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Date: 20100610

Dossier : A-418-09

Référence : 2010 CAF 152

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

RONALD H. LINGLE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (C.-B), le 3 juin 2010.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 10 juin 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

 


 

Date: 20100610

Dossier : A-418-09

Référence : 2010 CAF 152

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

RONALD H. LINGLE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               La Cour canadienne de l’impôt (la Cour de l’impôt) a été invitée à déterminer si l’appelant était tenu de payer au Canada de l’impôt sur son revenu d’entreprise conformément à la Convention entre le Canada et les États-Unis en matière d’impôts sur le revenu (1980) (la Convention). Le litige visait les années d’imposition 2004 et 2005.

 

[2]               Le paragraphe IV(2) de la Convention prévoit cinq règles de départage permettant de déterminer dans quel territoire un contribuable doit payer l’impôt sur son revenu d’entreprise. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

 

2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante :

 

a) Cette personne est considérée comme un résident de l’État contractant où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent; si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux États ou ne dispose d’un tel foyer dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l’État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

 

b) Si l’État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, elle est considérée comme un résident de l’État contractant où elle séjourne de façon habituelle;

 

c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l’État contractant dont elle possède la citoyenneté; et

 

d) Si cette personne possède la citoyenneté des deux États ou si elle ne possède la citoyenneté d’aucun d’eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d’un commun accord.

 

2. Where by reason of the provisions of paragraph 1 an individual is a resident of both Contracting States, then his status shall be determined as follows:

 

(a) he shall be deemed to be a resident of the Contracting State in which he has a permanent home available to him; if he has a permanent home available to him in both States or in neither State, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State with which his personal and economic relations are closer (centre of vital interests);

 

(b) if the Contracting State in which he has his centre of vital interests cannot be determined, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State in which he has an habitual abode;

 

(c) if he has an habitual abode in both States or in neither State, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State of which he is a citizen; and

 

(d) if he is a citizen of both States or of neither of them, the competent authorities of the Contracting States shall settle the question by mutual agreement.

 

(Je souligne)

 

[3]                 Comme l’a souligné la juge de la Cour de l’impôt au paragraphe 8 des motifs de sa décision, les parties ont convenu qu’au cours des périodes pertinentes, l’appelant disposait d’un foyer d’habitation permanent au Canada et aux États-Unis. De plus, elles ont convenu qu’il n’était pas possible de se servir de la deuxième règle de départage puisqu’on ne pouvait déterminer dans quel pays l’appelant avait le centre de ses intérêts vitaux. La question devait donc être tranchée en fonction de la troisième règle de départage, à savoir si l’appelant « séjourn[ait] de façon habituelle dans les deux États ». Comme l’a dit la juge au paragraphe 10 de ses motifs, il s’agit strictement « de savoir, en l’espèce, si l’appelant, en vertu des règles de départage, séjournait de façon habituelle aux États-Unis ainsi qu’au Canada ».

 

[4]               La Cour de l’impôt a conclu que l’appelant n’avait pas « séjourn[é] de façon habituelle » aux États-Unis aux fins de la Convention : voir le paragraphe 30 des motifs. Je souscris pour l’essentiel aux conclusions et à la décision de la Cour de l’impôt.

 

[5]               La définition et l’interprétation d’une personne qui « séjourne de façon habituelle » font intervenir une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Toutefois, l’application de la définition aux faits en l’espèce pour déterminer si l’appelant avait « séjourn[é] de façon habituelle » dans les deux États soulève une question mixte de droit et de fait qui est à l’abri de tout examen de la part de notre Cour à moins d’une erreur manifeste et dominante : voir Housen c. Nickolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. Je ne vois aucune erreur de ce genre selon les faits en l’espèce.

 

[6]               Il serait imprudent de tenter de formuler une règle ou une série de critères pouvant s’appliquer dans toutes les situations. Le choix du critère approprié dépend des faits et des circonstances de chaque cas. La version française de « habitual abode », plus claire que la version anglaise, comporte des notions de fréquence, de durée et de régularité de séjours de qualité qui sont plus que temporaires (en français : « séjourne de façon habituelle »). Autrement dit, cette règle nécessite qu’une personne séjourne dans un État assez longtemps et de façon régulière pour permettre de conclure qu’il s’agit de l’endroit où le contribuable vit habituellement.

 

[7]               Cette interprétation est conforme à la définition du mot « habituelle » tirée du dictionnaire Le Petit Robert 2006 :

 

1. Qui tient à l’habitude par sa régularité, sa constance.

2. Qui est constant, ou très fréquent.

 

 

[8]               Cette interprétation est également conforme au commentaire formulé dans le Modèle de l’OCDE concernant le paragraphe IV(2) où il est indiqué que lorsqu’il s’agit de comparer les séjours d’une personne dans deux États pour déterminer si elle a « séjourn[é] de façon habituelle » et dans quel état elle a ainsi séjourné, « [l]a comparaison doit porter sur une période suffisamment longue pour permettre d’apprécier si la résidence dans chacun des deux États est habituelle et d’apprécier aussi la périodicité des séjours » : voir le Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE, Comité des affaires fiscales de l’OCDE, vol. 1, juillet 2008, page C(4)-6.

