Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20100512

Dossiers : A-61-09

A-62-09

A-64-09

A-65-09

 

Référence : 2010 CAF 119

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

Dossier : A-61-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

DANIELLE VAILLANCOURT-TREMBLAY

intimée

-------------------------------------------

 

ENTRE :

Dossier : A-62-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

GÉRARD TREMBLAY

intimé

-------------------------------------------

 

ENTRE :

Dossier : A-64-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MARTIN TREMBLAY

intimé

-------------------------------------------

 

ENTRE :

Dossier : A-65-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

SUCCESSION DE FEUE HÉLÈNE TREMBLAY

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 23 mars 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 mai 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y A SOUSCRIT :                                                                                                  LE JUGE NADON

 

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 


Date : 20100512

Dossiers : A-61-09

A-62-09

A-64-09

A-65-09

 

Référence : 2010 CAF 119

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

Dossier : A-61-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

DANIELLE VAILLANCOURT-TREMBLAY

intimée

-------------------------------------------

 

ENTRE :

Dossier : A-62-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

GÉRARD TREMBLAY

intimé

-------------------------------------------

 

ENTRE :

Dossier : A-64-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MARTIN TREMBLAY

intimé

-------------------------------------------

 

ENTRE :

Dossier : A-65-09

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

SUCCESSION DE FEUE HÉLÈNE TREMBLAY

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

 

Introduction

[1]               Le présent jugement a trait à quatre appels interjetés à l’encontre d’une décision rendue par le juge Favreau, de la Cour canadienne de l’impôt (2009CCI6, [2009] 4 C.T.C. 2127). Les appels en question ont été joints sur ordonnance du juge Décary le 22 avril 2009, conformément à la règle 342 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 

[2]               Les intimés sont des membres de la famille Tremblay qui détenaient des actions de l’entreprise 9000-8855 Québec Inc. (8855). En vue de leur départ pour l’étranger, ils ont conclu une série d’opérations qui ont abouti à l’échange de leurs actions de 8855 contre des actions ordinaires subalternes du Groupe Vidéotron Ltée (Vidéotron). Le ministre du Revenu national (l’appelante) a considéré que cette disposition avait donné lieu à un dividende réputé en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), et il a établi de nouvelles cotisations à l’égard des intimés. Saisi d’un appel, le juge Favreau, de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt), a statué que le paragraphe 84(2) ne s’appliquait pas. Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec lui et je rejetterais l’appel.

 

Contexte

Dispositions législatives

[3]               Le présent appel porte principalement sur l’interprétation du paragraphe 84(2) et, dans une moindre mesure, de l’article 85.1 de la Loi. Ces deux dispositions se trouvent dans la sous‑section h de la section B de la partie I de la Loi, qui énonce les règles de calcul du revenu des sociétés résidant au Canada.

 

[4]               Selon l’article 84, certaines distributions effectuées par une société résidant au Canada donnent lieu à un dividende réputé imposable. Le paragraphe 84(2) vise à empêcher les sociétés, lors de la liquidation, de la cessation de l’exploitation ou de la réorganisation de leur entreprise, de verser à leurs actionnaires ce qui devrait être une rémunération imposable sous la forme d’un rendement manifestement libre d’impôt du capital versé en prévoyant que les fonds distribués qui dépassent le montant du capital versé sont réputés constituer des dividendes imposables. Ce paragraphe se lit comme suit :

 

Distribution lors de liquidation, etc.

 

(2) Lorsque des fonds ou des biens d’une société résidant au Canada ont, à un moment donné après le 31 mars 1977, été distribués ou autrement attribués, de quelque façon que ce soit, aux actionnaires ou au profit des actionnaires de tout catégorie d’actions de son capital-actions, lors de la liquidation, de la cessation de l’exploitation ou de la réorganisation de son entreprise, la société est réputée avoir versé au moment donné un dividende sur les actions de cette catégorie, égal à l’excédent éventuel du montant ou de la valeur visés à l’alinéa a) sur le montant visé à l’alinéa b):

a) le montant ou la valeur des fonds ou des biens distribués ou attribués, selon le cas;

 

b) le montant éventuel de la réduction, lors de la distribution ou de l’attribution, selon le cas, du capital versé relatif aux actions de cette catégorie;

chacune des personnes qui détenaient au moment donné une ou plusieurs des actions émises est réputée avoir reçu à ce moment un dividende égal à la fraction de l’excédent représentée par le rapport existant entre le nombre d’actions de cette catégorie qu’elle détenait immédiatement avant ce moment et le nombre d’actions émises de cette catégorie qui étaient en circulation immédiatement avant ce moment.

Distribution on winding-up, etc.

 

(2) Where funds or property of a corporation resident in Canada have at any time after March 31, 1977 been distributed or otherwise appropriated in any manner whatever to or for the benefit of the shareholders of any class of shares in its capital stock, on the winding-up, discontinuance or reorganization of its business, the corporation shall be deemed to have paid at that time a dividend on the shares of that class equal to the amount, if any, by which

 

 

 

(a) the amount or value of the funds or property distributed or appropriated, as the case may be,

exceeds

(b) the amount, if any, by which the paid-up capital in respect of the shares of that class is reduced on the distribution or appropriation, as the case may be,

and a dividend shall be deemed to have been received at that time by each person who held any of the issued shares at that time equal to that proportion of the amount of the excess that the number of the shares of that class held by the person immediately before that time is of the number of the issued shares of that class outstanding immediately before that time.

