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Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100608

Dossiers : A-466-09

A-467-09

 

Référence : 2010 CAF 142

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

appelante

et

EUROCOPTER

(Société par actions simplifiée)

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 mai 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                    LE JUGE EN CHEF BLAIS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER


Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100608

Dossiers : A-466-09

A-467-09

 

Référence : 2010 CAF 142

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

appelante

et

EUROCOPTER

(Société par actions simplifiée)

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EN CHEF BLAIS

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit de deux appels d’ordonnances rendues par la juge Tremblay-Lamer (la juge), le 9 novembre 2009 (2009 CF 1141 et 2009 CF 1142), par lesquelles elle accueillait en partie des appels de l’intimée à l’encontre de deux ordonnances du protonotaire Morneau (le protonotaire), datée du 18 août et 8 octobre 2009 (2009 CF 836 et 2009 CF 1021) respectivement. Ce dernier maintenait les objections de l’appelante relatives à certaines questions lors de l’interrogatoire préalable de son représentant.

 

FAITS PERTINENTS

[2]               Le litige dans le cadre duquel s’inscrit le présent appel porte sur un train d’atterrissage à patins pour hélicoptère pour lequel Eurocopter détient le brevet 2,207,787 (le brevet 787).

 

[3]               Selon Eurocopter, ce train d’atterrissage comporte plusieurs améliorations qui le rendent plus léger et permettent l’élimination de certains mécanismes reliés au phénomène de résonance sol.

 

[4]               Le 9 mai 2008, Eurocopter a intenté une action en contrefaçon de son brevet 787 contre Bell Helicopter Textron Canada Limitée (ci-après Bell Helicopter ou l’appelante).

 

[5]               Dans sa déclaration au soutien de sa poursuite, Eurocopter allègue, entre autres, que Bell Helicopter s’est livrée à de la contrefaçon en installant sur un hélicoptère qu’elle fabrique et vend au Canada, soit le Bell 429, un train d’atterrissage identique à celui que protège son brevet.

 

[6]               C’est donc dans le cadre des procédures reliées à l’action en contrefaçon précitée qu’un représentant de Bell Helicopter a été soumis à deux interrogatoires tenus les 10, 11 et 12 juin et le 25 août 2009 respectivement. Au cours des interrogatoires, des objections ont été soulevées par l’appelante aux questions posées, lesquelles ont entraîné les décisions subséquentes du protonotaire et de la juge.

 

 

ANALYSE

[7]               Dans son ordonnance du 18 août 2009, le protonotaire a énoncé les principes généraux sur lesquels il s’est appuyé pour prendre ses conclusions. Il s’en est remis à ces mêmes énoncés dans son ordonnance subséquente du 8 octobre 2009.

 

[8]               Puisque le protonotaire s’est appuyé sur les principes relatifs à la pertinence des questions énoncés par le juge McNair dans l’arrêt Reading & Bates Construction Co. and al v. Baker Energy Resources Corp. and al (1988), 24 C.P.R. (3rd) 66, (Reading & Bates), il importe de mentionner que le juge McNair avait préalablement pris soin de préciser le but d’un interrogatoire préalable au paragraphe 8 de sa décision :

8     Le but de l'interrogatoire préalable, qu'il soit fait oralement ou par la production de documents, est d'obtenir des admissions en vue de faciliter la preuve des questions en litige entre les parties. On a tendance aujourd'hui à accroître les possibilités de communication franche et complète de la preuve permettant à la partie de prouver ses allégations ou de réfuter celles de son adversaire. La communication peut servir à faire ressortir plus nettement les questions, permettant ainsi d'éviter d'en faire inutilement la preuve au procès et de réduire ainsi les frais de l'instruction. La communication peut également donner des armes très utiles en vue du contre-interrogatoire.

 

 

[9]               Les six principes énoncés par le juge McNair relativement à la pertinence des questions ont été reproduits par le protonotaire dans le paragraphe 8 de la première ordonnance.

 

[10]           Pour les fins de la présente, les principes 1, 2 et 3, extraits du paragraphe 11 de l’arrêt Reading & Bates, sont particulièrement appropriés :

1.  En ce qui concerne les documents qui doivent être produits, le critère est simplement celui de la pertinence. Le critère de la pertinence ne peut donner lieu à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. C'est par l'application de la loi et non dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, que l'on déterminé [sic] quels documents les parties ont le droit de consulter. La question de savoir quel document se rapporte vraiment aux questions en litige est tranchée selon le principe suivant : il doit s'agir d'un document dont on peut raisonnablement supposer qu'il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire, ou [sic] qui sont susceptibles de le lancer dans une enquête qui pourra produire l'un ou l'autre de ces effets : Trigg c. MI Movers International, (1987), 13 C.P.C. (2d) 150 (H.C. Ont.); Canex Placer Ltd. v. A.-G. - B.C., (1976) 63 D.L.R. (3d) 282 (C.S. C.-B.); Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Co., (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.).

