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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100316

Dossiers : A-481-08

A-483-08

Référence : 2010 CAF 74

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

OLTCPI INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 9 mars 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100316

Dossiers : A-481-08

A-483-08

Référence : 2010 CAF 74

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

OLTCPI INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               La Cour est saisie des appels des décisions du juge suppléant Weisman (le juge de la Cour de l’impôt) qui ont confirmé deux décisions par lesquelles le ministre du Revenu national (le ministre) a conclu que Renu Arora (Mme Arora) exerçait un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi) et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, modifié (le RPC), de sorte que l’appelante était tenue de retenir et de verser les cotisations payables relativement à Mme Arora en vertu des lois en question.

[2]               Le débat porte principalement sur la question de savoir si, en mettant les services de Mme Arora en tant que diététiste à la disposition d’une société liée, l’appelante a agi comme agence de placement au sens de l’alinéa 6g) et de l’article 7 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, D.O.R.S./97-33 (le Règlement sur la RAPC) ainsi que du paragraphe 34.(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, D.O.R.S./78-142, art. 3 (le Règlement sur le RPC).

 

[3]               La Cour a joint les deux appels aux termes d’une ordonnance datée du 9 janvier 2009. Conformément à cette ordonnance, les présents motifs tranchent les deux appels. L’original est déposé dans le dossier A-481-08 et une copie est versée au dossier A-483-08.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les deux appels devraient être rejetés.

 

LES FAITS

[5]               Au cours de la période en cause, Ontario Long Term Care Providers Inc. ou OLTCPI (l’appelante) s’occupait de recruter des diététistes et des travailleurs sociaux pour sa société liée et unique cliente, Leisureworld Inc. (Leisureworld), qui était la plus importante entreprise ontarienne d’établissements de soins de longue durée destinés aux personnes âgées. L’appelante offrait également des services d’achats en gros de fournitures alimentaires et médicales pour toutes les maisons de soins infirmiers de Leisureworld (motifs, par. 1). Aucun écrit ne faisait état de cet accord (témoignage de David Cutler, transcription, p. 171).

 

[6]               Le ministère ontarien de la Santé et des Soins de longue durée (le ministère de la Santé) a établi des normes minimales pour les services diététiques offerts aux patients des maisons de soins infirmiers (dossier d’appel, p. 37). Par ailleurs, les Normes et critères des services diététiques publiés par le ministère de la Santé (les lignes directrices du Ministère) obligeaient Leisureworld à fournir des services diététiques à ses patients et à satisfaire à des exigences précises (motifs, par. 17). Suivant la preuve présentée par l’appelante, sa principale tâche en ce qui concernait les diététistes était de s’assurer que les maisons de soins infirmiers de Leisureworld respectaient les lignes directrices et les autres exigences du ministère de la Santé en ce qui concerne la diététique et les diététistes (témoignage de David Cutler, transcription, p. 154).

 

[7]               Leisureworld payait l’appelante pour ses services en lui versant des honoraires fixes calculés en fonction du nombre de résidents de l’établissement desservi (témoignage de David Cutler, transcription, p. 148 et 149). Ces honoraires fixes servaient à payer à la fois les services des diététistes et ceux des travailleurs sociaux. L’appelante ne facturait pas Leisureworld pour les fournitures achetées en gros, étant donné qu’elle faisait un bénéfice suffisant sur l’écart entre la rémunération versée par elle aux diététistes et travailleurs sociaux qu’elle envoyait chez sa cliente Leisureworld et la facture qu’elle envoyait à la cliente pour ces mêmes travailleurs (idem, p. 198).

 

[8]               Lorsqu’on avait besoin d’une diététiste dans un des établissements de Leisureworld, l’appelante publiait sur Internet une annonce sur laquelle figurait l’en-tête de Leisureworld (témoignage de David Cutler, transcription, p. 174 et 175; Description d’emploi, dossier d’appel, p. 46). Une fois accepté, l’accord intervenu entre l’appelante et les diététistes était consigné par écrit en utilisant une formule type (Accord de consultant, dossier d’appel, p. 49). Les seules variantes de la formule type étaient le taux horaire de rémunération et le nombre d’heures à effectuer chaque mois. Le nombre d’heures était établi en fonction de la taille de l’établissement de soins de longue durée auquel la diététiste offrait ses services (témoignage de Lori Halliwuska, transcription, p. 27).