 

 

[5]               L’article 85.1 crée un « roulement ». Lorsqu’un contribuable reçoit le produit de la disposition d’un bien qui excède le coût fiscal de ce bien (le prix de base rajusté), il réalise généralement un gain en capital imposable. Dans certaines situations, le contribuable est autorisé à reporter la constatation du gain en capital issu de la disposition du bien jusqu’à ce que ce dernier fasse l’objet d’une nouvelle disposition. Dans ces cas, les caractéristiques fiscales du bien font l’objet d’un « roulement » jusqu’à la disposition imposable finale. Le roulement est permis en vertu de l’article 85.1 quand des actions d’une société résidant au Canada sont émises en faveur d’un contribuable en échange d’actions d’une autre société résidant au Canada (« échange d’actions ») :

Échange d’actions

 

85.1 (1) Les règles suivantes s’appliquent, sous réserve du paragraphe (2), dans le cas où une société canadienne (appelée « acheteur » au présent article) émet des actions d’une catégorie de son capital-actions en faveur d’un contribuable (appelé « vendeur » au présent article), en échange d’immobilisations du vendeur qui sont des actions d’une catégorie du capital-actions (appelées « actions échangées » au présent article) d’une autre société qui est une société canadienne imposable (appelée « société acquise » au présent article):

a) sauf lorsque le vendeur a, dans sa déclaration d’impôt pour l’année d’imposition au cours de laquelle a eu lieu l’échange, inclus dans le calcul de son revenu pour cette année, toute partie du gain ou de la perte, par ailleurs déterminée, provenant de la disposition des actions échangées, le vendeur est réputé :

 

(i) avoir tiré un produit de disposition des actions échangées égal au prix de base rajusté de celles-ci, pour lui, immédiatement avant l’échange,

 

 

(ii) avoir acquis les actions de l’acheteur à un coût, pour lui, égal au prix de base rajusté des actions échangées, pour lui, immédiatement avant l’échange;

 

en outre, lorsque les actions échangées étaient un bien canadien imposable du vendeur, les actions de l’acheteur qu’il a ainsi acquises sont réputées être un bien canadien imposable du vendeur;

 

b) le coût pour l’acheteur de chaque action échangée à un moment donné qui n’est pas postérieur au moment où il a disposé de l’action est réputé être le moins élevé des montants suivants :

(i) la juste valeur marchande de l’action immédiatement avant l’échange,

(ii) le capital versé au titre de l’action immédiatement avant l’échange.

 

 

Non-application du par. (1)

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) le vendeur et l’acheteur avaient un lien de dépendance immédiatement avant l’échange (autrement qu’à cause d’un droit visé à l’alinéa 251(5)b) qui permet à l’acheteur d’acquérir les actions échangées);

 

 

b) le vendeur, les personnes avec qui il a un lien de dépendance ou le vendeur et les personnes avec qui il a un lien de dépendance :

 

(i) soit contrôlaient l’acheteur,

 

(ii) soit avaient la propriété effective d’actions du capital-actions de l’acheteur dont la juste valeur marchande est égale à plus de 50 % de la juste valeur marchande de toutes les actions en circulation du capital-actions de l’acheteur,

 

immédiatement après l’échange;

 

c) le vendeur et l’acheteur ont présenté un choix en vertu du paragraphe 85(1) ou (2) à l’égard des actions échangées;

 

 

d) la contrepartie, à l’exception d’actions de la catégorie donnée du capital-actions de l’acheteur, a été reçue par le vendeur en compensation des actions échangées, malgré le fait que le vendeur ait pu disposer d’actions du capital-actions de la société acquise (à l’exception des actions échangées) en faveur de l’acheteur moyennant une contrepartie autre que des actions d’une catégorie du capital-actions de l’acheteur;

e) le vendeur, à la fois :

(i) est la société étrangère affiliée d’un contribuable résidant au Canada à la fin de l’année d’imposition du vendeur au cours de laquelle l’échange a été effectué,

(ii) a inclus, dans le calcul de son revenu étranger accumulé, tiré de biens pour son année d’imposition au cours de laquelle l’échange a été effectué, une partie du gain ou de la perte, déterminé par ailleurs, provenant de la disposition des actions échangées.

Share for share exchange

 

85.1 (1) Where shares of any particular class of the capital stock of a Canadian corporation (in this section referred to as the “purchaser”) are issued to a taxpayer (in this section referred to as the “vendor”) by the purchaser in exchange for a capital property of the vendor that is shares of any particular class of the capital stock (in this section referred to as the “exchanged shares”) of another corporation that is a taxable Canadian corporation (in this section referred to as the “acquired corporation”), subject to subsection 85.1(2),

 

(a) except where the vendor has, in the vendor’s return of income for the taxation year in which the exchange occurred, included in computing the vendor’s income for that year any portion of the gain or loss, otherwise determined, from the disposition of the exchanged shares, the vendor shall be deemed

 

(i) to have disposed of the exchanged shares for proceeds of disposition equal to the adjusted cost base to the vendor of those shares immediately before the exchange, and

 

 

(ii) to have acquired the shares of the purchaser at a cost to the vendor equal to the adjusted cost base to the vendor of the exchanged shares immediately before the exchange,

 

and where the exchanged shares were taxable Canadian property of the vendor, the shares of the purchaser so acquired by the vendor shall be deemed to be taxable Canadian property of the vendor; and

 

(b) the cost to the purchaser of each exchanged share, at any time up to and including the time the purchaser disposed of the share, shall be deemed to be the lesser of

(i) its fair market value immediately before the exchange, and

(ii) its paid-up capital immediately before the exchange.

