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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100519

Dossier : A-90-10

Référence : 2010 CAF 128

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 19 mai 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                              LA JUGE SHARLOW

 


Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100519

Dossier : A-90-10

Référence : 2010 CAF 128

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE SHARLOW

[1]               Mme R. Maxine Collins a porté en appel le jugement de la Cour fédérale (2010 CF 254) ayant accueilli la requête de la Couronne visant à faire rejeter pour absence de cause d’action valable l’action en dommages‑intérêts de l’appelante. La préparation de l’appel pour instruction en est au stade où le dossier d’appel a été déposé. Mme Collins voudrait toutefois lui ajouter la transcription de l’audience en Cour fédérale. Elle a demandé et reçu copie d’une transcription, mais elle estime qu’à certains égards, cette copie ne rend pas compte de l’instruction telle qu’elle s’en souvient. Elle a, par requête, prié notre Cour de rendre une ordonnance prorogeant le délai applicable au dépôt de la transcription, enjoignant au sténographe judiciaire de remettre à notre Cour une copie de l’enregistrement original de l’audience pour [traduction] « conservation en lieu sûr » et accordant des mesures accessoires. Elle avait initialement demandé de [traduction] « pouvoir écouter » l’enregistrement, mais elle a abandonné cette demande pour les raisons exposées dans une lettre en date du 18 mai 2010 envoyée à la Cour. Pour les motifs suivants, je conclus qu’il y a lieu de rejeter la requête sauf en ce qui a trait à la prorogation de délai.

 

[2]               Une requête en rejet d’action pour absence de cause d’action valable a pour unique fondement les actes de procédures. La Cour fédérale a tenu une audience afin d’entendre les arguments à l’appui ou à l’encontre de la requête, mais il ne s’agissait pas d’un procès, et aucun témoignage n’a été présenté. Bien que l’audience ait été enregistrée, la transcription de l’enregistrement n’exposera que les arguments juridiques des parties et les discussions qui ont pu avoir lieu au cours de l’audience. En général, les renseignements se rapportant aux arguments oraux des parties ou aux discussions entre les avocats et le juge lors de l’audition d’une requête sont sans pertinence en appel parce qu’ils ne peuvent aider notre Cour dans l’appréciation du bien‑fondé des motifs d’appel.

 

[3]               Cette règle générale comporte toutefois une exception. Lorsque l’appelant allègue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale à l’audience, la transcription des discussions qui y ont eu lieu ou de l’argumentation juridique présentée par les parties peut être pertinente pour l’appel si elle fournit la preuve d’un tel manquement. Il peut alors être fondé d’ordonner la production de l’enregistrement original si l’allégation voulant que la transcription soit inexacte, au sens où elle ne rend pas fidèlement compte de ce qui s’est dit à l’audience, est crédible. L’ordonnance aurait dans ce cas pour objet d’établir ce qui s’est dit à l’audience en rapport avec les questions qu’il faut trancher en appel.

[4]               La requête de Mme Collins visant la production de l’enregistrement pourra donc être accueillie si deux conditions sont remplies. Je dois être convaincue, premièrement, que ce qui s’est dit à l’audience est nécessaire pour établir le bien‑fondé d’un motif d’appel et, deuxièmement, que la transcription fournie à Mme Collins ne rend pas fidèlement compte de ce qui s’est dit à l’audience en rapport avec ce motif d’appel.

 

[5]               L’avis d’appel énonce les motifs d’appel suivants :

[traduction]

a.              [la juge] n’a pas respecté les règles d’équité procédurale de la common law en acceptant la requête en radiation modifiée deux fois par la défenderesse, qui comportait des éléments contrevenant directement à une ordonnance restreignant les modifications;

 

b.               n’a pas respecté le principe de publicité des audiences réaffirmé à la règle 29(1)(2) des Règles des Cours fédérales en interdisant à la demanderesse de présenter une argumentation orale concernant l’équité procédurale, en rapport avec la requête en radiation modifiée deux fois par la défenderesse;

 

c.                a rendu une décision comportant des omissions et des inexactitudes suffisamment importantes pour constituer de la censure à l’égard du compte rendu public de l’audience;

 

d.               a rendu une décision comportant une déclaration de fait non comprise dans les allégations de la demanderesse et qui, à ce stade de l’instance, constituait une autre communication non autorisée de renseignements personnels concernant la demanderesse de la part d’une institution fédérale;

 

e.                n’a pas respecté les règles d’équité procédurale de la common law en signalant à l’avocat de la défenderesse un argument relatif à la compétence et au statut d’ancienne employée de la demanderesse, argument que la défenderesse n’avait pas fait valoir dans sa requête;

 

f.                 a suscité une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la demanderesse;

