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Date : 20100610

Dossier : A‑42‑09

Référence : 2010 CAF 156

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

DEBORAH ANN NEDELCU

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 mai 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 juin 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20100610

Dossier : A‑42‑09

Référence : 2010 CAF 156

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

DEBORAH ANN NEDELCU

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel formé à l’encontre d’une décision prononcée par le juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt) suivant la procédure informelle. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que Deborah Ann Nedelcu (l’appelante) n’avait pas droit à la somme de 23 406 $ qu’elle réclamait au titre de la prestation fiscale pour enfants pour les années 2003, 2004 et 2005 parce qu’elle ne résidait pas au Canada durant ces années.

 

[2]               L’appelante, qui est actuellement en Roumanie, a présenté une demande afin que son appel soit entendu par téléconférence. La demande a été refusée aux termes d’une directive du Juge en chef, le 17 mars 2010, et l’appel devait être entendu le 26 mai 2010 à Toronto. La demande sollicitant le réexamen de cette directive a été rejetée par le Juge en chef le 21 mai 2010. Le même jour, une autre directive informant les parties que, si l’appelante ne comparaissait pas à la date fixée, le tribunal statuerait sur l’appel en se fondant sur les observations écrites produites par les parties. Comme l’appelante n’a pas comparu, la Cour statue sur l’appel en se fondant sur les observations écrites formulées par les parties dans leur mémoire respectif.

 

LES FAITS

[3]               L’appelante est née en Zambie, Afrique, en 1964. Elle a déménagé au Canada en 1979 (vraisemblablement avec ses parents) et s’est établie à London (Ontario). En 1987, elle a déménagé à Toronto et a décroché un emploi à l’Université de Toronto. Elle y a rencontré son futur époux, Stefan Radu Barbu Nedelcu, qui était inscrit à cette même université.

 

[4]               Ils se sont mariés à Toronto en 1988. M. Nedelcu est né en Roumanie. Il est à la fois citoyen de la Roumanie et citoyen du Canada. Trois enfants sont nés de ce mariage à Toronto, en août 1990, en septembre 1991 et en janvier 1993. Un quatrième enfant est né en Roumanie en avril 1994.

 

[5]               En 1993, l’appelante a déménagé à Bucarest, Roumanie, avec son époux et ses enfants. M. Nedelcu est propriétaire d’un minibus et exploite une entreprise qui assure le transport de touristes et de groupes de voyageurs entre l’aéroport et leur hôtel respectif à Bucarest. Durant les années en litige, l’appelante et sa famille ont vécu dans la maison familiale que possédait M. Nedelcu à Bucarest et les enfants de l’appelante étaient inscrits à l’école roumaine.

 

[6]               L’appelante a expliqué que de 1993 à 2003, son statut juridique en Roumanie était celui de titulaire d’un visa renouvelable tous les six mois. À compter de 2003, ces visas lui ont été accordés pour une durée d’un an.

 

[7]               Bien que plusieurs membres de leur famille aient vécu au Canada, ni l’appelante ni son époux n’y avait d’intérêts commerciaux ou de biens immobiliers. L’appelante n’était membre d’aucune organisation sociale, récréative ou religieuse, ni d’aucune organisation professionnelle ou syndicat établi au Canada.

 

[8]               L’appelante recevait des prestations fiscales pour enfants depuis son départ du Canada en 1993. Son statut de résidente a fait l’objet d’un examen par Revenu Canada en 2000 et sa famille et elle ont alors été considérés comme des « résidents de fait » du Canada. Ce statut a de nouveau été confirmé en 2002. C’est pourquoi l’appelante a continué de produire ses déclarations annuelles pendant les trois années en cause et réclame le versement de la prestation fiscale à l’égard de ses quatre enfants au motif qu’elle résidait au Canada avec sa famille.

 

[9]               Par avis transmis en septembre 2006, le ministre du Revenu national (le ministre) a informé l’appelante qu’elle n’était plus considérée comme une résidente canadienne à compter de 2003, et ce jusqu’à 2005, et qu’elle n’avait donc plus droit aux prestations fiscales pour enfants réclamées pendant cette période.

