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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100708

Dossier : A‑519‑09

 

Référence : 2010 CAF 183

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SHELDON BLANK

 

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

intimé

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 23 juin 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                          LA JUGE DAWSON

 

 

 


Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100708

Dossier : A‑519‑09

Référence : 2010 CAF 183

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SHELDON BLANK

 

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

 

[1]               La Cour est saisie de l’appel du jugement (2009 CF 1221) par lequel le juge de Montigny, de la Cour fédérale, a rejeté demande de contrôle judiciaire de l’appelant.

 

[2]               Dans sa demande de contrôle judiciaire et dans le présent appel, l’appelant réclame la communication de documents en invoquant la Loi sur l’accès à l’information, L.R. 1985, ch. A‑1 (la Loi). Il soulève plusieurs moyens au soutien de sa demande. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter l’appel, le tout avec dépens.

 

A.        Les faits

 

[3]               L’appelant a demandé pour la première fois le 21 janvier 2002 à l’intimé de lui communiquer des documents qui avaient trait à la façon dont l’intimé avait mené une poursuite contre lui et Gateway Industries Ltd. en vertu de la Loi sur les pêches, L.R. 1985, ch. F‑14, poursuite qui avait par la suite été abandonnée.

 

[4]               La Cour fédérale a exposé, avec force détails (aux paragraphes 4 à 21), l’histoire complexe des rapports entre l’appelant, l’intimé et le Commissariat à l’information du Canada. Cette histoire, qui remonte à 2002, illustre certains des facteurs qui ont contribué à rendre la présente affaire longue et compliquée.

 

[5]               Bien que la première demande de communication remonte au 21 janvier 2002, au 30 janvier 2003, l’appelant avait déjà formulé en tout 67 demandes en vertu de la Loi et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R. 1985, ch. P‑21. Le ministère de la Justice explique qu’il a examiné 60 000 pages de documents en réponse à ces demandes; l’appelant affirme que le nombre de pages examinées est moins élevé, mais il l’estime quand même à plus de 25 000 pages. Comme bon nombre des pages en question portaient sur la conduite de la poursuite, des questions relatives au secret professionnel de l’avocat ont fréquemment été soulevées. L’examen page par page qui en a résulté a pris beaucoup de temps.

 

[6]               L’appelant a fait intervenir le Commissariat à l’information du Canada en le saisissant de deux plaintes. La première, datée du 2 octobre 2002, concernait le retard que l’appelant reprochait à l’intimé. La seconde, en date du 7 novembre 2002, avait une portée plus large et concernait le défaut de l’intimé de trouver tous les documents qui correspondaient à sa demande et l’application erronée que l’intimé avait faite des exceptions prévues par la Loi.

 

[7]               Le Commissariat à l’information est un organisme indépendant et impartial chargé de faire enquête sur les plaintes portées en vertu de la Loi. Dans le cas qui nous occupe, il a enquêté sur des questions comme celle de savoir si l’intimé avait agi de mauvaise foi et avait répondu en temps opportun, l’écart constaté entre le nombre de documents retenus à l’origine comme correspondant à la demande d’accès et le nombre de documents qui ont été communiqués, les documents manquants, l’identification des documents par l’intimé et les exceptions revendiquées par l’intimé, en particulier celle concernant le secret professionnel de l’avocat. La portée et l’application du privilège du secret professionnel de l’avocat ont été portées devant la Cour suprême du Canada : Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39.

 

[8]               L’enquête du Commissariat s’est échelonnée sur cinq ans. Il convient de signaler que, dans les observations orales et écrites qu’il a formulées devant notre Cour, l’appelant ne s’est pas plaint de la conduite du Commissariat au cours de sa longue enquête.

 

[9]               Le Commissariat a publié un rapport d’enquête le 5 septembre 2008. Parmi les questions examinées dans ce rapport, deux étaient étroitement liées à la demande de contrôle judiciaire introduite par l’appelant devant la Cour fédérale : l’application de l’exception relative au secret professionnel de l’avocat prévue à l’article 23 de la Loi et les documents manquants.

 

[10]           Sur la question du secret professionnel de l’avocat, le Commissariat a conclu qu’il était « d’avis que les documents qui bénéficient encore de l’exception relèvent du secret professionnel des avocats en application de l’article 23 ». Il a ajouté que « le pouvoir discrétionnaire a été validement exercé » et qu’il « n’y a pas eu renonciation au privilège ».