 

 

 

Where s. (1) does not apply

(2) Subsection 85.1(1) does not apply where

(a) the vendor and purchaser were, immediately before the exchange, not dealing with each other at arm’s length (otherwise than because of a right referred to in paragraph 251(5)(b) that is a right of the purchaser to acquire the exchanged shares);

(b) the vendor or persons with whom the vendor did not deal at arm’s length, or the vendor together with persons with whom the vendor did not deal at arm’s length,

 

 

(i) controlled the purchaser, or

 

(ii) beneficially owned shares of the capital stock of the purchaser having a fair market value of more than 50% of the fair market value of all of the outstanding shares of the capital stock of the purchaser,

 

immediately after the exchange;

(c) the vendor and the purchaser have filed an election under subsection 85(1) or 85(2) with respect to the exchanged shares;

 

(d) consideration other than shares of the particular class of the capital stock of the purchaser was received by the vendor for the exchanged shares, notwithstanding that the vendor may have disposed of shares of the capital stock of the acquired corporation (other than the exchanged shares) to the purchaser for consideration other than shares of one class of the capital stock of the purchaser; or

 

 

 

(e) the vendor

(i) is a foreign affiliate of a taxpayer resident in Canada at the end of the taxation year of the vendor in which the exchange occurred, and

(ii) has included any portion of the gain or loss, otherwise determined, from the disposition of the exchanged shares in computing its foreign accrual property income for the taxation year of the vendor in which the exchange occurred.

 

Opération faisant l’objet de l’appel

[6]               Comme je l’ai mentionné plus tôt, les intimés sont des membres de la famille Tremblay. Jusqu’en 1989, la famille Tremblay était propriétaire de Télésag Inc., une entreprise de câblodistribution, par l’intermédiaire de sa société « Les Placements M.H.T. Inc. » (MHT). En février 1989, MHT a vendu ses actions de Télésag à Vidéotron en échange d’actions privilégiées de Vidéotron.

 

[7]               En 1994, les intimés ont décidé de s’installer à l’étranger et ont cherché à réorganiser leurs affaires pour faciliter leur départ. En conséquence, ils ont constitué 8855 en société le 2 février 1994. Le 15 février 1994, ils ont vendu leurs actions de MHT à 8855 en échange d’actions de catégorie A de 8855. Les intimés ont différé la constatation des gains en capital éventuels sur cette opération en se prévalant de la disposition de roulement prévue au paragraphe 85(1) de la Loi.

 

[8]               Le lendemain, le 16 février 1994, MHT s’est servie de la disposition de roulement du paragraphe 85(1) de la Loi pour transférer les titres suivants de Vidéotron à 8855 (les titres convertibles) :

 

a.       425 174 actions privilégiées de premier rang de série B à dividende cumulatif de 8 %, convertibles en actions subalternes avec droit de vote suivant un taux de trois actions subalternes pour chaque action privilégiée de série B (les actions privilégiées);

b.      92 débentures subordonnées non garanties portant intérêt au taux de 11 3/4 %, d’une valeur nominale totale de 5 175 000 $ (soit 56 250 $ par débenture), convertibles au gré de Vidéotron en actions subalternes avec droit de vote suivant un taux de conversion de 3 000 actions subalternes par débenture (les débentures).

 

[9]               Le 25 février 1994, une entente est intervenue entre Vidéotron et les intimés, suivant laquelle Vidéotron acceptait de « prêter indirectement et de façon subsidiaire son concours aux dernières étapes de la réorganisation corporative. » L’entente précisait que Vidéotron prêterait son concours si les conditions suivantes étaient remplies :

 

a.       les intimés devaient renoncer à une somme de 335 071,48 $ au titre de dividendes sur les actions privilégiées et à une somme de 200 928,52 $ au titre d’intérêts sur les débentures;

b.      le conseil d’administration de Vidéotron devait approuver l’émission d’actions subalternes du capital-actions de Vidéotron en contrepartie de l’achat d’actions d’une société contrôlée par les intimés;

c.       les intimés devaient s’engager à indemniser Vidéotron de toute réclamation pouvant découler de l’opération et fournir une lettre de crédit bancaire irrévocable d’au moins 1 000 000 $, valable pour une période d’au moins cinq ans à compter de son émission;

d.      Vidéotron devait obtenir les dispenses nécessaires des bourses et des organismes de réglementation des valeurs mobilières, et les intimés devaient fournir les engagements requis à cette fin;

e.       les intimés devaient assumer toutes les dépenses engagées par Vidéotron dans le cadre de la réorganisation;

f.        la réorganisation devait être complétée au plus tard le 8 avril 1994.

[10]           L’entente prévoyait également que Vidéotron procéderait au rachat des titres convertibles le 26 avril 1994, à moins que ces titres n’aient été convertis avant cette date.

 

[11]           Le 7 mars 1994, Vidéotron a fractionné ses actions subalternes sur la base de deux pour une; 8855 a fait de même à l’égard de ses actions de catégorie A. Le 31 mars 1994, la Commission des valeurs mobilières du Québec a octroyé une dispense de publication d’un prospectus et d’inscription à l’égard de l’opération proposée.

