Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100324

Dossier : A-66-10

Référence : 2010 CAF 84

 

EN PRÉSENCE DE  MONSIEUR LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SYLVIE LAPERRIÈRE, en sa qualité d’analyste principale –

Éthique professionnelle – du Bureau du surintendant des faillites

 

 

appelante

 

et

ALLEN W. MACLEOD

et

D. & A. MACLEOD COMPANY LTD.

intimés

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

 

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 24 mars 2010.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                     LE JUGE STRATAS

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20100324

Dossier : A-66-10

Référence : 2010 CAF 84

 

EN PRÉSENCE DE  MONSIEUR LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SYLVIE LAPERRIÈRE, en sa qualité d’analyste principale –

Éthique professionnelle – du Bureau du surintendant des faillites

 

 

appelante

 

et

ALLEN W. MACLEOD

et

D. & A. MACLEOD COMPANY LTD.

intimés

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

A.        Introduction

[1]               L’appelante présente une requête en sursis ou en suspension à l’égard d’une audience d’un tribunal administratif, alors qu’un appel est pendant devant notre Cour. Pour les motifs exposés ci-dessous, je vais rejeter la requête.

 

 

B.        Les faits à l’origine de la requête

            Les parties

[2]               L’appelante est analyste principale / agente responsable de l’éthique professionnelle au Bureau du surintendant des faillites. Les intimés sont des syndics qui ont administré différents actifs.

 

Le régime législatif

[3]               Le Bureau du surintendant des faillites octroie des licences aux syndics de faillite. En vertu de l’article 14.01 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3, le Bureau peut tenir une enquête sur la conduite d’un syndic. Des sanctions peuvent être imposées, entre autres, lorsque le syndic a contrevenu à la Loi, aux Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, C.R.C., ch. 368, ou aux directives du surintendant des faillites adoptées en vertu de l’article 5 de la Loi.

 

Les allégations

[4]               Après enquête, le Bureau a allégué que les intimés avaient commis un certain nombre de contraventions dans l’administration de différents actifs. Il a recensé 12 catégories de contraventions. Le Bureau a pris des mesures disciplinaires en vertu de l’article 14.01 de la Loi à l’encontre des intimés.

 

 

 

La procédure disciplinaire

[5]               Un délégué du surintendant des faillites a entendu les allégations. Il a conclu que les intimés n’étaient pas coupables de mauvaise conduite pour six des douze catégories.

 

[6]               Dans l’une des catégories, le délégué a relevé des contraventions découlant des retards des intimés dans l’administration de deux actifs. Les intimés n’ont présenté aucune défense à cet égard et ont été déclarés coupables de mauvaise conduite. Le délégué a tenu une audience sur les sanctions à cet égard et a imposé un blâme.

 

[7]               Concernant les cinq catégories restantes, le délégué a conclu qu’il y avait eu des contraventions, mais a décidé que les intimés avaient établi la défense de diligence raisonnable. Par conséquent, pour ces cinq catégories, le délégué a décidé que les intimés n’étaient pas coupables de mauvaise conduite. L’appelante a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale à l’encontre de cette décision.

 

La décision de la Cour fédérale : la division de l’affaire

[8]               La Cour fédérale a accueilli en partie la demande de contrôle judiciaire : 2010 CF 97. La décision de la Cour fédérale a entraîné une division : des cinq catégories de contraventions se trouvant devant la Cour fédérale, trois se retrouvent devant notre Cour et deux se trouvent en ce moment devant le délégué pour la détermination de la sanction. Voici ce qui s’est passé :

 

●          Le groupe de trois devant notre Cour. Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a convenu avec le délégué que la défense de diligence raisonnable avait été établie pour trois catégories de contraventions. L’appelante a interjeté appel de cette partie de la décision de la Cour fédérale devant notre Cour.

 

●          Le groupe de deux actuellement devant le délégué. Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu, contrairement au délégué, que la défense de diligence raisonnable n’avait pas été établie pour deux catégories et que les intimés étaient donc coupables de mauvaise conduite. La Cour fédérale a renvoyé l’affaire devant le délégué pour détermination de la sanction. Les intimés n’ont pas interjeté appel.

 

[9]               Le délégué a maintenant l’intention de tenir une audience concernant la sanction à appliquer à la suite des conclusions de mauvaise conduite concernant le groupe de deux. L’audience aura probablement eu lieu avant que notre Cour instruise l’appel concernant le groupe de trois. L’appelante demande à notre Cour de sursoir à cette audience jusqu’à l’issue de l’appel concernant le groupe de trois.

 

C.        Analyse

[10]           Le critère applicable à une requête en sursis a été établi dans les arrêts bien connus de la Cour suprême du Canada Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 143471 Canada Inc.c. Quebec (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 339 et Harper c. Canada (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 764, 2000 CSC 57.

