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Date : 20100602

Dossier : A-624-08

Référence : 2010 CAF 146

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

JAMES BROAD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 mai 2010.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 juin 2010.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                   LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20100602

Dossier : A-624-08

Référence : 2010 CAF 146

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

JAMES BROAD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               Il s’agit d’un appel du jugement de la juge Campbell de la Cour canadienne de l’impôt, rendu oralement le 26 novembre 2008. La Cour de l’impôt a décidé que l’appelant ne pouvait pas déduire les paiements de pension alimentaire versés en 2005 à son ancienne conjointe de fait, Mme Randall.

 

[2]               Pour que l’appelant soit en mesure de les déduire en vertu de l’al. 60b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), les paiements de pension alimentaire doivent notamment être « à recevoir […] aux termes d’un accord écrit » : paragraphe 56.1(4) de la Loi, rendu applicable à l’al. 60b) par le par. 60.1(4). La Cour de l’impôt a conclu que les paiements versés en 2005 n’étaient pas à recevoir aux termes d’un accord écrit.

 

[3]               Les faits à la source du litige peuvent se résumer facilement. L’appelant a cohabité avec Mme Randall du 1er avril 1989 au 1er juillet 1990. Pendant ce temps, ils ont eu un fils. Le 1er juillet 1990, ils se sont séparés. Après la séparation, ils ont signé un accord daté du 1er juillet 1990. Cet accord de séparation contenait la clause de non-résiliation suivante :

[traduction] Si, à l’avenir, James et Laurie cohabitent de gré à gré en tant que mari et femme, le présent accord et tous les engagements qui y sont énoncés continueront à avoir effet tant que James et Laurie ne consentiront pas mutuellement par écrit à résilier ou à modifier l’accord.

 

[4]               En août 1993, l’appelant et Mme Randall ont tenté de se réconcilier et de reprendre la vie commune. Pendant cette période de cohabitation, l’appelant n’a pas versé la pension alimentaire. En février 1995, ils se sont séparés pour de bon. Ensuite, sauf pour une très courte période pendant laquelle les parties étaient au cœur d’un litige concernant la garde et le droit de visite, l’appelant a versé, et Mme Randall a accepté, les paiements de pension alimentaire du montant indiqué dans l’accord de séparation antérieur.

 

[5]               La courte période de réconciliation de 1993 à 1995 et le fait que l’appelant n’ait pas versé la pension alimentaire pendant cette période ont-ils mis fin à l’accord écrit antérieur, de sorte que les paiements versés par la suite n’étaient pas « à recevoir […] aux termes d’un accord écrit »? La Cour de l’impôt a répondu par l’affirmative. Par conséquent, selon la Cour de l’impôt, les paiements de pension alimentaire versés par l’appelant en 2005 n’étaient pas « à recevoir […] aux termes d’un accord écrit ». L’appelant ne pouvait donc pas les déduire en vertu du par. 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[6]               À l’appui de sa décision que l’accord de séparation avait pris fin, la Cour de l’impôt s’est fondée sur la proposition suivante :

La règle générale de common law veut qu’une réconciliation, telle que celle qui s’est produite en l’espèce, mette fin à un accord de séparation antérieur conclu entre les conjoints.  

 

[7]               C’était une erreur de droit. Le ministre l’a reconnu dans sa plaidoirie devant nous, « la règle générale de common law » n’est pas aussi absolue que ça – la jurisprudence interprète largement cette règle. 

 

[8]               La nature précise de l’interprétation semble incertaine. En Colombie-Britannique, lorsqu’un accord de séparation contient une clause de non-résiliation comme en l’espèce, les intentions et les comportements subséquents des parties sont examinés en vue de déterminer si l’accord de séparation demeure en vigueur, et ce, dans quelle mesure : Aitken c. Aitken, 1999 BCCA 734. Toutefois, en Ontario, la Cour d’appel est allée plus loin et a conclu que [traduction] « l’accord de séparation devient nul s’il y a réconciliation, sous réserve d’une clause particulière dans l’accord qui l’emporterait sur la common law » : Sydor c. Sydor (2003), 178 O.A.C. 155 (C.A.).  

 

[9]               Dans l’élaboration de l’approche qu’il convient d’adopter, il faut se rappeler que la question dont nous sommes saisis est de savoir si, aux fins du paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’appelant versait des paiements de pension alimentaire à recevoir aux termes d’un accord écrit.  Pour trancher cette question, nous devons aussi garder à l’esprit l’objet de ce paragraphe et le problème que le législateur voulait corriger : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, paragraphes 10 et 13. L’objet de ce paragraphe est d’éviter le problème d’un « régime relâché et incertain » entre les parties « [qui] peut très bien donner lieu à des ententes trompeuses et frauduleuses et à des plans d’évasion fiscale » : Hodson c. La Reine, [1988] 1 C.T.C. 2, page 5 (C.A.F.).