 

[12]           Le 6 avril 1994, Vidéotron et les intimés ont procédé à l’échange d’actions prévu par l’entente, en vertu de la disposition de roulement du paragraphe 85.1(1) de la Loi. Les intimés ont transféré à Vidéotron la totalité du capital-actions de 8855. Vidéotron a ensuite émis en leur faveur 3 103 044 nouvelles actions ordinaires subalternes (les actions ordinaires de Vidéotron). Immédiatement après l’échange, Vidéotron, qui était désormais propriétaire de 8855, a annulé la totalité de la dette que 8855 avait envers elle en vertu de l’ancien paragraphe 80(3) de la Loi. Vidéotron a ensuite procédé à la liquidation de 8855, qui a été dissoute, annulant les titres convertibles sans contrepartie. En conséquence, l’obligation qu’avait Vidéotron de racheter les titres convertibles le 26 avril 1994 n’avait plus aucun effet. Les intimés ont ensuite obtenu la lettre de crédit requise auprès de la Banque Nationale du Canada.

 

[13]           Les intimés ont quitté le Canada le 7 avril 1994.

 

[14]           Le 30 décembre 2004, l’appelante a établi de nouvelles cotisations à l’égard des intimés pour l’année d’imposition 1994. Les nouvelles cotisations incluaient dans le revenu des intimés des dividendes majorés réputés imposables en vertu du paragraphe 84(2) relativement à l’opération.

 

Décision de la Cour de l’impôt

[15]           En appel, les parties ont présenté à la Cour de l’impôt des arguments semblables à ceux qu’ils ont fait valoir devant la Cour dans la présente instance. Les intimés ont soutenu principalement que le paragraphe 84(2) ne s’applique pas à l’opération et que celle-ci pouvait faire l’objet d’un roulement en tant qu’échange d’actions en vertu de l’article 85.1 L’appelante a concédé que l’opération était admissible à un roulement en vertu de l’article 85.1, mais elle a soutenu que le paragraphe 84(2) s’appliquait également.

 

[16]           Le juge de la Cour de l’impôt a accueilli l’appel et statué que le paragraphe 84(2) ne s’appliquait pas. Premièrement, il a conclu que ce paragraphe et l’article 85.1 pouvaient être appliqués de façon concurrente. Deuxièmement, il a souligné que l’appelante n’avait pas fait valoir que l’opération était un trompe‑l’œil ou que la règle générale anti-évitement énoncée à l’article 245 devait s’appliquer. Par conséquent, il a fondé sa décision uniquement sur la question de savoir si le paragraphe 84(2) s’appliquait. Il a rappelé que le juge en chef Bowman a conclu, au paragraphe 22 de RMM Canadian Enterprises Inc. c. Canada, [1998] 1 C.T.C. 2300 [RMM], que le paragraphe 84(2) contient des « mots [ayant] une portée fort large et [qui] visent un bon nombre de façons de remettre aux actionnaires les fonds de l’entreprise » (paragraphe 18 de la décision de la Cour de l’impôt).

 

[17]           Troisièmement, le juge de la Cour de l’impôt a analysé la jurisprudence sur la question, notamment RMM, Geransky c. Canada, [2001] 2 C.T.C. 2147 [Geransky], et Merritt c. Canada (Minister of National Revenue – M.N.R.) [1941] Ex.C.R. 175. Il s’est attardé plus particulièrement à RMM. Cette décision concernait Equilease Corporation, une société mère américaine qui avait tenté de liquider sa filiale canadienne, Equilease Limited, sans avoir à effectuer la retenue d’impôt des non-résidents. À cette fin, RMM avait obtenu un prêt sur l’actif d’Equilease Limited équivalant à la valeur des éléments d’actif de cette société. RMM s’était ensuite servie du prêt pour acheter Equilease Limited à Equilease Corporation et avait utilisé l’actif d’Equilease Limited pour rembourser le prêt. RMM avait aussi reçu 140 000 $ de baux qui constituaient des créances dues à Equilease Limited. Le juge en chef Bowman a statué que le paragraphe 84(2) créait un dividende réputé car RMM « voulait uniquement gagner ce qui était essentiellement une rémunération parce qu’elle agissait comme facilitateur dans l’opération » (RMM, paragraphe 17, cité au paragraphe 32 de la décision de la Cour de l’impôt).

 

[18]           Après avoir examiné les faits et la jurisprudence pertinente, le juge de la Cour de l’impôt a décidé que l’opération n’était pas assujettie au paragraphe 84(2) et il a accueilli l’appel. Il a souligné que Vidéotron n’était pas une « société de commodité » du type de celle en cause dans RMM (paragraphe 46 de la décision) et que la nature juridique des actions ordinaires de Vidéotron que les intimés avaient reçues était différente de celle des actions privilégiées et des débentures détenues par 8855. De fait, les actions subalternes émises à l’intention des intimés étaient des actions nouvellement émises qui ne pouvaient donc pas avoir appartenu à 8855 (paragraphe 48 de la décision).

 

Questions en litige dans le cadre de l’appel

[19]           L’appelante affirme que les titres convertibles ont été distribués aux intimés et que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en statuant qu’il fallait que les intimés aient reçu des biens identiques en contrepartie des actions de 8855.

