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Date : 20100706

Dossier : A-216-09

Référence : 2010 CAF 176

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

INGREDIA S.A.

et

LES PRODUITS LAITIERS ADVIDIA INC.

 

appelantes

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

L’AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

intimées

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 20 mai 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20100706

Dossier : A-216-09

Référence : 2010 CAF 176

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

INGREDIA S.A.

et

LES PRODUITS LAITIERS ADVIDIA INC.

 

appelantes

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

L’AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre du jugement rendu par le juge Harrington, de la Cour fédérale, 2009 CF 389, en date du 24 avril 2009, par lequel le juge Harington (le juge) accueillait la requête présentée par les intimées afin d’obtenir un jugement sommaire et, en conséquence, a rejetait la déclaration des appelantes. Plus particulièrement, il concluait que l’action des appelantes était assujettie au paragraphe 106(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1, C‑52.6 (la Loi), et que, contrairement à cette disposition, elle n’avait pas été intentée dans un délai de trois mois « à compter du fait générateur du litige ».

 

[2]               Il est utile de résumer brièvement les faits afin de placer le présent appel dans son contexte.

 

[3]               L’appelante Ingredia S.A. (Ingredia) est une société française de production d’ingrédients laitiers comme des isolats de protéine de lait. L’autre appelante, Les produits laitiers Advidia Inc. (Advidia), est une filiale québécoise d’Ingredia qui s’occupe de la commercialisation des produits de celle‑ci au Canada. Cemma International Inc. (Cemma) est une société québécoise qui a agi comme consultante commerciale internationale et comme représentante des appelantes.

 

[4]               À l’époque pertinente, l’intimée l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) était l’organisme gouvernemental responsable de l’application et de l’exécution de la Loi et du Tarif des douanes. Dans le cadre de ses fonctions, l’ADRC a créé le Programme des décisions nationales des douanes (DND), un programme administratif dans le cadre duquel elle donne des indications sur la classification douanière qui devrait être utilisée lors de l’importation de marchandises au Canada.

 

[5]               Le 25 octobre 1999, Cemma a demandé, pour le compte du Groupe Lactel, un importateur potentiel d’isolats de protéine de lait produits par Ingredia et importés par Advidia, une DND concernant la classification du PROMILK 872A et du PROMILK 872B (les produits du lait) sous la position tarifaire 35.04.

 

[6]               Le 1er décembre 1999, l’ADRC a communiqué à Cemma une DND (la DND de 1999) indiquant que les produits du lait étaient des isolats de protéine de lait classés sous le numéro tarifaire 3502.20.00.00, à l’égard desquels des droits de 6,5 % devaient être payés.

 

[7]               À la perspective de payer des droits de 6,5 %, les appelantes sont allées de l’avant avec leur projet de commercialisation du PROMILK 872B au Canada.

 

[8]               Le 10 août 2001, l’ADRC a rendu, à la demande des appelantes, une DND modifiée (la DND de 2001) ayant pour effet de remplacer le bénéficiaire de la DND par Agropur Coopérative et Advidia. Dans les faits, il s’agissait d’une nouvelle DND rendue à l’intention d’Agropur.

 

[9]               Le 26 avril 2003, les intimées, par l’entremise de l’un de leurs agents, M. André Blais, un agent de la conformité et de la vérification en matière de douanes, ont annulé les avantages des DND de 1999 et de 2001 après avoir effectué une vérification de la conformité. Dans une nouvelle DND (la DND de 2003), M. Blais a placé le PROMILK 872B sous la position tarifaire 04.04, ce qui entraînait l’application de droits de 270 %.

 

[10]           Les appelantes ont fait valoir que l’annulation était une erreur et que l’ALAPRO 4900, un produit faisant concurrence au PROMILK 872B, avait été classé sous la position tarifaire 35.04 et était assujetti à des droits de 6,5 %.