 

g.                a erronément considéré que l’action de la demanderesse était fondée sur une infraction à la loi plutôt que sur le délit de négligence;

h.                a mal interprété les arguments invoqués par la demanderesse pour que son action soit considérée comme une nouvelle réclamation pour négligence fondée uniquement sur la loi et constituant la progression suivante : [1] l’accès non autorisé est une infraction criminelle aux termes du paragraphe 239(2.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu [LIR], [2] la politique générale planifiée de non‑application d’une disposition créant une infraction criminelle édictée à des fins de dissuasion à l’égard des infractions criminelles mentionnées à [1], [3] l’inexistence du pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre la politique mentionnée à [2], une telle politique étant contraire au principe de la primauté du droit établi par la Charte;

 

i.                  a conclu que la violation de la Charte invoquée par la demanderesse ne constituait pas une cause d’action valable parce que la demanderesse n’alléguait pas la violation de droits garantis par la Charte dont elle aurait été victime mais plutôt l’existence incontestée d’une politique du gouvernement fédéral contraire à la Charte;

 

j.                 n’a pas considéré comme elle le devait que les arrêts R. c. Beaudry, [2007] 1 R.C.S. 190 et Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372, établissaient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers de déposer des accusations et l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant se font au cas par cas plutôt qu’en exécution d’une politique générale planifiée soustrayant des groupes déterminés à l’application d’une disposition créant une infraction;

 

k.               a conclu que l’arrêt Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205, établit que le pouvoir discrétionnaire en matière d’application de la loi est absolu et n’a pas accordé de poids et d’importance à l’argument relatif à la violation du principe de la primauté du droit invoqué par la demanderesse en rapport avec l’applicabilité du deuxième volet du critère de la décision Ann;

 

l.                  a considéré à tort que l’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique se rapportait au défaut de déposer des accusations et de traduire en justice parce que la demanderesse n’avait pas nommé les personnes à l’origine de la politique de non‑application du paragraphe 239(2.2) de la LIR et qu’elle ne pouvait le faire;

 

m.              compte tenu des motifs d’appel susdits, la demanderesse veut être autorisée à inclure d’autres employés de l’ARC dont les noms figurent dans les documents mentionnés aux paragraphes 50 et 74 de la déclaration modifiée, documents qui avaient été déposés devant la Cour fédérale au moment de l’audience, en attendant le début de l’actuelle instance en contrôle judiciaire visant l’ARC et la Gendarmerie royale;

n.                n’a pas pris en compte l’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique se rapportant à l’accès non autorisé aux renseignements fiscaux personnels de la demanderesse par des employés de l’ARC;

 

o.               a conclu que la demanderesse n’avait pas allégué de faits substantiels relativement à l’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique de la part d’employés de l’ARC;

 

p.               n’a pas accordé de poids et d’attention à l’argument de la demanderesse se rapportant à l’obligation de diligence relevant du droit privé créée par les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et la LIR;

 

q.               n’a pas accordé de poids et d’attention au fait que la défenderesse n’a pas contesté l’existence d’une obligation de diligence relevant du droit privé en rapport avec l’obligation légale de protéger les renseignements personnels concernant la demanderesse et les contribuables canadiens en général;

 

r.                 en l’absence d’autorisation de modification, a conclu que le défaut de la demanderesse d’introduire des instances en contrôle judiciaire à l’égard de certaines entités fédérales justifiait de radier la déclaration, malgré la contestation du bien‑fondé de l’arrêt Grenier c. Canada, [2006] 2 F.C.R. 287 (C.A.) et le fait que la décision de la Cour suprême sur cette contestation est en délibéré, dans l’affaire Procureur général du Canada c. Telezone Inc.

 

 

 

[6]               Mme Collins signale une seule erreur dans la transcription qu’elle a reçue : elle ne ferait pas état d’un commentaire de la juge indiquant qu’elle avait lu la transcription de la décision du juge Campbell. Ce commentaire porte apparemment sur la transcription d’une audience antérieure de la Cour fédérale lors de laquelle le juge Campbell a autorisé l’appelante à modifier sa déclaration de façon qu’elle ne se rapporte qu’à des demandes la concernant personnellement plutôt qu’à un recours collectif. Je ne vois pas comment cette erreur pourrait avoir quelque pertinence pour l’un des motifs d’appel précités. Mme Collins n’a d’ailleurs rien indiqué au contraire.

[7]               Je comprends que Mme Collins ait pu nourrir des doutes au sujet de la fidélité de la transcription parce qu’elle lui avait apparemment été transmise par une autre entreprise que celle qui était chargée de l’enregistrement de l’instance et de la préparation de la transcription. Je comprends également la répugnance qu’a exprimée Mme Collins concernant la fourniture d’autres détails sur des inexactitudes, après avoir été informée que l’enregistrement était numérique et qu’il pouvait facilement être altéré. Toutefois, ces craintes ne peuvent établir que la transcription comporte des erreurs. Qui plus est, elles ne peuvent établir que la transcription est ou peut être pertinente pour les questions à trancher en appel.