 

Thèse de l’appelante

[20]           L’appelante fait valoir que l’objectif suprême de l’opération consistait à permettre aux intimés de garder les actions ordinaires de Vidéotron sans avoir à payer d’impôt de départ en application de l’article 128.1, lequel prévoit essentiellement qu’il y a disposition réputée des biens à leur juste valeur marchande quand le contribuable émigre à l’étranger, sauf s’il s’agit de biens canadiens imposables. Compte tenu de ce principe, l’appelante présente quatre arguments.

 

[21]           Premièrement, elle soutient que Vidéotron a agi à titre de « facilitateur ». Ce rôle a bénéficié à Vidéotron car les intimés ont renoncé à tout paiement de dividendes et d’intérêts relativement aux titres convertibles.

 

[22]           Deuxièmement, elle fait valoir que l’opération a eu pour effet de transformer les titres convertibles de 8855 en actions ordinaires de Vidéotron, puis de les transférer aux intimés. Selon l’appelante, la valeur des titres convertibles et celle des actions ordinaires de Vidéotron étaient équivalentes. Elle rappelle que la Commission des valeurs mobilières du Québec a considéré que les deux types de valeurs mobilières avaient le même effet. En conséquence, même si la nature juridique des valeurs mobilières reçues par les intimés n’était pas identique à celle des titres convertibles, les biens étaient essentiellement les mêmes.

 

[23]           Troisièmement, l’appelante soutient que le paragraphe 84(2) n’exigeait pas la participation active de 8855.

 

[24]           Quatrièmement, l’appelante soutient que le juge de la Cour de l’impôt a eu tort d’ajouter une condition supplémentaire au paragraphe 84(2) en exigeant que les biens transférés et reçus soient identiques.

 

Thèse des intimés

[25]           Les intimés soulèvent sept points de façon générale. Premièrement, ils prétendent que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas fondé sa décision sur le fait que les biens transférés et reçus doivent être identiques, mais plutôt sur le fait qu’il ne pouvait pas y avoir eu attribution des biens de 8855 étant donné que les actions reçues par les intimés avaient été nouvellement créées.

 

[26]           Deuxièmement, les intimés contestent l’affirmation de l’appelante suivant laquelle l’objectif de l’opération était d’éviter la création d’un dividende réputé en vertu de l’article 128.1. Ils soulignent que les actions de 8855 étaient considérées comme des biens canadiens imposables avant l’opération et qu’ils n’auraient donc pas été assujettis à la règle sur la disposition réputée de l’article 128.1. Ils font valoir plutôt qu’ils cherchaient seulement à accroître la liquidité résultant de leur capacité de vendre les actions de Vidéotron sans avoir à obtenir un certificat de décharge ou à retenir une partie du prix d’achat.

[27]           Troisièmement, les intimés soutiennent que les biens de 8855 ne leur ont pas été attribués sous forme d’actions ordinaires de Vidéotron et ce, pour quatre raisons. Tout d’abord, 8855 a conservé la totalité de son actif jusqu’à sa liquidation par Vidéotron. Ensuite, les actions ordinaires de Vidéotron étaient nouvellement émises et n’auraient pas pu appartenir auparavant à 8855. De plus, la nature juridique des actions ordinaires de Vidéotron était différente de celle des titres convertibles, étant donné que des droits différents sont rattachés à des catégories différentes de valeurs mobilières. Enfin, les relations juridiques d’un contribuable doivent être respectées en l’absence d’une opération trompe-l’œil (voir Shell Canada Ltée. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 [Shell Canada]). Comme l’appelante n’allègue pas qu’il y a eu une opération trompe-l’œil, l’effet juridique de l’opération est primordial.

 

[28]           Quatrièmement, selon les intimés, RMM peut être distingué de l’espèce à cinq égards. Premièrement, dans RMM, les biens remis à l’actionnaire étaient identiques, sur le plan juridique, aux biens de la société. Deuxièmement, dans RMM, les biens de la filiale canadienne avaient été donnés en garantie du remboursement du prêt bancaire utilisé pour l’acheter. Troisièmement, RMM avait été créée pour servir d’intermédiaire en vue de faciliter l’opération, tandis que Vidéotron est une société bien établie et que le juge de la Cour de l’impôt a conclu expressément qu’il ne s’agissait pas d’un simple facilitateur. En dernier lieu, dans RMM, la Cour de l’impôt a conclu que l’opération constituait un « dépouillement de surplus » des éléments d’actif d’Equilease Canada. En l’espèce, les intimés soutiennent que l’objet de l’opération était d’accroître la liquidité de leur participation dans Vidéotron.

 

[29]           D’après les intimés, la présente affaire ressemble davantage à Geransky. Dans cette affaire, l’appelant et son frère possédaient la totalité des actions de Geransky Brothers Construction Ltd. (GBC), une entreprise de fabrication et de construction en béton. Pour des raisons d’affaires, GBC a décidé de vendre les activités de fabrication de l’entreprise à Lafarge Canada Inc. Afin de conclure la vente, les frères ont transféré des actions de leur société de portefeuille, Geransky Brothers Holding Ltd. (GH), à une société à numéro (NumCo) en échange d’actions de NumCo. GBC a ensuite transféré les éléments d’actif visés à GH sous forme d’un dividende en nature de un million de dollars. GH a alors racheté ses actions à NumCo en échange des éléments d’actif, donnant ainsi les actifs visés à NumCo. Les frères ont ensuite vendu leurs actions de NumCo à Lafarge pour un million de dollars, ce qui a donné à Lafarge le contrôle des éléments d’actif. Le ministre du Revenu national a établi des cotisations relativement à un dividende réputé en vertu du paragraphe 84(2). Le juge en chef par intérim Bowman (plus tard juge en chef de la Cour de l’impôt) a statué que le paragraphe 84(2) ne s’appliquait pas, notamment parce que Lafarge n’était pas le genre de société de commodité évoquée dans RMM (paragraphe 21c) de Geransky).

