ENTRE :
et
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er juin 2010.
Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 juin 2010.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PELLETIER
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE STRATAS
Dossier : A-322-09
Référence : 2010 CAF 148
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE PELLETIER
LE JUGE STRATAS
ENTRE :
SHARYL L. BROWN
demanderesse
et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Mme Sharyl Brown était atteinte d’une maladie grave et était incapable de travailler pendant qu’elle suivait des traitements. Elle a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi et a reçu des prestations de maladie pendant 15 semaines, la période maximale permise par l’alinéa 12(3)c) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « Loi »). Elle a été jugée inadmissible au bénéfice des prestations régulières, car elle n’était pas capable de travailler et disponible à cette fin pendant sa maladie et la durée des traitements : voir l’alinéa 18b) de la Loi. Mme Brown a interjeté appel sans succès devant le conseil arbitral relativement à son inadmissibilité, puis devant le juge-arbitre sans plus de succès. Elle demande maintenant à la Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre.
[2] Mme Brown ne conteste pas l’application de la Loi à sa situation faite par la Commission. Elle conteste plutôt l’équité fondamentale de la loi elle-même. Selon elle, la restriction des prestations de maladie à 15 semaines est injuste, car la maladie découle de circonstances indépendantes de la volonté du prestataire et, tandis que les autres prestataires qui sont sans emploi en raison de circonstances indépendantes de leur volonté ont droit à des prestations pendant 52 semaines, un prestataire qui est malade n’a le droit de recevoir des prestations que pendant 15 semaines. Si Mme Brown avait bénéficié des services d’un avocat, elle aurait qualifié sa plainte comme étant une contestation constitutionnelle de la validité de l’alinéa 12(3)c) au motif qu’il est discriminatoire et donc contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[3] Il ne fait aucun doute que la Loi a été correctement appliquée à Mme Brown et que sa demande doit être rejetée, à moins qu’elle ne soit en mesure de contester avec succès la validité constitutionnelle de l’alinéa 12(3)c) de la Loi. Il s’agit de déterminer, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, si elle peut y arriver.
[4] Avant de statuer sur le fond, il y a deux questions préliminaires à examiner. La première concerne l’intitulé. Mme Brown a désigné le Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences) à titre de défendeur dans sa demande de contrôle judiciaire. Le procureur général du Canada a comparu à la suite de l’avis de demande et sollicite la modification de l’intitulé de manière à remplacer le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences par le procureur général du Canada, le véritable défendeur. Cette demande est conforme à la loi et à la pratique suivie par les Cours fédérales et sera accueillie. Mme Brown ne s’est pas opposée à ce changement. L’intitulé sera modifié en conséquence.
[5] La seconde question préliminaire concerne l’avis de question constitutionnelle déposé par Mme Brown, conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Le procureur général conteste l’avis de question constitutionnelle de Mme Brown au motif qu’il ne précise pas les date, heure et lieu de l’audience, de sorte que les divers procureurs généraux n’auraient pas été en mesure de comparaître à la suite du dépôt de la demande de contrôle judiciaire même s’ils l’avaient désiré. Pour les motifs qui suivent, j’estime que cet argument, bien que correct du point de vue de la forme, n’a aucune incidence sur l’issue de l’appel.
[6] Il existe un principe bien établi selon lequel les questions constitutionnelles ne devraient être tranchées que sur la foi d’un dossier factuel complet. Le raisonnement sous-tendant cette position a été clairement exposé par le juge Cory dans l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, de la façon suivante :
8 Les affaires relatives à la Charte porteront fréquemment sur des concepts et des principes d’une importance fondamentale pour la société canadienne. […] Compte tenu de l’importance et des répercussions que ces décisions peuvent avoir à l’avenir, les tribunaux sont tout à fait en droit de s’attendre et même d’exiger que l’on prépare et présente soigneusement un fondement factuel dans la plupart des affaires relatives à la Charte. Les faits pertinents présentés peuvent toucher une grande variété de domaines et traiter d’aspects scientifiques, sociaux, économiques et politiques. Il est souvent très utile pour les tribunaux de connaître l’opinion d’experts sur les répercussions futures de la loi contestée et le résultat des décisions possibles la concernant.
9 Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte.
[7] En l’espèce, Mme Brown n’a comparu ni à l’audience devant le conseil arbitral ni à l’audience devant le juge-arbitre. Par conséquent, le seul dossier dont disposait chaque tribunal était le dossier documentaire constitué par la Commission, ainsi que certaines observations écrites présentées par Mme Brown. Ces observations soulèvent indirectement la question de la discrimination et de la validité constitutionnelle, mais elles n’établissent aucun fondement factuel qui permettrait à un tribunal de rendre une décision éclairée sur une contestation constitutionnelle de la validité de la restriction relative aux prestations de maladie prévue à l’alinéa 12(3)c) de la Loi. Comme on pouvait s’y attendre, étant donné qu’elle n’a pas de formation en droit, Mme Brown n’a fourni aucun fondement factuel pour appuyer ses prétentions. Cela a notamment eu pour conséquence de priver le procureur général de la possibilité de présenter des éléments de preuve relativement à la question de savoir si, en supposant qu’il y ait eu manquement à l’article 15, celui-ci peut se justifier en vertu de l’article premier de la Charte.
[8] Pour ces motifs, la Cour n’est pas en mesure d’étudier la contestation de la validité constitutionnelle de l’alinéa 12(3)c) soulevée par Mme Brown. Certes, son avis de question constitutionnelle est déficient sur le plan de la forme, mais le véritable problème est qu’elle n’a pas soumis à la Cour de dossier factuel pouvant étayer une conclusion quant à la validité constitutionnelle.
[9] Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire sans frais.
« Je suis d’accord
Gilles Létourneau, j.c.a. »
« Je suis d’accord
David Stratas, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Jenny Kourakos, LL.L.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-322-09
INTITULÉ : SHARYL L. BROWN c. PROCUREUR
GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 1ER JUIN 2010
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PELLETIER
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE STRATAS
DATE DES MOTIFS : LE 3 JUIN 2010
COMPARUTIONS :
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POUR SON PROPRE COMPTE
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR
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