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Date : 20100621

Dossier : A‑199‑09

Référence : 2010 CAF 166

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA,

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER BURLINGTON NORTHERN SANTA FE,

PATERSON GRAIN, COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ et

MINISTRE DE L’INFRASTRUCTURE ET DES TRANSPORTS

POUR LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 mai 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE SEXTON

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20100621

Dossier : A‑199‑09

Référence : 2010 CAF 166

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA,

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER BURLINGTON NORTHERN SANTA FE,

PATERSON GRAIN, COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ et

MINISTRE DE L’INFRASTRUCTURE ET DES TRANSPORTS

POUR LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) interjette le présent appel de la décision no 35‑R‑2009 datée du 6 février 2009 (la décision) par laquelle l’Office des transports du Canada (OTC) a statué que la gare de triage de Fort Rouge de CN constituait un lieu de correspondance au sens de l’article 111 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi). L’effet de cette qualification est que l’échange de trafic entre CN et la Burlington Northern Santa Fe Railway Company (BNSF) à cet endroit constitue une interconnexion au sens de l’article 111 de la Loi. En conséquence, BNSF peut faire remorquer par CN son trafic destiné à Paterson Grain (cliente de BNSF) au tarif réglementé plutôt qu’au tarif commercial qui s’appliquerait autrement.

 

[2]               Le litige entre les deux compagnies de chemin de fer est survenu à la suite de changements que CN a apportés à ses installations dans la région de Winnipeg. Conformément à des ententes conclues entre leurs prédécesseurs en 1912 (l’entente sur les droits de circulation) et en 1913 (l’entente sur les voies de transbordement) (désignées ensemble, les ententes), CN et BNSF échangeaient du trafic sur deux voies situées dans la gare de triage F de CN. En 2003, CN a réorganisé ses voies dans la région de Winnipeg et, en conséquence, le trafic qui auparavant s’échangeait à la gare de triage F s’échangeait désormais à la gare de triage de Fort Rouge de CN, située 560 mètres plus loin sur la voie. Cela signifie que BNSF, qui bénéficie de droits de circulation, doit se déplacer sur une distance de 1,91 mille sur la voie de CN pour accéder à la gare de triage de Fort Rouge.

 

[3]               BNSF avait par le passé payé à CN des tarifs réglementés pour le remorquage de son trafic aux installations de ses clients (y compris celles de Paterson Grain) situées à l’intérieur d’une distance de 30 kilomètres de la gare de triage F, mais CN a tenté de négocier l’obtention d’un tarif commercial avec BNSF pour le remorquage de ce trafic à partir de la gare de triage de Fort Rouge. Devant l’incapacité des parties de s’entendre, CN a demandé à l’OTA de déterminer que l’échange de trafic entre les deux compagnies à la gare de triage de Fort Rouge ne constituait pas une interconnexion au sens de l’article 127 de la Loi, décision qui requérait de trancher la question préliminaire de savoir si un lieu de correspondance existait à la gare de triage de Fort Rouge. L’OTC a conclu qu’un lieu de correspondance existait et que le lieu de correspondance de la gare de triage de Fort Rouge constituait une interconnexion. CN interjette appel de cette décision, faisant valoir que l’OTC a commis des erreurs de droit en interprétant mal la définition du terme « lieu de correspondance » prévue par la Loi, en concluant que BNSF avait un droit de propriété sur la gare de triage de Fort Rouge de CN et, enfin, en concluant que CN était un « transporteur local » aux fins de l’article 127 de la Loi.

 

LA DÉCISION DE L’OTC

[4]               Après avoir pris connaissance des faits et des observations écrites des diverses parties, l’OTC a énoncé les dispositions législatives applicables, que je reproduis également :

« lieu de correspondance » Lieu où la ligne d’une compagnie de chemin de fer est raccordée avec celle d’une autre compagnie de chemin de fer et où des wagons chargés ou vides peuvent être garés jusqu’à livraison ou réception par cette autre compagnie.

 

« interconnexion » Le transfert du trafic des lignes d’une compagnie de chemin de fer à celles d’une autre compagnie de chemin de fer conformément aux règlements d’application de l’article 128.

 

127. (1) Si une ligne d’une compagnie de chemin de fer est raccordée à la ligne d’une autre compagnie de chemin de fer, l’une ou l’autre de ces compagnies, une administration municipale ou tout intéressé peut demander à l’Office d’ordonner l’interconnexion.