 

[30]           Cinquièmement, les intimés font valoir que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas ajouté de condition supplémentaire au paragraphe 84(2). Lorsqu’il a utilisé le terme « identiques », il ne s’agissait que d’un qualificatif visant à indiquer clairement que les biens de 8855 n’avaient pas été distribués aux intimés.

 

[31]           Sixièmement, les intimés soutiennent subsidiairement que, s’il y a eu distribution ou attribution de biens de la société en faveur des actionnaires, celle‑ci n’a pas eu lieu lors de la liquidation de 8855 puisque cette société a continué de détenir les titres convertibles jusqu’à sa liquidation par Vidéotron après l’échange.

 

[32]           Enfin, les intimés prétendent subsidiairement que, même si les biens de 8855 ont été distribués ou attribués lors de la liquidation, l’article 85.1 et le paragraphe 84(2) ne peuvent s’appliquer de façon concurrente. À leur avis, l’application concurrente ferait en sorte qu’il est impossible de déterminer le produit de la disposition des actions de 8855 ou le prix de base des actions ordinaires de Vidéotron, entraînerait une double imposition et serait contraire aux principes d’interprétation législative et incompatible avec les objectifs de la politique fiscale.

 

Analyse

[33]           L’appelante prétend que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en exigeant l’échange de biens identiques. Il s’agit d’une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).

 

[34]           Je suis d’accord avec le juge de la Cour de l’impôt pour dire que le paragraphe 84(2) ne peut s’appliquer étant donné que les biens reçus par les intimés n’ont jamais appartenu à 8855. Par conséquent, les biens de 8855 n’ont jamais été « distribués ou autrement attribués, de quelque façon que ce soit » aux intimés. L’appel doit donc être rejeté. Je m’appuie sur deux sources pour justifier cette interprétation. Tout d’abord, j’estime que le sens ordinaire du paragraphe 84(2) est clair. Ensuite, je suis d’avis que la jurisprudence confirme cette interprétation.

 

Sens ordinaire

[35]           Dans Hypothèques Trustco Canada Co. c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 [Trustco], la Cour suprême a statué au paragraphe 10 : « Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. » L’appelante soutient que les termes « distribués ou autrement attribués, de quelque façon que ce soit » doivent être interprétés de façon libérale. Elle a peut-être raison, mais la partie du paragraphe 84(2) la plus pertinente en l’espèce se trouve en réalité au début de la disposition, soit « [l]orsque des fonds ou des biens d’une société résidant au Canada [...] ». Selon la seule interprétation logique de ces termes, les biens distribués ou attribués par le destinataire doivent être les biens de la société résidant au Canada en question. En l’espèce, les actions ordinaires de Vidéotron étaient des titres nouvellement émis qui n’avaient jamais appartenu à 8855. Comme le soulignent les intimés, 8855 a conservé ses biens jusqu’à sa liquidation au profit de Vidéotron.

 

[36]           L’appelante affirme que, même si la nature juridique des biens reçus par les intimés était différente de celle des actions de 8855, l’opération portait au fond sur les mêmes biens, sous réserve de la transformation des titres convertibles en actions ordinaires de Vidéotron. Cet argument ne tient pas la route. En droit fiscal, la nature juridique de l’opération est primordiale. Dans Trustco, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 11 : « Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent. » Elle a dit dans Shell Canada :

39        Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l’opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle-ci : Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n’a jamais statué que la réalité économique d’une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu’en l’absence d’une disposition expresse contraire de la Loi ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe-l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, 1998 CanLII 794 (C.S.C.), [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

 

40        Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l’examen de la « réalité économique » d’une opération donnée ou de l’objet général et de l’esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l’obligation d’appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée : Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, 1994 CanLII 88 (C.S.C.), [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, 1995 CanLII 62 (C.S.C.), [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., 1996 CanLII 244 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[37]           En l’espèce, l’appelante ne prétend pas qu’il y a eu trompe-l’œil et ne s’est pas servie de la règle générale anti-évitement de l’article 245. L’opération juridique et la disposition en question sont claires. Par conséquent, l’effet juridique étroit et sans ambiguïté de la réorganisation en cause en l’espèce doit être respecté, et le paragraphe 84(2) ne peut s’appliquer.

 

Jurisprudence

[38]           L’appelante cite abondamment RMM. Je ne crois pas cependant que cette décision soit parfaitement applicable en l’espèce. Dans RMM, il n’y a eu aucune « transformation » des biens en cause. RMM a versé un montant en espèces à Equilease Limited pour les actions de cette dernière. Elle a ensuite liquidé Equilease Limited et remboursé Equilease Corporation (la société mère américaine d’Equilease Limited) en lui versant le montant exact qu’elle avait utilisé pour acquérir les actions. Il n’y a jamais eu de transformation de la nature des biens.