 

[11]           Après avoir reçu l’information des agents de l’ASFC, Advidia a importé une certaine quantité de PROMILK 872B le 30 juin 2003. L’ADRC a placé l’importation sous la position tarifaire 04.04, conformément aux conclusions de M. Blais. Advidia a interjeté appel de cette classification auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE).

 

[12]           Le 8 mars 2005, le TCCE a accueilli l’appel et a statué que le PROMILK 872B devait être classé sous la position tarifaire 35.04.

 

[13]           Le commissaire de l’ADRC a interjeté appel de la décision du TCCE auprès de la Cour. Celle‑ci a rejeté l’appel le 31 janvier 2006.

 

[14]           Le 24 janvier 2006, soit une semaine avant que la Cour rejette l’appel du commissaire, plus de 16 mois après l’audience du TCCE et près de trois ans après la DND de 2003, les appelantes ont intenté une action en dommages-intérêts contre la Couronne en déposant une déclaration en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[15]           Le 12 novembre 2008, les intimées ont déposé un avis de requête en jugement sommaire afin d’obtenir le rejet de l’action des appelantes au motif que celle-ci était prescrite par le paragraphe 106(1) de la Loi et que, par ailleurs, elle ne soulevait aucune véritable question litigieuse.

 

[16]           Le 24 avril 2009, le juge a accueilli la requête des intimées et a rejeté l’action des appelantes. D’où le présent appel.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[17]           Le juge a commencé par analyser le fondement juridique de la responsabilité de la Couronne. Il a souligné, au paragraphe 16 de ses motifs, que « la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne doit trouver son fondement au sous-alinéa 3a)(i) [de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif], c’est-à-dire le dommage causé par la faute de ses préposés ».

 

[18]           Il a ensuite résumé, au paragraphe 17, les allégations faites par les appelantes contre la Couronne dans leur déclaration. Il a écrit :

[17]     Les demanderesses allèguent une multitude de fautes commises par les préposés de la Couronne, soit les agents des douanes. Pour n’en nommer que quelques‑unes : la DND a été modifiée en 2003 sans égard aux directives adoptées ni aux exigences légales et la modification a été faite de mauvaise foi; la décision a été prise sans égard à l’équité procédurale et au droit d’être entendu; il y a eu discrimination dans la mesure où un produit de la Nouvelle-Zélande, qui serait quasiment identique, a pu être importé sous un autre tarif, au détriment des demanderesses et à l’avantage de leurs concurrents; une importance injustifiée a été accordée à la position des Producteurs laitiers du Canada, qui se sont opposés à la première classification de PROMILK 872B (les Producteurs laitiers du Canada ont obtenu le statut d’intervenant devant le TCCE et la Cour d’appel fédérale); une importance injustifiée a été accordée à la position adoptée par le service des douanes des États-Unis, le United States Customs Service.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[19]           Le juge a ensuite exposé les moyens de défense de la Couronne aux paragraphes 18 à 20. Il a expliqué la position de la Couronne dans les termes suivants :

[19]     Enfin, l’action est frappée de prescription selon l’article 106 de la Loi sur les douanes, qui prévoit un délai de trois mois pour l’introduction d’actions contre les personnes des faits de qui la Couronne est responsable. Il est en outre soutenu que, selon les articles 10 et 24 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, la Couronne n’est pas responsable à moins que son préposé puisse être responsable et qu’elle peut faire valoir tout moyen de défense qui pourrait être invoqué dans une action contre cette personne, y compris la prescription.

 

[20]    La déclaration a été déposée le 24 janvier 2006. Selon la Couronne, le fait générateur se serait produit avant le 24 octobre 2003.