 

[9]               Il a été stipulé à l’accord conclu entre l’appelante et Mme Arora que cette dernière était une entrepreneuse indépendante et qu’elle ne devait pas être considérée comme une employée de l’appelante ou de tout client de l’appelante, que Mme Arora devait souscrire une assurance-responsabilité et qu’elle acceptait d’assurer 82 heures de service par mois, au taux horaire de 35 $, qui devait être facturé à l’appelante au moyen de factures (motifs, par. 2). Leisureworld n’était pas partie à cet accord.

 

[10]           Mme Arora a produit ses déclarations de revenus en partant du principe qu’elle était une entrepreneuse indépendante (motifs, par. 2).

 

[11]           Lorsqu’elle exécutait ses services, Mme Arora avait la latitude de fixer ses propres heures de travail. On s’attendait toutefois à ce qu’elle se présente aux établissements de l’appelante aux heures ouvrables normales, c’est-à-dire du lundi au vendredi, entre 8 h et 18 h (témoignage de Robert Low, transcription, p. 137). Elle pouvait établir l’ordre dans lequel elle visitait ses patients, mais elle devait visiter en priorité les patients que lui désignaient le personnel infirmier, les médecins ou les administrateurs qui agissaient pour le compte de Leisureworld (témoignage de Lori Halliwuska, transcription, p. 64 et 66; témoignage de Renu Arora, transcription, p. 34 et 35).

 

[12]           Les lignes directrices du Ministère exigeaient que l’on offre aux patients des maisons de soins infirmiers une alimentation variée, qu’on les consulte sur l’élaboration des menus et que les repas soient servis aux heures normales de repas et dans un cadre agréable. Leisureworld avait sa propre « description d’emploi du diététiste clinique », qui reprenait les lignes directrices du Ministère et obligeait les diététistes à ne pas s’en tenir aux lignes directrices (motifs, p. 17).

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[13]           L’alinéa 6g) et l’article 7 du Règlement sur la RAPC et les paragraphes 34(1) et 34(2) du Règlement sur le RPC prévoient respectivement ce qui suit :

Règlement sur la RAPC

6. Sont inclus dans les emplois assurables, s’ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

[…]

 

g) l’emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l’agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l’agence.

 

6. Employment in any of the following employments, unless it is excluded from insurable employment by any provision of these Regulations, is included in insurable employment:

 

 

(g) employment of a person who is placed in that employment by a placement or employment agency to perform services for and under the direction and control of a client of the agency, where that person is remunerated by the agency for the performance of those services.

 

 

7. L’agence de placement qui procure un emploi assurable à une personne selon une convention portant qu’elle versera la rémunération de cette personne est réputée être l’employeur de celle-ci aux fins de la tenue des registres, du calcul de la rémunération assurable de la personne ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à cet égard aux termes de la Loi et du présent règlement.

 

 

7. Where a person is placed in insurable employment by a placement or employment agency under an arrangement whereby the earnings of the person are paid by the agency, the agency shall, for the purposes of maintaining records, calculating the person’s insurable earnings and paying, deducting and remitting the premiums payable on those insurable earnings under the Act and these Regulations, be deemed to be the employer of the person.

 

 

Règlement sur le RPC

34. (1) Lorsqu’une personne est placée par une agence de placement pour la fourniture de services ou dans un emploi auprès d’un client de l’agence, et que les modalités régissant la fourniture des services et le paiement de la rémunération constituent un contrat de louage de services ou y correspondent, la fourniture des services est incluse dans l’emploi ouvrant droit à pension, et l’agence ou le client, quel que soit celui qui verse la rémunération, est réputé être l’employeur de la personne aux fins de la tenue de dossiers, de la production des déclarations, du paiement, de la déduction et du versement des contributions payables, selon la Loi et le présent règlement, par la personne et en son nom.

 

 

 

(2) Une agence de placement comprend toute personne ou organisme s’occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

34. (1) Where any individual is placed by a placement or employment agency in employment with or for performance of services for a client of the agency and the terms or conditions on which the employment or services are performed and the remuneration thereof is paid constitute a contract of service or are analogous to a contract of service, the employment or performance of services is included in pensionable employment and the agency or the client, whichever pays the remuneration to the individual, shall, for the purposes of maintaining records and filing returns and paying, deducting and remitting contributions payable by and in respect of the individual under the Act and these Regulations, be deemed to be the employer of the individual.

 

 

(2) For the purposes of subsection (1), “placement or employment agency” includes any person or organization that is engaged in the business of placing individuals in employment or for performance of services or of securing employment for individuals for a fee, reward or other remuneration.