 

[39]           En fait, le juge en chef Bowman s’est clairement attardé à analyser le caractère juridique de l’opération :

18        Qu’en est-il du fait que les actions ont été vendues? Bien sûr, elles l’ont été. Il ne s’agissait pas d’un trompe-l’œil. La « vente d’actions » est une description précise de la relation juridique. Je ne laisse pas non plus entendre que, selon la doctrine de la « primauté du fond sur la forme », je devrais opter pour une relation juridique autre que la vente. Telle n’est pas la doctrine. En effet, cette doctrine dit plutôt qu’aux fins de l’impôt, on ne peut pas changer la nature essentielle d’une opération en l’appelante par un autre nom. C’est la véritable relation juridique et non la nomenclature qu’il faut prendre en considération. De son côté, le ministre ne peut pas dire au contribuable qu’en utilisant une structure juridique, il est arrivé sur le plan financier au même résultat que celui auquel il serait arrivé s’il avait utilisé une autre structure, de sorte qu’il n’est pas tenu compte de la structure utilisée et qu’il est estimé que l’autre structure a été utilisée.

 

19        On ne saurait nier la vente ou ne pas en tenir compte. Il faut plutôt la replacer dans le contexte approprié compte tenu de l’ensemble de l’opération. La vente des actions d’EL et la liquidation ou la cessation de l’exploitation ne s’excluent pas mutuellement. Elles sont plutôt complémentaires. La vente n’était qu’un aspect de l’opération décrite au paragraphe 84(2), qui donne lieu au dividende réputé. […] Je ne crois pas que du fait que les fonds soient brièvement passés par RMM on puisse les désigner d’une façon différente de celle dont ils étaient désignés en tant que fonds d’EL distribués ou attribués à EC ou au profit de cette dernière. Je ne crois pas non plus que le fait que les fonds que RMM a versés à EC ont été empruntés à la banque, puis que RMM les a immédiatement remboursés à l’aide de l’argent d’EL, soit suffisant pour qu’il ne soit pas tenu compte des mots « de quelque façon que ce soit ».

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[40]           Le juge en chef Bowman a donc affirmé clairement dans RMM que les fonds reçus étaient les mêmes que ceux qui avaient été distribués. Pour les motifs qui précèdent cependant, les biens reçus par les intimés en l’espèce n’ont tout simplement jamais été des biens de 8855. Si les actions ordinaires de Vidéotron reçues par les intimés étaient réputées avoir appartenu à 8855, cela reviendrait à dire : « Je dois faire fi de la structure que vous avez utilisée et vous traiter comme si vous aviez utilisé l’autre. » Une telle interprétation serait contraire à RMM, Shell Canada et Trustco.

 

[41]           Bien que les intimés exhortent la Cour à appliquer Geransky, il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur cette décision ni d’établir une distinction entre elle et la présente affaire. En l’espèce, le sens ordinaire du paragraphe 84(2) permet de trancher le litige : puisque les actions ordinaires de Vidéotron reçues par les intimés n’ont jamais appartenu à 8855, il est tout simplement impossible que le paragraphe 84(2) entre en jeu. Celui-ci exige l’attribution ou la distribution de biens d’une société. Or, 8855 a conservé tous ses éléments d’actif jusqu’à ce qu’elle soit liquidée par Vidéotron. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a eu aucune distribution ou attribution de biens de 8855 et que l’opération ne donne donc pas lieu à un dividende réputé.

 

Autres questions

[42]           Étant donné que j’ai conclu qu’il n’y avait pas eu de distribution ou d’attribution au sens du paragraphe 84(2) et que l’appelante concède que l’article 85.1 s’applique, il n’est pas nécessaire que je détermine si l’opération est survenue lors de la liquidation ou si le paragraphe 84(2) et l’article 85.1 peuvent s’appliquer de façon concurrente. Dans les faits de l’espèce, l’article 85.1 s’applique, mais non le paragraphe 84(2).

 

[43]           Les parties ont aussi présenté des observations au sujet des motifs qui ont poussé les intimés à effectuer l’opération en cause en l’espèce. Encore une fois, l’appelante soutient que l’objectif de l’opération était d’éviter une disposition réputée visée à l’article 128.1. Les intimés soutiennent que cet article se serait appliqué malgré l’opération, car les éléments d’actif de 8855 étaient des biens canadiens imposables et que l’opération visait à accroître la liquidité en évitant la nécessité d’obtenir un certificat de décharge avant la disposition. L’appelante ne prétend cependant pas que l’opération était un trompe‑l’œil. Par conséquent, la motivation des intimés n’a aucune importance. L’appelante a établi des cotisations à l’égard des intimés en vertu du paragraphe 84(2), et cette disposition ne fait pas référence à la motivation des parties; par conséquent, la raison pour laquelle les intimés ont procédé à l’opération n’a absolument aucune incidence sur l’issue de l’affaire.

 

Conclusion

[44]           À la base, il s’agissait de décider si les biens de 8855 ont été distribués aux intimés. Comme je l’ai mentionné précédemment, les intimés n’ont jamais reçu de biens de 8855. Par conséquent, le paragraphe 84(2) n’entre pas en jeu. Je rejetterais l’appel et accorderais aux intimés un seul mémoire de frais devant la Cour et devant la Cour de l’impôt. Les présents motifs seront versés au dossier A-61-09, avec une copie dans chacun des dossiers A‑62‑09, A‑64‑09 et A‑65‑09.