 

2.  À un interrogatoire préalable qui a lieu avant le début d'un renvoi qui a été ordonné, la partie qui est interrogée n'est tenue de répondre qu'aux questions qui ont rapport aux questions visées par le renvoi - inversement, le témoin n'est pas tenu de répondre aux questions relatives aux renseignements qui ont déjà été produits ni aux questions qui sont trop générales ou sollicitent un avis, ou qui ne font pas l'objet du renvoi : Algonquin Mercantile Corp., Dart Industries Ltd., (1984), 82 C.P.R. (2d) 36 (C.F. 1re inst.), confirmée (1984), 1 C.P.R. (3d) 242 (C.F. 1re inst.).

 

3.  L'à-propos de toute question posée à l'interrogatoire préalable doit être déterminé en fonction de sa pertinence par rapport aux faits allégués dans la déclaration qui sont censés constituer la cause d'action plutôt qu'en fonction de sa pertinence par rapport aux faits que le demandeur a l'intention d'établir pour démontrer les faits constituant la cause d'action. (…)

 

 

[11]           Le protonotaire a rappelé la nécessité de maintenir un équilibre entre la possibilité la plus large possible d’interroger au préalable et les parties de pêche entreprises par certaines parties, particulièrement dans le domaine de la propriété intellectuelle, lesquelles ne doivent pas être encouragées par la Cour ; citant l’arrêt Faulding Canada Inc. v. Pharmacia S.p.A. (1999), 3 C.P.R. (4th) 126 ainsi que la règle 242 des Règles des Cours fédérales qui traite d’objections lors d’un interrogatoire préalable.

 

[12]           De plus, le protonotaire s’est appuyé sur l’arrêt Philips Export B.V. v. Windmere Consumer Products Inc., (1986) 8 C.P.R. (3d) 505 pour affirmer qu’ « une partie ne peut être requise dans le cadre d’un interrogatoire préalable de répondre à une question qui la force à exprimer une opinion d’expert, son interprétation d’un brevet ou ses croyances. » (Ordonnance du protonotaire, 2009 CF 836, paragraphe 13)

 

[13]           Bien que les principes généraux établis par la jurisprudence soient utiles, ils n’énoncent pas de formule magique applicable à tous les cas. En la matière, la règle du cas-par-cas demeure de mise.

 

[14]           Par ailleurs, je crois utile de noter les propos du juge Hugessen dans l’arrêt Bande de Montana c. Canada, [2000] 1 C.F. 267 au paragraphe 5 :

[5]L'interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l'équité et l'efficacité de l'instruction en permettant à chacune des parties de se renseigner pleinement, avant l'instruction, sur la nature exacte des positions de toutes les autres parties, de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent. Il est dans l'intérêt de la justice que chaque partie soit le mieux informée au sujet des positions des autres parties afin de ne pas être défavorisée en étant surprise à l'instruction. Il est tout à fait approprié pour la Cour d'adopter une démarche libérale face à l'étendue des questions pouvant être posées au cours de l'interrogatoire préalable puisqu'une erreur qui serait commise en autorisant des questions non appropriées peut toujours être corrigée par le juge présidant l'instruction qui décide ultimement de toutes les questions ayant trait à l'admissibilité de la preuve; par ailleurs, toute erreur qui restreindrait indûment l'étendue de l'interrogatoire préalable peut mener à de graves problèmes ou même à des injustices au cours de l'instruction.

 

 

[15]           À mon avis, on peut conclure que le but même de l’interrogatoire préalable milite en faveur d’une grande latitude en matière d’interrogatoire ou de production de documents.

 

[16]           C’est donc à la lumière de ce qui précède qu’on doit évaluer les ordonnances du protonotaire relatives aux questions qui sont l’objet des présents appels et le bien-fondé de l’intervention subséquente de la juge.

 

[17]           Comme mentionné précédemment,  la nature des décisions du protonotaire dans ces dossiers n’est pas en cause. Il s’agit de décisions discrétionnaires en matière interlocutoire. Par conséquent, pour intervenir, la juge était astreinte à la norme énoncée dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), 1993 CanLII 2939 (C.A.F.), [1993] 2 C.F. 425 et reformulée dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488 (CanLII), 2003 CAF 488 (Merck c. Apotex).

 

[18]           Ainsi, en l’espèce, la juge ne pouvait intervenir que si « l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits ». (per Merck c. Apotex)

 

[19]           À mon avis, dans les circonstances, l’intervention de la juge était justifiée en partie.

 

[20]           En ce qui a trait aux questions 5 à 10 et 12 à 14, dans le dossier A-466-09, le protonotaire a jugé qu’il s’agissait de questions qui forçaient le témoin « à exprimer une opinion, que ce soit une opinion d’expert, son interprétation d’un brevet ou ses croyances. » (Ordonnance du protonotaire, 2009 CF 836, paragraphe 13).

 

[21]           Le protonotaire a accepté les prétentions de Bell voulant que les termes utilisés dans les questions posées conduisaient à une interprétation des revendications du brevet 787 et faisaient appel à une preuve d’expert.