 

 

[20]           Après avoir examiné les principes applicables aux jugements sommaires, le juge s’est intéressé à la question de la prescription. Il a d’abord reproduit le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et l’article 106 de la Loi, ce qui l’a amené à dire que, si la disposition pertinente relative à la prescription se trouve dans une loi fédérale en particulier, le litige prend fin. Si ce n’est pas le cas, il faut déterminer si le fait générateur s’est produit dans une province. Si le fait générateur ne s’est pas produit dans une province, alors la prescription est de six ans. Le juge a ensuite ajouté que, si le fait générateur s’était produit au Québec – ce qui était le cas à son avis – le délai de prescription applicable serait de trois ans suivant l’article 2925 du Code civil du Québec. Il a conclu cette partie de son raisonnement en disant que, si l’article 106 de la Loi ne s’appliquait pas, l’action des appelantes n’était pas frappée de prescription. Au paragraphe 34 de ses motifs, il a indiqué que cela soulevait trois questions :

34.     […] Cela soulève trois questions :

a)         Si la présente action avait été introduite contre les agents qui ont mal interprété le Tarif des douanes, auraient‑ils pu invoquer la prescription de trois mois?

b)         Le cas échéant, la Couronne peut‑elle aussi invoquer la prescription?

c)         Le cas échéant, quand le délai de trois mois a‑t‑il commencé à courir?

 

 

[21]           Le juge s’est ensuite penché sur la première de ces questions : les préposés de la Couronne pouvaient-ils invoquer le délai de prescription de trois mois prévu au paragraphe 106(1)?

 

[22]           Il a d’abord examiné la prétention des appelantes selon laquelle l’article 106 s’applique seulement aux actes accomplis par les agents dans l’exercice des fonctions décrites à la partie VI de la Loi, intitulée « Contrôle d’application », et, en conséquence, comme la responsabilité de la Couronne en l’espèce découlait de la responsabilité du fait d’autrui en raison de la détermination négligente du tarif applicable en vertu de la partie III de la Loi, les agents négligents ne pourraient pas invoquer en défense l’article 106, qui se trouve dans la partie VI de la Loi.

 

[23]           Le juge a rejeté cette prétention. Selon lui, l’article 106 n’est pas limité aux actes accomplis par les agents dans l’exercice des fonctions qui leur sont conférées par la partie VI. Cet article s’applique plutôt à son avis à « tout acte accompli dans l’exercice des fonctions que lui confère la présente loi ou toute autre loi fédérale […] ». Il a conclu sur cette question en affirmant, au paragraphe 39 : « Selon mon interprétation de l’article 106, celui-ci s’applique à la responsabilité pouvant découler de l’application négligente du mauvais tarif. ».

 

[24]           Le juge a ensuite examiné la deuxième question : la Couronne pouvait‑elle invoquer le paragraphe 106(1)? Après avoir passé en revue les dispositions pertinentes de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50 (la LRCÉCA), ainsi que la jurisprudence pertinente, il a conclu que la Couronne pouvait invoquer la prescription.

 

[25]           Le juge s’est ensuite intéressé à la question de savoir à quel moment le délai de prescription de trois mois, prévu par le paragraphe 106(1), avait commencé à courir. Il a d’abord dit au paragraphe 44 :

[44]     La question suivante est de savoir quand le délai de trois mois a commencé à courir. En l’espèce, il n’est pas important d’établir si le temps a commencé à courir à partir de la modification de la DND ou à partir de l’imposition du mauvais tarif. Dans l’un ou l’autre cas, la déclaration aurait été déposée avec plus de deux ans de retard […]

 

 

[26]           Le juge a ensuite examiné la prétention des appelantes selon laquelle les dommages – l’un des trois éléments de leur action – étaient en cours et ne pouvaient pas être quantifiés avant le 24 janvier 2006, la date à laquelle elles ont intenté leur action en Cour fédérale. Il a rejeté cette prétention et a dit au paragraphe 45 :

[45]     […] les demanderesses savaient parfaitement qu’elles avaient subi ce qu’elles considèrent comme des dommages et avaient fait des calculs précis à cet égard bien avant d’intenter la poursuite. Les dommages étaient indéterminés et n’auraient été déterminés qu’au procès.

