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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100719

Dossier : A-227-09

Référence : 2010 CAF 191

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

TELUS COMMUNICATIONS COMPANY

appelante

et

LE CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES, BELL CANADA,

TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA,

MTS ALLSTREAM, ROGERS CABLE

COMMUNICATIONS INC. et COALITION

OF COMMUNICATIONS CONSUMERS

intimés

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 14 juin 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100719

Dossier : A-272-09

Référence : 2010 CAF 191

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

TELUS COMMUNICATIONS COMPANY

appelante

et

LE CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES,

BELL CANADA, TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES

GOUVERNEMENTAUX CANADA,

MTS ALLSTREAM, ROGERS CABLE

COMMUNICATIONS INC. et COALITION

OF COMMUNICATIONS CONSUMERS

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté, avec autorisation de la Cour, par TELUS Communications Company (TELUS) en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38 (la Loi) à l’encontre d’une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), la décision de télécom CRTC 2009‑85 (la décision CRTC 2009‑85). Cette décision a été rendue oralement le 30 janvier 2009; les motifs écrits de la décision ont suivi le 20 février 2009.

[2]               TELUS interjette également appel du Bulletin de radiodiffusion et de télécommunication CRTC 2009-38 (le bulletin AOF), publié le 29 janvier 2009, qui établit les procédures à suivre pour les processus de règlement de différends, dont les arbitrages d’offres finales (AOF).

 

[3]               Dans la décision 2009‑85, le CRTC a établi un tarif en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi pour la fourniture, par Bell Canada, de services de télécommunication au ministère de la Défense nationale (le MDN), et seulement à celui-ci, selon un arrangement personnalisé approuvé par le CRTC. Les services en question sont considérés comme vitaux pour la sécurité nationale. Le tarif était prévu pour une période déterminée, commençant le 15 décembre 2008, date à laquelle l’obligation contractuelle de fourniture de services de Bell a pris fin. Le problème est survenu parce que TELUS, à qui le contrat de fournir ces services avait été attribué à la place du titulaire, Bell, s’était révélée incapable de commencer à fournir les services au MDN à la date stipulée dans son contrat.

 

[4]               Seules les questions de droit et de compétence peuvent donner lieu à un appel fondé sur le paragraphe 64(1). TELUS invoque trois moyens à l’appui de son appel. Premièrement, on ne lui a pas donné une possibilité équitable de participer au processus d’audience devant le CRTC qui a abouti à la décision 2009‑85, laquelle réglait un différend sur le tarif entre Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) et Bell Canada (Bell). Deuxièmement, le CRTC a excédé les pouvoirs que lui confère la Loi en faisant reposer sa décision sur l’AOF, plutôt que sur la question de savoir si les tarifs proposés par Bell Canada étaient justes et raisonnables. Troisièmement, les règles procédurales énoncées dans le bulletin AOF ne sont pas autorisées par la Loi parce qu’elles n’ont pas été préalablement publiées dans la Gazette du Canada comme le requiert le paragraphe 69(1) de la Loi.

 

[5]               À mon avis, TELUS ne saurait avoir gain de cause en s’appuyant sur l’un quelconque de ces arguments. Je rejetterais par conséquent l’appel. Cependant, je traiterai de deux questions préliminaires avant d’aborder les moyens d’appel.

 

[6]               Premièrement, malgré sa réticence antérieure sur cette question, l’avocat de TELUS a déclaré lors de l’audition de l’appel que TELUS était, en vertu de son contrat, tenue d’indemniser TPSGC (l’ampleur de cette indemnisation n’étant pas divulguée) pour les frais que TPSGC devait engager pour acheter les services de Bell en raison de l’incapacité de TELUS de commencer à fournir les services de télécommunication au MDN à la date prévue au contrat. Par conséquent, je suppose aux fins du présent appel que la décision 2009‑85 pourrait indirectement faire subir à TELUS une perte financière.

 

[7]               Deuxièmement, vers la fin du mois de mai 2010, la Cour a invité les parties à soumettre des observations sur la question de savoir si l’appel était prématuré compte tenu du fait que TELUS avait demandé au CRTC de réexaminer la décision 2009‑85. Il était prévu que l’audition du présent appel aurait lieu le 14 juin 2010.