 

[22]           De fait, les questions posées, bien que morcelées, référaient spécifiquement et globalement aux termes et expressions que l’on retrouve dans le brevet, particulièrement dans sa description à la page 15.

 

[23]           À mon avis, l’interprétation et la portée du brevet sont des questions qui relèvent du juge du procès qui pourra bénéficier de l’opinion des experts le moment venu. Ces questions sont manifestement du ressort d’experts et le protonotaire avait raison de maintenir les objections formulées.

 

[24]           La juge a commis une erreur de droit en infirmant la décision du protonotaire. Il est donc nécessaire, pour notre Cour, d’intervenir et de rétablir celle-ci.

 

[25]           Quant aux questions 17, 18 et 19 dans le dossier A-466-09, je crois que la juge était justifiée d’intervenir. Les dites questions avaient pour but de vérifier qu’en adoptant la configuration du train revendiqué dans le brevet 787, Bell Helicopter aurait réussi à éliminer les dampers et les shock absorbers qui sont deux dispositifs visant à éliminer le phénomène de résonance sol. Elle a considéré que ces questions étaient pertinentes et n’a pas commis, ce faisant, une erreur flagrante en renversant la décision du protonotaire.

 

[26]           En ce qui a trait aux autres questions en litige, soit les questions 24 et 25 dans le dossier A-466-09 et les questions 22, 24 et 25 à 27, 28, 61, 64 à 66 et 76 dans le dossier A-467-09, toutes ces questions se rapportent à de la documentation et sont réparties en deux grandes catégories : des documents fournis à Transport Canada et des documents internes relatifs au développement et aux tests auxquels ont été assujettis les trains d’atterrissage de Bell Helicopter.

 

[27]           En général, le protonotaire a accepté la proposition de Bell Helicopter sur la non-pertinence de ces questions et des documents qui s’y rapportaient. En particulier, il a accepté les représentations de Bell Helicopter, soit principalement que les renseignements n’étaient pas pertinents à la question de contrefaçon, que, par ses questions, l’intimée se livrait à une partie de pêche et que les documents transmis à Transport Canada ne pouvaient contenir des renseignements pertinents.

 

[28]           En infirmant la décision du protonotaire sur ces questions, à l’exception de la question 61, la juge a conclu que « [l]es renseignements sur les tests et la correspondance entre Bell et Transports Canada sont pertinents (…) pour démontrer que le nouveau train d’atterrissage du Bell 429 « accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat » que celui décrit par le brevet ‘787 ». (Décision 2009 CF 1141, paragraphe 10)

 

[29]           De plus, elle a jugé que les documents relatifs au développement du train d’atterrissage dans le cadre du programme de recherche de Bell étaient aussi pertinents puisque ce programme avait mené au développement du Bell 429. (Décision 2009 CF 1141, paragraphes 46-47)

 

[30]           Elle a rejeté la prétention de Bell Helicopter selon laquelle la pertinence des documents devait s’évaluer en fonction de la date de la publication du brevet conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 194 D.L.R. (4th) 232.

 

[31]           Selon elle, « s’il faut établir que la similitude entre les revendications du brevet et un produit contrefacteur aurait été manifeste à la date de publication du brevet, il n’en demeure pas moins que le demandeur doit, avant de se rendre à cette étape, établir l’existence même de cette similitude. » (Décision 2009 CF 1141, paragraphe 10)

 

[32]           Elle a donc conclu que la décision du protonotaire à l’égard de ces questions était erronée et qu’elle devait intervenir.

 

[33]           Je suis d’avis, à l’instar de la juge, que les questions et les documents permettront directement ou indirectement à l’intimée de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire. Il reviendra au juge du procès de répartir le degré de pertinence devant s’appliquer aux documents qui font l’objet de la présente décision dans le contexte d’une audition, où tous les pièces, témoins et documents pertinents auront été examinés et pris en compte.

 

CONCLUSION

[34]           En conclusion, j’accueillerais en partie l’appel quant aux questions 5 à 10 et 12 à 14 dans le dossier A-466-09 en faveur de l’appelante, j’annulerais la décision de la juge en ce qui a trait à ces questions et je rétablirais à leur égard l’ordonnance du protonotaire Morneau. Je rejetterais l’appel quant au reste et j’ordonnerais que les frais suivent l’issue du dossier.

 

[35]           Quant au dossier A-467-09, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge en chef

 

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                                                          A-466-09 et A-467-09

 

Appels d’ordonnances rendues le 9 novembre 2009 par Madame la juge Tremblay-Lamer (2009 CF 114) et (2009 CF 1142).

 

INTITULÉ :                                                                            Bell Helicopter Textron Canada                        Limitée c. Eurocopter (Société                                                              par actions simplifiée)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   17 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

MOTIFS CONCOURANTS :                                              

MOTIFS DISSIDENTS :                                                     

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 8 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Louis Gratton

Julie Jairon

POUR L’APPELANTE

 

 

Marek Nitoslawski

Chloé Latulippe

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault LLP

Montréal, Québec

POUR L’APPELANTE

 

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Montréal, Québec

POUR L’INTIMÉE

 

 

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