 

 

 

LA DÉCISION FRAPPÉE D’APPEL

[14]           Le juge de la Cour de l’impôt s’est d’abord demandé si l’alinéa 6g) du Règlement sur la RAPC pouvait s’appliquer à Mme Arora si elle était une entrepreneuse indépendante, statut qu’elle a reconnu dans les accords qu’elle avait signés (motifs, par. 6). Se fondant sur l’arrêt de notre Cour dans Sheridan c. Canada, [1985] A.C.F. no 230 (Sheridan), le juge de la Cour de l’impôt a répondu par l’affirmative à cette question (motifs, par. 7, 8 et 9). Le juge a toutefois précisé qu’on ne peut en dire autant du paragraphe 34(1) du Règlement sur le RPC, qui requiert que Mme Arora soit engagée aux termes d’un accord correspondant à un contrat de louage de services. (motifs, par. 10).

 

[15]           S’agissant du point central en litige, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’appelante agissait comme agence de placement (motifs, par. 13). Suivant le juge de la Cour de l’impôt, il ne faisait pas de doute que l’appelante avait placé Mme Arora auprès de l’établissement de Leisureworld sur la rue Lawrence, puisque l’objet de l’annonce que Leisureworld avait affichée sur le site Web « Les diététistes du Canada » était de combler le poste vacant de sa cliente à cet endroit (motifs, par. 15). La preuve révélait par ailleurs que l’appelante réalisait un bénéfice en agissant comme agence de placement (motifs, par. 13).

 

[16]           Pour arriver à la conclusion que l’appelante était une agence de placement, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’argument de l’appelante suivant lequel elle fournissait un service distinct et sa situation était assimilable à celle de l’entrepreneur qui s’engage à envoyer du personnel sur un chantier pour l’exécution d’un service déterminé sous la surveillance d’un entrepreneur général (motifs, par. 14).

 

[17]           Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite abordé la question de savoirs si Mme Arora était « sous la direction et le contrôle » de Leisureworld au sens de l’alinéa 6g) du Règlement sur la RAPC. À ce propos, le juge de la Cour de l’impôt a relevé que Leisureworld obligeait Mme Arora à exécuter des tâches qui n’étaient pas prévues par les lignes directrices du Ministère (motifs, par. 17) et qu’elle devait rendre « compte de ses activités pour chaque minute de chaque jour » (motifs, par. 18). Le juge de la Cour de l’impôt en a conclu que Leisureworld exerçait un contrôle effectif sur Mme Arora et qu’elle pouvait la renvoyer (motifs, par. 19 et 20).

 

[18]           Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite abordé la question de savoir si les modalités du contrat régissant la fourniture des services de Mme Arora « correspond[aient] à un contrat de louage de services » au sens du paragraphe 34(1) du Règlement sur le RPC. Pour répondre à cette question, il fallait, selon le juge de la Cour de l’impôt, examiner la relation globale des parties à l’aide du critère à quatre volets classique exposé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 DTC 5025 (CAF) (Wiebe Door) (motifs, par. 21).

 

[19]           En ce qui concerne le contrôle, le juge de la Cour de l’impôt a conclu, pour les motifs déjà exposés, que les modalités de la relation de travail entre Mme Arora et Leisureworld signalaient l’existence d’un lien de subordination (motifs, par. 22). S’agissant des instruments de travail, le seul instrument important mis à la disposition de Mme Arora était l’établissement où ses patients résidaient (si l’on peut considérer cela comme un instrument de travail), ainsi qu’un bureau équipé d’un ordinateur permettant d’accéder aux dossiers des patients. Pour sa part, Mme Arora fournissait son savoir‑faire, qui ne pouvait cependant être considéré comme un instrument de travail (motifs, par. 23 à 27). Pour ce qui est de la possibilité de réaliser un bénéfice grâce aux activités qu’elle exerçait chez Leisureworld, le juge de la Cour de l’impôt a estimé qu’elle n’existait qu’en théorie (motifs, par. 28 à 30).

 

[20]           Le juge de la Cour de l’impôt a fait observer que, malgré le fait que l’intention commune des parties était manifestement que Mme Arora soit une entrepreneuse indépendante, trois des quatre critères indiquaient de façon concluante que les modalités de sa relation de travail avec Leisureworld s’apparentaient à celles d’un contrat de louage de services. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que, dans ces conditions, on ne saurait accorder un grand poids à l’intention des parties (Le Royal Winnipeg Ballet c. M.RN., [2006] A.C.F. no 339, [2007] 1 R.C.F. 35 (C.A.F.) (motifs, par. 31).