“interchange” means a place where the line of one railway company connects with the line of another railway company and where loaded or empty cars may be stored until delivered or received by the other railway company;

 

“interswitch” means to transfer traffic from the lines of one railway company to the lines of another railway company in accordance with regulations made under section 128;

 

 

127. (1) If a railway line of one railway company connects with a railway line of another railway company, an application for an interswitching order may be made to the Agency by either company, by a municipal government or by any other interested person.

 

 

 

[5]               Après avoir fait référence à la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la Loi, l’OTC s’est penché sur le contexte factuel et législatif des dispositions sur les interconnexions de la Loi. Il a conclu cet examen comme suit :

[63]   L’interconnexion du trafic entre les compagnies de chemin de fer est une réalité au Canada depuis le début des années 1900. Le concept de l’interconnexion visait à limiter la prolifération des lignes de chemin de fer dans les zones urbaines desservant les industries manufacturières, mais le fait de limiter le nombre de lignes de chemin de fer dans une région peut donner lieu à un service et des tarifs monopolistiques. On estimait que la capacité d’échanger ou d’interconnecter le trafic avec une ou plusieurs autres compagnies de chemin de fer dans certaines limites permettrait de réduire le contrôle exclusif sur le trafic.

 

[64]   Les dispositions d’interconnexion actuelles de la LTC visent à donner aux expéditeurs un meilleur accès à des services concurrentiels et à des prix connus à d’autres transporteurs dans les limites de l’interconnexion. Une interprétation de la loi pertinente devrait aller dans le sens de cet objectif.

 

Décision no 35‑R‑2009, aux paragraphes 63 et 64.

 

 

[6]               L’OTC a alors abordé la question préliminaire de savoir s’il existait un lieu de correspondance à la gare de triage de Fort Rouge. Il a noté l’argument de CN selon lequel la définition de lieu de correspondance comportait deux éléments qui doivent exister au même endroit, c’est‑à‑dire qu’il doit exister, d’une part, une interconnexion entre deux lignes de chemin de fer et, d’autre part, un endroit ayant la capacité de recevoir et de garer des wagons de l’une ou l’autre ligne jusqu’à ce qu’ils soient pris par l’autre ligne de chemin de fer. Comme le lieu où les lignes de CN et de BNSF sont raccordées se trouve à une distance de 1,9 mille du lieu où les wagons sont garés jusqu’à ce qu’ils soient pris par l’autre compagnie de chemin de fer, CN soutenait qu’il n’y avait pas de lieu de correspondance.

 

[7]               L’OTC a rejeté l’argument de CN, concluant que le mot « lieu » avait un sens large et qu’il pouvait s’agir d’une zone qui comprenait un lieu où les lignes de deux chemins de fer sont raccordées ainsi qu’un lieu où les wagons sont garés jusqu’à qu’ils soient retirés. L’OTC a conclu qu’il n’était pas nécessaire que les deux éléments se trouvent exactement au même endroit. Il a fait observer qu’il n’existait pas deux configurations de gare de triage ou de voies semblables de sorte qu’« il pourrait être pratiquement impossible d’avoir des installations en place pour y garer des wagons au point de connexion de deux lignes de chemin de fer » (décision no 35‑R‑2009, au paragraphe 77).

 

[8]               L’OTC a souligné que le changement des circonstances qui a donné lieu à la demande, soit le fait que BNSF doit désormais se déplacer sur une plus grande distance sur les voies de CN pour atteindre les installations de garage, résultait de la décision de CN de déplacer l’emplacement de ces installations.

 

[9]               En ce qui concerne l’interconnexion, l’OTC a noté que la définition donnée dans la Loi requiert que le trafic soit transféré des lignes d’un chemin de fer à celles d’une autre compagnie de chemin de fer. Comme la gare de triage de Fort Rouge est apparemment entièrement constituée de voies de CN, la question était de savoir s’il y avait effectivement un transfert aux lignes d’un autre chemin de fer.