 

[8]               En juillet 2009, TELUS a demandé au CRTC de réexaminer la décision 2009‑85, après avoir reçu, le 20 mai 2009, l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour. Dans la décision 2010‑11, datée du 14 janvier 2010, le CRTC a refusé de modifier sa décision.

 

[9]               Le 12 avril 2010, TELUS a demandé au CRTC de procéder à un deuxième réexamen, insistant sur l’équité procédurale et l’utilisation inappropriée de l’AOF, deux questions centrales du présent appel. Le CRTC a avisé les parties qu’il prévoyait rendre sa décision relativement à cette deuxième demande de réexamen dans un délai de quatre mois, soit vers le début du mois d’octobre de la présente année.

[10]           Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’appel est prématuré et le CRTC n’a pas fait connaître sa position à cet égard.

 

[11]           TELUS soutient que l’appel n’est pas prématuré parce que la Loi prévoit trois recours relativement à la décision du CRTC faisant l’objet de l’appel : une demande d’autorisation d’interjeter appel en vertu du paragraphe 64(1); une demande au gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 12(1); le droit aux termes du paragraphe 62 de demander au CRTC de réexaminer sa décision. TELUS fait valoir que les recours ont chacun un objet différent et qu’ils sont par conséquent cumulatifs : il est approprié que les questions relatives à l’équité procédurale, comme celles qui sont soulevées dans le présent appel, soient tranchées par la Cour, plutôt que par le CRTC.

 

[12]           Bell, par contre, fait remarquer que TELUS avait soulevé certaines des mêmes questions procédurales dans sa deuxième demande de réexamen que dans le présent appel et fait valoir que le CRTC n’avait pas examiné la question de l’incidence de sa décision sur la concurrence. Si TELUS a gain de cause relativement à l’une ou l’autre de ces questions, le présent appel sera sans objet. En conséquence, Bell soutient que, par souci d’économie des ressources judiciaires, la Cour devrait ajourner l’appel dans l’attente de la décision du CRTC sur la deuxième demande de réexamen de TELUS.

 

[13]           La Cour a permis la poursuite de l’appel. Les parties s’étaient préparées pour l’audience et étaient prêtes à plaider. Comme je rejetterais l’appel sur le fond, il ne sera pas nécessaire que je tranche la question du caractère prématuré de l’appel. Je ferai cependant les deux remarques suivantes.

 

[14]           Premièrement, la question du caractère prématuré n’a pas été examinée lors de la demande d’autorisation d’interjeter appel et, une fois l’autorisation accordée, il n’aurait pas été approprié que la Cour rejette l’appel pour ce motif préliminaire. Contrairement à une demande de contrôle judiciaire, un appel n’est pas un recours extraordinaire et discrétionnaire. Deuxièmement, l’appel de TELUS devant la Cour devait, selon ce qui était prévu, avoir lieu seulement deux mois après le dépôt par TELUS de sa deuxième demande de réexamen. Par conséquent, il était plus approprié de soulever devant le CRTC les questions relatives au caractère prématuré. Cependant, le CRTC a rejeté la demande de Bell visant à faire rejeter sommairement la deuxième demande de réexamen de TELUS au motif qu’elle constituerait un abus de procédure.

 

Équité procédurale

[15]           TELUS soutient qu’on a manqué envers elle, à trois égards, à l’obligation d’équité procédurale. Premièrement, bien qu’elle ait eu la possibilité de présenter des observations écrites au CRTC à titre de partie intéressée quant aux conditions auxquelles Bell Canada continuerait à fournir des services de télécommunication au MDN, TELUS a été exclue de la partie de l’audience qui s’est déroulée à huis clos à laquelle ont participé Bell Canada et le MDN, même si, contrairement aux attentes de TELUS, l’audience ne portait pas exclusivement sur la considération des renseignements commerciaux confidentiels, comme les coûts et les conditions contractuelles de Bell Canada.

 

[16]           Deuxièmement, TELUS ne savait pas que le CRTC modifierait sa procédure et réglerait le différend au moyen d’un AOF et qu’on ne lui a pas donnerait pas la possibilité de faire valoir son point de vue à cet égard.

 

[17]           Troisièmement, le CRTC a rejeté la demande d’ajournement qu’elle lui avait présentée pour lui permettre de corriger les déclarations qui lui portaient préjudice qui avaient été faites à l’audience, à savoir des déclarations sur la vitesse à laquelle elle terminerait les préparations nécessaires pour commencer à fournir les services de télécommunication qu’elle s’était engagée dans un contrat avec TPSGC, à fournir au MDN.