 

[11]           À la première étape de la démarche en trois volets, l’appelant doit soulever une question sérieuse à trancher en appel. Cette exigence est « peu élevée » et « peu exigeante » : RJR-Macdonald, précité, à la page 337; 143471 Canada Inc., précité, à la page 358, le juge La Forest (dissident, avec accord apparent de la majorité sur cette question). L’appelant doit seulement démontrer que la requête n’est pas nécessairement vouée à l’échec ou qu’elle n’est « ni futile ni vexatoire » : RJR-Macdonald, précité, à la page 337. Après avoir pris connaissance du dossier en l’espèce, je ne suis pas en mesure de dire si la présente affaire est vouée à l’échec.

 

[12]           La requête en sursis de l’appelante dépend du résultat des deux autres volets de la démarche. L’appelante doit prouver qu’un préjudice irréparable sera causé si le sursis n’est pas accordé et que la balance des inconvénients penche en faveur d’un sursis. Lorsque le sursis vise à empêcher des personnes agissant en vertu de la loi d’accomplir leur devoir, un intérêt public « très important » doit « peser lourdement » en faveur de ceux qui agissent en vertu de la loi afin de leur permettre d’accomplir leur devoir : 143471 Canada Inc., précité à la page 383, le juge Cory (pour la majorité); Harper, précité, au par. 9.

 

[13]           Avant de présenter une requête en sursis, l’appelante a demandé au délégué d’ajourner l’affaire jusqu’à ce que l’appel devant notre Cour soit tranché. Le délégué a refusé. Si notre Cour accorde le sursis demandé par l’appelante dans sa requête, elle annulerait essentiellement la décision discrétionnaire interlocutoire et factuelle d’établir son calendrier que prend un délégué, une instance administrative qui est juridiquement maître de sa propre procédure. Vu de cette façon, l’octroi du sursis à l’appelante équivaudrait à accueillir le contrôle judiciaire interlocutoire de la décision du délégué. Or, les demandes de contrôle judiciaire interlocutoires ne sont possibles que dans des circonstances exceptionnelles : President of the Canada Border Services Agency c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61. Cela met en évidence la nature exceptionnelle de la réparation recherchée par l’appelante en l’espèce. Pour ce type de réparation exceptionnelle, l’appelante doit produire une preuve crédible, détaillée et solide.

 

[14]           La preuve présentée par l’appelante concernant la question du préjudice irréparable est loin d’être suffisante.

 

[15]           L’appelante fait valoir que si notre Cour accueille son appel et renvoie au délégué les cas d’inconduite appartenant au groupe de trois pour détermination de la sanction, ce dernier devrait tenir une deuxième audience séparée. Selon l’appelante, il en découlera des conséquences donnant lieu à un préjudice irréparable. La première audience deviendrait théorique parce que le délégué devrait procéder à une nouvelle évaluation globale de la sanction : le délégué devrait tenir compte de toutes les inconduites appartenant à la catégorie de cinq initiale. Par conséquent, « le temps, l’énergie et l’argent » investis pour la première audience seraient perdus. L’appelante fait également valoir qu’il serait moins onéreux de tenir une audience globale sur les sanctions, au lieu de deux.

 

[16]           Le scénario de préjudice irréparable présenté par l’appelante comporte au moins quatre failles. L’appelante est loin d’avoir réussi à démontrer l’existence du type de préjudice irréparable nécessaire pour obtenir un sursis.

 

[17]           Premièrement, le scénario de l’appelante présuppose que son appel sera accueilli. Or, il pourrait être rejeté, de sorte qu’il n’y aurait pas de deuxième audience sur les sanctions et que les préjudices évoqués par l’appelante ne surviendraient pas. Ces préjudices sont éventuels, hypothétiques ou au mieux discutables et ne constituent pas des préjudices irréparables : Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328, au par. 12.

 

[18]           Deuxièmement, l’appelante a fait valoir, sans preuve, qu’une deuxième audience sur les sanctions rendrait la première audience théorique. En ce qui lorsqu’elle examine la question du préjudice irréparable, la Cour ne peut accepter de simples allégations sans preuve : Bathurst Machine Shop Ltd. c. Canada, 2006 CAF 59, [2006] 2 C.T.C. 276, au par. 24 (C.A.F.). Le délégué peut tenir deux audiences portant sur les deux groupes de contraventions sans référence entre les deux. Tout dépend des circonstances.