 

[10]           L’OTC a traité de cette question en renvoyant à l’entente de voies de transbordement de 1913, laquelle lie tant CN que BNSF. [Bien que l’entente, qui a été rédigée avant la constitution de CN et de BNSF, désigne leurs prédécesseurs, par souci de simplicité, je traiterai de l’entente comme si elle renvoyait aux parties à la présente instance.] L’OTC a indiqué que l’entente prévoyait la construction de deux voies à la gare de triage F de CN, une pour la livraison du trafic de CN à BNSF et l’autre pour la livraison du trafic de BNSF à CN. Il était stipulé dans l’entente que, une fois terminée la construction des deux voies, BNSF devait payer à CN la moitié des coûts de la construction. BNSF convenait aussi de rembourser à CN la moitié des coûts d’entretien des deux lignes. De plus, BNSF convenait de verser à CN une somme annuelle égale à la moitié de la valeur locative du terrain sur lequel les voies étaient construites. À la dissolution de l’entente, BNSF avait droit à la moitié du matériel utilisé lors de la construction des voies ou à un montant égal à la valeur après amortissement de ce matériel.

 

[11]           L’entente prévoyait aussi que CN pourrait, en tout temps, changer ou modifier l’emplacement ou la construction des voies de transfert à la condition qu’il le fasse à ses propres frais et que les nouvelles installations conviennent également à BNSF.

 

[12]           L’OTC a conclu que le « contexte opérationnel » qui existait à la gare de triage F de CN était maintenu à la gare de triage de Fort Rouge de CN. Il a statué que l’entente de voies de transbordement donnait à BNSF un droit de propriété sur la voie de transfert. L’OTC a cité l’une de ses décisions antérieures, la Décision relative au partenariat CNCP de l’Outaouais (décision no 798‑R‑1993) pour justifier la proposition selon laquelle lorsqu’une ligne de chemin de fer détenue en copropriété croisait toute autre ligne, y compris les lignes de l’un des copropriétaires, et qu’un emplacement pour garer les wagons existait en ce lieu, les exigences relatives à un lieu de correspondance étaient satisfaites. Cette décision étayait la conclusion de l’OTC selon laquelle, en l’espèce, BNSF avait un droit de propriété suffisant sur la voie de transfert à la gare de triage de Fort Rouge pour avoir une ligne de chemin de fer aux fins des dispositions sur les interconnexions de la Loi.

 

[13]           L’OTC a également mentionné une autre de ses décisions, Celgar, décision no 439‑R‑1989, invoquée par CN pour étayer sa position. Dans cette affaire, un expéditeur avait demandé à l’OTC de déterminer si ses installations à Kraft (Colombie‑Britannique), situées à 45,1 milles plus loin sur la voie ferrée, devaient être considérées comme étant situées dans les limites d’interconnexion de Nelson (Colombie‑Britannique). La ligne de BNSF était raccordée à la ligne de la compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) à Troup Junction, à environ 8,9 milles de Nelson. BNSF avait accès à Nelson par la voie de CP en vertu d’une entente de droits de circulation. BNSF et CP échangeaient des wagons à Nelson depuis très longtemps; en fait, Nelson était mentionné comme un lieu de correspondance dans les publications de CP.

 

[14]           L’OTC a conclu qu’il n’y avait pas de lieu de correspondance à Nelson parce qu’il n’y avait pas de raccordement des lignes de deux chemins de fer à cet endroit. Il y avait un raccordement à Troup Junction, mais il n’y avait aucune installation pour garer et échanger des wagons à cet endroit, alors qu’il y en avait à Nelson, et il n’y avait pas de lignes d’une compagnie de chemin de fer qui étaient raccordées à celles d’une autre compagnie. Il en résultait qu’il n’y avait pas de lieu de correspondance à Nelson et, par conséquent, qu’il n’était pas possible de considérer les installations de l’expéditeur comme étant situées dans le rayon prévu par la Loi.

 

[15]           Selon l’OTC, l’affaire Celgar était différente du cas présent en raison de la proximité du lieu de correspondance et des gares de triage dans la présente affaire (1,9 mille) alors que cette distance était plus grande, soit 8,9 milles, dans Celgar. Il a noté, comme il l’avait fait antérieurement, que la législation n’exigeait pas que les lignes de raccordement et la gare de triage se trouvent exactement au même endroit.

 

[16]           CN a fait valoir un dernier argument devant l’OTC, soit que CN devait être un transporteur local au sens de la Loi pour qu’il y ait une interconnexion. CN a soutenu qu’il n’était pas un transporteur local parce qu’il ne pouvait pas atteindre les installations de Paterson Grain en se servant exclusivement de ses propres lignes. Il devait utiliser la ligne de CP pendant une partie du voyage, ce qui signifiait qu’il ne disposait pas d’un « parcours continu » jusqu’aux installations de Paterson. L’OTC a rejeté cet argument en faisant remarquer que, bien que la définition de transporteur local soit pertinente aux fins des dispositions sur les prix de ligne concurrentiels de la Loi, elle ne l’était pas aux fins de dispositions sur les interconnexions, qui portent sur un problème différent.

