien de leurs appels, les appelants soulignent que l’arrêt Poulin porte sur l’interprétation de l’article 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, L.R.Q. c. R-10 (Loi sur le régime de retraite) et non pas sur l’article 2649 du C.c.Q. Selon eux, le principe établi par la Cour suprême dans Poulin ne s’applique que dans le contexte précis de cette affaire. Ils soutiennent que le juge de la CCI a omis de faire la distinction entre l’insaisissabilité légale d’une part et l’insaisissabilité conventionnelle prévue à l’article 2649 du C.c.Q. d’autre part.

 

[9]               Il est vrai que l’affaire Poulin portait sur l’insaisissabilité prévue par la Loi sur le régime de retraite. Cependant, il semble clair que le principe qui s’en dégage peut avoir une application plus large.

 

[10]           La Cour suprême dans Poulin s’en remet aux articles 2644 et 2645 du C.c.Q. pour énoncer le principe selon lequel la saisissabilité est la règle et l’insaisissabilité est l’exception (Poulin, paragraphe 18). Plus précisément, la Cour indique que (idem) :

 

Les dispositions dérogeant à ce principe doivent être interprétées de façon restrictive : […]. De plus, étant donné [qu’elles] affectent les droits des créanciers, on est en droit de s’attendre à ce qu’elles soient formulées en des termes clairs et précis.

 

 

[11]           Comme l’article 222 de la Loi sur le régime de retraite, l’article 2649 du C.c.Q. déroge au principe de la saisissabilité des biens mais seulement dans la mesure prévue. À sa face même l’exception ainsi créée ne s’étend qu’au bien transmis par le légataire (ou le donataire) puisqu’aucune mention n’est faite de son remploi.

 

[12]           Pour que la stipulation d’insaisissabilité prévue à l’article 2649 du C.c.Q. puisse s’étendre au remploi, il aurait fallu que la chose soit prévue en termes clairs et précis, ce qui n’est pas le cas.

 

[13]           C’est à bon droit, selon moi, que le juge de la CCI a conclu que la stipulation d’insaisissabilité inscrite dans le testament de feue Gabrielle Gauthier ne pouvait s’étendre aux biens acquis en remploi.

 

[14]           Le procureur de l’intimée a fait valoir que quoiqu’il en soit le législateur fédéral n’est pas lié par l’insaisissabilité décrétée par les lois des provinces (Marcoux c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 92, 2001 CarswellNat 568 (CAF), paragraphe 10; Bouchard c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 321, 2009 CarswellNat 3505 (CAF), paragraphe 20; voir aussi Canada c. Rose., 2009 CAF 93, 2009 CarswellNat 5699 (CAF), paragraphes 29 et 30). Puisque les sommes cotisées ne sont pas à l’abri de saisies selon le droit du Québec, il n’y a pas lieu d’aborder cette question.

 

[15]           Je rejetterais l’appel avec dépens dans le dossier principal seulement.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

          M. Nadon j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

          Johanne Trudel j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                                                          A-407-09 et A-406-09

 

(APPEL DE JUGEMENTS DE L’HONORABLE JUGE B. PARIS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DU 3 SEPTEMBRE 2009, N° DE DOSSIERS 2007-3503(IT)G et 2007-3623(IT)G.)

 

INTITULÉ :                                                   A-407-09

                                                                        Maurice Boivin, es qualité de liquidateur de la succession de feue Gabrielle Gauthier et Sa Majesté du Chef du Canada

                                                                        A-406-09

                                                                        Vincent Boivin et Sa Majesté du Chef du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 8 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 10 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Darquise Jolicoeur

 

POUR LES APPELANTS

 

Pascal Tétrault

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Beaudry, Bertrand, s.e.n.c.r.l.

Gatineau (Québec)

 

POUR LES APPELANTS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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