 

[8]               Mme Collins n’a pas expliqué pourquoi elle estime la transcription nécessaire à l’appel. En l’absence d’une telle explication, j’ai tenté, à partir des motifs d’appel précités, de déterminer si la transcription pouvait être utile à notre Cour pour trancher les questions soulevées dans l’avis d’appel.

 

[9]               À mon avis, les motifs d’appel formulés aux paragraphes 7 à 18 mettent en jeu des points de droit. Ces questions, si elles sont toujours en cause lorsque l’appel sera entendu, peuvent être résolues sans avoir recours à ce qui a pu se dire à l’audience en Cour fédérale. Par conséquent, rien ne justifie de conclure que la transcription est nécessaire pour statuer sur ces motifs d’appel.

 

[10]           Les troisième et quatrième motifs d’appel semblent alléguer des erreurs factuelles et autres dans les motifs du jugement. Dans le contexte d’une requête en rejet d’action pour absence de cause d’action valable, c’est généralement en confrontant ces motifs à la preuve documentaire que l’on se prononce sur de telles allégations. Encore une fois, rien ne me permet de conclure que ce qui s’est dit à l’audience en Cour fédérale pourrait avoir un lien quelconque avec ces deux motifs d’appel.

 

[11]           Les premier, deuxième, cinquième et sixième motifs d’appel mettent en jeu l’équité procédurale. Je les examinerai un par un.

 

[12]           Le premier motif d’appel de Mme Collins est que la juge [traduction] « n’a pas respecté les règles d’équité procédurale de la common law en acceptant la requête en radiation modifiée deux fois par la défenderesse, qui comportait des éléments contrevenant directement à une ordonnance restreignant les modifications ». Pour statuer sur ce motif, il faudrait normalement se reporter à l’ordonnance censée limiter le droit de la Couronne de modifier sa requête ainsi qu’aux documents établissant quelles modifications ont effectivement été faites. Rien ne me permet de conclure que la transcription serait  pertinente pour ce motif d’appel.

 

[13]           Suivant le deuxième motif d’appel invoqué par Mme Collins, la juge [traduction] « n’a pas respecté le principe de publicité des audiences réaffirmé à la règle 29(1)(2) des Règles des Cours fédérales en interdisant à la demanderesse de présenter une argumentation orale concernant l’équité procédurale, en rapport avec la requête en radiation modifiée deux fois par la défenderesse ». Même si la juge avait dit quelque chose pouvant avoir empêché Mme Collins de présenter un argument juridique sur ce point, je ne vois pas bien comment les propos qui ont pu être tenus au cours de l’instance devant la Cour fédérale empêcheraient Mme Collins de présenter le même argument juridique dans le cadre du présent appel si le point a été régulièrement soulevé par la requête de la Couronne ou la réponse de Mme Collins. Je ne vois pas en quoi la transcription pourrait être utile à notre Cour pour l’examen de ce motif d’appel.

 

[14]           Dans son cinquième motif d’appel, Mme Collins soutient que la juge [traduction] « n’a pas respecté les règles d’équité procédurale de la common law en signalant à l’avocat de la défenderesse un argument relatif à la compétence et au statut d’ancienne employée de la demanderesse, argument que la défenderesse n’avait pas fait valoir dans sa requête ». Si Mme Collins veut soutenir en appel que la juge a pris en compte un argument juridique dont l’appelante n’avait pas été mise au courant ou auquel elle n’a pas eu la possibilité de répondre, elle est libre de le faire et d’appuyer sa prétention sur les motifs de la juge relatifs à l’examen de cette question d’une part, et sur l’argumentation écrite de la Couronne, d’autre part, afin d’établir que la Couronne n’avait pas invoqué cet argument. Je ne vois pas en quoi la transcription pourrait être utile à cet égard.

 

[15]           Le sixième argument de Mme Collins est que la conduite de la juge faisait naître une crainte raisonnable de partialité. L’avis d’appel ne donne pas de précision et n’explique pas ce qui a amené Mme Collins à considérer qu’il s’agissait là d’un motif d’appel fondé, de sorte que rien ne me permet de conclure que la transcription fournirait des éléments de preuve pouvant être pertinents pour cette question.

 

[16]           Je ne suis pas convaincue que la transcription de l’audience tenue par la Cour fédérale pourrait aider notre Cour à statuer sur l’un quelconque des motifs d’appel. Par conséquent, rien ne justifie de rendre une ordonnance enjoignant la production de l’enregistrement original.

[17]           La requête sera accueillie pour ce qui est d’accorder à Mme Collins un délai supplémentaire pour l’accomplissement des étapes suivantes en vue de parfaire l’appel, mais elle sera rejetée pour le reste. La Couronne n’ayant présenté aucune argumentation, aucuns dépens ne seront adjugés relativement à la présente requête.

 

« K. Sharlow »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad.a.

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