 

[17]           En dernière analyse, l’OTC a conclu qu’il existait un lieu de correspondance entre CN et BNSF puisqu’il existait un endroit où les deux lignes de chemin de fer étaient raccordées et où des wagons chargés ou vides pouvaient être garés jusqu’à leur livraison ou leur réception. De plus, l’OTC a conclu que les clauses de l’entente de voies de transbordement de 1913 établissaient que BNSF avait une ligne de chemin de fer aux fins des dispositions relatives aux interconnexions de la Loi. En conséquence, l’OTC a statué que les activités ferroviaires entre BNSF et CN dans la zone de Portage Junction (initialement, gare de triage F, maintenant Fort Rouge) représentaient une interconnexion aux fins de l’article 127 de la Loi.

 

ÉNONCÉ DES QUESTIONS

[18]           Comme nous le disions plus haut, CN conteste la décision de l’OTC relativement à l’existence d’un lieu de correspondance. Il conteste également la conclusion de l’OTC selon laquelle BNSF a une ligne de chemin de fer à la gare de triage de Fort Rouge de sorte qu’une interconnexion peut avoir lieu entre les lignes de chemin de fer. Enfin, il conteste la conclusion de l’OTC selon laquelle le fait que CN n’est pas un transporteur local en ce qui concerne Paterson Grain n’est pas pertinent aux fins de déterminer s’il y a une interconnexion à la gare de triage de Fort Rouge.

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[19]           CN soutient que le présent appel prévu par la loi soulève des questions de droit et de compétence qui doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte. Il invoque un passage de la décision où l’OTC indique que l’interprétation de l’article 127 de la Loi repose sur un « processus d’interprétation juridique d’une disposition en matière de compétence de la loi constitutive de l’Office » : voir la décision au paragraphe 51. Je ne partage pas cet avis.

 

[20]           Il est généralement reconnu qu’il y a lieu de faire preuve d’une certaine retenue judiciaire lorsqu’un tribunal spécialisé interprète sa loi constitutive : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 54. En ce qui concerne l’OTC, la Cour suprême du Canada a statué que la déférence est de mise lorsqu’il applique les dispositions de la Loi, même lorsque la question ne se limite pas au domaine du transport et vise par exemple les droits de la personne.

98 [...] La Loi sur les transports au Canada est une loi de nature réglementaire hautement spécialisée qui est axée sur de solides considérations de politique générale. L’économie et l’objet de la Loi sont l’oxygène de l’Office. Lorsqu’il interprète la Loi, y compris ses éléments relatifs aux droits de la personne, l’Office est censé mettre à profit sa connaissance et son expérience de la politique des transports pour comprendre le mandat qui lui est confié par cette loi : Pushpanathan, par. 26.

 

[….]

 

100  L’Office est chargé d’interpréter ses propres dispositions législatives, y compris ce en quoi consiste cette responsabilité que lui confie la Loi. La décision qu’il a rendue comportait plusieurs parties, chacune d’elles relevant clairement et inextricablement de son domaine d’expertise et de son mandat. Elle commandait donc l’application d’une seule norme de contrôle faisant appel à la déférence.

 

Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, aux paragraphes 98 et 100

 

[21]           Quoique des questions touchant à la constitutionnalité continuent à appeler l’application de la norme de la décision correcte (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 59), rien dans le présent problème ne soulève une question touchant à la constitutionnalité. L’OTC a le droit d’interpréter et d’appliquer les définitions des termes « lieu de correspondance » et « interconnexion » et, dans la mesure où son interprétation est raisonnable, la Cour n’interviendra pas. La qualification de la question en litige par l’OTC comme ayant trait à la compétence ne lie pas davantage la Cour que le ferait son refus de reconnaître comme telle une question touchant à la constitutionnalité. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

Y a‑t‑il un lieu de correspondance?

[22]           CN a soutenu qu’il ne saurait y avoir de lieu de correspondance que si l’interconnexion entre les deux lignes de chemin de fer se trouvait dans le même lieu que la zone de garage où les wagons peuvent être garés jusqu’à leur livraison ou leur réception. En l’espèce, les deux lieux se trouvaient à une distance de 1,9 mille.

