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Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100415

Dossier : A-100-09

Référence : 2010 CAF 102

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PIERRE BORDUAS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 13 avril 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 avril 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 


Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100415

Dossier : A-100-09

Référence : 2010 CAF 102

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PIERRE BORDUAS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

La question en appel

 

[1]               Nous sommes saisis d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt par laquelle la juge Lamarre (juge) rejetait l’appel d’une cotisation établie en vertu de l’article 323 de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, telle que modifiée (Loi). Ce faisant, elle a tenu l’appelant personnellement responsable du paiement de la taxe que la personne morale, dont il était l’administrateur, a fait défaut de verser au gouvernement du Québec.

 

[2]               Il s’attaque à cette conclusion au motif qu’il aurait dû bénéficier de l’exonération du paragraphe 323(3) de la Loi. En vertu de ce paragraphe, un administrateur peut se dégager de sa responsabilité si, en résumé, il a fait preuve de cette diligence qu’une personne raisonnablement prudente aurait faite dans les mêmes circonstances pour prévenir l’omission ou le défaut par la personne morale de verser la taxe.

 

[3]               L’article 323, ci-après reproduit, traite de la responsabilité des administrateurs d’une personne morale tenue de verser une taxe nette. Il leur impose une obligation solidaire de payer cette taxe, ainsi que les intérêts et les pénalités, lorsque la personne morale a fait défaut de s’acquitter de cette obligation de paiement :

 

Responsabilité des administrateurs

 

323. (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

 

 

 

Restrictions

 

(2) L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

 

 

Diligence

 

(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

Cotisation

 

(4) Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

 

Prescription

 

(5) L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

 

Montant recouvrable

 

(6) Dans le cas du défaut d’exécution visé à l’alinéa (2)a), la somme à recouvrer d’un administrateur est celle qui demeure impayée après l’exécution.

 

Privilège

 

(7) L’administrateur qui verse une somme, au titre de la responsabilité d’une personne morale, qui est établie lors de procédures de liquidation, de dissolution ou de faillite a droit au privilège auquel Sa Majesté du chef du Canada aurait eu droit si cette somme n’avait pas été versée. En cas d’enregistrement d’un certificat relatif à cette somme, le ministre est autorisé à céder le certificat à l’administrateur jusqu’à concurrence de son versement.

 

 

 

 

Répétition

 

(8) L’administrateur qui a satisfait à la réclamation peut répéter les parts des administrateurs tenus responsables de la réclamation.

Liability of directors

 

323. (1) If a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3) or to pay an amount as required under section 230.1 that was paid to, or was applied to the liability of, the corporation as a net tax refund, the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit or pay, as the case may be, the amount are jointly and severally, or solidarily, liable, together with the corporation, to pay the amount and any interest on, or penalties relating to, the amount.

 

 

 

Limitations

 

(2) A director of a corporation is not liable under subsection (1) unless

 

(a) a certificate for the amount of the corporation’s liability referred to in that subsection has been registered in the Federal Court under section 316 and execution for that amount has been returned unsatisfied in whole or in part;

 

(b) the corporation has commenced liquidation or dissolution proceedings or has been dissolved and a claim for the amount of the corporation’s liability referred to in subsection (1) has been proved within six months after the earlier of the date of commencement of the proceedings and the date of dissolution; or

 

(c) the corporation has made an assignment or a bankruptcy order has been made against it under the Bankruptcy and Insolvency Act and a claim for the amount of the corporation’s liability referred to in subsection (1) has been proved within six months after the date of the assignment or bankruptcy order.

 

Diligence

 

(3) A director of a corporation is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.

Assessment

 

(4) The Minister may assess any person for any amount payable by the person under this section and, where the Minister sends a notice of assessment, sections 296 to 311 apply, with such modifications as the circumstances require.

 

 

Time limit

 

(5) An assessment under subsection (4) of any amount payable by a person who is a director of a corporation shall not be made more than two years after the person last ceased to be a director of the corporation.

 

Amount recoverable

 

(6) Where execution referred to in paragraph (2)(a) has issued, the amount recoverable from a director is the amount remaining unsatisfied after execution.

 

Preference

 

(7) Where a director of a corporation pays an amount in respect of a corporation’s liability referred to in subsection (1) that is proved in liquidation, dissolution or bankruptcy proceedings, the director is entitled to any preference that Her Majesty in right of Canada would have been entitled to had the amount not been so paid and, where a certificate that relates to the amount has been registered, the director is entitled to an assignment of the certificate to the extent of the director’s payment, which assignment the Minister is empowered to make.

 

Contribution

 

(8) A director who satisfies a claim under this section is entitled to contribution from the other directors who were liable for the claim.

