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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100708

Dossier : A-351-09

 

Référence : 2010 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON            

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

MERCHANT LAW GROUP, STEVENSON LAW OFFICE,

ANNE BAWTINHIMER, DUANE HEWSON,

JUDITH LEWIS, et MARCEL WOLF

 

appelants

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 22 juin 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                          LA JUGE DAWSON

                                                                                                                                                           

 

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100708

Dossier : A-351-09

 

Référence : 2010 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE DAWSON            

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

MERCHANT LAW GROUP, STEVENSON LAW OFFICE,

ANNE BAWTINHIMER, DUANE HEWSON,

JUDITH LEWIS, et MARCEL WOLF

 

appelants

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance rendue par le juge Kelen de la Cour fédérale : 2009 CF 755. La Cour fédérale a radié la déclaration modifiée des appelants pour absence de cause d’action pouvant être retenue et pour ne pas avoir plaidé, notamment, de faits substantiels. La présente Cour doit trancher la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur de droit en radiant la déclaration modifiée.

 

A.        Contexte

 

[2]               Il s’agit d’un projet de recours collectif. Les appelants sont deux cabinets d’avocats et quatre de leurs clients. Les appelants soutiennent que l’Agence du revenu du Canada, intimée, n’aurait pas dû obliger les cabinets d’avocats appelants à percevoir ou à rembourser la TPS sur des débours exonérés facturés à leurs clients. Ils cherchent à obtenir le remboursement de la TPS qui n’aurait pas dû être payée par les cabinets d’avocats et leurs clients.

 

[3]               Dans une affaire connexe, la Cour canadienne de l’impôt a déjà tranché la question de l’assujettissement à la TPS dans Merchant Law Group c. Canada, 2008 CCI 337. La Cour canadienne de l’impôt a conclu que Merchant Law Group, un des appelants dans le présent appel, agissait à titre de mandataire pour ses clients concernant tous les débours en cause, à l’exception des frais de bureau, et qu’il n’avait pas à percevoir ou à rembourser la TPS pour ces débours. Notre Cour a pris le jugement en délibéré dans un appel interjeté à l’encontre de cette décision : A-443-08.

 

[4]               La déclaration modifiée avance deux causes d’action : le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique et la restitution ou « somme reçue injustement ». Davantage de détails seront fournis plus loin dans les présents motifs sur la façon dont les appelants ont plaidé ces causes d’action.

 

[5]               Dans ses motifs, le juge Kelen de la Cour fédérale a radié la déclaration modifiée. Selon lui, trois objections étaient fatales à la déclaration modifiée :

 

(i)         L’objection concernant la cause d’action en restitution. La cause d’action en restitution, ou pour « somme perçue injustement », reconnue en common law ne peut être invoquée en l’espèce. La partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la Loi), établit un régime en vertu duquel des compensations peuvent être obtenues et qui exclut toutes causes d’action fondées sur la common law dans ces circonstances.

 

(ii)        L’objection concernant la compétence. Les appelants ont porté l’affaire devant la Cour fédérale. La procédure, correctement qualifiée, est une réclamation pour TPS perçue et payée injustement. Cependant, c’est la Cour canadienne de l’impôt – et non la Cour fédérale – qui a compétence exclusive pour entendre tous les appels en matière de recouvrement des sommes perçues au titre de la TPS.

 

(iii)       L’objection concernant les actes de procédure. Les appelants n’ont pas invoqué de faits substantiels suffisants pour faire valoir le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique.

[6]               En l’espèce, les appelants plaident que la décision de la Cour fédérale à l’égard des trois objections était erronée en droit. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord et je rejetterais l’appel, avec dépens.

 

B.        Examen des questions en appel

 

[7]               Notre Cour doit trancher deux questions principales :

(1)        Les appelants ont-ils plaidé des causes d’action valables?

(2)        Les faits substantiels plaidés sont-ils suffisants?

 

(1)        Les appelants ont-ils plaidé des causes d’action valables?

