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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100610

Dossier : A-627-08

Référence : 2010 CAF 151

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

9038-3746 QUÉBEC INC., 9014-5731 QUÉBEC INC.,

ADAM CERRELLI, CARMELO CERRELLI

appelants

et

MICROSOFT CORPORATION

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 7 juin 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 juin 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100610

Dossier : A-627-08

Référence : 2010 CAF 151

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

9038-3746 QUÉBEC INC., 9014-5731 QUÉBEC INC.,

ADAM CERRELLI, CARMELO CERRELLI

appelants

et

MICROSOFT CORPORATION

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige en appel

[1]               Carmelo Cerrelli (l’appelant) a plaidé coupable à deux accusations d’outrage au tribunal découlant d’actes différents survenus à deux dates différentes. Le premier acte reproché est survenu entre le 31 octobre 2006 et le 11 mai 2007 et le deuxième le 31 octobre 2007. Il s’agissait de la violation d’une injonction permanente prononcée contre l’appelant, ses sociétés et Adam Cerrelli. Les accusations énoncent ce qui suit :

[traduction]

a) avoir désobéi au paragraphe 13 du jugement rendu par le juge Harrington, en :

 

(i)      vendant 7 copies contrefaites de logiciels portant la marque de commerce MICROSOFT;

(ii)    en ayant en sa possession en vue de vente et de mise en circulation 545 unités de logiciels portant la marque de commerce MICROSOFT,

se rendant ainsi coupable de commercialisation frauduleuse, violation d’une marque de commerce et dépréciation de l’achalandage, en contravention des articles 7b), 7c) et 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce;

 

b)   avoir désobéi au paragraphe 12 du jugement rendu par le juge Harrington, en ayant en sa possession en vue de vente et de mise en circulation 88 unités de logiciels contrefaits, en contravention de l’alinéa 27(2)d) de la Loi sur le droit d’auteur.

 

 

[2]               L’appelant se pourvoit contre la légalité et la sévérité de la peine infligée par le juge Beaudry de la Cour fédérale (le juge). Celui-ci a ordonné à l’appelant de verser une amende de 50 000 $ pour chaque infraction, dans les 120 jours suivant la date de l’ordonnance, à défaut de quoi il était passible d’une peine d’emprisonnement de soixante (60) jours.

 

Les moyens d’appel de l’appelant

[3]               Dans ses observations écrites, l’appelant soutient que le juge :

 

a)      a exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’abstrait, en ne tenant pas compte des faits qui lui ont été soumis durant l’audience;

 

b)      a commis une erreur de fait en ne tenant pas compte de la situation financière de l’appelant;

 

c)      a infligé la peine en l’absence totale de preuve sur la mens rea de l’appelant;

 

d)      a mal interprété et mal appliqué les dispositions législatives et la jurisprudence que l’appelant a soumises conjointement avec l’intimée;

 

e)      a commis une erreur de principe lorsqu’il a pris en considération des faits et des situations similaires dans la détermination de la peine;

 

f)        a rendu une décision qui porte atteinte au droit à la liberté de l’appelant, garantie à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

 

 

La norme de contrôle applicable

[4]               La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. Elle a été établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500. La norme est ainsi résumée, au paragraphe 90 :

 

Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée.

 

 

[5]               Cette norme est applicable en l’espèce parce que, « dans les affaires d’outrage au tribunal, les principes ordinaires en matière de détermination de la peine s’appliquent » : voir Canada c. Canadian Liberty Net, [1996] 1 C.F. 787, à la page 801 (C.A.F.).

 

Le juge a‑t‑il infligé la peine en absence totale de la mens rea de l’appelant?

[6]               Ce moyen d’appel n’est pas fondé. L’appelant a plaidé coupable. Le plaidoyer de culpabilité est considéré comme une admission du fait que l’accusation est fondée en fait et en droit. L’accusé reconnaît que les éléments matériels et les éléments intentionnels de l’infraction reprochée étaient présents dans les actes commis : voir paragraphe 606(1.1) du Code criminel. Au stade du prononcé de la peine, l’appelant ne peut invoquer comme facteur atténuant qu’il n’avait pas la mens rea requise.

 

Le juge a‑t‑il commis des erreurs de principe, omis de prendre en considération un facteur pertinent ou insisté trop sur les facteurs pertinents?

 

[7]               Il n’est pas nécessaire de prendre en considération tous les moyens d’appel de l’appelant. Dans son ordonnance pour outrage au tribunal, le juge a énuméré les décisions, la preuve, les observations et la jurisprudence devant être prises en compte ainsi que les dispositions applicables aux circonstances de l’affaire, à savoir l’article 472 des Règles des Cours fédérales. Le juge a rendu jugement au moyen d’une brève ordonnance verbale où l’on ne retrouve aucune appréciation explicite des facteurs aggravants et atténuants et qui ne précise pas le poids qu’il leur a été accordé. Sans rejeter complètement la possibilité d’infliger une peine pour outrage au tribunal au moyen d’une ordonnance prononcée oralement, il aurait évidemment été plus utile que des motifs aient été donnés par écrit ou que l’ordonnance verbale ait été plus détaillée.