 

[23]           De l’avis de CN, un lieu de correspondance existe lorsque la zone de garage est accessible par chacune des compagnies de chemin de fer au moyen de ses propres voies et que le raccordement des lignes se trouve dans la zone de garage elle‑même. Quoique cela puisse en effet constituer un type de lieu de correspondance, peut‑être le type idéal, il ne s’agit aucunement de la seule possibilité. L’OTC l’a reconnu lorsqu’il a écrit sur la diversité des configurations des gares de triage. Comme l’OTC l’a fait remarquer, la seule exigence de la Loi est que les deux éléments se trouvent en un lieu. La question de savoir comment définir ce lieu relève de l’OTC.

 

[24]           CN soutient que la décision de l’OTC en l’espèce est incompatible avec sa décision dans l’affaire Celgar, dont il a été question précédemment. Je conviens qu’il n’y a pas de différence entre les deux décisions sur le plan de leur nature, mais il y a une différence quant à l’échelle. Deux éléments séparés par une distance de 1,9 mille peuvent être considérés comme un lieu tandis que deux éléments séparés par une distance de 8,9 milles peuvent ne pas l’être. Voilà précisément la sorte de distinction que l’OTC est le plus apte à faire et la Cour n’a pas à intervenir.

 

[25]           CN soutient que ce n’est pas la seule question litigieuse relativement à la décision Celgar. CN dit qu’il a été statué dans Celgar que les droits de circulation ne pouvaient pas créer un raccordement entre deux lignes de chemin de fer. Cette question a été soulevée du fait que le raccordement de CP à BNSF se trouvait à Troup Junction. Pour se rendre à Nelson, BNSF devait invoquer des droits de circulation sur les voies de CP. Le renvoi d’OTC aux droits de circulation avait été fait dans le contexte de la remarque selon laquelle il n’existait pas de lieu de raccordement à Nelson, seulement à Troup Junction. Dans la présente affaire, le lieu de raccordement et le lieu de garage se trouvent en un endroit où les deux éléments sont séparés par une distance de 1,9 mille. Le fait que BNSF exerce, à l’intérieur de cet endroit, des droits de circulation sur les voies de CN est sans importance.

 

BNSF a‑t‑il une ligne de chemin de fer à la gare de triage de Fort Rouge?

[26]           CN conteste la conclusion de l’OTC selon laquelle BNSF a, en vertu de l’entente de voies de transbordement de 1913, un droit de propriété suffisant sur la gare de triage de Fort Rouge pour avoir une ligne de chemin de fer à cet endroit, de sorte qu’il peut y avoir une interconnexion. Une interconnexion, rappelons‑le, consiste en le transfert du trafic d’une ligne de chemin de fer à une autre ligne. Si BNSF n’a pas de ligne de chemin de fer à la gare de triage de Fort Rouge, il ne peut y avoir d’interconnexion.

 

[27]           CN critique la conclusion de l’OTC selon laquelle une entente rédigée en 1913, avant que n’existe la gare de triage de Fort Rouge, puisse créer un droit de propriété sur ce terrain. Selon CN, l’entente de voies de transbordement n’est rien de plus qu’une entente de partage des coûts et elle ne confère pas, directement ou indirectement, à BNSF un droit de propriété sur le terrain dont CN est le propriétaire.

 

[28]           Je conviens avec CN que l’entente de voies de transbordement ne crée pas un droit de propriété sur le terrain de la nature d’un domaine en fief simple. Mais il est clair que l’entente reconnaissait bel et bien le droit de BNSF d’utiliser le terrain désigné aux fins indiquées et qu’il était stipulé que CN ne pouvait modifier ces droits qu’en fournissant un endroit où ces droits pourraient continuer d’être exercés. L’OTC n’avait pas à se prononcer sur le statut de ces droits au regard des lois du Manitoba relatives aux biens‑fonds de manière à conclure que l’utilisation de l’expression [traduction] « droit de propriété » est peut‑être fortuite. Ce que l’OTC devait trancher était la question de savoir si les droits de BNSF relativement à la gare de triage F et, par extension, la gare de triage Fort Rouge en vertu de l’entente sur les voies de transfert, étaient tels qu’ils permettaient de considérer des parties de ces gares de triage comme des parties de la ligne de chemin de fer de BNSF. L’OTC a estimé que oui.