 

[11]           Sur la question des documents manquants, le Commissariat a fait observer qu’il avait dépêché un de ses enquêteurs à Winnipeg « pour l’examen de quelque 40 boîtes de documents afin de trouver des documents additionnels » et qu’il avait ainsi trouvé et communiqué certains documents à l’appelant. Plus tard, après avoir reçu ces derniers documents, l’appelant a soumis au Commissariat des éléments de preuve complémentaires tendant à indiquer que des documents étaient manquants. Le Commissariat s’est rendu pour la deuxième fois à Winnipeg pour compléter les recherches. Finalement, sur la question des documents manquants, le Commissariat a écrit ce qui suit dans son rapport d’enquête :

[traduction]

Notre enquête a révélé que, de leur propre aveu, les fonctionnaires du ministère de la Justice ne peuvent pas garantir que tous les documents établis ont été conservés. Il nous a été impossible également de dire avec certitude quels documents correspondaient, ou pouvaient correspondre, à votre demande.

 

Eu égard à ce qui précède, il nous est impossible de vous dire avec certitude que vous avez reçu tous les documents auxquels vous avez droit en vertu de la Loi. Nous pouvons vous assurer que nous avons fait tout ce qu’il était possible de faire pour trouver les documents pertinents et les examiner en vue de leur éventuelle communication.

 

 

[12]           Peu de temps après avoir reçu ce rapport, l’appelant a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Comme nous l’avons déjà mentionné, la Cour fédérale a débouté l’appelant de sa demande de contrôle judiciaire. Les motifs de sa décision seront exposés ci‑après, au fur et à mesure que j’examinerai chacun des moyens d’appel invoqués par l’appelant devant notre Cour.

 

 

B.        Moyens d’appel de l’appelant

 

[13]           Dans l’avis d’appel qu’il a déposé devant notre Cour, l’appelant invoque de nombreux moyens d’appel qui se chevauchent. Il demande à notre Cour d’infirmer un certain nombre des conclusions de la Cour fédérale et de corriger ses motifs.

 

[14]           L’examen des observations orales et écrites de l’appelant a servi à clarifier les questions en litige. De plus, lors de l’instruction du présent appel, la Cour a permis à l’appelant de déposer les sept recueils de documents versés au dossier d’appel, dont chacun est consacré à une question particulière formulée dans l’avis d’appel. Ces documents ont permis à la Cour d’avoir une idée plus exacte des questions précises soulevées par l’appelant dans le cadre du présent appel et de ses observations sur chacune d’entre elles. La Cour est reconnaissante envers l’appelant de lui avoir fourni les recueils en question.

 

[15]           Les moyens d’appel et les observations formulés par l’appelant peuvent être regroupés en quatre catégories :

 

(1)        L’interprétation et l’application de l’exception relative au secret professionnel de l’avocat prévu à l’article 23 de la Loi et la question de savoir s’il y a eu renonciation à ce privilège (paragraphes 1, 5, 6, 7 et 8 des réparations sollicitées dans l’avis d’appel).

 

(2)        La question de savoir si le Ministère a fait preuve de mauvaise foi ou s’est autrement mal conduit en s’acquittant des obligations que la Loi met à sa charge (paragraphes 3 et 6 des réparations sollicitées dans l’avis d’appel).

 

(3)        La question des documents manquants ou non traités et la question de savoir si l’appelant a obtenu tout ce à quoi il avait droit en vertu de la Loi (paragraphes 2 et 4 des réparations sollicitées dans l’avis d’appel).

 

(4)        Les questions relatives aux dépens (paragraphe 9 des réparations sollicitées dans l’avis d’appel).

 

C.        Analyse

 

(1)        L’interprétation et l’application de l’exception relative au secret professionnel de l’avocat prévu à l’article 23 de la Loi et la question de savoir s’il y a eu renonciation à ce privilège

 

 

[16]           Dans le cas qui nous occupe, l’intimé invoque l’exception relative au secret professionnel de l’avocat prévue à l’article 23. À la suite d’une analyse de la jurisprudence pertinente (notamment de la décision de notre Cour 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 254, [2002] 1 C.F. 421 et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9), la Cour fédérale énonce comme suit les normes de contrôle applicables à la décision de l’intimé (au paragraphe 31) :

 

[…] [l]a Cour doit appliquer deux normes de contrôle pour la décision du défendeur de refuser la communication de renseignements en application de l’article 23 de la LAI qui concerne le privilège avocat‑client. Elle doit appliquer la norme de la décision correcte pour la décision selon laquelle l’information non communiquée relève de l’exception de l’article 23, et la norme de la décision raisonnable pour la décision discrétionnaire de refuser la communication des renseignements visés par l’exception. Naturellement, la Cour doit aussi se demander si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et dans un dessein qui se rapporte de façon logique à l’objet pour lequel il a été accordé.