 

 

[27]           Le juge a aussi examiné la prétention des appelantes selon laquelle elles ignoraient qu’elles avaient une cause d’action jusqu’à ce que la Cour rejette l’appel interjeté par les intimées à l’encontre de la décision du TCCE, de sorte que le dépôt de leur déclaration le 24 janvier 2006 était prématuré. Le juge a rejeté cette prétention au paragraphe 46 de ses motifs :

[46]     […] Bien qu’il soit concevable que leurs chances de succès dans la présente action auraient été nulles si la Cour d’appel fédérale n’avait pas confirmé la décision du TCCE, cette procédure n’est pas une excuse pour ne pas introduire d’action. Si les demanderesses avaient continué l’importation, elles auraient eu à passer par la procédure de contrôle à chaque importation, même si la procédure concernant ces importations subséquentes aurait sans doute été administrativement suspendue.

 

 

 

ANALYSE

[28]           À mon avis, le juge a eu raison de statuer que le paragraphe 106(1) de la Loi était la disposition relative à la prescription qui s’appliquait et, en conséquence, que les appelantes devaient intenter leur action contre les intimées dans un délai de trois mois « à compter du fait générateur du litige ».

 

[29]           Compte tenu de la preuve dont nous disposons, je suis convaincu que les appelantes connaissaient tous les faits utiles à l’introduction de leur action plus de trois mois avant le 24 janvier 2006. Le fait générateur du litige ne s’est donc pas produit dans le délai prévu au paragraphe 106(1) de la Loi. J’arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

 

[30]           Je reproduis d’abord les dispositions pertinentes de la Loi, de la LRCÉCA et de la Loi sur les Cours fédérales :

Loi sur les douanes

 

2.  (1)

« agent » ou « agent des douanes » Toute personne affectée à l’exécution ou au contrôle d’application de la présente loi, du Tarif des douanes ou de la Loi sur les mesures spéciales d’importation; la présente définition s’applique aux membres de la Gendarmerie royale du Canada.

 

[…]

 

106. (1) Les actions contre l’agent, pour tout acte accompli dans l’exercice des fonctions que lui confère la présente loi ou toute autre loi fédérale, ou contre une personne requise de l’assister dans l’exercice de ces fonctions, se prescrivent par trois mois à compter du fait générateur du litige.

 

(2) Les actions en recouvrement de biens saisis, retenus ou placés sous garde ou en dépôt conformément à la présente loi, contre la Couronne, l’agent ou le détenteur de marchandises que l’agent lui a confiées, se prescrivent par trois mois à compter de celle des dates suivantes qui est postérieure à l’autre :

a) la date du fait générateur du litige;

 

 b) la date du règlement définitif de toute instance introduite en vertu de la présente loi au sujet des biens en cause.

 


(3) Lorsque dans deux actions distinctes, l’une intentée en vertu de la présente loi, l’autre non, des faits sensiblement identiques sont en cause, il y a suspension d’instance dans la seconde action, sur demande du ministre présentée à la juridiction saisie, jusqu’au règlement définitif de la première action.

 

 

 

 

 

LRCÉCA

 

3.  En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour :

a) dans la province de Québec :

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés,

 



b) dans les autres provinces :

(i) les délits civils commis par ses préposés,

 

[…]

 

 

10.  L’État ne peut être poursuivi, sur le fondement des sous-alinéas 3a)(i) ou b)(i), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu’il y a lieu en l’occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité contre leur auteur, ses représentants personnels ou sa succession.

 

 

[…]

 

24.  Dans des poursuites exercées contre lui, l’État peut faire valoir tout moyen de défense qui pourrait être invoqué :

a) devant un tribunal compétent dans une instance entre personnes;

 

 

b) devant la Cour fédérale dans le cadre d’une demande introductive.