 

[9]               Au paragraphe 52 de son mémoire des faits et du droit présenté à l’audience, l’appelant a fait valoir que la juge de la Cour de l’impôt a appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a examiné les liens sociaux et économiques qu’il avait au Canada et aux États-Unis durant les périodes pertinentes. Ce faisant, elle a confondu la deuxième et la troisième règle de départage. Selon lui, l’erreur de la juge se trouve dans la phrase suivante du paragraphe 30 des motifs de sa décision :

Compte tenu de l’ensemble des faits qui ont été portés à ma connaissance, les liens que l’appelant avait avec les États-Unis étaient faibles comparativement à sa vie quotidienne au Canada.

 

[10]           Cette phrase est prise hors contexte et lue de façon isolée. Lorsque la phrase est replacée dans son contexte, l’argument de l’appelant n’est tout simplement pas fondé. Ce que la juge disait dans cette phrase, c’est que l’appelant n’avait pas établi de routine aux États-Unis tandis qu’il en avait établi une au Canada, ce qui démontrait qu’il vivait régulièrement, habituellement et normalement au Canada.

 

[11]           La phrase contestée de la juge se trouve à la fin du paragraphe 30 de ses motifs, lequel est rédigé comme suit :

[30]   Il s’ensuit que l’approche qu’il convient d’adopter pour déterminer si l’appelant séjournait de façon habituelle aux États-Unis consiste à se demander s’il résidait dans ce pays de façon habituelle, en ce sens qu’il vivait aux États-Unis d’une façon régulière, coutumière ou usuelle. Les paragraphes 27 à 32 de l’exposé conjoint des faits et du point en litige renferment des énoncés pertinents qui aident à déterminer si l’appelant « vivait normalement » aux États-Unis. Les parties ont convenu que l’appelant [traduction] « retournait la plupart du temps, de façon constante et répétitive, à sa maison au Canada, pendant la période en cause ». Dans sa vie quotidienne, « il vivait régulièrement, normalement et habituellement au Canada ». L’appelant [traduction] « n’avait pas d’autres contrats, d’autres clients ni d’autres entreprises aux É.-U. ». De plus, au cours de la période pertinente, il n’a passé que 69 jours sur 623 chez lui aux États-Unis. Il est intéressant de noter que les énoncés sur lesquels les parties se sont entendues disent en toutes lettres que l’appelant [traduction] « vivait normalement au Canada », ce qui répond à la définition qui est proposée dans l’article d’Avery Jones, à l’égard du mot « habitual » (de façon habituelle). Les séjours de l’appelant à la maison de Ransom étaient de la nature de visites périodiques, et son lieu de résidence [traduction] « normal » étant au Canada pendant toute la période. L’appelant ne séjournait pas de façon habituelle aux États-Unis pour l’application de la Convention parce qu’il n’y vivait pas régulièrement, habituellement ou normalement. Compte tenu de l’ensemble des faits qui ont été portés à ma connaissance, les liens que l’appelant avait avec les États-Unis étaient faibles comparativement à sa vie quotidienne au Canada. Par conséquent, l’appelant résidait au Canada pendant la période en cause et, cela étant, il est assujetti à l’impôt pour ce qui est du revenu d’entreprise qu’il avait gagné à titre d’expert-conseil.

 

[12]           Même si la phrase en soi pouvait être jugée ambiguë, il ressort clairement des motifs dans leur ensemble et du paragraphe 30 que, au moment où la juge a formulé cette phrase, elle avait déjà conclu que l’appelant n’avait pas « séjourn[é] de façon habituelle » aux États-Unis « parce qu’il n’y vivait pas régulièrement, habituellement ou normalement » : voir paragraphe 30.

 

[13]           L’appelant allègue que le critère applicable pour déterminer si un contribuable a « séjourn[é] de façon habituelle » est de trouver où il est [traduction] « habituellement présent ». Il fonde son allégation sur une conclusion provisoire de M. J.F. Avery Jones qui, selon l’appelant, est actuellement un juge du First Tier Tax Tribunal du Royaume-Uni. Lors de la cinquième édition du symposium international annuel sur la fiscalité aux États-Unis, M. Avery Jones a publié un article dans lequel il s’est exprimé comme suit sur la notion difficile à définir de la personne qui « séjourne de façon habituelle » :

 

[traduction] Peut-être qu’un contribuable qui séjourne de façon habituelle signifie le lieu où il est habituellement présent, ce qui serait beaucoup plus clair.

 

[14]           La Cour de l’impôt a conclu que l’appelant « vivait régulièrement, normalement et habituellement au Canada » : voir le paragraphe 30 des motifs du jugement. Selon le critère même proposé par l’appelant, la Cour de l’impôt a conclu que l’appelant était habituellement présent au Canada, mais pas aux États-Unis.

 

[15]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord,

       J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord,

       David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-418-09

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 27 MAI 2009 PAR LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, DOSSIER 2008-1278(IT)G.)

 

INTITULÉ :                                                   RONALD H. LINGLE c.

                                                                        LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Nitikman

POUR L’APPELANT

 

Michael Taylor

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fraser Milner Casgrain

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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