 

 

 

[17]           Pour les besoins du présent appel, nous acceptons qu’il s’agit des normes de contrôle applicables.

 

[18]           La Cour fédérale a conclu (aux paragraphes 34 à 44) que l’intimé était justifié de revendiquer le secret professionnel de l’avocat à l’égard de bon nombre des documents. Elle ajoute que l’intimé a, comme il convient, procédé à un prélèvement dans les documents en cause en permettant que certaines parties en soient communiquées à l’appelant. Je souscris à la conclusion de la Cour fédérale et je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans les motifs qu’elle a exposés à cet égard.

 

[19]           Sur la question du secret professionnel de l’avocat, l’appelant soutient que trois des pages qu’on a refusé de lui communiquer n’étaient pas visées par le secret professionnel parce qu’elles [traduction] « démontrent l’inconduite de l’intimé ». Dans l’ensemble, l’inconduite reprochée par l’appelant concerne certains aspects de la poursuite au criminel qui a été abandonnée : l’irrégularité entachant la souscription d’un affidavit, le défaut du ministère public de lui communiquer certains éléments, des questions de prescription et d’autres irrégularités entachant la poursuite. N’ayant pas vu ces documents, l’argument de l’appelant suivant lequel ces documents [traduction] « démontrent l’inconduite de l’intimé » est purement spéculatif. J’ajouterais que l’appelant a soulevé en grande partie cette présumée inconduite dans la poursuite intentée devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Les motifs du jugement de la Cour du Banc de la Reine ne renferment aucune conclusion au sujet de ce que l’on pourrait appeler une inconduite.

 

[20]           Par ailleurs, l’« inconduite » ne constitue pas en soi une exception reconnue au privilège que revendique l’intimé sur les trois pages en question. Font exception les [traduction] « communication[s] faite[s] en vue de servir un dessein criminel » ou pour perpétuer un délit (Solosky c. Canada, [1980] 1 R.C.S. 821, aux pages 755 à 757, et Alan W. Bryant, Sidney N. Lederman et Michelle K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (Markham, LexisNexis Canada, 2009), aux pages 937 à 939). Lorsqu’un client consulte un avocat [traduction] « pour qu’il l’aide à perpétuer un crime ou une fraude, le privilège ne joue pas » (Bryant et autres, précité, à la page 937).

 

[21]           Cette exception ne s’applique pas aux trois pages réclamées par l’appelant. Au cours de l’audience, l’appelant a invité la Cour à examiner les trois pages en question, qui ont été annexées à un affidavit confidentiel soumis à notre Cour. L’intimé ne s’est pas opposé à ce que la Cour examine les pages en question. Après les avoir examinées, je conclus qu’il n’existe aucune raison justifiant notre Cour d’infirmer la conclusion de la Cour fédérale suivant laquelle ces trois pages sont protégées par un privilège. De plus, ces pages ne sont pas des [traduction] « communication[s] faite[s] en vue de servir un dessein criminel » ou pour perpétuer un délit, de sorte que les documents demeurent protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat.

 

[22]           Sur la question de la renonciation au privilège, l’appelant affirme que l’intimé a perdu son droit de revendiquer le secret professionnel de l’avocat sur l’ensemble du dossier de la poursuite parce que le ministère public a formulé des observations sur les questions en litige lors du procès qui s’est déroulé en audience publique. La Cour fédérale a conclu (au paragraphe 46) qu’elle ne pouvait « trouver un quelconque élément de nature à confirmer l’existence d’une renonciation au privilège » qui se solderait par la communication du dossier en entier. Il s’agit d’une conclusion de fait qui ne peut être annulée qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante, ce que l’appelant n’a pas démontré. En outre, en droit, les observations formulées en séance publique qui rélèvent des communications qui seraient autrement visées par le secret professionnel de l’avocat peuvent emporter renonciation à tout privilège relatif à ces communications, à défaut de moyen de défense éventuel tel que l’inadvertance, mais la renonciation ne vaut que pour les communications précises en question et elle ne s’applique certainement pas à l’ensemble du dossier de la poursuite (Bryant et autres, précité, aux pages 957 à 959).