 

[21]           Le juge de la Cour de l’impôt a par conséquent rejeté les deux appels au motif que les décisions du ministre étaient objectivement raisonnables (motifs, par. 33 et 34).

 

ERREURS REPROCHÉES

[22]           L’appelante soutient tout d’abord que le juge de la Cour de l’impôt a mal compris le rôle qu’elle était appelée à jouer au sein du groupe Leisureworld. Plus précisément, l’appelante affirme qu’elle était chargée de s’assurer que les maisons de soins infirmiers de Leisurworld respectaient les lignes directrices du Ministère ainsi que les exigences en matière de diététique et en ce qui concerne les fonctions des diététistes (mémoire, par. 30). Elle ne s’occupait pas uniquement des questions de diététique étant donné qu’elle recrutait des travailleuses sociales pour Leisureworld et s’occupait des achats en gros (mémoire, par. 35). Se fondant sur la décision de la Cour de l’impôt Supreme Tractor Services Ltd. c. M.R.N., 2001 CanLII 748 (C.C.I.), 2000-4909-RPC (Supreme Tractor), l’appelante affirme qu’elle devrait être considérée comme une sous-traitante qui, dans le cadre des services qu’elle fournit, place du personnel dans l’établissement du client qu’elle sert, plutôt que d’être assimilée à une agence de placement (mémoire, par. 49 à 53).

 

[23]           À titre subsidiaire, l’appelante soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en statuant qu’aux fins de l’assurance-emploi, il suffit de juger que Mme Arora s’acquittait de ses fonctions chez Leisureworld sous la direction et le contrôle de Leisureworld (mémoire, par. 54 à 61). Lors de l’instruction de l’appel, l’avocat de l’appelante a admis que cette question était théorique, puisque le juge de la Cour de l’impôt avait effectivement procédé à l’analyse requise, bien qu’il l’ait fait pour vérifier l’application du RPC. Il a par conséquent renoncé à cet argument.

 

[24]           En tout état de cause, l’appelante soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les modalités des rapports qui existaient entre Mme Arora et Leisureworld s’apparentaient à celles d’un contrat de louage de services. À cet égard, l’appelante affirme que la preuve ne permettait pas de conclure que Mme Arora n’avait aucune possibilité de réaliser un bénéfice ou de subir une perte, ajoutant que le juge de la Cour de l’impôt n’avait pas accordé suffisamment de poids à l’intention contractuelle des parties (mémoire, par. 78 à 89).

 

ANALYSE ET DÉCISION

[25]           Les arguments invoqués par l’appelante à l’appui des présents appels soulèvent deux questions, soit si c’est à bon droit que le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’appelante était une « agence de placement » et si c’est à juste titre qu’il a estimé que les modalités selon lesquelles travaillait Mme Arora correspondaient à celles d’un contrat de louage de services.

 

[26]           L’appelante n’a pas abordé la question de la norme de contrôle. À mon avis, la question de savoir si l’appelante devait être considérée comme une agence de placement en raison du critère énoncé dans Supreme Tractor soulève une question mixte de fait et de droit tout comme la question de savoir si les facteurs énoncés dans Wiebe Door ont été correctement appliqués. Il s’ensuit qu’à défaut d’erreur de droit isolable, notre Cour ne peut intervenir que s’il est démontré que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante.

 

Agence de placement

[27]           S’agissant de la première question en litige, les dispositions du Règlement sur la RAPC et du Règlement sur le RPC qui sont pertinentes pour trancher les appels sont semblables, sans toutefois être identiques. D’abord, l’expression « agence de placement » est définie dans le Règlement sur le RPC (par. 34(2)) mais non dans le Règlement sur la RAPC. Le juge de la Cour de l’impôt a néanmoins appliqué cette définition également aux questions relatives à l’assurance-emploi, une façon de procéder que l’appelante ne conteste pas.

 

[28]           Il est acquis aux débats que Leisureworld était une cliente de l’appelante, que Mme Arora avait été placée par l’appelante dans l’établissement de l’avenue Lawrence de Leisureworld et que l’appelante avait rétribué Mme Arora. L’appelante maintient toutefois que, ce faisant, elle offrait un bouquet de services, y compris celui consistant à s’assurer que Leisureworld respecte les exigences du ministère de la Santé en ce qui concerne les questions de diététique et les fonctions des diététistes. Elle n’agissait donc pas comme agence de placement.