 

 

 

 

La décision de la Cour canadienne de l’impôt

 

[4]               Au terme d’une audition et de motifs prononcés à l’audience, la juge a rejeté les prétentions de l’appelant qu’il était un administrateur externe et que, dans les circonstances, il avait agi avec la diligence requise pour bénéficier de l’exonération du paragraphe 323(3).

 

Analyse de la décision de la juge et des motifs d’appel

 

L’appelant était-il un administrateur interne?

 

[5]               Il est généralement reconnu qu’il est beaucoup plus difficile pour un administrateur interne, qui s’occupe de la gestion quotidienne de l’entreprise et en influence la conduite des affaires, d’invoquer la défense de diligence raisonnable qu’il ne l’est pour un administrateur externe, à la participation sporadique, lequel peut compter sur les administrateurs internes pour payer les créances dues au gouvernement : voir Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (C.A.F.); Cadrin c. R., 99 D.T.C. 5079 (C.A.F.). De là l’intérêt de l’appelant à se voir attribuer le statut d’administrateur externe, auquel cas sa responsabilité n’est engagée que s’il savait ou aurait dû savoir que l’entreprise éprouvait des difficultés à effectuer les versements de remise de taxe.

 

[6]               À mon avis, la preuve permettait à la juge de première instance de conclure que l’appelant était un administrateur interne par son implication et sa disponibilité quotidiennes dans les affaires de la personne morale ainsi que le degré de contrôle et l’influence qu’il exerçait sur celles-ci : voir le témoignage de l’appelant lui-même et de Mme Rachel Guay, l’une des personnes qui se sont succédées pour exercer la fonction de contrôleur, dossier d’appel, vol. 2, aux pages 198 à 201, 224, 225, 258, 259, 266, 274, 279 et 282.

 

[7]               Nous nous arrogerions cavalièrement un pouvoir qui n’est pas le nôtre si nous substituions notre appréciation de la preuve sur ce point à celle qu’en a fait la juge alors que nous n’avons ni vu ni entendu les témoins : R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, au paragraphe 81.

 

La défense de diligence raisonnable

 

[8]               L’appelant soumet qu’en ce qui a trait à la défense de diligence raisonnable du paragraphe 323(3), la juge a commis trois erreurs de droit ainsi que des erreurs manifestes et dominantes dans l’appréciation de la preuve de cette défense.

 

L’imposition d’une obligation non prévue dans la Loi pour évaluer la conduite de l’appelant

 

[9]               L’appelant soutient que la juge a exigé pour l’application de la défense de diligence raisonnable que l’appelant établisse qu’il n’était pas en mesure de détecter le manquement, c’est-à-dire le défaut par la personne morale de verser la taxe. Ce faisant, elle aurait dénaturé le test qui consiste simplement à prévenir le manquement.

 

[10]           Avec respect, cette prétention de l’appelant ne reflète pas fidèlement le déroulement des événements en Cour canadienne de l’impôt et les motifs de la décision. C’est l’appelant qui, devant la juge, a soutenu comme moyen de défense qu’il n’était pas en mesure de détecter le manquement. Celle-ci n’a fait que répondre à cet argument de l’appelant. Mais il est clair à la lecture de ses motifs qu’elle a appliqué le bon test. À la page 5, elle écrit en parlant de l’appelant :

 

Il n’a pas démontré, selon la balance des probabilités, qu’il n’était pas en mesure de prévenir les manquements, c’est-à-dire qu’il a exercé les contrôles pour vérifier les versements alors qu’il y avait des faits, tels que relatés ci-haut, qui pouvaient lui faire croire à l’existence de ces manquements.

 

[Je souligne]

 

 

 

[11]           Les faits auxquels la juge réfère sont les difficultés financières de l’entreprise, l’implication de l’appelant dans sa gestion, la répétition des manquements et l’omission même de verser les sommes dues lors de la production tardive des rapports exigés par la Loi.

 

[12]           L’appelant, à titre de seul administrateur de la personne morale, ne pouvait ignorer les difficultés financières de l’entreprise compte tenu du fait qu’elle n’a jamais été rentable depuis son acquisition en décembre 2000, qu’elle exerçait des pressions sur l’encaisse et qu’elle générait des pertes substantielles : voir la lettre de l’appelant datée du 17 juin 2003 adressée au ministère du Revenu du Québec, dossier d’appel, volume 1, à la page 143. À cela s’est ajoutée la nervosité exprimée par la banque prêteuse qui s’inquiétait de la forte portion utilisée de la marge de crédit et qui, dès mars 2002, lors du renouvellement de cette marge, exigeait la vente de l’entreprise en litige : ibidem. Il était au courant de ces difficultés et il a refusé qu’un représentant de la firme comptable Samson Bélair et autres soit nommé pour représenter la banque au sein de l’entreprise et en examiner la gestion et les finances. Ce n’est qu’à la suite des moyens de pression exercés par la banque (refus d’honorer les chèques personnels faits au nom de l’appelant, envoi d’un avis d’intention de mettre une garante à exécution) que l’appelant a fini par consentir à la demande de cette dernière. Le représentant de celle-ci a procédé à une vérification des états financiers et a, dès lors, exigé son approbation préalable à l’envoi de tout chèque.