 

[8]               Quoi qu’il en soit, tous les documents dont disposait le juge nous ont été soumis et nous sommes en mesure de déterminer s’il lui était loisible d’infliger la peine en cause.

 

[9]               Pour ce qui est de la plainte de l’appelant selon laquelle, en infligeant une peine d’emprisonnement, le juge a mal interprété les dispositions législatives applicables dans le cas d’une première infraction, cette prétention n’a aucun fondement. Le juge n’a pas infligé une peine d’emprisonnement. Il a infligé des amendes.

 

[10]           De plus, il n’existe aucune règle ferme portant qu’une première infraction d’outrage au tribunal ne peut faire l’objet d’une peine d’emprisonnement. Comme l’a souligné le juge Harrington qui a délivré l’injonction permanente, l’appelant « s’est montré menteur et irrespectueux des lois à maintes et maintes occasions ». Son « comportement avant l’instance et au cours de celle-ci faisait fi de l’ordre public et le défaut de produire les documents appropriés, malgré l’ordonnance de la Cour, démontre la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question ».

 

[11]           Le juge Harrington a conclu également que l’appelant « ne s’est guère soucié de la vérité à l’étape de la communication préalable à l’instruction » et qu’il s’est conduit « de manière répréhensible, scandaleuse [et] outrageante ». Pour le juge Harrington, il était clair que l’appelant et ses sociétés « ont agi de mauvaise foi » et qu’ils « sont empêtrés dans un tissu de mensonges qui démontre amplement un profond manque de respect à l’égard des moyens de contrainte de la Cour ».

 

[12]           Les deux faits suivants démontrent que l’appelant a fait preuve d’un mépris total de la loi et qu’il y a eu outrage malveillant et égocentrique au tribunal.

 

[13]           La désobéissance de l’appelant à l’injonction permanente du tribunal est survenue après qu’il eut été condamné à verser des dommages-intérêts préétablis de 500 000 $ (solidairement avec les sociétés défenderesses), des dommages-intérêts punitifs de 100 000 $, 1 410 000 $ en dépens ainsi que l’équivalent en dollars canadiens de 175 715,23 $US.

 

[14]           De toute évidence, les sanctions pécuniaires n’ont pas constitué une dissuasion individuelle suffisante.

 

[15]           De plus, peu après la décision du juge Harrington, l’appelant a transféré son immeuble résidentiel à sa sœur pour le montant de 1 $ et celle-ci l’a transféré à son tour à la femme de l’appelant pour le montant de 750 000 $. Encore une fois, ce comportement de l’appelant fait preuve de son intention de contrer l’ordonnance de la Cour lui enjoignant de verser des dommages‑intérêts et des dépens à la défenderesse.

 

[16]           Le juge disposait de tous ces faits lorsqu’il a examiné la peine à infliger dans cette affaire. Ces faits tendent à démontrer que ce n’était pas la première fois que l’appelant contrevenait à une ordonnance judiciaire.

 

[17]           Compte tenu du stratagème de l’appelant de transférer son immeuble résidentiel pour se soustraire au paiement des dommages‑intérêts et contrer ainsi l’ordonnance de la Cour, il me semble déraisonnable qu’il soutienne maintenant que les amendes sont trop élevées et que le juge a omis de tenir compte de sa capacité de payer les amendes infligées.

Le caractère indiqué de la peine

[18]           L’outrage au tribunal constitue une infraction grave. Il s’agit d’une contestation de l’autorité judiciaire qui mine sa crédibilité et son efficacité ainsi que celles de l’administration de la justice. C’est une infraction encore plus grave lorsque, comme en l’espèce, les actes illicites sont motivés par la cupidité et qu’en plus de contester l’autorité judiciaire, ils constituent des violations de la loi, à savoir la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur le droit d’auteur.

 

[19]           La peine infligée dans des circonstances comme celles de la présente espèce doit être telle qu’elle puisse dissuader le contrevenant de récidiver et dissuader également quiconque serait tenté de commettre le même type d’infractions.

 

[20]           L’appelant ne nous a pas convaincus que la peine n’est manifestement pas indiquée.

 

[21]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

 Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

 Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-627-08

 

(APPEL DE L’ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 26 NOVEMBRE 2008, DOSSIER NO T-1502-00)

 

INTITULÉ :                                                   9038-3746 QUÉBEC INC., 9014-5731

                                                                        QUÉBEC INC., ADAM CERRELLI,

                                                                        CARMELO CERRELLI c. MICROSOFT

                                                                        CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andreas Stegmann

 

POUR LES APPELANTS

 

François Guay

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anréas Stegman

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES APPELANTS

 

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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