« Johanne Trudel »

Juge

 

« Je suis d’accord

            M. Nadon, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.
LE JUGE EN CHEF BLAIS (motifs dissidents)

 

 

[45]           J’ai eu le privilège de lire les motifs de ma collègue, la juge Trudel. Bien que le contexte factuel ne soit pas en litige, en toute déférence, je suis incapable de souscrire à sa conclusion.

 

[46]           Il ne peut être contesté que, par suite d’une série d’opérations prédéterminées ayant abouti à la liquidation de 8855, les intimés sont devenus les propriétaires directs d’une participation dans Vidéotron qui remplaçait ce qui était une participation indirecte dans Vidéotron qu’ils avaient détenue en étant propriétaires de 8855. Il s’agit là à première vue d’une assise factuelle suffisante pour faire entrer en jeu le paragraphe 84(2). La question est de savoir si l’application de ce paragraphe est évitée simplement parce que la participation directe des intimés dans Vidéotron prend la forme d’actions nouvellement émises de Vidéotron ayant remplacé les actions et les débentures convertibles de Vidéotron que détenaient auparavant indirectement les intimés par l’intermédiaire de 8855. À mon avis, la réponse doit être négative.

 

[47]           Selon moi, l’issue de la présente affaire est régie par l’arrêt Smythe c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1970] R.C.S. 64 (Smythe), où la Cour suprême a conclu que le paragraphe 81(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, s’appliquait à une série d’opérations qui ressemblaient fondamentalement aux opérations en cause en l’espèce.

 

[48]           Le paragraphe 81(1) se lisait comme suit à l’époque :

81. (1) Lorsque, au moment où la corporation avait en main un revenu non distribué, des fonds ou des biens d’une corporation ont, de quelque façon, été distribués à un ou plusieurs de ses actionnaires, ou autrement affectés à leur avantage, lors de la liquidation, de la cessation ou de la réorganisation de son entreprise, chaque actionnaire est censé d’avoir reçu à cette époque un dividende égal au moindre

 

a) du montant des fonds ou de la valeur des biens ainsi distribués ou à lui affectés, ou

 

b) de sa portion du revenu non distribué alors en main.

 

[49]           Les faits sont résumés de la façon suivante dans Smythe :

En 1961, les appelantes détenaient presque toutes les actions d’une société active ayant des avoirs considérables et un revenu en main non distribué de $728,652. Une nouvelle société a été constituée en corporation en Ontario. Les appelantes étaient actionnaires de cette nouvelle société en proportion égale à leur part respective dans l’ancienne société. Tous les avoirs de l’ancienne société ont été vendus à la nouvelle société en échange d’un billet à ordre pour un montant de $2,611,769. La nouvelle société a obtenu un prêt bancaire pour payer l’ancienne société et cette dernière s’est servie de cet argent pour acheter des actions privilégiées de deux sociétés établies à Vancouver. Les appelantes ont vendu comptant aux deux sociétés de Vancouver leurs actions de l’ancienne société, à raison d’un dollar pour un dollar de capital et de 95 c. pour un dollar de revenu non distribué. Les appelantes ont alors investi une partie de cet argent dans l’achat d’obligations de la nouvelle société. Lorsque toutes les transactions ont été terminées, le revenu non distribué de l’ancienne société était entre les mains des appelantes, partie en espèces et partie en obligations de la nouvelle société, aucun impôt sur le revenu n’ayant été payé sur cette répartition. Le Ministre a cotisé à nouveau les appelantes en vertu de l’art. 81(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148.

 

[50]           Même s’il y avait, dans Smythe, attribution d’un revenu en main non distribué aux actionnaires, les biens avaient été transformés par suite de diverses opérations, dont la constitution d’une nouvelle société et d’entreprises non apparentées, ainsi que des prêts bancaires, jusqu’à ce que les biens se retrouvent à nouveau détenus par les appelants sous la forme désirée.

 

[51]           Le juge Judson a dit à la page 68 :

Il n’y a qu’une conclusion possible de l’examen de ces transactions artificielles et c’est que leur seul but était de répartir ou autrement affecter à l’avantage des actionnaires le « revenu en main non distribué » de l’ancienne société. Aucune preuve testimoniale ou autre preuve documentaire n’est requise en sus de cet examen. Toutefois, il y avait en plus une surabondance de preuve. C’était un plan bien réfléchi adopté sur l’avis de conseillers professionnels, après que d’autres moyens d’obtenir le revenu non distribué […]

 

[52]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel.

 

 

« Pierre Blais »

Juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                         A-61-09, A-62-09, A-64-09, A-65-09

 

INTITULÉS :                                        SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                               DANIELLE VAILLANCOURT-TREMBLAY

                                                               SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                               GÉRARD TREMBLAY

                                                               SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                               MARTIN TREMBLAY

                                                               SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                               SUCCESSION DE FEUE HÉLÈNE TREMBLAY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                  Le 23 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               LA JUGE TRUDEL

 

Y A SOUSCRIT :                                  LE JUGE NADON

 

MOTIFS DISSIDENTS :                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                         Le 12 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Lamarre

Nathalie Labbé

POUR L’APPELANTE

 

 

Richard W. Pound

Charles C. Gagnon

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Stikeman Elliott LLP

Montréal (Québec)

 

BCF LLP

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉS

 

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