 

 

 

[…]


32.
  Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

 

 

 

 

 

 

Loi sur les Cours fédérales

 

39.  (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

     (2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

 

 

Customs Act

 

2.  (1)

“officer” means a person employed in the administration or enforcement of this Act, the Customs Tariff or the Special Import Measures Act and includes any member of the Royal Canadian Mounted Police;

 

 

 

 

106. (1) No action or judicial proceeding shall be commenced against an officer for anything done in the performance of his duties under this or any other Act of Parliament or a person called on to assist an officer in the performance of such duties more than three months after the time when the cause of action or the subject-matter of the proceeding arose.

(2) No action or judicial proceeding shall be commenced against the Crown, an officer or any person in possession of goods under the authority of an officer for the recovery of anything seized, detained or held in custody or safe-keeping under this Act more than three months after the later of

(a) the time when the cause of action or the subject-matter of the proceeding arose, and

 (b) the final determination of the outcome of any action or proceeding taken under this Act in respect of the thing seized, detained or held in custody or safe-keeping.

(3) Where, in any action or judicial proceeding taken otherwise than under this Act, substantially the same facts are at issue as those that are at issue in an action or proceeding under this Act, the Minister may file a stay of proceedings with the body before whom that action or judicial proceeding is taken, and thereupon the proceedings before that body are stayed pending final determination of the outcome of the action or proceeding under this Act.

 

CLPA

 

3.  The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

(a) in the Province of Quebec, in respect of

(i) the damage caused by the fault of a servant of the Crown, …

 

(b) in any other province, in respect of

(i) a tort committed by a servant of the Crown, …

 

 

 

10.  No proceedings lie against the Crown by virtue of subparagraph 3(a)(i) or (b)(i) in respect of any act or omission of a servant of the Crown unless the act or omission would, apart from the provisions of this Act, have given rise to a cause of action for liability against that servant or the servant’s personal representative or succession.

 

 

24.  In any proceedings against the Crown, the Crown may raise

 

 

(a) any defence that would be available if the proceedings were a suit or an action between persons in a competent court; and

(b) any defence that would be available if the proceedings were by way of statement of claim in the Federal Court.

 


32.
Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

 

 

 

Federal Courts Act

 

39.  (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

     (2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

 

 

[31]           Le juge a d’abord déterminé que le paragraphe 106(1) de la Loi était la disposition relative à la prescription qui s’appliquait. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

 

[32]           L’article 32 de la LRCÉCA et l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales prévoient que, si le fait générateur survient dans une province, ce sont les règles de droit en matière de prescription de cette province qui s’appliquent. Si le fait générateur ne se produit pas dans une province, l’action doit être introduite dans un délai de six ans à compter du fait générateur. L’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit toutefois que, lorsque le délai de prescription applicable est prévu par une disposition d’une autre loi fédérale, c’est cette disposition qui s’applique. Quant à l’article 32 de la LRCÉCA, il précise que, lorsque le délai de prescription applicable est prévu par une disposition de cette loi ou « de toute autre loi fédérale », c’est cette disposition qui s’applique.

 

[33]           À mon avis, le délai de prescription qui s’applique en l’espèce est celui prévu au paragraphe 106(1) de la Loi. En effet, cette disposition fixe le délai de prescription applicable aux actions « contre l’agent, pour tout acte accompli dans l’exercice des fonctions que lui confère la présente loi ou toute autre loi fédérale ». Par conséquent, lorsqu’un fait générateur découle d’un acte ou d’une omission d’un agent, c.‑à‑d. une « personne affectée à l’exécution ou au contrôle d’application de la présente loi, du Tarif des douanes […] », pour tout acte accompli dans l’exercice de ses fonctions, l’action doit être intentée dans les trois mois suivant le fait générateur.

 

[34]           J’estime avec égards pour l’opinion contraire que la prétention des appelantes selon laquelle le paragraphe 106(1) s’applique seulement aux activités d’exécution prévues par la partie VI de la Loi est dénuée de fondement. Si on l’interprète correctement, la disposition ne peut être limitée aux activités d’exécution comme les appelantes le prétendent.