 

(a)        Les arguments des parties

 

[8]               Les appelants font valoir que la Cour fédérale a commis une erreur : les causes d’action invoquées ne sont pas exclues par la partie IX de la Loi. Selon eux, les deux causes d’action sont indépendantes et distinctes :

 

(i)         Délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. Les appelants font valoir qu’il s’agit d’une cause d’action reconnue depuis longtemps en common law. Pour ce délit, les appelants demandent des dommages-intérêts en raison du préjudice qui leur a été causé ainsi qu’au groupe : il ne s’agit pas seulement de dommages-intérêts compensatoires reliés au recouvrement de la TPS injustement perçue à leurs dépens, mais également de dommages-intérêts majorés et punitifs découlant du comportement dur et vengeur des intimés, ce qui inclut le harcèlement.

 

(ii)        Le droit d’intenter une action en restitution. Similairement, les appelants font valoir que cette cause d’action est indépendante et qu’elle est reconnue depuis longtemps en common law. Ils s’appuient également largement sur l’arrêt de la Cour suprême Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances), [2007] 1 R.C.S. 3, 2007 CSC 1. Ils font valoir que l’arrêt Kingstreet crée une cause d’action en restitution indépendante fondée sur un principe constitutionnel : la constitution oblige le gouvernement à restituer les impôts perçus injustement. Comme le délit est de nature constitutionnelle, il existe de manière indépendante et n’est pas affecté par la partie IX de la Loi.

 

[9]               Les intimés ne sont pas d’accord. Devant notre Cour, ils combinent l’objection de la Cour fédérale à l’égard de la cause d’action en restitution et l’objection fondée sur la compétence en un seul argument central. Les intimés soutiennent que la seule façon permise de recouvrer la TPS qui n’aurait pas dû être payée consiste à suivre les règles procédurales et les normes substantielles prévues à la Loi par le législateur. Tant l’action en restitution que l’action pour délit de faute dans l’exercice d’une charge publique ont pour seul but de recouvrer la TPS qui n’aurait pas dû être payée. Par conséquent, dans ces circonstances, les causes d’actions en restitution et pour délit de faute dans l’exercice d’une charge publique ne peuvent être invoquées et la déclaration modifiée devrait donc être radiée.

 

(b)        Analyse : les causes d’action sont-elles valables?

 

[10]           Je suis d’accord avec les motifs et la conclusion de la Cour fédérale. Les causes d’action invoquées dans le projet de recours collectif des appelants ne peuvent être retenues. Cette conclusion est fondée sur la validité de deux affirmations :

 

(i)         La seule façon permise de recouvrer la TPS qui n’aurait pas dû être payée est de saisir la Cour canadienne de l’impôt et de suivre les règles procédurales et les normes substantielles que le législateur a établies dans la partie IX de la Loi.

 

(ii)        Le recours collectif projeté des appelants, correctement qualifié, n’est rien de plus qu’une tentative de recouvrement de la TPS en contournant la Loi.

 

J’examinerai ces affirmations à tour de rôle.

 

(i)         La partie IX de la Loi comme unique recours pour recouvrer la TPS

 

[11]           La Cour fédérale a analysé cette question au moment de considérer le droit d’intenter une action en restitution. À mon avis, cette objection s’applique également au délit de faute dans l’exercice d’une charge publique : si le recouvrement de la TPS ne peut être obtenu qu’en vertu de la partie IX de la Loi, toutes les causes d’action poursuivies de manière non conforme à la Loi doivent être déclarées irrecevables.

 

[12]           La Cour fédérale a conclu que la cause d’action en restitution, reconnue en common law, a été exclue par l’article 312 de la Loi, dont la note marginale indique « droits de recouvrement créés par une loi », et le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2. Ces dispositions sont reproduites ci-dessous :

Droits de recouvrement créés par une loi

312. Sauf disposition contraire expresse dans la présente partie, dans la Loi sur les douanes ou dans la Loi sur la gestion des finances publiques, nul n’a le droit de recouvrer de l’argent versé à Sa Majesté au titre de la taxe, de la taxe nette, d’une pénalité, des intérêts ou d’un autre montant prévu par la présente partie ou qu’elle a pris en compte à ce titre.