 

[23]           Devant la Cour fédérale, l’appelant a laissé entendre que l’incohérence dont l’intimé avait fait preuve en ce qui concerne le secret professionnel de l’avocat emportait renonciation à ce privilège. L’intimé affirmait que certains des documents correspondant aux demandes de communication étaient visés par le secret professionnel de l’avocat, mais elle a communiqué ces mêmes documents en réponse à d’autres demandes de communication sans revendiquer de privilège. La Cour fédérale a conclu (au paragraphe 47) qu’en droit, une renonciation ne s’appliquerait pas. Elle a ajouté qu’en tout état de cause, plusieurs des documents visés par la question avaient été communiqués à l’audience.

 

[24]           La question est maintenant théorique. L’appelant a déjà obtenu ces documents en réponse à d’autres demandes et les a peut‑être aussi obtenus lors de l’audience devant la Cour fédérale. Il n’y a rien dans le dossier ou dans les observations qui ont été formulées qui permet de penser qu’il existe toujours un litige actuel ayant des incidences pratiques entre les parties au sujet de ces documents. Je tiens à ajouter que les documents dont dispose la Cour ne sont pas suffisants pour lui permettre de trancher ces questions. L’appelant a soulevé la question de façon générale, mais dans son avis d’appel et dans ses observations, il n’a pas précisé quels documents, s’il en est, étaient toujours en litige. Il n’a pas non plus précisé les circonstances de fait relatives à la renonciation de chaque document ou catégorie de documents. La transcription des débats, les recueils déposés par l’appelant et le mémoire de l’intimé ne jettent aucun éclairage sur la question. Comme il n’est pas nécessaire de le faire, je m’abstiens de formuler des commentaires sur la conclusion de droit de la Cour fédérale suivant laquelle, en droit, la renonciation ne s’appliquerait pas au cas qui nous occupe.

 

(2)        La question de savoir si le Ministère a fait preuve de mauvaise foi ou s’est autrement mal conduit en s’acquittant des obligations que la Loi met à sa charge

 

[25]           L’appelant a soutenu, tant devant la Cour fédérale que devant notre Cour, que la décision de l’intimé avait été prise de mauvaise foi par des représentants de Sa Majesté qui ont beaucoup à perdre dans l’action civile en dommages‑intérêts en instance qui a été intentée contre Sa Majesté pour fraude, complot, parjure et abus de pouvoir. Dans le même ordre d’idées, l’appelant soutient que la Loi obligeait l’intimé à lui divulguer les documents qu’on avait à tort refusé de lui communiquer dans le procès criminel, contrairement à l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, [1992] 1 W.W.R. 97.

 

[26]           La Cour fédérale a rejeté ces arguments. Elle a commencé par reconnaître qu’elle avait l’obligation de vérifier si l’intimé avait exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi et pour des raisons rationnelles en ce qui concerne les demandes de communication de l’appelant (au paragraphe 52). La Cour fédérale a signalé que l’appelant avait déjà soulevé sans succès à peu près les mêmes arguments (Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1253, 300 F.T.R. 273; R. c. Gateway Industries Ltd., 2002 MBQB 285, [2003] 2 W.W.R. 671 (une des décisions rendues dans la poursuite intentée contre l’appelant). La Cour fédérale a ajouté que l’appelant n’avait produit aucune preuve concrète au soutien de ses allégations de mauvaise foi et qu’il n’appartenait pas à la Cour fédérale de décider si le ministère public s’était acquitté de ses obligations en matière de communication dans le procès criminel.

 

[27]           Je souscris dans l’ensemble aux motifs de la Cour fédérale sur cette question. S’agissant de savoir si l’intimé a agi de mauvaise foi dans la façon dont il a donné suite aux demandes de communication de l’appelant, la Cour fédérale disposait d’éléments de preuve propres à justifier la conclusion à laquelle elle est arrivée. J’ajouterais que si l’intimé agissait de mauvaise foi au sujet des demandes de communication de l’appelant, le Commissariat s’en serait probablement rendu compte au cours des cinq ans qu’a duré son enquête et il aurait condamné cette conduite dans son rapport d’enquête. Or, il ne l’a pas fait.

 

(3)        La question des documents manquants ou non traités et la question de savoir si l’appelant a obtenu tout ce à quoi il avait droit en vertu de la Loi

 

[28]           Tant devant la Cour fédérale que devant notre Cour, l’appelant a soutenu que l’intimé avait délibérément fait défaut de chercher et de traiter tous les documents qui correspondaient à sa demande de communication.