 

[10]           L’appelante s’est opposée à ce changement de statut, faisant principalement valoir que tous les facteurs qui avaient permis de les rattacher, elle et sa famille, au Canada jusqu’en 2002 avaient continué d’exister au cours des années suivantes, de sorte que rien ne justifiait ce changement.

 

DÉCISION DU JUGE DE LA COUR DE L’IMPÔT

[11]           S’agissant de cette dernière affirmation, le juge de la Cour de l’impôt a indiqué qu’aucune préclusion n’était en cause en l’espèce et que le ministre pouvait adopter une position différente de celle adoptée dans le passé (motifs, par. 7). Il s’agissait donc de déterminer si l’appelante résidait au Canada au cours des années 2003, 2004 et 2005.

 

[12]           Pour ce faire, le juge de la Cour de l’impôt a appliqué le critère énoncé dans Thompson c. The Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209 (Thompson) et a conclu que, en fait, la Roumanie constituait le cadre spatial dans lequel l’appelante passait sa vie et où se rattachait son mode de vie ordonné ou coutumier (motifs, par. 16) :

 

Tous les enfants sont inscrits, et étaient inscrits pendant les années pertinentes, dans une école, en Roumanie, qu’ils fréquentent encore. Ils vivent tous en tant que famille chez le marie dans ce qui est de toute évidence la résidence familiale. Le mari exploite une entreprise en Roumanie et il a peu de liens ou il n’a pas de liens connus avec le Canada. À coup sûr, la Romanie est le cadre spatial dans lequel l’appelante passe sa vie et où se rattache son mode de vie ordonné ou coutumier.

 

[13]           Il a de plus conclu que, considérés à la lumière des autres circonstances pertinentes, les rares séjours que l’appelante a effectués au Canada pour y visiter sa famille ne permettaient pas d’accorder à l’appelante le statut de résident du Canada (motifs, par. 17):

 

[…] je conclus que l’appelante a séjourné ici, à l’occasion, pendant 50 jours peut‑être sur une période de 1 000 jours, soit la période pertinente aux fins qui nous occupent. L’appelante a des parents ici, mais elle n’y a pas de résidence, de biens ou moyens de subsistance, sauf pour la [prestation fiscale pour enfants]. L’appelante a déclaré ne pas savoir à quel moment elle reviendrait au Canada, mais elle aimerait que ses enfants fassent leurs études universitaires au Canada.

 

 

ERREUR ALLÉGUÉE

 

[14]           Au soutien de son appel, l’appelante fait valoir que la décision du juge de la Cour de l’impôt présente un certain nombre d’erreurs et d’omissions. Elle prétend d’abord que le juge a omis de traiter de sa double résidence (mémoire, p. 9, par. 1).

 

[15]           Elle affirme ensuite qu’il n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait produit de bonne foi ses déclarations d’impôt et qu’elle avait réclamé les prestations fiscales pour enfants pour les années 2000 à 2006 conformément à la conclusion que Revenu Canada avait tirée en 2000, à savoir qu’elle était résidente de fait du Canada (mémoire, p. 9, par. 2).

 

[16]           En troisième lieu, elle allègue qu’il n’a pas tenu compte du caractère rétroactif des cotisations, qui exigent le remboursement de prestations déjà versées pour la période de février 2004 à 2006 (mémoire, p. 9, par. 3).

 

[17]           Quatrièmement, elle soutient que le juge de la Cour de l’impôt s’est trompé en déterminant incorrectement la période visée par l’examen, en désignant de façon inexacte son lieu de naissance, en tirant des conclusions fondées sur des présomptions plutôt que sur le droit, en présumant de l’exactitude de la réponse du ministre, et en faisant fi du caractère temporaire de son statut en Roumanie (mémoire, p. 10, par. 4).