Statutory recovery rights only

 

312. Except as specifically provided in this Part, the Customs Act or the Financial Administration Act, no person has a right to recover any money paid to Her Majesty as or on account of, or that has been taken into account by Her Majesty as, tax, net tax, penalty, interest or any other amount under this Part.

 

Compétence

 

12. (1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l’assurance-emploi, de la Loi de 2001 sur l’accise, de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers et de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’oeuvre, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

Jurisdiction

 

12. (1) The Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine references and appeals to the Court on matters arising under the Air Travellers Security Charge Act, the Canada Pension Plan, the Cultural Property Export and Import Act, Part V.1 of the Customs Act, the Employment Insurance Act, the Excise Act, 2001, Part IX of the Excise Tax Act, the Income Tax Act, the Old Age Security Act, the Petroleum and Gas Revenue Tax Act and the Softwood Lumber Products Export Charge Act, 2006 when references or appeals to the Court are provided for in those Acts.

 

 

[13]           À l’appui de sa conclusion selon laquelle la cause d’action en restitution, reconnue par la common law, ne peut être invoquée au vu de ces dispositions, la Cour fédérale s’est fondée sur Sorbara c. Canada (Attorney General), 2009 ONCA 506, 98 O.R. (3d) 673, où l’on a considéré la tentative d’un contribuable de recouvrer la TPS en intentant, devant la Cour canadienne de l’impôt, une action en restitution reconnue par la common law, plutôt que de suivre les règles procédurales et les dispositions de fond de la partie IX de la Loi.

 

[14]           Dans Sorbara, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué (au paragraphe 7) qu’une cour supérieure a compétence pour instruire toutes les déclarations fondées sur la common law à moins que [traduction] « cette compétence ne soit retirée de manière explicite et non équivoque par le législateur en conformité avec la constitution ». Cela vaut également pour la Cour fédérale, avec pour seule nuance (non substantielle en l’espèce) que la compétence de la Cour fédérale, un tribunal fédéral créé par la loi, est conférée par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et limitée par l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la partie IX de la Loi et l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt constituaient effectivement un retrait explicite et non équivoque de la compétence de la cour supérieure en conformité avec la constitution (aux paragraphes 9 et 11) :

[traduction] La Loi sur la taxe d’accise fournit un cadre législatif complet concernant la demande de remboursement de la TPS payée par un contribuable en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise. Ce cadre législatif établit également la procédure à suivre pour contester la validité de la cotisation établie par le ministre. Cette contestation se fait par voie d’avis d’opposition au ministre et, ultimement, d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

Les dispositions législatives considérées dans leur ensemble, en plus du libellé explicite de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, ne laissent aucun doute sur l’intention du législateur de donner compétence exclusive à la Cour canadienne de l’impôt pour instruire les demandes découlant de cotisations établies à l’égard de la TPS et les demandes des contribuables pour le remboursement de la TPS payée.

 

Par conséquent, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté la demande de recouvrement de la TPS du demandeur par voie d’action en restitution reconnue par la common law.

 

[15]           La Cour fédérale a estimé que la décision Sorbara était très convaincante et pertinente. Je suis d’accord.

 

[16]           La Cour fédérale s’est également considérée liée, à juste titre, par l’arrêt de la Cour suprême Canada c. Addison & Leyen Ltd., [2007] 2 R.C.S. 793, 2007 CSC 33. Dans cette affaire, un contribuable a essayé de contourner le système d’appels mis en place par le législateur en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour canadienne de l’impôt en déposant une demande de contrôle judiciaire. La Cour suprême a décidé que la demande ne pouvait pas être accueillie. Le contribuable devait chercher réparation au sein du système de cotisation et d’appel en matière fiscale que le législateur avait créé (au paragraphe 11) :

Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt

 

Cette interprétation définitive de la Cour suprême du Canada s’applique directement en l’espèce.

 

[17]           Comme la Cour fédérale l’a également fait remarquer, les termes de la loi jouent un rôle crucial. Le libellé de l’article 312 de la Loi est très précis : il écarte tout « droit de recouvrer de l’argent versé [au titre]… de la taxe » sauf disposition contraire de la partie IX de la Loi, la note marginale indique qu’il n’y a que les « [d]roits […] créés par une loi », et le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt prévoit que la Cour canadienne de l’impôt a compétence « exclusive » en ce qui concerne les affaires découlant de l’application de la partie IX de la Loi.