 

[18]           Pour déterminer s’il y a eu manquement aux droits procéduraux reconnus par la common law au participant à un processus administratif, la cour de révision doit trancher la question de savoir si, dans toutes les circonstances, les procédures suivies donnaient au participant une possibilité équitable d’être entendu. Les facteurs énoncés dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28, fournissent le cadre contextuel pour l’analyse de cette question. À mon avis, toutefois, le présent appel ne peut être tranché sans exposer de façon détaillée les faits, le droit ou le contexte administratif dans lequel la décision 2009‑85 a été rendue.

 

[19]           Un point, toutefois, mérite d’être souligné dans toute analyse du contenu des droits procéduraux de TELUS reconnus par la common law. La procédure ayant abouti à la décision 2009‑85 a été introduite par TPSGC devant le CRTC afin que celui-ci rende une décision portant que les tarifs proposés par Bell Canada pour la fourniture de ses services de télécommunication au MDN après le mois de décembre 2008 n’étaient pas justes et raisonnables. Le CRTC avait donc raison de considérer Bell Canada et TPSGC comme les deux seules parties à un différend bilatéral.

 

[20]           TELUS aurait pu avoir un intérêt dans l’instance si, comme elle le dit maintenant, elle avait l’obligation contractuelle d’indemniser TPSGC pour les paiements que TPSGC serait tenu de faire à Bell Canada pour continuer de fournir des services de télécommunication après la fin du contrat si, à la date convenue, TELUS se révélait incapable d’achever la transition à son réseau des services rendus par Bell Canada. Cependant, le fait que TELUS n’était qu’une intervenante dans l’instance, quoiqu’elle ait eu un intérêt financier indirect dans son issue, réduit le contenu de ses droits procéduraux au titre de l’équité procédurale.

 

[21]           Il aurait été loisible à TELUS de faire valoir devant le CRTC que, comme elle était en fait la caution relativement à la perte causée à TPSGC en raison du retard, elle aurait dû avoir la pleine qualité de partie pour le règlement du différend sur le tarif. Comme elle a choisi de ne pas le faire et de n’assister à la partie publique de l’audience qu’à titre d’observatrice, TELUS doit en supporter les conséquences.

 

[22]           Cinq autres points sapent l’argument de TELUS selon lequel on a manqué envers elle à l’obligation d’équité procédurale.

 

[23]           Premièrement, TELUS a présenté des observations écrites au CRTC avant que la décision 2009‑85 ne soit rendue. Dans ces observations, elle aurait pu traiter de la question de son retard à effectuer la transition, question qui, elle aurait dû le savoir, serait soulevée dans le différend. Le droit à l’équité procédurale ne comprend pas toujours le droit à une audience avec comparution dans les instances réglementaires, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, le requérant n’est qu’un intervenant dans une instance visant à régler un différend entre deux parties. Ni la Loi, ni les Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications, DORS/79-554 ne confèrent aux personnes intéressées dans une question le droit absolu à une audience avec comparution, ce que TELUS semble exiger.

 

[24]           Les organismes administratifs ont normalement un pouvoir discrétionnaire considérable quant à la forme précise de la participation des personnes intéressées dans leur processus de prise de décision. La cour de révision n’intervient pas dans les choix procéduraux d’un organisme spécialisé sauf lorsque, compte tenu de l’ensemble des circonstances, ces choix se traduisent par le déni d’une possibilité équitable d’être entendu. L’argument de TELUS selon lequel on ne lui a pas donné la possibilité de répondre aux allégations présentées résulte d’une incompréhension : dans le différend bilatéral entre TPSGC et Bell, aucune allégation n’a été présentée contre elle.

 

[25]           Deuxièmement, dans une lettre datée du 20 novembre 2008 que TELUS a reçue, le CRTC a fait connaître le processus qu’il entendait suivre, y compris en ce qui avait trait à la possibilité d’un AOF, dans l’éventualité où les parties ne réussissaient par régler le différend par la négociation. TELUS a répondu à la lettre en expliquant pourquoi elle considérait un AOF comme une base inappropriée pour la décision du CRTC. Quoi qu’il en soit, le CRTC n’a pas pris sa décision sur la base d’un AOF au sens habituel du terme.