 

[29]           À l’appui de cet argument, l’appelante se réfère à la distinction tirée par le juge suppléant Porter dans Supreme Tractor. Voici les passages clés cités par l’appelante :

 

[12]          La première question est donc de savoir si le travailleur fournit des services pour l’entité A dans le cadre de l’entreprise de cette dernière - quoiqu’une partie de cette entreprise puisse être un contrat prévoyant que l’entité A doit fournir un service pour l’entité B - ou si l’entreprise même de l’entité A consiste simplement à trouver du personnel pour qu’il travaille pour l’entité B dans le cadre de l’entreprise de cette dernière, quelle qu’elle soit. Il s’agit simplement de savoir si l’entité A a l’obligation de fournir à l’entité B un service autre que la simple fourniture de personnel. A-t-elle une obligation autre que simplement faire en sorte que du personnel soit disponible? Dans l’affirmative, il est clair qu’elle exerce une activité pour son propre compte, comme un entrepreneur général sur un chantier de construction, et que le travailleur n’est pas couvert par le régime réglementaire de l’une ou l’autre loi. Dans la négative, toutefois, c’est-à-dire si elle n’est pas obligée de fournir un service autre que la fourniture de personnel, il est clair que le travailleur est visé par les régimes réglementaires adoptés en vertu des deux lois.

 

[13]          Je considère qu’il s’agit surtout de savoir non pas qui est le bénéficiaire ultime du travail ou des services fournis, ce qui couvrirait toutes les situations de sous-traitance possibles, mais plutôt qui a l’obligation de fournir le service. Si la prétendue agence de placement a l’obligation d’assurer un service en plus de la fourniture de personnel, c’est une entité qui fournit ce service plutôt que de placer des gens et qui n’est pas visée par les Règlements.

 

 

[30]           En s’exprimant ainsi, le juge suppléant Porter s’attaquait à la difficulté que représente le fait de s’assurer que les dispositions relatives aux agences de placement ne s’appliquent pas à des personnes, comme les sous-traitants, qui fournissent des services qui obligent les travailleurs à se présenter chez leur client pour exécuter leurs fonctions, parfois sous la direction de ce client. La question qui se pose à cet égard est celle de savoir si la personne concernée ne fait que fournir du personnel ou si elle le fait à l’occasion de la fourniture d’un service distinct.

 

[31]           La difficulté à laquelle se heurte l’appelante à cet égard est le fait que l’accord qu’elle a conclu avec Leisureworld n’a pas été consigné par écrit et que la preuve tend à démontrer que les diététistes affectées à Leisureworld ne devaient pas seulement s’assurer de se conformer aux exigences du ministère de la Santé. Ainsi, la « description d’emploi du diététiste clinique » de Leisureworld incorporait non seulement les lignes directrices du Ministère mais obligeait également les diététistes à élaborer des programmes, à servir de personne-ressource, à participer au comité de la pharmacie et de la thérapeutique et à rencontrer l’administrateur de l’établissement (motifs, par. 17).

 

[32]           Mme Arora devait également rédiger des rapports sur l’évolution pondérale, préparer des rapports sur les patients à risque élevé qu’elle soumettait au directeur des services infirmiers de Leisureworld, rédiger des rapports sur les modifications apportées aux suppléments dans le but de réduire les coûts alimentaires de Leisureworld, et établir des rapports détaillés de visite (témoignage de Mme Arora, transcription, p. 16 à 19, 27 et 32). Elle était principalement chargée de s’occuper des patients à risque élevé, mais le directeur des services infirmiers l’obligeait aussi à suivre les patients à faible risque ou à risque modéré (motifs, par. 18).

 

[33]           Le tableau qui ressort de la preuve est qu’en plus d’avoir à se conformer aux exigences du ministère de la Santé, les diététistes étaient placées par l’appelante chez Leisureworld pour répondre aux besoins précis de Leisureworld et pour fournir les services particuliers que le personnel de Leisureworld leur demandait de fournir. Il était donc loisible au juge de la Cour de l’impôt de conclure que la situation de l’appelante n’était pas assimilable à celle de l’entrepreneur qui fournit du personnel pour l’exécution d’un service distinct.

 

[34]           Le fait que l’appelante fournissait plusieurs services ne nous est d’aucune utilité, vu l’ensemble des faits de la présente affaire. Il n’y a en effet aucun lien entre le service d’achats en gros et la fourniture de diététistes. Ainsi que le juge de la Cour de l’impôt l’explique, la définition de l’agence de placement n’exige pas que le placement de travailleurs dans un emploi soit l’unique fonction de l’agence (motifs, par. 14).