 

[35]           Le juge a aussi conclu que l’article 106 s’appliquait à la Couronne. En d’autres termes, il était d’avis que la Couronne avait le droit d’invoquer le paragraphe 106(1) à l’encontre de l’action des appelantes. Je ne vois non plus aucune raison de modifier cette conclusion.

 

[36]           Les sous-alinéas 3a)(i) et 3b)(i) et l’article 10 de la LRCÉCA sont clairs. Ils prévoient que la Couronne peut être tenue responsable du fait d’autrui si le demandeur peut démontrer que les dommages qu’il a subis résultent, au Québec, de la faute des préposés de la Couronne ou, dans les autres provinces, des délits civils commis par ceux‑ci. En outre, l’article 10 de la LRCÉCA prévoit que la Couronne ne peut être tenue responsable des actes ou des omissions de ses préposés que « lorsqu’il y a lieu en l’occurrence […] à une action en responsabilité contre leur auteur, ses représentants personnels ou sa succession ». Par conséquent, la Couronne peut être tenue responsable seulement lorsque l’un de ses préposés engage sa responsabilité.

 

[37]           Il s’ensuit donc nécessairement, à mon avis, qu’un agent, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi, qui est poursuivi en responsabilité peut se prévaloir du délai de prescription prévu au paragraphe 106(1) de la Loi. La Couronne peut invoquer ce moyen de défense en vertu de l’alinéa 24a) de la LRCÉCA, qui prévoit que la Couronne peut faire valoir « tout moyen de défense qui pourrait être invoqué devant un tribunal compétent dans une instance entre personnes ».

 

[38]           La Cour fédérale a adopté ce point de vue dans Gregory c. Canada (2002), 218 F.T.R. 287, une action intentée contre la Couronne où le paragraphe 106(1) était en cause. La Cour a déclaré, bien que de manière incidente, au paragraphe 43 :

43.    […] La défenderesse soutient qu’aucune cause d’action valable n’a été révélée parce que l’action a été engagée après le délai de prescription de 90 jours prévu à l’article 106 de la Loi sur les douanes. Cependant, si j’avais à trancher la question, j’aurais conclu que l’action est prescrite en raison du délai de prescription qui s’applique aussi bien aux gestes des douaniers qu’au ministère public qui se défend contre les allégations fondées sur la responsabilité du fait d’autrui.

 

 

[39]           En tirant sa conclusion, le juge n’a eu aucun problème à conclure qu’à toutes les époques pertinentes les préposés de la Couronne agissaient dans l’exercice des fonctions que leur conférait la Loi, de sorte que la Couronne pouvait invoquer l’article 106. Plus particulièrement, le juge a déclaré au paragraphe 37 de ses motifs que « le fait générateur résulte de la décision prise par l’agent des douanes en juillet 2003 de classer une certaine importation de PROMILK 872B sous le chapitre 4 plutôt que sous le chapitre 35 ». La conclusion tirée par le juge au paragraphe 37 devrait être lue en combinaison avec le paragraphe 17 de ses motifs, où il énumère les actes ou les omissions qui, selon les appelantes, étaient à l’origine des dommages. Par souci de commodité, je reproduis à nouveau le paragraphe 17 des motifs du juge :

[17]     Les demanderesses allèguent une multitude de fautes commises par les préposés de la Couronne, soit les agents des douanes. Pour n’en nommer que quelques‑unes : la DND a été modifiée en 2003 sans égard aux directives adoptées ni aux exigences légales et la modification a été faite de mauvaise foi; la décision a été prise sans égard à l’équité procédurale et au droit d’être entendu; il y a eu discrimination dans la mesure où un produit de la Nouvelle‑Zélande, qui serait quasiment identique, a pu être importé sous un autre tarif, au détriment des demanderesses et à l’avantage de leurs concurrents; une importance injustifiée a été accordée à la position des Producteurs laitiers du Canada, qui se sont opposés à la première classification de PROMILK 872B (les Producteurs laitiers du Canada ont obtenu le statut d’intervenant devant le TCCE et la Cour d’appel fédérale); une importance injustifiée a été accordée à la position adoptée par le service des douanes des États‑Unis, le United States Customs Service.