 

[18]           Ainsi qu’il ressort de ce qui précède, j’estime que la jurisprudence et les dispositions sur lesquelles la Cour fédérale s’est appuyée sont pertinentes et que son analyse y afférente est juste. Je conclus que la seule façon permise pour les appelants de recouvrer la TPS est de saisir la Cour canadienne de l’impôt et de suivre les règles procédurales et les normes substantielles énoncées à la partie IX de la Loi.

 

(ii)        L’arrêt Kingstreet

 

[19]           Comme je l’ai dit plus tôt, une partie importante des observations écrites et orales des appelants en l’espèce s’appuient sur l’arrêt Kingstreet, précité, de la Cour suprême du Canada. Les appelants plaident que l’arrêt Kingstreet a établi que le recouvrement de taxes perçues injustement est un droit constitutionnel et ils font valoir, contrairement à ce que j’ai conclu précédemment, qu’ils n’ont pas à se conformer à la procédure prévue à la partie IX de la Loi.

 

[20]           Je ne suis pas d’accord. D’un bout à l’autre de son jugement, la Cour suprême n’a traité que de la cause d’action en restitution, reconnue en common law, concernant des taxes ultra vires. À la première ligne de son analyse dans l’arrêt Kingstreet (au paragraphe 12), la Cour suprême du Canada a affirmé que la question à trancher portait sur « la possibilité d’invoquer les règles relatives à la restitution pour recouvrer des sommes perçues en vertu de dispositions législatives ultérieurement déclarées ultra vires ». Elle a répondu immédiatement à la question en disant que « d’une manière générale [les causes d’action en restitution] peuvent l’être ». Cependant, la Cour suprême a conclu (également au paragraphe 12) que « l’analyse axée sur l’enrichissement sans cause [se prêtait] mal aux questions que soulèvent les taxes ultra vires », et elle a plutôt élaboré une analyse fondée sur des principes constitutionnels. La Cour suprême a procédé ainsi parce que les contribuables ont utilisé « un recours relevant d’un droit constitutionnel » (au paragraphe 34). Dans Kingstreet, le droit était constitutionnel par nature parce que la disposition qui exigeait la perception de la taxe avait été déclarée inconstitutionnelle et ultra vires. Cependant, l’aspect constitutionnel dans cette affaire ne modifiait en rien la nature de la cause d’action, qui demeurait la restitution. Cela est confirmé par les observations faites par la Cour suprême à la fin de son analyse (au paragraphe 40) : la Cour suprême a clairement affirmé que la cause d’action dont elle était saisie demeurait ce qu’elle a appelé la « [r]estitution de taxes ultra vires ».

 

[21]           En résumé, dans l’arrêt Kingstreet, la Cour suprême n’a pas créé de nouvelle réparation constitutionnelle au caractère vague permettant de recouvrer la taxe établie en vertu d’une application ou d’une interprétation erronée d’une loi fiscale. Elle n’a certainement pas créé de nouvelle réparation constitutionnelle au caractère vague permettant aux contribuables lésés de contourner tous les régimes législatifs en vigueur au pays qui régissent le recouvrement de taxes perçues en vertu d’une application ou d’une interprétation erronée d’une loi fiscale. Au contraire, la Cour suprême a fondé le recouvrement du contribuable sur la cause d’action en restitution, reconnue par la common law, changeant quelque peu l’analyse de manière à refléter le fait qu’une loi fiscale ultra vires était en cause.

 

[22]           Dans Sorbara, précité, la Cour d’appel a interprété l’arrêt Kingstreet de la même façon. Elle a conclu que Kingstreet ne créait pas de droit constitutionnel permettant aux contribuables de recouvrer les taxes perçues en raison d’une application ou d’une interprétation erronée d’une loi fiscale. Elle a conclu qu’un tel recouvrement devait être recherché en conformité avec les dispositions applicables. Je suis d’accord. Puisque la déclaration des appelants ne vise pas le recouvrement de la TPS en vertu d’une disposition ultra vires, l’arrêt Kingstreet ne s’applique pas.