 

[26]           Troisièmement, dans une lettre datée du 19 décembre 2008, le CRTC affirmait que TPSGC et Bell seraient les deux seules parties lors de l’audience avec comparution relative au tarif applicable aux services de télécommunication devant être fournis par Bell au MDN et que, étant donné la nature confidentielle des questions faisant l’objet du différend, certaines parties de l’audience auraient lieu à huis clos. Il était également indiqué dans cette même lettre que le différend serait entendu de façon accélérée conformément à la circulaire de télécom CRTC 2004‑2 qui s’applique normalement aux questions de concurrence ne visant pas plus que deux parties.

 

[27]           TELUS ne s’est pas opposée à la procédure décrite dans la lettre. Elle est également demeurée silencieuse lorsque le président du CRTC a indiqué, le 22 janvier 2009, que la partie publique de l’audience ne porterait que sur la compétence du CRTC.

 

[28]           Quatrièmement, lors du premier réexamen de la décision 2009‑85, TELUS a présenté des observations sur la question relativement à laquelle elle disait vouloir être entendue de vive voix avant que le CRTC ne rende une décision sur l’établissement du tarif, à savoir le temps qu’il faudrait à TELUS pour être prête à fournir des services au MDN.

 

[29]           Comme le CRTC a décidé de ne pas modifier la décision 2009‑85 après avoir entendu les observations de TELUS sur cette question, tout manquement à l’obligation d’équité ayant pu se produire n’était pas pertinent en ce qui a trait à l’issue. Subsidiairement, TELUS aurait pu se prévaloir de la possibilité qui lui a été donnée de présenter des observations lors du premier réexamen pour remédier dans les faits à tout manquement à l’obligation d’équité qui aurait pu avoir lieu antérieurement.

 

[30]           Cinquièmement, TELUS n’a demandé un ajournement que tard dans le processus d’audience accélérée. En répondant à la demande de TELUS, le CRTC a expliqué de manière très précise pourquoi il avait conclu qu’un ajournement n’était pas justifié. Si l’on tient compte de tous les faits énoncés dans la lettre, on ne peut pas dire que l’exercice par le CRTC de son pouvoir discrétionnaire pour refuser un ajournement ait constitué un refus d’accorder à TELUS une audition équitable.

 

[31]           Bref, TELUS a eu à de nombreuses reprises la possibilité de présenter des observations relativement à ses préoccupations et de s’opposer bien plus tôt qu’elle ne l’a fait au processus d’audience. Après examen de l’ensemble des circonstances susmentionnées, je ne suis pas convaincu que TELUS a démontré que le CRTI a manqué à son obligation d’équité procédurale et que l’intervention de la Cour est justifiée.

 

Arbitrage de l’offre finale

[32]           TELUS soutient que le CRTC a excédé sa compétence, qui consiste à s’assurer que les tarifs facturés par l’entreprise de télécommunications sont justes et raisonnables, parce qu’il a simplement fondé sa décision sur l’offre faite par l’une des parties, Bell Canada. Je ne partage pas cet avis.

 

[33]           Premièrement, la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable à la question, parce que celle‑ci porte sur l’exercice du large pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 27 de la Loi au CRTC relativement à l’établissement de tarifs : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 53 (Dunsmuir). Ainsi, le paragraphe 27(5) de la Loi prévoit que, pour établir un tarif, le CRTC « peut utiliser la méthode ou la technique qu’il estime appropriée ».

 

[34]           Dans la mesure où elle concerne également l’interprétation de l’article 27 de la loi constitutive du CRTC, la question soulevée dans le présent appel est aussi en principe susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, au paragraphe 54. Cette présomption est confortée en l’espèce par l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré au CRTC par l’article 27(1) et par le fait que la question interprétative soulevée porte sur l’établissement du tarif, question qui est au cœur du domaine de spécialisation du CRTC : Bell Canada c. Bell Aliant Communications Regional, 2009 CSC 40, [2009] 2 R.C.S. 764, au paragraphe 38.