 

[13]           On ne saurait trouver, dans les difficultés financières d’une entreprise, de meilleur indice d’une forte probabilité de paiements préférentiels à certains débiteurs plutôt qu’à d’autres. L’expérience démontre généralement qu’en pareille période, les administrateurs ont tendance à vouloir affecter les sommes disponibles au paiement des fournisseurs de biens et services qui assurent au quotidien la survie de l’entreprise dans l’espoir que celle-ci puisse reprendre le chemin de la rentabilité ou se maintenir jusqu’à sa vente.

 

[14]           Pour l’entreprise en difficulté, le gouvernement ne figure pas toujours dans sa liste de créanciers prioritaires ou privilégiés. L’expérience révèle aussi malheureusement que, plus souvent qu’autrement, des paiements préférentiels, au lieu d’insuffler un nouveau souffle de vie, ne font que prolonger l’agonie de l’entreprise et retarder l’inévitable, comme ce fut le cas en l’espèce avec les conséquences auxquelles l’appelant doit maintenant faire face.

 

[15]           Dans ce contexte d’une situation financière précaire de l’entreprise, il n’y a pas nécessairement d’hérésie juridique à parler, comme l’a fait l’appelant lui-même pour se disculper et la juge en réponse à celui-ci, d’une capacité ou non de détecter, pour le prévenir, un possible, voire probable manquement aux obligations de remise de la taxe due.

 

[16]           Dans son témoignage, l’appelant a fait grand état de la nécessité pour un administrateur de déléguer des fonctions administratives pour faciliter la bonne administration d’une entreprise et en assurer l’efficience. Il a décrit les structures générales mises en place à ces fins.

 

[17]           Mais délégation de fonctions ne veut pas dire abdication et exonération de responsabilité pour le délégant. Sur ce, l’appelant, alors qu’il était conscient des difficultés de l’entreprise, n’a fourni aucune preuve de mesures concrètes qu’il a prises pour s’assurer du respect des obligations légales imposées par la Loi.

 

[18]           C’est la conclusion à laquelle la juge en est venue. Je ne saurais dire qu’elle est erronée.

 

La juge a-t-elle commis une erreur de droit en soumettant l’appelant à une norme de diligence plus stricte que celle exigée par la loi et la jurisprudence?

 

 

[19]           Essentiellement, l’appelant revient sur le fait que comme administrateur, il lui était nécessaire de déléguer certaines tâches administratives et qu’il était en droit de se fier sur ses délégataires pour que les tâches confiées soient exécutées honnêtement et correctement. Il invoque les arrêts Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, paragraphe 27; Polsinelli v. The Queen, 2004 TCC 186, paragraphes 18 et 19; Smith c. Sa Majesté la Reine, 2001 CFA 81; Mariani c. Sa Majesté la Reine, 2002 G.T.C. 266.

 

[20]           Je ne suis pas en désaccord avec cet énoncé de principe. Mais chacun de ces arrêts qualifie la portée de cet énoncé en ajoutant qu’il s’applique « sauf s’il a des motifs d’avoir des soupçons » (Soper et Mariani), si l’entreprise a des difficultés financières (Smith) ou pourvu que les administrateurs n’aient pas reçu « d’indications que les choses allaient mal » (Polsinelli).

 

[21]           Or, en l’espèce, pour reprendre la terminologie du paragraphe précédent, les choses allaient mal parce que l’entreprise éprouvait de tout temps des difficultés financières et il y avait des motifs d’avoir des soupçons. C’est la conclusion à laquelle la juge en est venue, tel qu’il appert des motifs de sa décision. À mon avis, la preuve était suffisante pour lui permettre de prendre une telle conclusion.

 

La juge a-t-elle transformé le fardeau de preuve prima facie de l’appelant en un fardeau de persuasion et, ce faisant, commis une erreur de droit?

 

 

[22]           Sur ce point, la prétention de l’appelant à son mémoire des faits et du droit est double. D’une part, la juge lui aurait imposé un fardeau de persuasion au lieu du simple fardeau initial de démolir, sans plus, les présomptions sur lesquelles le ministre a fondé sa cotisation. D’autre part, elle se serait méprise en tirant une inférence défavorable du fait que l’appelant n’a pas fait témoigner les contrôleurs de l’entreprise dont la fonction consistait à vérifier les déclarations de TPS et, selon les circonstances, à signer les chèques de remise.