 

(iii)       La qualification appropriée du recours collectif projeté des appelants

 

[23]           Aux paragraphes 11 à 18, ci-dessus, j’ai conclu que seule la Cour canadienne de l’impôt a compétence en matière de recouvrement de la TPS, suivant la partie IX de la Loi. Il faut maintenant considérer si c’est ce que se proposent de faire les appelants par le projet de recours collectif. Le recours collectif projeté n’est-il qu’une tentative de recouvrement de la TPS en dehors du champ de la partie IX de la Loi, et donc irrecevable? Est-il approprié de le caractériser comme quelque chose qui ne tombe pas sous le régime de la partie IX de la Loi et dont la Cour fédérale peut être saisie? À mon avis, le projet de recours collectif des appelants ne vise qu’à contourner la partie IX de la Loi pour recouvrer la TPS, ce qui le rend donc irrecevable.

 

[24]           On peut le démontrer en comparant les dommages-intérêts compensatoires que le recours collectif projeté cherche à obtenir à ceux qui pourraient être obtenus en vertu de la partie IX de la Loi. Les deux options sont les mêmes et visent seulement à récupérer la TPS :

 

(i)         Le redressement recherché en vertu du recours collectif projeté. Les cabinets d’avocats appelants ont payé la TPS et sont maintenant d’avis qu’ils n’avaient pas à le faire. Lorsqu’ils ont facturé les clients, ils ont inclus la TPS. Les appelants, qui comprennent des cabinets d’avocats et des clients, ont formé un projet de recours collectif contre les intimés dans le but de recouvrer les sommes payées pour la TPS. Ils veulent se retrouver dans la position où ils se seraient trouvés si la TPS n’avait jamais été exigée.

 

(ii)        Le redressement pouvant être demandé en vertu de la partie IX de la Loi. Les cabinets d’avocats auraient pu contester la cotisation établie par le ministre en vertu des procédures et des normes de la Loi et, en vérité, c’est exactement ce que Merchant Law Group a fait. Si la contestation est accueillie, les cotisations seront modifiées et toute TPS payée injustement sera remboursée aux cabinets d’avocats. Les cabinets d’avocats, à titre de fiduciaires, seraient alors obligés de rembourser intégralement leurs clients. Dans la mesure où ils ne le feraient pas, les clients ont le droit de demander le remboursement de la TPS payée en trop : article 261 de la Loi. Les appelants se trouveraient alors dans la position où ils se seraient trouvés si la TPS n’avait jamais été exigée.

 

[25]           Dans le cadre de leur recours collectif projeté, les appelants veulent également obtenir des dommages-intérêts majorés et punitifs. Ils affirment avoir droit à ces dommages-intérêts parce que le « gouvernement » a [traduction] « causé des dérangements importants et a harcelé les [cabinets d’avocats], ce qui a entraîné de la confusion, de la frustration, du désespoir et de la détresse dans le cadre de la fourniture des services juridiques » : déclaration modifiée, paragraphe 14. De plus, le gouvernement a bloqué les comptes de banque de l’appelant Merchant Law Group et [traduction] « a recouru aux poursuites, aux menaces, à la désinformation et à la persuasion pour recouvrer la TPS » : déclaration modifiée, paragraphes 15 à 17.

 

[26]           La demande de dommages-intérêts majorés et punitifs modifie-t-elle ma qualification du recours collectif projeté, à savoir qu’il s’agit d’une simple tentative de recouvrer la TPS en contournant la partie IX de la Loi? Je ne pense pas. Les appelants ne cherchent pas à obtenir des dommages‑intérêts compensatoires pour ce comportement allégué. Par conséquent, la qualification du recours collectif projeté demeure la même : il s’agit toujours d’une tentative de recouvrer la TPS en contournant la Loi, mais avec une pénalité additionnelle en raison du comportement des intimés.