 

[29]           Bien qu’il n’existe pas le moindre élément de preuve qui permette de conclure à une inconduite délibérée de l’intimé, l’argument de l’appelant est renforcé jusqu’à un certain point par les conclusions du rapport d’enquête du Commissariat. Comme nous l’avons déjà signalé, le Commissariat a expliqué que [traduction] « de leur propre aveu, les fonctionnaires du ministère de la Justice ne peuvent pas garantir que tous les documents établis ont été conservés » et que le Commissariat n’avait pas pu [traduction] « dire avec certitude quels documents correspondaient, ou pouvaient correspondre, à [la] demande ». Le Commissariat a ajouté : [traduction] « [i]l nous est impossible de vous dire avec certitude que vous avez reçu tous les documents auxquels vous avez droit en vertu de la Loi ». Et il a conclu en assurant l’appelant qu’il avait fait [traduction] « tout ce qu’il était possible de faire pour trouver les documents pertinents et les examiner en vue de leur éventuelle communication ».

 

[30]           La Cour fédérale a rejeté l’argument de l’appelant, estimant que les efforts déployés par l’intimé et par le Commissariat étaient importants et qu’ils avaient fait tout ce qu’ils pouvaient pour trouver et pour produire les documents à l’appelant (au paragraphe 50) :

 

En dépit des affirmations du demandeur, les faits révèlent une autre réalité. Il se trouve que le défendeur s’est donné beaucoup de mal pour localiser et traiter tous les documents intéressant la demande d’accès, même s’il ne fut pas aussi prompt qu’il aurait dû l’être. Plusieurs consultations avec le Bureau régional de Winnipeg et d’autres ministères ont eu lieu afin de déterminer ce qui pouvait être communiqué. Le Bureau de l’AIPRP du ministère de la Justice a aussi établi des correspondances avec de nombreuses pages communiquées dans d’autres demandes d’accès ou par suite d’autres procédures judiciaires, et il a coopéré avec les enquêteurs du commissaire. Trois autres ensembles de documents ont donc été communiqués au demandeur entre 2002 et 2008, ce qui représentait environ 800 pages supplémentaires. Les documents n’ont pas tous été assemblés et communiqués d’emblée, mais les recherches et communications ultérieures ont fait que le demandeur s’est vu communiquer la plupart des renseignements auxquels il a droit. Il se peut fort bien que certains documents établis par le défendeur n’aient pas été conservés ou localisés, comme l’a admis le défendeur lui‑même. Mais je suis d’avis que tout ce qui pouvait humainement être fait pour donner suite à la demande d’accès du demandeur a été fait. Le commissaire lui‑même lui avait d’ailleurs écrit que son institution avait fait « tout ce qu’il était possible de faire pour trouver les documents pertinents et les examiner en vue de leur éventuelle communication » au demandeur, et il avait donc considéré que la plainte était réglée. Encore une fois, l’opinion réfléchie du commissaire est un facteur dont la Cour doit tenir compte dans la procédure de contrôle judiciaire.

 

 

 

[31]           Les conclusions de fait tirées par la Cour fédérale dans ce passage reposent principalement sur l’affidavit de Francine Farley. Bon nombre des affirmations contenues dans cet affidavit, en particulier les déclarations importantes qui figurent au paragraphe 25 de l’affidavit, ne sont pas fondées sur des faits dont l’auteure de l’affidavit avait une connaissance personnelle ou qu’elle avait personnellement vécus, mais uniquement sur un « examen du dossier ». Quant à la conclusion de la Cour fédérale suivant laquelle « tout ce qui pouvait humainement être fait pour donner suite à la demande d’accès [de l’appelant] a été fait », un autre juge de la Cour qui aurait examiné les éléments de preuve plutôt brefs et généraux contenus dans cet affidavit aurait pu tirer cette conclusion avec moins de certitude ou aurait pu arriver à une conclusion différente.

 

[32]           Il s’agit toutefois de l’appel d’un jugement portant sur une demande de contrôle judiciaire. En pareil cas, notre Cour n’est pas autorisée à apprécier de nouveau la preuve ou à juger de nouveau les faits. Notre Cour ne peut intervenir pour le simple motif qu’un autre juge aurait pu tirer des conclusions de fait différentes au vu de la preuve. Le critère minimal que notre Cour doit respecter pour pouvoir intervenir est beaucoup plus exigeant (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33).