 

[19]           À cet égard, l’appelante n’a produit aucune preuve démontrant l’interconnexion entre les différentes questions de sorte qu’il devrait y avoir une audience globale sur les sanctions. Si l’appelante avait produit cette preuve, elle aurait peut-être été en mesure de soulever une question défendable concernant la question de savoir si un tort irréparable surviendrait dans le cas où l’audience avait bien immédiatement. La preuve disponible, cependant, ne donne pas à penser qu’il existe une telle interconnexion. En refusant d’ajourner l’audience sur les sanctions, le délégué a de toute évidence conclu qu’il pouvait procéder et, si nécessaire, tenir une deuxième audience plus tard. De plus, le délégué avait déjà procédé de cette manière : il a tenu une audience et imposé un blâme pour une des inconduites, malgré le fait que plusieurs autres questions se trouvaient devant la Cour fédérale et qu’elles pouvaient lui être renvoyées ultérieurement pour détermination de la sanction (voir par. 6, ci-dessus).

 

[20]           Troisièmement, même si « le temps, l’énergie et l’argent » étaient gaspillés, l’appelante n’a pas précisé adéquatement la nature et le montant des pertes. De fait, selon les quelques indications que donne au mieux l’affidavit produit à l’appui du sursis – et l’affidavit n’est pas clair sur ce point – il est possible que seuls quelques jours de travail seraient perdus. Cela s’apparente à un simple inconvénient administratif trop anodin pour justifier de recourir à la réparation inhabituelle que constitue l’octroi d’un sursis à l’encontre d’un décideur public qui veut exercer sa compétence. Un simple inconvénient administratif, sans plus, ne constitue pas un préjudice irréparable : Falkiner c. Director, Income Maintenance Branch (2000), 189 D.L.R. (4th) 377, au par. 9 (C.A. Ont.).

 

[21]           Enfin, le type de division causée par la décision de la Cour fédérale en l’espèce se produit régulièrement. La division et ses effets indésirables – plus d’inconvénients, une plus grande complexité et des frais plus élevés – font partie des vicissitudes normales des litiges. Si la Cour accordait un sursis sur la base de la preuve au dossier produite en l’espèce, elle devrait le faire dans toutes les affaires où il y a eu division. L’appelante n’a pas prouvé que la division en l’espèce avait causé des conséquences excessivement anormales et sévères. La division, sans plus, n’entraîne pas automatiquement l’octroi d’un sursis.

 

[22]           Par conséquent, l’appelante n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un préjudice irréparable. Cette conclusion est suffisante pour entraîner le rejet de la requête en sursis de l’appelante à l’égard de l’audience sur les sanctions du délégué. Cependant, par souci d’exhaustivité, j’ajouterais que la balance des inconvénients milite fortement en défaveur de l’octroi de cette réparation.

 

[23]           Les intimés ont déposé un affidavit attestant de l’incidence que les allégations ont eu sur eux, sur leur famille et sur leur entreprise, y compris les frais juridiques, d’énormes dépenses liées au temps de gestion, la perte d’employés et une atteinte significative à leur réputation, en plus de préjudices financiers et émotionnels. Il est normal que les intimés souhaitent que l’audience sur les sanctions prenne fin aussi rapidement que possible. Selon l’issue de l’appel devant notre Cour, ce pourrait être la dernière audience devant le délégué pour cette affaire et la fin de ce que les intimés considèrent comme un supplice intolérable.

 

[24]           Certains éléments de la preuve des intimés ne comportent pas suffisamment de détails pour qu’on puisse y accorder tout le poids voulu. Cependant, la preuve des intimés est plus solide que la preuve de l’appelante, résumée ci-dessus.

 

[25]           Cette conclusion est étayée par les considérations d’intérêt public dont la Cour doit tenir compte pour la pondération : voir paragraphe 12, ci-dessus. Le délégué exerce ses responsabilités en vertu d’un régime législatif qui protège le public en repérant et en sanctionnant les inconduites professionnelles. Le législateur exige que le délégué agisse avec célérité; eu égard aux circonstances et à l’équité (voir le paragraphe 14.02(2) de la Loi). Le délégué, avec l’appui des intimés, souhaite agir avec célérité et déterminer la sanction que les intimés méritent pour leur mauvaise conduite dans ce que j’ai appelé le groupe de deux. Les considérations d’intérêt public militent contre l’octroi d’un sursis.

 

[26]           Je conclus que le délégué peut procéder à l’audience sur les sanctions sans que notre Cour n’intervienne pour le moment. Je rejette la requête en sursis de l’appelante.

 

D.        Conclusion

[27]           Par conséquent, je rejetterai la requête en sursis de l’appelante, avec dépens en faveur des intimés.

« David Stratas »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-66-09

 

INTITULÉ :                                                                            SYLVIE LAPERRIÈRE, en sa qualité d’analyste principale –Éthique professionnelle – du Bureau du surintendant des faillites c. Allen W. MacLeod et D. & A. MacLeod Company Ltd.

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      Le juge Stratas

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 24 mars 2010

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

 

 

Bernard Letarte

Benoît de Champlain

 

POUR L’APPELANTE

 

Julia J. Martin

J. Alden Christian

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c. r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

 

Julia J. Martin

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

Doucet McBride LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.