 

[10]           De plus, dans une autre loi, le législateur a exprimé à plusieurs reprises un intérêt public très marqué en faveur de la réconciliation : Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), sous-alinéa 8(3)b)(ii), paragraphe 9(1), article 10 et paragraphe 11(3).  Une tentative de réconciliation – conforme à l’intérêt public protégé par le législateur – ne devrait pas entraîner des conséquences préjudiciables. Dans la mesure où il est compatible avec le texte et le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, le libellé du paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu devrait être interprété conformément à cet intérêt public.

 

[11]           Ces considérations laissent entendre qu’un contribuable qui se trouve dans la même situation que l’appelant n’a pas besoin de démontrer qu’il « voulai[t] clairement et expressément que l’accord soit un accord continu […] liant [les parties] », ce qui était le fardeau imposé à l’appelant par la Cour de l’impôt en l’espèce. C’est là un fardeau trop lourd. En fait, le contribuable doit seulement prouver que les parties ont continué d’agir en vertu de l’accord écrit antérieur, sans modification importante, de sorte que l’accord décrit toujours leur relation. Une fois la preuve faite, les paiements de pension alimentaire versés au bénéficiaire ne sont pas à recevoir aux termes d’une entente trompeuse, frauduleuse ou sans cause. Ils sont plutôt à recevoir aux termes d’un accord écrit antérieur décrivant toujours la relation des parties.

 

[12]           En l’espèce, plusieurs faits appuient une conclusion selon laquelle les parties ont continué d’agir en vertu de l’accord de séparation antérieur, sans modification importante, de sorte que l’accord décrit toujours leur relation. Voici trois des faits les plus importants :

 

(a)                En 2000, l’appelant a intenté une action contre Mme Randall devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Dans sa déclaration, il a fait valoir que l’accord de séparation écrit daté du 1er juillet 1990 était toujours en vigueur. Madame Randall n’a pas admis ni nié cette allégation, ce qui signifie qu’elle est réputée l’avoir admise : voir Supreme Court Rules, B.C. Reg. 221/90, paragraphe 19(19). En fait, en 2000, bien après la deuxième séparation, les parties ont officiellement convenu lors des procédures judiciaires que l’accord de séparation écrit antérieur était toujours en vigueur.

 

(b)               Après la tentative ratée de réconciliation, l’appelant a continué de verser, et Mme Randall a continué de recevoir, des paiements de pension alimentaire du montant indiqué dans l’accord de séparation écrit antérieur, sauf pour une très courte période pendant laquelle les parties étaient au cœur d’un litige concernant la garde et le droit de visite.

 

(c)                Il y a eu un échange de lettres entre les avocats des parties qui confirmaient les arrangements relatifs à la pension alimentaire; bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher la question, cet échange de lettres en soi peut être considéré comme un accord écrit aux termes du paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu : Foley c. Canada, [2000] 4 C.T.C. 2016 (C.C.I.); Burgess c. La Reine (1991), 91 D.T.C. 5076 (C.C.I.).

 

[13]           Compte tenu de cette preuve, je conclus que les paiements de pension alimentaire versés par l’appelant en 2005 étaient à recevoir par Mme Randall en vertu d’un accord écrit antérieur décrivant toujours la relation des parties. Par conséquent, l’appelant avait le droit de déduire ces paiements de son revenu pour l’année d’imposition 2005.

 

[14]           Je suis conscient que cette décision crée une incohérence.  La Cour de l’impôt a décidé que les paiements de pension alimentaire versés à Mme Randall n’étaient pas inclus dans son revenu. Cependant, j’ai conclu que les paiements de pension alimentaire versés par l’appelant étaient déductibles. Cette incohérence est regrettable. Cela ne se serait pas produit si le ministre avait interjeté appel de la décision dans l’affaire de Mme Randall. Le ministre a plutôt choisi d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant. Le ministre avait peut-être une raison d’agir comme il l’a fait, mais cela a entrainé une perte inutile de revenus fiscaux.

 

[15]           J’accueillerais donc l’appel avec dépens et annulerais la décision de la Cour de l’impôt. Procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais avec dépens l’appel interjeté par l’appelant devant la Cour de l’impôt et renverrais l’affaire au ministre pour nouvelle cotisation au motif que les paiements de pension alimentaire versés par l’appelant pendant l’année d’imposition 2005 pouvaient être déduits de son revenu.

 

 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-624-08

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR L’HONORABLE JUGE CAMPBELL DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 24 NOVEMBRE 2008 DANS LE DOSSIER N° 2008-161(IT)I

 

INTITULÉ :                                                   James Broad c. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 31 MAI 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 2 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard E. Rhodes

POUR L’APPELANT

 

Christa Akey

Ron D.F. Wilhelm

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard E. Rhodes

Avocat

White Rock, C.-B.

 

POUR L’APPELANT

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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