 

[23]           Pour appuyer sa première prétention, l’appelant nous renvoie à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. c. La Reine, [1997] 2 R.C.S. 336, duquel il tire l’extrait suivant que l’on retrouve aux paragraphes 92 et 93 de cet arrêt :

 

92     En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions: (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus: First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

 

93     L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de « démolir » l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie: Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.R.N., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.).

 

 

[24]           Il n’est pas inapproprié de rappeler, comme le fait la Cour suprême à ce même paragraphe 92, qu’il « est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités et que, à l’intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve. » [Je souligne].

 

[25]           À l’audience, en réponse à l’une de nos questions, le procureur de l’appelant a identifié le passage suivant, précité, des motifs de la décision, sur lequel fut tiré l’argument fondé sur l’arrêt Hickman. Je le répète par souci de commodité :

Il n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités qu’il n’était pas en mesure de prévenir les manquements, c’est-à-dire qu’il a exercé les contrôles pour vérifier les versements alors qu’il y avait des faits, tels que relatés ci-haut qui pouvaient lui faire croire à l’existence de ces manquements.

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

 

[26]           Comme les échanges entre les procureurs des parties et les membres de la formation l’ont fait ressortir, cet extrait ne se rapporte pas aux présomptions retenues par le ministre pour établir sa cotisation, mais au moyen de défense ouvert à l’appelant en vertu du paragraphe 323(3) de la Loi. Ce dernier assume et le fardeau d’introduire (evidentiary burden) une preuve de diligence raisonnable, et celui d’en persuader le juge (legal burden) selon la balance des probabilités.

 

[27]           Expérimenté, le procureur de l’appelant a reconnu que la juge n’a pas commis d’erreur à ce niveau.

 

[28]           Reste enfin l’allégation que la juge a tiré une inférence défavorable de l’absence des contrôleurs comme témoins. Il faut se rappeler que l’appelant a prétendu qu’il n’était pas au courant des défauts de paiement et, conséquemment, qu’il n’était pas en mesure de détecter le manquement à l’obligation légale d’effectuer les paiements.

 

[29]           Aussi bien l’appelant que l’intimée ont choisi de ne pas faire entendre les contrôleurs. L’appelant a pris le risque d’établir son absence de connaissance des manquements et son incapacité à les détecter par le biais de son seul témoignage. La juge ne l’a pas cru, compte tenu de ses contacts quotidiens avec les contrôleurs. Elle a simplement noté qu’en l’absence de ces derniers, il était pour l’appelant « plus difficile dans ce contexte de convaincre la Cour qu’il n’était pas en mesure de détecter le manquement » ou du fait qu’il « n’était pas au courant du manquement » : voir les motifs de la décision aux pages 2 et 3. Comme le dit la juge, ce risque a joué « en sa défaveur » : ibidem, à la page 2.

 

Conclusion

 

[30]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

[31]           Ceci dit, je ne saurais passer sous silence le fait que les deux parties à l’instance ont déposé leurs cahiers d’autorités le matin même de l’audience, en contravention de la règle 348 des Règles des Cours fédérales.

 

[32]           S’il est rare que les deux parties soient ainsi en défaut, je ne peux malheureusement pas en dire autant dans le cas d’une seule partie. Trop souvent pour les membres de notre Cour qui s’appliquent à bien préparer l’audition afin de la rendre la plus fructueuse possible, une des parties produit son cahier d’autorités en retard. En refuser alors le dépôt revient à se punir soi-même.

 

[33]           Je crois que le temps est venu pour le Comité des règles de revoir la règle 348 pour en augmenter l’efficacité et en promouvoir le respect. Ainsi pourrait-on exiger que les cahiers d’autorités soient déposés par les parties en même temps que leur mémoire et en faire des frères siamois. Ou encore, afin d’inciter le dépôt d’un cahier conjoint d’autorités, la règle pourrait prévoir qu’une demande d’audience en vertu de la règle 347 ne peut être faite, et une date d’audience obtenue, tant que le cahier d’autorités n’est pas déposé. La partie qui tarderait à le faire se pénaliserait elle-même plutôt que la Cour, devrait expliquer à son client les raisons pour lesquelles la cause tarde à procéder et, en cas de retard indu, s’exposerait à un Avis d’examen de l’état de l’instance.

 

[34]           Je suis sûr qu’il existe aussi d’autres alternatives qu’une lecture des règles de pratique d’autres juridictions peut rapidement faire ressortir. Mais ce dont je suis le plus sûr, c’est que le status quo ne saurait perdurer.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-100-09

 

 

INTITULÉ :                                                   PIERRE BORDUAS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 avril 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 15 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Poulin

Jean Lozeau

 

POUR L’APPELANT

 

Claudine Alcindor

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAVINSKY RYAN LEMOINE

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANT

 

VEILLETTE, LARIVIÈRE

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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