 

[35]           Deuxièmement, le fait que le CRTC ait choisi comme tarif applicable l’une des offres présentées par les parties n’est pas incompatible avec l’établissement d’un tarif juste et raisonnable. Sur le fondement des observations présentées par les parties et des renseignements obtenus de celles‑ci en réponse à des questions du personnel du CRTC et du Conseil lui-même, le CRTC a déterminé des bornes inférieure et supérieure à l’intérieur desquelles il pouvait approuver un tarif juste et raisonnable. La « borne » inférieure était le tarif existant et la « borne » supérieure était l’une des offres faites par Bell Canada. Au cours de l’audience, d’autres propositions ont été présentées à l’intérieur de ces bornes, ce qui a diminué la distance entre les parties. Le CRTC a expliqué au paragraphe 35 des motifs de la décision 2009‑85 pourquoi, sur le fondement des documents qui lui avaient été présentés, il avait choisi la dernière proposition de Bell Canada.

 

[36]           Par conséquent, la méthode de sélection du tarif du CRTC ne pourrait être annulée que si elle était déraisonnable. Étant donné l’étendue des pouvoirs discrétionnaires du CRTC, sa compétence pour établir un tarif et sa décision, fondée sur l’information qui lui avait été présentée, que les tarifs compris entre les bornes définies étaient justes et raisonnables, je ne suis pas convaincu que son approbation d’un tarif voisin de la borne supérieure constituait un exercice déraisonnable de son pouvoir discrétionnaire aux termes de la Loi ou une omission d’exercer un tel pouvoir. Les faits ne démontrent pas que le CRTC a manqué à ses responsabilités d’établissement de tarif du simple fait qu’il a retenu une offre présentée par l’une des parties.

 

Bulletin AOF

[37]           TELUS a été autorisée à interjeter appel du bulletin AOF, lequel a été publié la veille de la décision 2009‑85. TELUS soutient que les procédures contenues dans le bulletin AOF sont illégales parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de faire valoir son point de vue sur leur adoption et que les procédures n’ont pas été publiées auparavant dans la Gazette du Canada conformément au paragraphe 69(1) de la Loi.

 

[38]           La réponse brève à cet argument est que leur validité ne peut pas faire l’objet d’un appel en vertu de l’article 64 parce qu’elles ne constituent pas une « décision », terme défini au paragraphe 2(1) de la Loi comme étant une « mesure prise par le Conseil, quelle qu’en soit la forme ». Elles constituent plutôt des procédures générales à l’intérieur desquelles le CRTC peut prendre des décisions dans le cadre de divers processus de règlement de différends, dont l’AOF.

 

[39]           Bien entendu, si le CRTC s’était appuyé sur les procédures dont fait état le bulletin AOF pour rendre la décision 2009‑85, TELUS aurait pu invoquer la non-validité de ces procédures comme moyen d’appel à l’encontre de la décision 2009‑85. Cependant, le CRTC n’a pas rendu la décision 2009‑85 sur la base des procédures énoncées dans le bulletin OAF.

 

[40]           Dans ces circonstances, une demande de contrôle judiciaire présentée par une personne donnée lésée peut constituer une procédure davantage appropriée qu’un appel en vertu de l’article 64 pour contester la validité du bulletin OAF. Je ne formulerai aucun avis quant à la question de savoir si les procédures énoncées dans le bulletin AOF auraient dû être considérées, en vertu de l’alinéa 67(1)b), comme un règlement établissant les « règles de pratique et de procédure [du CRTC] » et être publiées dans la Gazette du Canada pour en aviser les personnes intéressées et obtenir de celles-ci leurs points de vues avant qu’elles n’entrent en vigueur (paragraphe 69(1)), ni sur la question de savoir si elles ne constituent que des lignes directrices non contraignantes émises en vertu de l’article 58 auquel le paragraphe 69(1) ne s’applique pas.

 

Conclusion

[41]           Pour tous ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens payables par TELUS Communications Company à Bell Canada.

 

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-227-09

 

INTITULÉ :                                                   Telus Communications Company c. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Bell Canada, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, MTS Allstream, Rogers Cable Communications Inc. et Coalition of Communications Consumers

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LES JUGES PELLETIER ET STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 19 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

John E. Lowe

Sonya Morgan

POUR L’APPELANTE

 

 

Randall Hofley

Catherine Beagan Flood

 

Anthony McIntyre

Crystal Hulley

POUR L’INTIMÉE BELL CANADA

 

POUR L’INTIMÉ LE CRTC

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Burnet, Duckworth & Palmer

Calgary (Alberta

POUR L’APPELANTE

 

 

Blake Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

 

Direction générale du contentieux

Gatineau (Québec)

POUR L’INTIMÉE BELL CANADA

 

POUR L’INTIMÉ LE CRTC

 

 

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