 

[40]           En d’autres termes, le juge a conclu que le fait générateur avait trait à l’accomplissement, par les agents, de leurs fonctions relatives à la classification tarifaire conformément à la partie III de la Loi. Étant donné que les DND et les autres questions relatives à la classification tarifaire des marchandises importées au Canada sont au cœur du mandat de l’ADRC, ces activités font clairement partie des fonctions des agents. M. André Blais, l’agent qui a effectué la vérification ayant mené à une modification de la DND, a déclaré dans son témoignage qu’il avait rendu la DND de 2003 dans l’exercice de ses fonctions d’agent de la conformité et de la vérification en matière de douanes.

 

[41]           Ainsi, il ne fait aucun doute, compte tenu de la preuve dont nous disposons, que les agents agissaient dans l’exercice de leurs fonctions, à savoir rendre et modifier des DND et trancher d’autres questions relatives à la classification tarifaire. Par conséquent, l’annulation et le remplacement des DND de 1999 et de 2001 et la classification tarifaire qui en a résulté par les agents ont été clairement effectués dans le cadre de l’application et de l’exécution de la Loi et, de ce fait, dans le cadre de l’exercice des fonctions de ces agents.

 

[42]           J’examinerai maintenant la dernière conclusion du juge. Ce dernier a déterminé à quel moment le délai de prescription a commencé à courir. Il a conclu que l’action des appelantes n’avait pas été introduite dans le délai prévu au paragraphe 106(1) de la Loi. À son avis, le délai avait commencé à courir plus de trois mois avant l’introduction de l’action des appelantes. Il a exprimé son opinion de la façon suivante au paragraphe 44 :

[44]    […] En l’espèce, il n’est pas important d’établir si le temps a commencé à courir à partir de la modification de la DND ou à partir de l’imposition du mauvais tarif. Dans l’un ou l’autre cas, la déclaration aurait été déposée avec plus de deux ans de retard […]

 

 

[43]           J’ai lu avec soin la nouvelle déclaration modifiée des appelantes datée du 26 août 2008 (qui comporte 183 paragraphes sur 51 pages), et j’arrive à la conclusion que le juge n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a déterminé que le fait générateur résultait « de la décision prise par l’agent des douanes en juillet 2003 de classer une certaine importation de PROMILK 872B sous le chapitre 4 plutôt que sous le chapitre 35 ». Je suis tout à fait d’accord avec les intimées lorsqu’elles affirment que les appelantes connaissaient déjà tous les faits nécessaires à l’introduction de leur action contre la Couronne lorsque le TCCE a rendu sa décision le 8 mars 2005. Les allégations contenues dans la nouvelle déclaration modifiée et la preuve dont nous disposons en l’espèce ne me laissent aucun doute à cet égard.

 

[44]           En ce qui concerne les prétentions des appelantes selon lesquelles les dommages étaient en cours et ne pouvaient être quantifiés avant le 24 janvier 2006, date à laquelle elles ont introduit leur action, et qu’elles ignoraient qu’il existait un fait générateur jusqu’à ce que la Cour rejette l’appel formé par les intimées à l’encontre de la décision du TCCE, je souscris entièrement aux motifs exposés par le juge pour les rejeter.

 

Décision

[45]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-216-09

 

INTITULÉ :                                                   INGREDIA ET AL. c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Le juge Nadon

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     Le juge Létourneau

                                                                        Le juge Pelletier

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 6 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Gottlieb

Laurier Beauchamp

 

POUR LES APPELANTES

 

Jean-Robert Noiseux

Andrew Gibbs

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gottlieb et associés

Montréal (Québec)

 

POUR LES APPELANTES

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES INTIMÉES

 

 

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