 

[35]           La situation s’apparente plutôt à celle de l’affaire Big Sky (Lundle) Drilling Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2002] A.C.I. no 16 (Big Sky), qui a également été jugée par le juge suppléant Porter. Dans cette affaire, le juge suppléant Porter a rejeté la prétention de l’appelante suivant laquelle du personnel était fourni à un tiers à l’occasion de l’exécution d’un service distinct. Le juge a conclu que l’appelante fournissait en fait deux services distincts, c’est‑à-dire, d’une part, la fourniture de personnel et, d’autre part, des fonctions de gestion et de consultation (Big Sky, par. 43 et 49).

 

[36]           Je ne décèle aucune erreur dans la conclusion du juge de la Cour de l’impôt suivant laquelle, en fournissant des diététistes à Leisureworld, l’appelante agissait comme agence de placement.

 

Modalités correspondant à un contrat de louage de services

[37]           Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les modalités de la relation de travail entre Mme Arora et Leisureworld signalaient l’existence d’un lien de subordination. Pour arriver à cette conclusion, le juge de la Cour de l’impôt a recouru au critère à quatre volets énoncé dans Wiebe Door, à savoir le degré de contrôle, la propriété des outils de travail, les chances de réaliser un bénéfice et les risques de perte.

 

[38]           L’appelante ne conteste pas le raisonnement juridique suivi par le juge de la Cour de l’impôt pour arriver à sa conclusion. Elle affirme plutôt que la preuve ne lui permettait pas de parvenir à cette conclusion. L’appelante fait en outre valoir que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant à l’existence d’une direction et d’un contrôle, alors qu’il n’y en avait pas, en ne concluant pas à la possibilité d’un bénéfice ou à un risque de perte pour Mme Arora alors que ces deux éléments étaient présents en l’espèce, et en n’accordant pas suffisamment d’importance à l’intention des parties.

 

 

[39]           En ce qui concerne le contrôle, il ressort des motifs du juge de la Cour de l’impôt qu’il existait des éléments de preuve qui lui permettaient d’arriver à cette conclusion.

 

[40]           En ce qui concerne la conclusion du juge de la Cour de l’impôt suivant laquelle il n’y avait pas de risque de perte, le juge de la Cour de l’impôt a accepté le témoignage de Mme Arora suivant lequel, compte tenu du fait que ses dépenses étaient minimales, il était impossible que son revenu excède ce montant. Cette conclusion ne saurait être qualifiée de déraisonnable.

 

[41]           S’agissant de la possibilité de réaliser un bénéfice, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que cette possibilité existait seulement en théorie. En pratique, l’accord donnait à Mme Arora le droit d’être rémunérée à l’heure, à un taux qui se rapprochait de celui pratiqué dans l’industrie. L’accord prévoyait un maximum de 82 heures rémunérées par mois et l’accord ne laissait aucune possibilité d’augmenter les revenus. Certes, elle aurait pu réaliser un bénéfice si elle s’était trouvé un remplaçant à un taux moins élevé, mais le juge de la Cour de l’impôt a conclu que ce scénario n’était pas réaliste. Là encore, je ne puis déceler aucune erreur justifiant notre intervention dans la conclusion tirée par le juge de la Cour de l’impôt sur ce point.

 

[42]           Quant à l’importance accordée par le juge de la Cour de l’impôt à l’intention contractuelle de Mme Arora, il incombait au juge de déterminer si cette intention correspondait à la nature véritable de la relation. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la relation tripartite qui existait contredisait l’intention déclarée. Il lui était loisible de tirer cette conclusion, vu l’ensemble des faits dont il disposait.

 

[43]           Je rejetterais les deux appels et n’accorderais qu’un seul mémoire de dépens, dans le dossier A‑481-08.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

        M. Nadon, j.c.a. »

 

«  Je suis d’accord.

        Carolyn Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                                          A-481-08, A-483-08

 

APPEL DE DEUX JUGEMENTS RENDUS PAR LE JUGE SUPPLÉANT N. WEISMAN DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 25 AOÛT 2008 DANS LES DOSSIERS 2007-1674(EI) ET 2007-1675(CPP)

 

INTITULÉ :                                                  OLTCPI INC. et LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 9 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                    le juge Nadon

                                                                       la juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 16 mars 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil E. Bass

Wendy A. Brousseau

 

POUR L’APPELANTE

 

Brandon Siegal

Andrea Jackett

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fraser Milner Casgrain SRL

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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