 

[29]           Avant de parvenir à cette conclusion, l’OTC a fait référence à sa Décision relative au partenariat CNCP de l’Outaouais. CN soutient que l’OTC était tenu de conclure que BNSF avait un droit de propriété sur la gare de triage de Fort Rouge afin de satisfaire au critère qu’il avait énoncé dans cette décision. Mais lorsqu’on lit les extraits de la décision sur lesquels l’OTC s’est fondé, il est clair que la décision ne visait pas à épuiser toutes les possibilités. Le passage suivant, en particulier, est instructif :

L’Office est convaincu que le droit de propriété que chaque associé a sur la ligne du Partenariat permet de dire que chaque associé a une « ligne de chemin de fer » […]

 

Même s’il n’y a matériellement qu’une seule ligne de chemin de fer, ce sont les droits de propriété, de l’avis de l’Office, qui déterminent l’existence d’un lieu de correspondance dans le cas présent [...]

 

Décision, au paragraphe 101.

 

[30]           Selon CN, ce passage indique que seul un droit de propriété convient et, en conséquence, l’OTC s’est efforcé de trouver un droit de propriété là où il n’y en avait pas afin d’étayer la conclusion à laquelle il voulait parvenir. À mon avis, il est possible d’interpréter ce passage comme indiquant seulement qu’il peut y avoir différentes lignes de chemin de fer même lorsqu’il n’y a qu’une seule voie ferrée, selon les droits que les parties ont sur cette voie. En l’espèce, l’entente de voies de transbordement donnait clairement à BNSF quelque chose de plus que des droits de circulation sur la voie de CN. Il avait le droit d’utiliser certaines installations aux fins d’échanger des trafics avec CN. Ce droit n’était pas lié à un terrain particulier, mais aux aspects pratiques de la relation d’affaires que BNSF entretenait avec CN. L’OTC a conclu que ces droits étaient suffisants pour conclure que BNSF avait une ligne de chemin de fer dans la gare de triage de Fort Rouge. Je ne peux pas dire que cette conclusion ne peut pas être soutenue ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables : Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[31]           Il s’agit précisément du genre de conclusions que l’OTC est en mesure de tirer grâce à son expertise institutionnelle dans le domaine des chemins de fer et de l’exploitation des chemins de fer. Nous ne devons pas substituer notre propre avis à celui de l’OTC sur cette question qui touche de tellement près au cœur de son expertise.

 

CN est‑il un transporteur local relativement au trafic vers Paterson Grain?

[32]           CN soutient que, selon le régime de la Loi, une interconnexion ne pouvait avoir lieu que si CN se trouvait en position de livrer du trafic aux installations de Paterson en ne se servant que de ses propres lignes. Comme CN ne pouvait atteindre les installations de Paterson qu’en exerçant des droits de circulation sur la voie appartenant à CP, il soutient qu’il ne pouvait pas y avoir d’interconnexion.

 

[33]           J’estime que l’Office a traité à fond de cet argument dans ses motifs et je n’ai rien à ajouter.

 

CONCLUSION

[34]           À mon avis, le raisonnement suivi par l’OTC pour rejeter la demande dont il était saisi satisfaisait au critère énoncé par la Cour suprême quant à la justification, la transparence et l’intelligibilité : Dunsmuir, paragraphe 47. En conséquence, je suis d’avis de ne pas intervenir. Je rejetterais l’appel avec dépens en faveur de BNSF et je n’accorderais qu’un seul mémoire de dépens à Paterson Grain et à la Commission canadienne du blé.

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑199‑09

 

INTITULÉ :                                                   COMPAGNIE DES CHEMIN DE FER NATIONAUX DU CANADA et OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE SEXTON

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Harvey

POUR L’APPELANTE LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Inge Green

 

 

Ian S. Mackay

Jill K. Mulligan

 

 

Forrest C. Hume

Murray W. Froese

Jim Mclandress

 

POUR L’INTIMÉ L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

POUR L’INTIMÉE LA COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER BNSF

 

 

POUR LES INTIMÉES PETERSON GRAIN et LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services Juridiques de CN

Montréal (Québec)

POUR L’APPELANTE COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Direction des services juridiques

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

 

Compagnie de chemin de fer BNSF

Ottawa (Ontario)

 

Forrest C. Hume Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’INTIMÉ L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

POUR L’INTIMÉE LA COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER BNSF

 

POUR LES INTIMÉES PETERSON GRAIN et LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

 

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