[27]           Cette conclusion peut être testée. Si on considère la déclaration modifiée et qu’on écarte tout ce qui concerne le recouvrement de la TPS, il ne reste qu’une plainte de harcèlement, sans demande de dommages-intérêts compensatoires et sans faits substantiels ou renseignements suffisants qui établiraient une cause d’action valable. Ce test confirme que les dommages-intérêts majorés et punitifs figurant dans la demande des appelants ne sont que des enjolivures dans un acte de procédure n’ayant d’autre but que de recouvrer la TPS en contournant la partie IX de la Loi.

 

[28]           Je conclus donc que le projet de recours collectif des appelants, une fois correctement qualifié, est une tentative de contournement des procédures et des normes prévues par la Loi pour recouvrer la TPS, ce qui n’est pas permis. Par conséquent, les causes d’action invoquées à l’appui du projet de recours collectifs des appelants ne peuvent être retenues.

 

(2)        Les faits substantiels plaidés sont-ils suffisants?

 

[29]           Comme les causes d’action sur lesquelles se fonde le recours collectif projeté des appelants ne peuvent être retenues, il n’est pas nécessaire de considérer la question de savoir si l’acte de procédure des appelants est suffisant à l’égard du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. Mais une argumentation complète a été présentée à cet égard, la Cour fédérale a considéré et tranché la question et il s’agit d’une question d’importance générale. Par conséquent, j’estime qu’il est approprié de faire quelques commentaires sur la question.

 

[30]           La Cour fédérale a conclu que les appelants n’ont pas plaidé de faits substantiels suffisants concernant le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. Je suis d’accord.

 

[31]           L’article 174 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit que tout acte de procédure doit « [contenir] un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde ».

 

[32]           Au paragraphe 12 de la déclaration modifiée, les appelants ont plaidé le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique de la manière suivante :

 

[traduction] Depuis 1992, le gouvernement a effectué la perception en violation de la loi, des règlements et de ses propres politiques en étant pleinement conscient qu’il agissait illégalement et qu’il risquait de porter préjudice à cette catégorie de personnes. Plus particulièrement, le gouvernement a agi de mauvaise foi et a ignoré les publications P-182R, P-209 et autres documents d’interprétations et de politique dans le but de harceler le groupe des contribuables et de leur porter préjudice.

 

 

[33]           Le paragraphe 5 de la déclaration modifiée définit le « gouvernement » dans un sens très large. Le « gouvernement » est le procureur général du Canada, la totalité de l’Agence du revenu du Canada et, potentiellement, un large éventail de fonctionnaires publiques additionnels non identifiés : [traduction] « leurs employées, agents, et les autres ministères du gouvernement du Canada agissant à titre d’alter ego » du procureur général du Canada et de l’Agence du revenu du Canada.

 

[34]           Je suis d’accord avec l’observation de la Cour fédérale (au paragraphe 26) voulant que le paragraphe 12 de la déclaration modifiée [traduction] « contienne une série de conclusions ne fournissant aucun fait substantiel pour les appuyer ». Lorsqu’on plaide la mauvaise foi ou l’abus de pouvoir, il ne suffit pas d’utiliser des formulations laconiques et catégoriques telles que [traduction] « délibérément ou négligemment », « indifférence complète » ou « s’est procuré illégalement par le vol ou la fraude » : Zundel c. Canada, 2005 CF 1612, 144 A.C.W.S. (3d) 635; Vojic c. Canada (M.N.R.), [1987] 2 C.T.C. 203, 87 D.T.C. 5384 (C.A.F.). « La simple affirmation d'une conclusion sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer ne constitue pas une allégation d'un fait essentiel » : Canadian Olympic Association c. USA Hockey, Inc. (1997), 74 C.P.R. (3d) 348, 72 A.C.W.S. (3d) 346 (C.F. 1re inst.). Faire des déclarations laconiques ou catégoriques qui ne reposent sur aucun élément de preuve constitue un abus de procédure : AstraZeneca Canada Inc. c . Novopharm Limited, 2010 CAF 112, au paragraphe 5. Si l’exigence prévoyant qu’un acte de procédure doit contenir des faits substantiels ne figurait pas à l’article 174 des Règles ou si les tribunaux ne la faisaient pas respecter, les parties pourraient faire valoir les arguments les plus vagues sans aucun élément de preuve pour les étayer et lancer leur filet à l’aveuglette. Comme l’a affirmé notre Cour, « une action en justice n'est pas une enquête à l'aveuglette et une partie demanderesse qui intente des poursuites en se fondant sur le simple espoir qu'elles lui fourniront des preuves justifiant ses prétentions utilise les procédures de la Cour de façon abusive » : Kastner c. Painblanc (1994), 58 C.P.R. (3d) 502, 176 N.R. 68, au paragraphe 4 (C.A.F.).