 

[33]           Notre Cour doit accepter les faits tels que la Cour fédérale les a constatés, à moins que l’appelant ne démontre qu’elle a commis une erreur manifeste et dominante (Housen, précité). Parmi les exemples d’erreurs manifestes et dominantes, mentionnons l’absence totale d’éléments de preuve appuyant une conclusion de fait ou l’existence d’une conclusion de fait qui ne pouvait logiquement ou rationnellement être tirée d’après la preuve contenue au dossier (H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25).

 

[34]           L’appelant n’a pas démontré que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante. La Cour fédérale disposait d’éléments de preuve qui lui permettaient de conclure que l’intimé s’était conformé à ses obligations de rechercher, examiner, évaluer et produire les documents disponibles qui pouvaient être communiqués.

 

[35]           Il est vrai que, dans son rapport d’enquête, le Commissariat a conclu que des documents étaient manquants et qu’il avait du mal à déterminer avec certitude quels documents correspondaient ou pouvaient correspondre à la demande de communication. Il ne s’agit pas nécessairement d’éléments de preuve qui démontrent que l’intimé manquait aux obligations que la Loi mettait à sa charge. Il faut se rappeler que, comme il est mentionné aux paragraphes 4 et 5, la présente affaire était très complexe et posait de multiples problèmes et qu’elle comportait 67 demandes d’accès à l’information qui avaient donné lieu à l’examen de dizaines de milliers de pages de documents situés à divers endroits, notamment dans des dossiers judiciaires confidentiels. De plus, comme la Cour fédérale l’a fait observer, un des importants éléments de preuve dont elle disposait était le rapport d’enquête du Commissariat, un organisme indépendant et impartial, qui avait fait enquête sur cette affaire pendant environ cinq ans. Ce rapport mérite qu’on lui accorde un poids considérable (Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2005 CAF 405, 344 N.R. 184, au paragraphe 12). Comme nous l’avons déjà mentionné, le Commissariat a lui‑même signalé qu’il avait fait [traduction] « tout ce qu’il était possible de faire pour trouver les documents pertinents et les examiner en vue de leur éventuelle communication » à l’appelant. Enfin, l’appelant a contre‑interrogé Mme Farley au sujet de son affidavit et une transcription de ce contre‑interrogatoire a été soumise à la Cour fédérale et à notre Cour. Ce contre‑interrogatoire ne révélait aucun cas de non‑conformité dont la Cour fédérale devait tenir compte.

 

[36]           J’ajouterais que, pour tirer ses conclusions de fait sur le fondement de la preuve, la Cour fédérale était consciente de l’importance des droits conférés à l’appelant par la Loi. Dès le début de ses motifs (aux paragraphes 23 à 25), elle a rappelé à juste titre que l’un des objets de la Loi, aux termes de son paragraphe 2(1), « est de conférer au public un droit d’accès à l’information contenue dans les documents de l’administration » et qu’il convient de faciliter, et non de contrecarrer, l’exercice de ce droit dans les limites de la loi (Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, 148 D.L.R. (4th) 385, aux paragraphes 59 à 63). La Cour fédérale a évalué les arguments de l’appelant en tenant dûment compte de ces considérations, mais, sans commettre d’erreur de droit, elle les a rejetés, après avoir examiné de façon rationnelle les éléments de preuve contenus au dossier.

 

(4)        Questions relatives aux dépens

 

[37]           Devant la Cour fédérale, l’appelant affirmait que l’intimé devait être condamné à une importante pénalité en raison de sa conduite odieuse. La Cour fédérale a rejeté l’argument de l’appelant et a plutôt condamné celui‑ci aux dépens, conformément à l’issue de la demande et à ses conclusions de fait. L’appelant interjette appel de cette adjudication des dépens.

 

[38]           Rien ne justifie de modifier la décision discrétionnaire que la Cour fédérale a rendue au sujet des dépens en se fondant sur les faits. À l’instar de la Cour fédérale, j’ordonnerais également dans le présent appel que les dépens suivent l’issue de la cause.

 

 

 

D.        Dispositif proposé

 

[39]           Par conséquent, pour les motifs qui ont été exposés, je suis d’avis de rejeter l’appel, le tout avec dépens.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

 

« Je suis d’accord.

     Pierre Blais, j.c. »

 

« Je suis d’accord.

     Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑519‑09

 

 

INTITULÉ :                                                   SHELDON BLANK c.
MINISTRE DE LA JUSTICE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 23 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 8 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sheldon Blank

AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

Dhara Drew

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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