 

[18]           Cinquièmement, elle prétend que l’audition de l’appel par le juge de la Cour de l’impôt est entachée d’irrégularités. L’appelante s’appuie à cet égard sur un examen de la transcription qui, selon elle, démontre que le juge était distrait, inattentif, qu’il n’entendait pas bien et qu’il était mêlé. (mémoire, p. 11 et 12, par. 5)

 

ANALYSE ET DÉCISION

[19]           J’estime que le juge de la Cour de l’impôt a tranché la question de la résidence de l’appelante en appliquant le bon critère, et que la preuve étaye la conclusion à laquelle il est arrivé. Malgré les observations détaillées de l’appelante, je ne décèle aucune erreur dans la décision du juge de la Cour de l’impôt.

 

[20]           Contrairement à ce que l’appelante prétend, après avoir conclu que celle‑ci résidait en Roumanie (motifs, par. 15 et 16), le juge de la Cour de l’impôt n’était pas tenu d’aborder la notion de double résidence. Bien qu’une personne qui devient résidente d’un autre pays ne perde pas nécessairement son statut au Canada si elle y conserve des liens étroits, personnels et économiques, le juge de la Cour de l’impôt a de toute évidence estimé qu’aucun lien de cette nature n’avait été maintenu au Canada. Il lui était loisible de tirer cette conclusion compte tenu de la preuve.

 

[21]           Le fait que l’appelante ait cru de bonne foi qu’elle avait droit à des prestations fiscales pour enfants, comme elle le prétend, et que ces prestations lui aient été retirées rétroactivement n’est également d’aucune utilité pour elle. Comme l’a signalé le juge de la Cour de l’impôt, le ministre n’est pas lié par les cotisations qu’il a établies à l’égard des années antérieures, et de par sa nature même, une nouvelle cotisation a un effet rétroactif. Aucun contribuable ne peut présumer que ses affaires fiscales sont réglées définitivement jusqu’à ce que la période prévue par la loi pour l’établissement d’une nouvelle cotisation ait expiré.

 

[22]           En ce qui concerne les erreurs alléguées, l’appelante affirme que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas désigné correctement son lieu de naissance. Or, cette erreur n’a pas pu avoir d’incidence sur la décision à laquelle il est arrivé et est donc sans importance. Il en va de même pour ce qui est de l’allégation de l’appelante selon laquelle la période d’enquête a commencé en janvier 1994 et non en juillet 1994, comme l’a affirmé le juge de la Cour de l’impôt.

 

[23]           Dans la même veine, l’appelante allègue que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur lorsqu’il a dit que la règle relative au séjour est la seule condition à l’octroi du statut de résident (motifs, par. 2). Cependant, lorsqu’on lit le paragraphe dans son contexte, il devient évident que la déclaration en question est qu’à moins que l’appelante puisse établir qu’elle réside au Canada ou qu’elle satisfait à l’une des règles relatives à la présomption de résidence, comme celle du séjour de 183 jours, elle ne peut avoir gain de cause. Je ne vois là aucune erreur.

 

[24]           L’appelante fait valoir à juste titre que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas abordé la question de la nature temporaire de son statut en Roumanie. Cependant, comme elle vivait en Roumanie depuis presque 15 ans lorsque la Cour de l’impôt a instruit son appel, on peut comprendre pourquoi le juge n’a pas mis l’accent sur la nature « temporaire » de son statut.

 

[25]           Enfin, pour ce qui est des « irrégularités » qui auraient été commises au cours de l’audition de l’appel, j’ai soigneusement examiné la transcription de l’audience et ne vois aucune raison d’intervenir dans la décision du juge de la Cour de l’impôt.

 

[26]           Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

       Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

       Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑42‑09

 

(APPEL D’UN JUGEMENT PRONONCÉ ORALEMENT PAR MONSIEUR LE JUGE McARTHUR DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 8 AOÛT 2008, DOSSIER NO 2007‑4337(IT)I.)

 

INTITULÉ :                                                   DEBORAH ANN NEDELCU et
SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 26 mai 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE DAWSON

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Warren

Ronald MacPhee

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Deborah Ann Nedelcu

 

APPELANTE,
POUR SON PROPRE COMPTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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