 

[35]           J’ajouterais que le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique implique que le fonctionnaire public responsable de l’action contestée ait été dans un état mental particulier, c’est-à-dire qu’il doit avoir agi délibérément d’une manière qu’il savait incompatible avec les obligations propres à ses fonctions : Odhavji Estate c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, 2003 CSC 69, au paragraphe 28. Pour ce délit, des précisions doivent être fournies pour chaque allégation. L’article 181 exige explicitement que des précisions soient fournies pour les allégations d’« abus de confiance », de « manquements délibérés », d’« état mental d’une personne », d’« intention malicieuse » ou d’« intention frauduleuse ».

 

[36]           La Cour fédérale a également conclu (au paragraphe 23) que l’acte de procédure était insuffisant parce que la responsabilité civile de l’État découlait du fait d’autrui (voir l’article 10 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50), et donc que l’identité des individus particuliers accusés d’avoir commis le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique doit être révélée. Comme cela a été noté précédemment, en l’espèce les paragraphes 5 et 12 de la déclaration modifiée visent des ministères entiers et, potentiellement, d’autres ministères du gouvernement du Canada. L’acte de procédure n’identifie pas les fonctionnaires fautifs et ne donne aucun renseignement à cet effet.

 

[37]           Devant notre Cour, les intimés soutiennent que les demandeurs plaidant ce délit doivent toujours fournir le nom complet des personnes ayant commis la faute alléguée. J’estime qu’une telle exigence, si elle était appliquée dans tous les cas, imposerait parfois une obligation trop lourde aux demandeurs. De plus, cela irait au-delà du degré de précision nécessaire aux fins des actes de procédure dans les procédures civiles.

 

[38]           Je conviens cependant que les personnes impliquées devraient être identifiées. L’article 174 oblige le demandeur à plaider des faits substantiels, et l’identité de la personne ayant prétendument commis la faute entre dans cette catégorie. Mais jusqu’à quel point l’identification doit-elle être précise? Dans un grand nombre de cas, il peut être impossible pour le demandeur d’identifier un responsable en particulier. Cependant, dans les affaires de ce genre, un demandeur devrait être en mesure d’identifier un groupe de personnes en particulier chargés de l’affaire, l’un ou plusieurs d’entre eux étant présumément responsables. Cela peut nécessiter d’avoir à identifier les postes, un secteur organisationnel, un bureau ou un édifice où travaillaient les personnes ayant traité l’affaire. Souvent, ces informations peuvent être tirées directement des communications écrites ou orales et des échanges entre les parties qui ont donné lieu à la réclamation. Dans ce genre d’affaires, on peut généralement se contenter de fournir ce degré de précision pour l’identification. Les objectifs des actes de procédure seront ainsi remplis : les questions soulevées dans l’action seront définies avec suffisamment de précision, les défendeurs disposeront de suffisamment de renseignements pour examiner l’affaire et ils seront en mesure de présenter une réponse adéquate dans les délais prescrits par les Règles.

 

[39]           Les appelants soutiennent que selon l’article 69 de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, l’Agence n’est pas seulement responsable du fait d’autrui, mais qu’elle est plutôt directement responsable. Dès lors, ils soutiennent qu’ils n’avaient pas à donner de précisions sur l’identité des individus. Dans le contexte d’un délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, je ne suis pas d’accord. En ce qui concerne les procédures juridiques, l’article 69 prévoit que « l’Agence peut ester en justice sous son propre nom » concernant « les […] obligations qu’elle assume ». Cela signifie seulement que l’Agence est une entité qui peut être poursuivie. Cette disposition ne dispense pas les appelants de l’exigence de plaider des faits substantiels prévue par les Règles, ce qui inclut la nécessité d’identifier les personnes prétendument mêlées au délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, comme cela a été expliqué plus haut.

 

[40]           Enfin, les appelants soutiennent globalement que notre Cour devrait assouplir les règles de procédure lorsqu’elle est saisie d’un recours collectif projeté. Les appelants font valoir que toute lacune dans la déclaration modifiée peut être corrigée dans la requête en certification de l’action en tant que recours collectif. Dans le même ordre d’idée, les appelants soutiennent que la présente Cour ne devrait pas considérer l’acte de procédure tel qu’il a été rédigé, mais plutôt [traduction] « de la façon dont il pourrait être rédigé ». Les appelants n’invoquent aucune jurisprudence à l’appui de ces arguments. Je les rejette donc. Une requête en radiation peut être déposée à n’importe quel moment à l’encontre d’une déclaration dans un recours collectif projeté pour non-conformité aux règles de procédure ou parce que la déclaration ne soulève pas de cause d’action valable : Pearson c. Canada, 2008 CF 62, [2008] 4 R.C.F. 373, le protonotaire Aalto. L’ouverture d’un recours collectif projeté est une affaire très sérieuse qui peut affecter les droits d’un grand nombre des membres du groupe ainsi que les responsabilités et les intérêts des défendeurs. La conformité aux Règles n’est pas sans importance ou optionnelle, elle est en vérité obligatoire et essentielle.

 

[41]           Pour les motifs qui précèdent, je conviens avec la Cour fédérale que le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique est insuffisamment plaidé dans la déclaration modifiée et qu’il devrait également être radié pour ce motif.

 

C.        La requête

 

[42]           Lors de l’audition du présent appel, à la fin du contre-plaidoyer des appelants, l’avocat des appelants a soudainement présenté à la Cour une annotation manuscrite de la page 2 de la déclaration modifiée. Deux modifications y avaient été apportées : l’article 69 de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada figurait au paragraphe 2 de la déclaration modifiée et la définition de « gouvernement » figurant au paragraphe 5 de la déclaration modifiée avait été limitée au procureur général du Canada, à l’Agence du revenu du Canada et à deux employés identifiés de l’Agence du revenu du Canada. À la demande de l’avocat, notre Cour était disposée à accepter la page annotée à titre de requête en modification de la déclaration modifiée. Notre Cour a reçu des observations concernant la requête.

 

[43]           Je rejetterais la requête. L’avocat connaissait depuis longtemps les circonstances sous‑jacentes à cette requête impromptue. Les appelants n’ont offert aucune explication pour le retard. La fin du contre-plaidoyer dans un appel, longtemps après que la décision de première instance a été rendue, et longtemps après la signification d’un avis de requête en radiation d’un acte de procédure, n’est pas le moment approprié pour présenter une demande de modification : R. c. Brooks, 2010 SKCA 55, aux paragraphes 15 et 16. De plus, la Cour fédérale avait déjà radié l’acte de procédure et il n’y avait donc plus rien à modifier en l’espèce. Enfin, dans tous les cas, les modifications projetées, d’une nature très limitée, n’auraient pas permis de produire tous les faits substantiels nécessaires à la survie du présent acte de procédure.

 

D.        Conclusion proposée

 

[44]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, je rejetterais la requête et l’appel, avec dépens.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

     Pierre Blais j.c. »

 

« Je suis d’accord

     Eleanor R. Dawson j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-351-09

 

 

INTITULÉ :                                                                           Merchant Law Group, Stevenson Law Office, Anne Bawtinhimer, Duane Hewson, Judith Lewis et Marcel Wolf c. Agence du revenu du Canada et Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 22 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Stratas

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge en chef Blais

                                                                                                La juge Dawson

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 8 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

E.F. Anthony Merchant, c. r.

Casey Churko

POUR LES APPELANTS

 

 

Myra J. Yuzak

Naomi Goldstein

P. Tamara Sugunasiri

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group s.r.l.

Régina (Saskatchewan)

 

POUR LES APPELANTS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

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